[2335]
J'ai finalement pu savoir que Votre Excellence se trouve sur le terrain de son sublime apostolat. J'espère que vous avez totalement recouvré votre précieuse santé et que l'Egypte et la Nigrizia pourront profiter pendant de longues années de leur très vénérable Père. Bien que je sois votre fils indigne, j'en suis très heureux.
Je veux maintenant vous présenter rapidement un résumé de mes affaires depuis votre départ de Rome jusqu'à aujourd'hui, en me soumettant entièrement à Votre Excellence et vous déclarant en tout une fidèle obéissance.
Le Postulatum signé par une centaine de Prélats a généralement été accueilli avec un grand intérêt non seulement par les Evêques mais aussi par les Eminents Cardinaux et par Sa Sainteté ; et après avoir obtenu l'approbation de la commission chargée de l'examen des propositions des Pères, il a été signé par le Saint-Père le 18 juillet au soir. Quelques Evêques en glissèrent un très cours aperçu dans le Schema Constitutionis super Missionibus Apostolicis, à la page 19, 3ème ligne.
Il est inutile de vous dire que presque tous les Evêques ont eu la bonté de me recevoir, et j'ai été très heureux de leur recommander le Postulatum et de demander leur coopération pour fournir quelques bons sujets à la Nigrizia.
[2336]
Lors des longs et fréquents entretiens que j'ai eus avec Son Eminence le Cardinal Préfet, il m'a été vivement recommandé de bien mettre en place le Collège des Missions Africaines de Vérone ; recommandation qui a été aussitôt répétée à juste raison à Monseigneur Canossa par Son Eminence sinon en Afrique on bâtirait sur du sable s'il n'y avait pas l'appui d'un Institut en Europe.
Notre Cardinal avec son sens de l'humour a fait résonner plus d'une fois à mes oreilles ces phrases : "Ou bien tu me présentes une attestation comme quoi tu vivras encore 35 ans, ou bien tu établis solidement le Collège à Vérone ; dans les deux cas je te donnerai une mission en Afrique Centrale ; autrement, si tu ne mets pas en place le Collège et qu'un accident te porte dans l'autre monde, je crains que ton Œuvre ne finisse avec toi".
[2337]
Or, comme je n'ai trouvé aucun Saint qui assure ma vie du jour au lendemain, il est nécessaire de bien établir le Collège. Puisque je suis profondément convaincu du servus inutilis sum, parce que je ne suis capable que de faire du gâchis, je trouve fort juste l'opinion de Son Eminence.
Je suis donc retourné à Vérone le 12 août avec Monseigneur l'Evêque, et nous avons acheté une grande Maison adjacente au Séminaire de Vérone qui, pour mille raisons, convient parfaitement à notre but. Pour la payer il ne manque actuellement que 13.600 francs. Avec l'aide du très estimable Recteur du Séminaire nous avons pu trouver un excellent Prêtre de Vérone pour qu'il soit le Directeur du Collège, et il occupera son poste au mois de mars prochain pour se consacrer entièrement à l'éducation des candidats africains.
Pendant ce temps le Postulatum produit de si bons fruits que, de nombreux diocèses, parviennent des demandes de bons Prêtres qui souhaitent se consacrer à l'Œuvre ; pour l'instant nous en avons accepté quatre, qui entreront au Collège au mois de mars, quand les locataires auront quitté la maison. J'espère ainsi faire démarrer en peu de temps le Collège. J'aurais voulu placer notre Directeur pendant quelque temps au Collège de Propaganda Fide, mais Son Eminence le Cardinal Barnabò n'a pas jugé cette mesure utile hic et nunc comme il me l'a écrit le 11 de Rome :
[2338]
"Je suis heureux que vous ayez réussi à faire démarrer l'Œuvre des Missions Africaines en plaçant quelques jeunes sous la direction du bon Prêtre que vous nommez. Vous pouvez cependant comprendre vous-même qu'en cette période de tribulations et de deuil, il n'est pas possible de faire venir à Rome le Prêtre comme vous le proposez, mais qu'il vaut mieux se contenter de ce qu'il est possible de faire sur place chez vous. Cependant ne vous découragez pas et mettez la cause des Missions Africaines, pour lesquelles vous vous êtes engagé depuis si longtemps, entre les mains de Dieu. En attendant, je vous souhaite etc... Barnabò."
[2339]
J'espère que l'Institut du Vieux Caire n'aura pas besoin de moi pendant ce temps, car Monseigneur de Canossa me retient à Vérone où je rendrai des visites ici et là pour des raisons pécuniaires.
Cependant si Votre Excellence juge opportun que je me rende en Egypte, un signe de votre part me suffira, car je sais que l'Œuvre, à laquelle je me suis consacré, tient à cœur à Votre Excellence et que dans votre sagesse vous comprenez et voyez mieux que moi la manière et les chemins à prendre pour mieux la servir.
M. Des Georges m'a écrit avec beaucoup d'anxiété à propos du futur de la Propagation de la Foi, étant donné les funestes événements qui se passent en France. Je suis infiniment reconnaissant à Votre Excellence pour l'aide généreuse que vous m'avez donnée cette année.
[2340]
Je veux maintenant soumettre à Votre Excellence une affaire plus que sérieuse en suspens entre le Père Carcereri et moi, qui me cause une profonde affliction.
Chaque jour je demande au Seigneur :
1°. des croix, qui sont nécessaires pour bien implanter et féconder les œuvres de Dieu ;
2°. du personnel masculin et féminin investi de l'esprit de Jésus-Christ ;
3°. des moyens pécuniaires et matériels pour maintenir son Œuvre. La bonté divine est immensément affectueuse en m'accordant spécialement la première grâce.
[2341]
Depuis que ces deux Camilliens sont venus en Egypte munis du Rescrit Pontifical, ils m'ont exprimé leur désir de voir fonder dans le futur une Maison Camillienne en Afrique pour aider les Missions de la Nigrizia et pour être au service de mon Œuvre. Dès le début j'ai toujours souhaité pouvoir répondre à leur désir, et cela pour le véritable bien des pauvres Noirs ; mais j'ai toujours désiré aussi que cela se réalise après que mon Institut de missionnaires séculiers se sera bien implanté et emménagé, et aussi quand je pourrai disposer de moyens suffisants pour fonder la Maison Camillienne, avec, bien entendu, le consentement préalable de Propaganda Fide, du Vicaire Apostolique d'Egypte, de l'Evêque de Vérone et du Père Général des Camilliens.
[2342]
Si, avec le temps, une Mission dans la Nigrizia avait été accordée à mon Institut, mon intention aurait été de confier une ou plusieurs tribus aux Camilliens qui auraient fait partie de mon Institut en Egypte, même si, à ce moment là, le nombre des sujets de Saint Camille ayant augmenté, ils eussent souhaité avoir une mission pour eux seuls, sans dépendre de nous. J'ai toujours tenu ce langage, car je désirais sincèrement contribuer ainsi au bien de ces âmes, mais toujours à condition que l'autorité supérieure approuve le projet.
[2343]
Pendant mon séjour à Rome le bon Père Carcereri m'a harcelé de lettres pour que je supplie son Général de donner son accord à la fondation d'une maison Camillienne au Caire, et il insistait pour que mon Institut masculin du Vieux Caire, ainsi que la direction de l'Institut féminin soient cédés aux Camilliens, et que mes Prêtres séculiers restent en pension chez les Camilliens et soumis aux Règles et au Supérieur Camillien.
J'ai bien compris ce que visait le Père Carcereri ; mais comme cette affaire dépendait plus de Votre Excellence et de Propaganda Fide que de moi, je me suis borné à demander au Père Guardi de bénir les deux Camilliens d'Egypte et de leur permettre de rester dans mon Institut jusqu'à ce que je puisse disposer des moyens nécessaires pour ouvrir une maison Camillienne au profit des Noirs.
[2344]
Le Père Guardi m'a toujours répété qu'il lui était impossible de disposer de Missionnaires, car le personnel lui faisait cruellement défaut. J'ai interrogé plusieurs fois le Père Artini, Provincial des Camilliens de la Vénétie, et il m'a toujours répondu qu'il n'avait même pas une personne disponible pour l'Afrique. Je me suis donc rendu compte que les Camilliens dont l'Ordre pourrait disposer se limitait aux seuls Carcereri et Franceschini. Pourquoi devrais-je m'engager dans un projet de fondation d'une maison pour deux seuls Camilliens, dont l'un des deux, le Père Franceschini, d'après ce que Carcereri m'a écrit, serait tuberculeux ?
Cependant, pour ne pas contrarier l'insistance toujours croissante de ce dernier, craignant, par ailleurs, de perdre un si bon sujet pour la Nigrizia, j'ai offert au Père Général pour les deux Camilliens d'Egypte 3.000 francs par an et une des deux petites maisons des Maronites au Vieux Caire avec l'église en commun, cela avec l'accord préalable de Votre Excellence, bien qu'en moi-même je sois convaincu que cette décision est prématurée. J'ai prié le Père Guardi d'écrire à ses deux fils du Caire et de les consoler affectueusement et paternellement.
[2345]
Je ne sais pas ce que le Père Général a écrit au Caire ; je sais seulement que vingt jours après le Père Carcereri m'ait adressé à Vérone une lettre virulente et menaçante, qui me reprochait de façon acerbe de ne pas avoir voulu conclure quoi que ce soit avec le Père Guardi, d'avoir trahi ses espérances, et de l'avoir trompé ; et si je ne lui envoyais pas, par retour de courrier, un Document confirmant que je cédais mon Institut masculin aux Camilliens, il menaçait d'abandonner immédiatement le Caire avec Franceschini et de retourner en Europe.
[2346]
Une telle attitude si peu humble et sans respect religieux envers son Supérieur immédiat a apporté dans mon âme une douloureuse sensation.
J'ai accepté calmement cette croix, et j'ai invité le Père Stanislao à m'envoyer les noms et les prénoms des Prêtres Camilliens dont il pouvait disposer, et à mettre par écrit le contenu et les conditions de la cession de mon Institut masculin qu'il proposait, je voulais ainsi gagner du temps et mûrir une décision concernant les propositions qui m'ont été offertes, pour les soumettre ensuite à Votre Excellence et à l'Evêque de Vérone si elles étaient raisonnables.
Voici la copie ad litteram du Contrat que le Père Carcereri a eu le courage de me présenter sous la menace d'abandonner immédiatement l'Egypte si je ne donnais pas mon accord formel. Je lui ai répondu qu'en cette période fort douloureuse pour l'Europe et pour la Propaganda Fide il était impossible de consentir à ses demandes. Il a alors pris congé de moi par une lettre datée du 21 Septembre, et c'est la dernière qu'il m'a écrite, excepté deux lignes, qu'il m'a envoyées par le dernier vapeur, pleines de mécontentement et reflétant un très mauvais esprit. Voici le texte du Contrat :
[2347]
Schéma
du Contrat de concession de la part de l'Abbé Daniel Comboni de l'Institut masculin pour les Noirs au Vieux Caire à l'Ordre des Camilliens Ministres des Infirmes.
Le Très Révérend Daniel Comboni, en tant que Fondateur de l'Institut, ainsi que ses successeurs à la direction de la Mission Centrale que la Sacrée-Congrégation de Propaganda Fide confiera au dit Institut, et le Révérend Père Camillo Guardi en tant qu'actuel Vicaire Général de l'Ordre religieux énoncé et ses successeurs au poste de Général de ce même Ordre, s'engagent réciproquement aux conditions suivantes constituant ce contrat de concession :
[2348]
1°. L'Ordre des Ministres des Infirmes assume : a) toute la responsabilité, b) l'obligation d'éduquer les jeunes Noirs conformément aux normes établies par le Plan pour la Régénération de l'Afrique, c) l'administration libre, d) et fait sien le but de l'Institut masculin des Noirs au Caire.
[2349]
2°. Il prend aussi en charge la direction spirituelle et religieuse de l'Institut féminin des filles africaines, seulement en ce qui concerne les aspects religieux et spirituels, il assure la célébration ou l'administration des Saints Mystères dans l'Institut ainsi que pour les malades et les défuntes.
[2350]
3°. Monsieur l'Abbé Daniel Comboni se réserve le droit de disposer des Pères Carcereri et Franceschini pour le bien général de la Mission jusqu'à la fin du quinquennat établi par le Rescrit Pontifical du 5 juillet 1867.
[2351]
4°. Il se réserve aussi le droit de pouvoir disposer librement des jeunes élèves africains de l'Institut selon les besoins particuliers et généraux de la Mission. Mais l'Ordre n'accepte la responsabilité de l'éducation que de ceux auxquels il remettra un certificat en ce sens, tant pour les études accomplies que pour les travaux manuels appris. Cette clause concerne les élèves qui seraient retirés de l'Institut avant d'avoir passé le temps nécessaire, qui sera déterminé, pour recevoir une formation complète.
[2352]
5°. Il se réserve enfin le droit de pouvoir placer, ad tempus, dans l'Institut les élèves séculiers de son Séminaire pour qu'ils puissent s'acclimater, s'initier à la Mission centrale et apprendre les langues. Mais pendant leur séjour dans l'Institut du Caire, ils seront soumis en tout aux Règles générales de cet Institut, ils devront considérer le Directeur comme leur propre Supérieur et, si on le leur demande, ils serviront l'Institut comme les autres religieux, avec lesquels ils vivront en communauté.
[2353]
6°. L'Ordre s'engage à ne donner, ni à permettre aux élèves une destination différente de celle du Plan général de l'Œuvre sans le concours et l'accord de l'Abbé Comboni. Il se réserve toutefois le droit d'accepter et de disposer de ceux qu'il maintient à ses propres frais.
[2354]
7°. M. Daniel Comboni s'engage à pourvoir les religieux et les élèves d'une habitation convenable avec une église et une chapelle privée, et il fera en sorte que, si possible, la maison soit proche de la capitale, avec un jardin potager ou des terrains cultivables pour apprendre l'agriculture aux élèves.
[2355]
8°. Tout ce qui se trouve actuellement dans l'Institut : meubles, linge, nourriture et combustible est pour l'usage exclusif des mêmes religieux et des élèves.
[2356]
9°. Les réparations et les modifications de l'habitation, considérées comme nécessaires seront aussi à la charge de Daniel Comboni et de ses successeurs, celle-ci restant toujours la propriété de la Mission.
[2357]
10°. M Daniel Comboni est aussi obligé, avec les aumônes qu'il reçoit, de donner, pour les vivres et les vêtements, la somme de 6.000 francs par an pour le fonds de maintien de douze religieux, qui est le nombre requis par les lois canoniques. La moitié de cette somme sera payée d'avance en janvier, et l'autre moitié sera payée, aussi d'avance, en juillet. S'il y a plus de 12 religieux, ils seront pris en charge par l'Ordre Religieux.
[2358]
11°. La Société des pauvres Noirs établie à Cologne se porte garante de cette somme pour dix ans ; entre temps, M. Daniel Comboni s'engage à réaliser le capital correspondant en biens immobiliers (et si, comme le dit Son Eminence, un accident porte Daniel Comboni dans l'autre monde ? !), les Religieux continuent cependant à percevoir les intérêts du capital dans les proportions établies dans l'article 1er., et à la mission reste la propriété du capital, sauf conventions ultérieures.
[2359]
12°. Il contribue également aux frais pour les vivres, les vêtements et la formation avec 300 francs par an, pour chaque élève qu'il fait éduquer dans l'Institut, à savoir : les missionnaires séculiers, les Africains, les abandonnés ou les malades recueillis. Les prêtres pensionnaires célébreront aussi la Messe pour l'Institut selon les intentions du Directeur Camillien. Les frais de pension seront calculés tous les quatre mois. Celui qui arrive ou part quand le quadrimestre est commencé, payera la note de cette période dans sa totalité.
[2360]
13°. Ces pensions se payent tous les six mois, d'avance, c'est-à-dire en janvier et en juillet.
[2361]
14°. Avec ces contributions l'Ordre s'engage à prendre en charge la nourriture, les vêtements, le linge, les médicaments, les livres et tous les outils nécessaires, pour les religieux, les élèves et les pensionnaires, et à pourvoir à tout ce qui est nécessaire pour l'église et pour la maison.
L'Ordre reste toujours libre de chercher des aumônes là où il veut et d'en accepter.
[2362]
15°. Les élèves font trois repas par jour avec un plat en plus de la soupe à midi, sans le droit d'avoir du vin et des fruits. La nourriture des missionnaires sera la même que celle des Religieux in omnibus.
[2363]
16°. Ce contrat sera obligatoire et indissoluble pour les deux parties à partir du jour de sa signature. Toutefois, il devra être formellement approuvé auparavant par la Sacrée-Congrégation de la Propagation de la Foi, par Son Excellence le Vicaire Apostolique et par la bien méritante Société de Cologne, pour tout ce qui est de la compétence de chacun dans le présent contrat.
[2364]
17°. Enfin le Contrat commencera définitivement le premier janvier 1871 autant pour les contributions que pour son exécution.
Stanislao Carcereri
Le Caire, le 15 septembre 1870
[2365]
Voici donc le Contrat qui m'a été proposé par le Père Carcereri.
Comme Votre Excellence peut le voir si, hic et nunc dans les funestes circonstances qui affectent la France, l'Europe et Rome, je présentais à l'Eminent Cardinal Barnabò un tel contrat pour qu'il l'approuve, il nous rirait au nez, et il m'enverrait à l'hospice des fous à San Servolo à Venise, attaché avec vingt-huit chaînes ! Ce sera une Providence spéciale de Dieu si l'on réussit à faire vivre convenablement cette année les petites maisons du Caire et le nouveau Collège de Vérone. Il est clair que je dois d'abord penser à consolider mon Institut masculin avec de bons et véritables Missionnaires qui partent du Collège de Vérone.
Alors que ledit Collège a un bel avenir, que de nombreux Prêtres, bons et capables, demandent à y entrer et, qu'il y en aura de plus en plus après le Concile.
De son côté, le pauvre Ordre Camillien a bien du mal à survivre (Votre Excellence peut se renseigner auprès du Père Bernardino Girelli). En effet parmi les 4 ou 5 Provinces que l'Ordre compte en Italie, d'après ce que dit aussi le Père Carcereri, seules les Provinces de Vénétie et de Rome qui auraient une certaine vitalité. Le Père Artini, Provincial de la Vénétie vient de m'assurer que dans sa Province, il n'y a même pas un Camillien qui ait l'intention de se consacrer à l'Afrique ; et le Père Guardi m'a répété plusieurs fois la même chose pour la Province Romaine.
[2366]
D'après ce que je sais, seul le Père Tezza à Rome avec ses trois ou quatre novices seraient en mesure de venir.
Compte tenu de tout cela et étant donné la situation actuelle de l'Europe, de Rome, de l'Ordre Camillien et de mon Institut il me semble clair qu'il vaut mieux garder le statu quo, et tenir le coup pendant quelques années jusqu'à ce que la conjoncture se dénoue et s'ajuste, et que l'on puisse y voir plus clair.
[2367]
Que le Père Stanislao ne vienne pas me raconter que les cinq ans du Rescrit se terminent dans vingt mois : le Père Guardi et l'Evêque de Vérone sont deux personnes raisonnables. Pendant les vingt mois qui restent avant d'arriver au terme du Rescrit on pourra voir si le projet d'implanter une maison Camillienne est faisable ; dans l'affirmative, comme je l'espère, le Rescrit sera prolongé, et tout se fera calmement et sérieusement.
Mais, que l'on cède hic et nunc les Instituts masculin et féminin aux deux Camilliens, et que je m'expose au risque d'être abandonné par mes Prêtres séculiers, avec le danger de voir la source se tarir, je ne crois pas que ce soit utile ou avantageux pour l'Œuvre, ni pour les intérêts de mon Institut et encore moins une bonne affaire pour l'Ordre Camillien. Je souhaiterais vraiment voir une Maison Camillienne fondée pour aider les Noirs, mais je ne veux pas qu'elle détruise la mienne. Je souhaite faire prospérer mon Institut masculin du Caire avec mes Prêtres séculiers, et avoir, en même temps dans la mission le Père Stanislao. Il a certains défauts mais aussi de très belles qualités, et j'aimerais y voir aussi une et même plusieurs maisons Camilliennes.
[2368]
Je viens de donner mon avis et mon point de vue, mais je suis prêt à les changer complètement conformément au sage et perspicace jugement de Votre Excellence, car vous êtes le Chef de mon Œuvre en Egypte et le Père de mes pauvres Instituts.
Je ne saurais rien faire contre mon jugement et ma conscience sauf dans le cas où il devrait en être autrement pour mes Supérieurs, et surtout pour Votre Excellence car vous voyez en profondeur et vous êtes en mesure de prévoir les conséquences de certaines décisions.
Ce qui me tient vraiment à cœur c'est de garder le Père Stanislao en mission.
Il a ses défauts, et il faut user de précautions et d'une très grande prudence pour ne pas le contrarier car il s'irrite facilement. Il manque souvent de respect envers ses Supérieurs, il voudrait leur imposer sa volonté, comme il vient de le faire avec Monseigneur l'Evêque de Vérone auquel, même si ce dernier était Visiteur Apostolique de son Ordre en Vénétie et son Supérieur indirect, selon le Rescrit Pontifical et à d'autres titres, il a eu l'impudence d'écrire, il y a quinze jours, en ces termes : " Si Votre Excellence ne me promet pas par écrit que l'Institut des Noirs sera rapidement confié aux Camilliens, et si mon Général le Père Guardi ne m'écrit pas que Votre Excellence lui a fait une telle promesse, je rentre immédiatement en Europe avec Franceschini ".
[2369]
Voilà le résumé de la longue lettre à l'Evêque, qui en est désolé.
Le Père Carcereri a des défauts qui sont, je crois, la conséquence de la péricardite ou du mal physique qui l'affecte. Mais il a de si belles qualités, de la vertu, de la constance, du réalisme et de l'abnégation, que ce serait pour moi une grande douleur si je le perdais pour la Nigrizia.
Je m'adresse donc instamment au cœur magnanime de Votre Excellence, qui êtes notre Père, et je vous prie de faire en sorte que je puisse garder le Père Stanislao et le faire patienter encore pendant quelque temps, car Dieu, admirable dans sa Providence, accomplira certainement ses vœux ainsi que les miens. Jusqu'au mois dernier, personne ne connaissait ce différend entre lui et moi sauf Franceschini et Rolleri ; mais comme j'en avais informé le Père Pietro (ne sachant pas où Votre Excellence se trouvait), aujourd'hui-même le Père Pietro est au courant de tout. Le Père Pietro et l'Abbé Rolleri trouvent même que les exigences de Carcereri sont justes ; mais je suis sûr que s'ils pouvaient entendre mon son de cloche, il trouveraient justes mes raisons, comme les ont trouvées justes les deux nouveaux venus : le Chanoine Fiore et Ravignani, aussi bien que Pietro Bertoli qui a été Camillien pendant 10 ans.
Je m'en remets à mon Supérieur légitime, c'est-à-dire Votre Excellence, qui est inspiré par Dieu en vertu de sa mission.
[2370]
Enfin, je vous ouvre mon cœur à propos de mon actuel séjour, de courte durée, en Europe.
Le Père Pietro, les Supérieures des Instituts féminins et d'autres personnes m'ont assuré qu'au Vieux Caire, les Instituts marchent bien ; les lettres personnelles des membres de l'Institut me font savoir que, quand l'argent ne manque pas, tout se passe bien dans mes maisons.
D'autre part, il est nécessaire de bien mettre en place le Collège des Missions Africaines de Vérone et le pourvoir de moyens et de bons sujets.
Le Cardinal Préfet a reconnu que ce Collège est très important pour mon Œuvre, et il a raison parce qu'il en est le pivot principal. Puisque mon aide est donc davantage nécessaire pour le Collège de Vérone que pour le Caire, qui a assez de personnel, j'ai pensé, suivant aussi le conseil de Monseigneur Canossa, rester ici.
Mais le premier qui commande ma personne, et le premier qui a le droit de diriger mes pas c'est vous, car vous êtes le premier Supérieur de mes Instituts du Caire qui n'existent et n'ont la possibilité d'exister que grâce à la volonté et ad nutum de Votre Excellence
[2371]
C'est donc vous qui devez décider si je peux rester ici ou retourner en Egypte. Pour les raisons que je viens d'expliquer, je souhaiterais rester jusqu'à Pâques, entre-temps j'irais à Vienne et à Prague pour des questions financières.
Je voudrais mettre en place l'Œuvre du Bon Pasteur en Vénétie et ensuite faire démarrer le Collège.
Mais si Votre Excellence n'estime pas suffisantes ces raisons (même Son Eminence le Cardinal Barnabò m'a vivement recommandé le Collège de Vérone), et si vous trouvez opportun ou souhaitez que je regagne mon poste au Caire, en ne tenant compte que de la volonté de Dieu, je viendrai au Caire, et je ferai votre volonté, qui est, j'en suis sûr, celle de Dieu.
L'Evêque de Vérone est en mauvaise santé, submergé par les tribulations et les épines, il présente ses hommages à Votre Excellence et il vous recommande vivement l'Institut du Vieux Caire.
A présent cela suffit. Excusez-moi, donnez-moi votre bénédiction ; et présentez mes hommages au Père Elia, à Giulio et à Belga. J'embrasse votre main droite avec un respect filial et affectueux et je me déclare
votre humble, obéissant et indigne fils
Abbé Daniel Comboni