Comboni, en ce jour

Il rentre de Vienne à Vérone (1877) pour préparer le départ pour l’Afrique.
Reglement du 1869
La piété est le pain quotidien de nos Missionnaires, car elle est vraiment nécessaire pour garder la ferveur de la vocation.

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N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
281
M.me A. H. De Villeneuve
0
Paris
15. I l.1868
N° 281 (265) - A MADAME A. H. DE VILLENEUVE

AFV, Versailles



Paris, le 15 novembre 1868

22, rue des Saints Pères



Madame,



[1754]
Dès que j'ai reçu votre lettre, même si j'étais très occupé, je suis allé d'Hérode à Pilate, d'Anne à Caïphe, et puis je suis revenu chez Pilate pour avoir des renseignements sur Conrad et accomplir ce que votre éminente charité m'avait commandé. Mais voilà que le Polonais arrive lupus in fabula Il me semble avoir une bonne mine, et être bien nourri et reposé.


[1755]
Il m'a dit qu'il a trouvé en vous une vraie mère et qu'il a tout reçu de vous, d'Auguste et de Désiré. Mais j'aurais voulu qu'il suive en tout vos conseils maternels, d'autant plus qu'Auguste l'aime beaucoup. Mais la jeunesse est toujours la jeunesse. La peur de perdre l'année, a-t-il dit, l'a poussé à aller à Paris. Or, en connaissant bien les faits au niveau de l'école, je crois que cela n'est pas tout à fait vrai. Comme j'étais très occupé, je n'ai pas pu aller lui rendre visite et voir donc comment sont réellement les choses, d'autant plus qu'il a une bonne santé... Toutefois je n'aurai pas suffisamment de mots pour vous remercier de votre bonté à mon égard.

J'aimerais rester une année entière avec vous et soigner avec amour mon cher Auguste en lui communiquant tout ce que je possède en science et talent, mais hélas ! il faut que je rentre en Egypte. Je resterai avec vous quelques jours seulement. De toute façon, puisque j'installerai le siège de mon Œuvre à Paris, j'espère que, dans l'avenir, je resterai plus souvent en votre compagnie.


[1756]
Je fonderai un Comité de Dames à Paris. Je tiens beaucoup à ce que vous et Marie en fassiez partie. Dites-moi, s'il vous plaît, jusqu'à quand vous restez loin de Paris. Donnez-moi des nouvelles, de vous et de vos chers enfants. Je vous enverrai des petits livres.


[1757]
Je suis encore dans votre quarantaine de prières. Pendant l'octave des morts j'ai célébré une Messe pour votre cher époux. Si vous avez l'opportunité de voir Madame de Poysson, présentez-lui mes hommages.

En vous exprimant toute ma reconnaissance et les sentiments de ma plus grande affection je me déclare votre dévoué



Abbé Daniel Comboni



P.S. Mère Emilie va bien. Elle vient de m'écrire.






282
M. Augustin Cochin
0
Paris
26.11.1868
N° 282 (266) - A AUGUSTIN COCHIN

APFP, Boîte G-84





Paris, le 26 novembre 1868



Monsieur,



[1758]
Je viens de recevoir la lettre par laquelle vous m'avez fait l'honneur de m'informer des résultats de la réunion des membres de la Propagation de la Foi au sujet de mon Œuvre. Je vous en suis infiniment reconnaissant.

Permettez-moi seulement quelques remarques à cet égard.

En ce qui concerne le journal de M. Cloquet j'ai reçu un avis favorable, et j'étais loin d'imaginer que cela pourrait contrarier la Propagation de la Foi. Le choix de "l'Apostolat" pour la publication de mon Plan pour la Régénération de l'Afrique, est uniquement dû à des raisons économiques, car je ne pouvais pas en assumer les frais d'imprimerie ; j'étais donc loin de faire de ce journal l'organe de presse de mon Œuvre sur Paris. Au contraire, je serais ravi de donner aux Annales ou au Journal des Missions Catholiques les nouvelles concernant la Mission en Afrique Centrale et mes Instituts en Egypte.


[1759]
En ce qui concerne la formation d'un Comité à Paris, il y a eu sans doute un malentendu au sujet des fonctions et des buts qu'il devrait avoir. On a cru qu'il était destiné à trouver des ressources pour les Missions de la Nigrizia de l'intérieur et pour mes Instituts en Afrique ; mais en fait, il est uniquement destiné à trouver un lieu où fixer le siège de mon Œuvre à Paris, et puis à rassembler et à former les sujets français destinés à ma Mission, comme à Vérone où l'Œuvre du Bon Pasteur, bénie et louée par Sa Sainteté Pie IX et dirigée par Monseigneur l'Evêque de Vérone, soutient avec ses aumônes un Séminaire pour nos Missionnaires italiens.

Une telle maison m'est vraiment indispensable à Paris, à cause de mes rapports avec le Gouvernement français, dont l'influence est si grande en Orient, et parce qu'en France on trouve plus facilement des sujets qui se destinent aux Missions.


[1760]
J'ai cru ne pas pouvoir compter sur l'aide de la Propagation pour cette fondation, ses ressources étant destinées uniquement aux Missions étrangères.

Si, par contre, j'ai la certitude de m'être trompé, je vous assure que je renoncerai tout de suite à m'occuper moi-même, soit du fonctionnement de mon Séminaire de Vérone, soit de la fondation de celui de Paris.

Pour aucune raison, en formant ce Comité de Paris, je ne voudrais déplaire à la Propagation de la Foi. D'ailleurs, je me suis adressé à des personnes qui font déjà partie du Conseil de cette Œuvre capitale que je soutiendrai toujours et que je développerai moi-même comme je l'ai déjà fait dans le passé.


[1761]
Je ne ferai rien sans en référer toujours au Conseil de la Propagation de la Foi. Je vous serais très reconnaissant, Monsieur, si, à la bonté que je vous dois déjà, vous ajoutiez celle d'être l'interprète de mes sentiments les plus dévoués et les plus respectueux envers tous les membres de la Propagation de la Foi.

Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de mon plus profond respect et, avec toute ma reconnaissance, considérez-moi



votre dévoué serviteur

Abbé Daniel Comboni

Missionnaire Apostolique



Texte orignal en français, corrigé.






283
Oeuvre Sainte Enfance
0
Paris
29.11.1868
N° 283 (267) - A L'ŒUVRE DE LA SAINTE ENFANCE

AOSI, Paris





Paris, le 29 novembre 1868

Aux Membres du Comité de la Sainte Enfance



Messieurs,



[1762]
La bénévole collaboration que vous accordez aux Missionnaires qui se consacrent à l'éducation des enfants dans les pays infidèles, m'encourage à vous exposer la situation et les besoins de ma Mission à ce sujet.


[1763]
Consacré depuis 12 ans à l'Apostolat de l'Afrique Centrale, pour atteindre ce but, j'ai dû fonder d'abord au Caire, avec l'autorisation de Propaganda Fide, deux Instituts où les jeunes Noirs, garçons et filles, sont élevés dans les principes de la Foi catholique, pour devenir ensuite d'utiles auxiliaires pour la conversion des peuples du centre de la Nigrizia.

Ce système, que j'ai présenté à Sa Sainteté Pie IX et à un grand nombre d'Evêques et de Supérieurs de Missions africaines a été retenu comme le seul capable de procurer le salut des populations de l'Afrique Centrale.


[1764]
L'Institut des garçons fondé au Caire est dirigé par quatre Missionnaires de mon Séminaire de Vérone et compte, pour le moment, une dizaine d'élèves.

L'Institut des filles est dirigé par les Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition de Marseille avec l'aide de nombreuses institutrices noires formées dans l'Institut Mazza de Vérone. Il compte actuellement dix-sept élèves. Ces dernières ont déjà fait des progrès remarquables dans la piété et dans l'instruction. Elles apprennent avec succès tous les métiers qui conviennent aux femmes, pour devenir de bonnes mères de famille.


[1765]
Les enfants que nous élevons nous imposent de lourdes charges, soit pour les racheter, soit pour les entretenir.

Nous en voyons, quelquefois, le long des rues, faibles et malades. Nous n'hésitons pas à les accueillir et, pour cela, nous avons créé à côté de chaque Institut une infirmerie et une pharmacie, car nous avons appris que la charité envers les malades est un puissant moyen pour gagner les âmes à Jésus Christ...

Vous comprenez bien le poids dont nous sommes chargés, et combien votre secours nous est nécessaire.

D'ailleurs, en vous adressant cette demande, je ne suis que l'interprète des désirs de Monseigneur Ciurcia, Vicaire et Délégué Apostolique d'Egypte, et chargé, "ad intérim", de la direction du Vicariat de l'Afrique Centrale. A cet égard, il a voulu me remettre une lettre de recommandation.


[1766]
Au fur et à mesure que mon Œuvre se développera, je l'espère bien, j'appellerai d'autres religieux français pour m'aider, car j'ai pu constater l'aptitude spéciale des Français pour les œuvres de charité.

Pour terminer, je voudrais vous faire remarquer que la conversion d'un bon nombre de tribus de l'Afrique Centrale dépend sans doute de la bonne réussite des deux Instituts dont je viens de vous parler.

Je suis sûr que la volonté de procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes vous permettra d'exaucer les souhaits de celui qui, plein d'espérance en votre charité, a l'honneur de se déclarer



votre très humble serviteur

Abbé Daniel Comboni

Missionnaire Apostolique de l'Afrique Centrale

Supérieur des Instituts des Noirs en Egypte



Texte original en français, corrigé.






284
Une Dame espagnole
0
Paris
3.12.1868
N° 284 (268) - A UNE DAME ESPAGNOLE

ACR, A, c. 15/139



Paris, le 3 décembre 1868

22 rue des Saints Pères



Madame très estimée,



[1767]
Bien que je n'aie pas eu le plaisir de vous connaître personnellement, je sais combien sont bons vos sentiments religieux et proverbiale votre générosité.

Ainsi, je prends la liberté, et vous voudrez bien m'en excuser, de vous écrire cette lettre pour vous demander une aumône que Dieu a promis de récompenser généreusement lorsqu'elle est faite pour Son amour, en faveur d'une œuvre essentiellement catholique, la "Régénération de l'Afrique" et la propagation de notre sainte religion dans ces vastes régions.


[1768]
Il s'agit de sauver des milliers d'âmes, et Saint Augustin a dit que "celui qui sauve une âme, sauve la sienne". Y-a-t-il une récompense plus grande ?

Le Saint-Père, avec ses ressources limitées, a aidé plusieurs fois cette œuvre en concédant aussi à ses bienfaiteurs de nombreuses grâces et indulgences.


[1769]
Pauvre par vocation et par nécessité, connaissant bien les besoins de cette société chrétienne naissante, je sacrifie toute mon existence pour secourir mes frères dans le Christ en tant que Prêtre Missionnaire de l'Afrique Centrale. Aujourd'hui, je viens supplier votre charitable cœur afin qu'il s'intéresse aux nombreux malheureux qui vivent dans les ténèbres et dans l'idolâtrie la plus terrible.


[1770]
Je n'aurais jamais voulu vous déranger, mais je sais combien vous êtes bonne et compréhensive face aux malheurs d'autrui et je suis donc sûr, que vous ne resterez pas insensible face aux souffrances des pauvres Africains.

Si la charité chrétienne n'arrive pas à envoyer des missionnaires et des moyens nécessaires pour racheter ces Africains en les convertissant en personnes heureuses, qui béniront à jamais leurs généreux bienfaiteurs catholiques, ces souffrances peuvent devenir éternelles.

Veuillez pardonner la liberté que j'ai prise en vous écrivant, et soyez sûre que je suis votre reconnaissant et dévoué serviteur et chapelain,



Abbé Daniel Comboni



Texte original en espagnol.






285
M.me A. H. De Villeneuve
0
Paris
5.12.1868
N° 285 (269) - A MADAME A. H. DE VILLENEUVE

AFV, Versailles



Paris, le 5 décembre 1868



Très chère Madame,



[1771]
Avant hier, j'ai reçu votre chère lettre. Que de choses j'aurais à vous dire ! La plus agréable est de savoir que le 12 ou le 13, vous serez à Paris, et que je serai là pour vous attendre. J'ai hésité, occupé par de nombreuses affaires, à vous rejoindre à Quimper et à Prat-en-Raz, malgré le plaisir que m'aurait procuré cette visite chez vous. Je suis heureux parce que dans une semaine j'aurai le bonheur de vous voir à Paris.


[1772]
L'Egypte m'attend, mais moi j'attends Madame de Villeneuve et mon cher Auguste avec ses chers enfants que j'aime beaucoup. Si j'avais fait le voyage à Prat-en-Raz, j'aurais eu des scrupules à cause des dépenses, car, en conscience, il ne m'est pas permis de dépenser un centime pour mon plaisir personnel.

De toute façon, si vous n'étiez pas venue à Paris, je serais quand même venu à Prat-en-Raz.


[1773]
En ce qui concerne l'affaire d'Urbansky, nous en parlerons de vive voix.

Il a fait une grande sottise en vous quittant, vous et Auguste. Il ne devait pas le faire, il a mal agi. Il a été ingrat envers vous qui avez été une véritable mère pour lui qui a eu le bonheur d'être comblé de bontés par vous et par Auguste.

A juste raison, il s'est maintenant repenti, car je lui ai parlé clairement et paternellement. Ayez toute ma reconnaissance à présent et éternellement. Je ne paierai jamais toutes les attentions que vous avez eues pour lui. Lorsque vous m'avez écrit de prendre contact avec son médecin et les supérieurs de son école, je suis allé partout. Il m'a fallu beaucoup de temps et de peine pour avoir des nouvelles de l'école, etc., car je n'ai jamais trouvé les personnes que je devais consulter. En ce moment, il est à Paris. Il me semble qu'il n'a plus la bonne mine qu'il avait lors de sa dernière venue à Paris.

Même s'il est brave, je crois qu'il ne réfléchit pas encore suffisamment. Je lui ai indiqué un bon confesseur parce que j'ai vu qu'il n'en fréquente jamais ; il a l'air de se soumettre.


[1774]
Lorsque vous pensez à votre cher mari, il ne faut pas avoir les pensées que vous m'exprimez. Sachez que la miséricorde de Dieu est infinie et qu'il est impossible qu'il n'ait pas trouvé grâce auprès de Dieu après tant de prières et de sacrifices de votre part. Vous avez été une épouse admirable et une mère dont je n'ai pas trouvé d'égale sur la terre. Dieu est Amour. La colère de Dieu se change en douceur devant la charité.


[1775]
Je crois, et j'en suis convaincu que Dieu a exaucé votre charité et votre admirable dévouement pour lui avant et après sa mort. Pensez que votre mari était un homme excellent qui faisait honneur à la société, un honnête homme. Son seul péché a été de ne pas être un pratiquant. Cela était peut-être dû à son éducation et au fait d'avoir été toujours plongé dans les affaires. Mais, je sais qu'il a été un homme charitable, qu'il a fait du bien à son prochain. Or, cette vertu ne peut pas rester sans récompense. En outre, par le mariage chrétien, l'homme ne fait qu'un avec sa femme, et du moment que vous avez fait beaucoup de bien avant et après sa mort, je trouve que c'est une raison de plus pour avoir toute confiance dans la miséricorde de Dieu. Ayez donc confiance dans le Bon Dieu, et soyez sûre que Dieu l'a en sa miséricorde. Continuez à prier pour lui et soyez tranquille en consacrant tous les mois de novembre de votre vie par des prières pour le repos de son âme, car c'est un mois de grâce et de miséricorde.


[1776]
En ce qui concerne les indulgences de la grande Croix de Jérusalem, si elle a le Crucifié vous pouvez gagner l'indulgence plénière toutes les fois que vous faites le Chemin de Croix. Aucune indulgence n'est rattachée aux reliques. Tous les objets qui ont touché le Saint-Sépulcre de Jérusalem, les Pères Franciscains de la Terre Sainte me l'ont assuré, accordent l'indulgence plénière toutes les fois qu'on les embrasse après avoir été confessé et avoir communié, etc. ... Il est certain qu'il y a l'indulgence plénière à l'article de la mort. Pour confirmer tout cela, je vous écrirai plus tard après avoir consulté le Bulletin des Indulgences de Jérusalem.


[1777]
Depuis longtemps je ne reçois plus de lettres de la Princesse Marie, c'est-à-dire depuis le 8 novembre, quand elle m'a annoncé qu'elle était malade.

Si elle ne vous a pas écrit, cela veut dire qu'elle n'a pas reçu votre lettre, car elle vous aime et a une grande estime pour vous. Ecrivez-lui donc encore car elle a beaucoup de plaisir à recevoir vos lettres, et parlez-lui d'Auguste et de madame Marie. Aujourd'hui même, je lui donnerai de vos nouvelles. Je vous prie de saluer madame Poysson de ma part. J'aimerais encore la revoir.


[1778]
J'attends avec impatience votre venue à Paris. Auguste sera gentil de me le faire savoir tout de suite, parce que je viendrai immédiatement à la gare ou à la maison. Priez pour mon Père qui est malade. Il vous rendra vos prières, car il prie huit ou neuf heures par jour depuis plusieurs années. C'est un homme juste, un peu scrupuleux, à l'opposé de son fils.

Veuillez agréer les sentiments de ma plus haute estime et affection



Abbé Daniel Comboni



Texte original français, corrigé.






286
Mgr. Luigi di Canossa
0
Paris
14.12.1868
N° 286 (270) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/62



Vive Jésus, Marie et Joseph !

Paris, le 14 décembre 1868

4 heures de l'après-midi



Excellence Révérendissime,



[1779]
Le Seigneur l'a voulu ainsi, ainsi soit-il : que le nom du Seigneur soit béni. Je viens de recevoir à cet instant une dépêche conçue en ces termes :

"Je crains que Dalbosco ne vive pas jusqu'à ce soir, répondez ! Tommasi ".

Hier, une autre lettre m'a annoncé que mon Père est gravement malade depuis 36 jours. A cela, ajoutez les nombreuses croix que la bonté de Dieu a bien voulu m'envoyer. Notre cher Jésus est vraiment bon, il nous invite puissamment à l'aimer en vérité. Bien que je me sente vraiment troublé, je ne trouve toutefois pas assez de mots pour remercier Dieu de façon convenable.


[1780]
Si l'Abbé Dalbosco part au Paradis (pour moi c'est presque certain !), comment ferons-nous pour le Séminaire de Vérone ? Eh bien ! Monseigneur. et mon Père vénéré, jetons-nous dans les bras de Jésus qui, seul, par son amour et ses voies sait tout arranger : que son nom soit béni dans les siècles des siècles.


[1781]
Je suis en train d'organiser mon voyage à Vérone. J'ai obtenu un ticket de voyage gratuit pour moi de Suse à Vérone, et pour huit autres personnes de Vérone à Gênes. J'attends pour le reste du groupe les tickets gratuits pour le voyage de Paris à St. Michel et de Munich à Nice et Marseille. En plus, je suis persuadé que le Ministère des Affaires Etrangères m'accordera un passage gratuit de Marseille à Alexandrie, mais je n'ai pas encore eu la réponse parce que le Ministre se trouve à Compiègne.

Mon programme est le suivant : attendre le Ministre, aller à Lyon pour encaisser les 5.000 francs, passer à Turin pour parler avec Don Bosco.... et ensuite me hâter pour Vérone. Si Votre Excellence croit opportun de changer ce programme, il suffit de m'en informer, et je suivrai vos ordres.


[1782]
Ayons confiance dans le Christ, je suis très heureux d'être honoré par Lui par tant de croix, qui sont autant de trésors de sa divine grâce. Puisque nous travaillons pour la conversion des âmes les plus délaissées de la terre et que nous voulons le faire uniquement pour la gloire de Dieu, que le nom de Jésus soit donc béni dans la joie et dans les adversités, maintenant et toujours.

Si le Seigneur nous laisse notre cher Père Alessandro en vie, nous le bénirons ; s'il appelle cette âme choisie au paradis, nous aurons un avocat de plus aux cieux.

J'embrasse votre soutane sacrée, et je me déclare, dans les Cœurs de Jésus et de Marie,



votre humble et indigne

Abbé Daniel Comboni






287
Mgr. Luigi di Canossa
0
Paris
20.12.1868
N° 287 (271) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/63



Que Jésus et Marie soient loués.

Paris, le 20 décembre 1868



Excellence Révérendissime,



[1783]
C'est une grande perte que nous avons eue, mais nous n'avons pas perdu Jésus-Christ et, donc, nous possédons tout.

Peut-être, cette perte est plutôt un gain, parce que l'Abbé Alessandro Dalbosco, qui était un saint, priera au ciel Celui qui donne tout bien et, par son intercession, nous assistera dans la grande lutte.

Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris....que le nom du Seigneur soit béni.


[1784]
Je partirai de Paris dans trois ou quatre jours. J'ai salué Mme Thérèse, elle se porte très bien.

J'ai découvert que le diocèse de Nîmes dispose de 20.000 Messes par an. L'Evêque a été élève du Séminaire des Chartreux de Lyon, dont le Supérieur, un ami à moi, est membre de la Propagation de la Foi de Lyon depuis 30 ans. C'est chez lui que je loge. J'essayerai de le convaincre de vous donner un bon nombre de Messes. De Lyon, j'irai ensuite à Turin et à Vérone.


[1785]
Quelles que soient nos difficultés, mettons toute notre confiance en Dieu et dans la Reine de l'Afrique. Il nous faut du personnel et de l'argent, de l'argent et du personnel. Les deux sont absolument nécessaires. Nous les trouverons. Vous, par le biais de votre crosse, moi, par les chemins de fer et par les bateaux, en traversant la terre et les océans. Avec la patience, la confiance, le courage, la constance - mais dans les Cœurs de Jésus et de Marie - nous implanterons l'Œuvre et nous sauverons un grand nombre d'âmes.

La Reine d'Espagne m'a recommandé sa fille et le Comte de Girgenti qui viendront en Egypte. Je leur ai tracé l'itinéraire.


[1786]
Dans la douleur due à la mort de l'Abbé Alessandro, j'ai tout de même le réconfort de voir que Jésus m'envoie des croix. Si toutes les œuvres de Dieu ont été fondées avec la croix, voudrions-nous fonder les œuvres pour l'Afrique avec le vent en poupe ?... Non ! Embrassons la croix et ayons confiance en Jésus.

J'embrasse votre soutane sacrée, et recevez aussi tout le cœur de



votre indigne fils

Abbé Daniel Comboni




288
Le Plan: éd. Française
1
Paris
1868
N° 288 (272) - LE PLAN

APFP

Edition française



1868



Le texte se trouve aux paragraphes 800*- 851*, pp. 231ss.





289
Société de Cologne
0
1868
N° 289 (273) - A LA SOCIETE DE COLOGNE

"Jahresbericht..." 17 (1869), pp. 20-61



1868

NOTICES BIOGRAPHIQUES

des Missionnaires, Sœurs et Institutrices noires

faisant partie de l'expédition de l'Abbé Daniel Comboni en Egypte

pour la fondation des écoles pour les Noirs au Caire en 1867







[1787]
Giovanni Battista Zanoni

Zanoni est né dans une famille respectable et aisée de Vérone en 1820. Dans sa jeunesse, il fit ses études au Lycée et acquit une bonne connaissance de la littérature italienne et latine ; plus tard, il s'est penché sur la mécanique et l'hydraulique, des disciplines auxquelles il s'est consacré avec passion. Il a exercé la mécanique dans sa ville natale pendant plusieurs années et il y a acquis une grande habileté au point de rendre son nom très connu dans la ville et d'être considéré, après l'illustre Professeur Avesani son maître, comme le premier dans cet art. C'est lui qui, en 1838, a montré, en premier, à l'Empereur Ferdinand I d'Autriche, le modèle d'une machine à vapeur pour les chemins de fer, dotée d'un nouveau condenseur qu'il avait inventé, en mesure d'accumuler une quantité considérable de vapeur qui autrement se perdait et qui donnait davantage d'énergie à la motrice. L'invention lui a valu une mention honorable de la part de l'Empereur et la médaille du mérite à l'Exposition de Venise. Plus tard, il a eu aussi la satisfaction de voir son condenseur adopté par plusieurs pays d'Europe, surtout par l'Angleterre.

En 1844, Zanoni est entré dans l'Ordre religieux de Saint Camille de Lellis, appelé "Ordre des Clercs Réguliers, Ministres des Infirmes".

Il avait l'intention de se consacrer au soin des malades comme simple frère laïc, mais les Supérieurs ont tout de suite reconnu en lui un homme de talent et de véritable piété. Il l'ont persuadé non seulement de poursuivre des études littéraires, mais d'entreprendre aussi des études philosophiques et théologiques pour devenir Prêtre.

Dans les années 1850-51 nous avons étudié ensemble la théologie dogmatique au Séminaire de Vérone. Zanoni était assis sur le même banc que moi à côté du pieux Abbé Angelo Melotto, qui a visité plus tard, avec moi, en tant que Missionnaire en Afrique Centrale, les tribus Kich et Eliab sur le Fleuve Blanc. Il est mort à Khartoum dans mes bras. C'était à cette époque que Zanoni a eu l'idée d'aller en Afrique pour se consacrer à la conversion des Noirs, et il a ouvert son âme à ce vénérable et sage Missionnaire, aujourd'hui décédé, et que Zanoni aimait beaucoup.


[1788]
Même pendant la période durant laquelle il a exercé le ministère sacerdotal dans le couvent, Zanoni n'a pas négligé sa vieille spécialité, la mécanique, et tout ce qui était analogue, ainsi que l'architecture et la peinture, auxquelles il s'était consacré avec beaucoup de diligence quant il était laïque.

Mais comme il a passé la plupart de son temps dans les Hôpitaux tenus par les Confrères de son Ordre, il s'est consacré aussi à l'étude et à la pratique de la médecine, de la chirurgie et de la pharmacie. Grâce à un long apprentissage il a fait beaucoup de progrès dans ce domaine. Il connaît aussi un peu l'agriculture, et se débrouille dans de nombreux travaux d'artisanat. C'est un habile fondeur, forgeron, horloger, menuisier etc. et il est extraordinairement actif.

En tant qu'ecclésiastique, c'est un bon prédicateur, un bon religieux et un infirmier très habile. Il connaît bien les langues italienne, latine et française, et actuellement il étudie l'arabe.

A plusieurs occasions, ses Supérieurs se sont servis de lui pour des missions importantes. Il a été Directeur spirituel dans plusieurs couvents.

Depuis 1858, il a été Préfet du couvent camillien de Mantoue. En 1862, il a été envoyé à Rome pour prendre part à l'élection du Supérieur Général de son Ordre.


[1789]
Il était Préfet du couvent de Mantoue lorsque, par la contrainte d'une loi diabolique du 7 juin 1866, son Ordre a été supprimé. Pour cette raison, après avoir pris connaissance de notre Plan pour la conversion de l'Afrique, il a présenté une demande résolue au Saint-Siège pour obtenir la permission de se consacrer à cette Œuvre qu'il avait désirée depuis son entrée dans la vie religieuse. A sa plus grande joie, il a obtenu cette permission dans un Rescrit du 7 juillet de l'année dernière.

Dans chaque domaine de son savoir, il a laissé un bon souvenir partout où il a séjourné, à Vérone, à Padoue, à Venise, à Mantoue et enfin à Marseille. Parmi ces bons souvenirs, il faut rappeler : l'église de Notre-Dame (Auxilium Christianorum), Saint Julien à Vérone, la chorale et d'autres endroits aux alentours de l'église Sainte Anne, proche de la maison d'accueil des vieux et des pauvres à Padoue ; ainsi que deux modèles de machine à vapeur avec condenseur à l'Académie des Sciences de Venise, le couvent et la chapelle de Saint Joseph à Mantoue avec de nombreux tableaux et sculptures et un magnifique projet pour la construction d'un hôpital récompensé par la mairie, enfin, l'orphelinat de l'Ordre à Mantoue, deux grands tableaux à Marseille réalisés en novembre dernier pour la Maison Mère des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition.

Ses précédents Supérieurs ont éprouvé une grande douleur en le voyant partir pour s'unir à notre expédition en Egypte.

L'Œuvre pour la Régénération de l'Afrique, j'en suis persuadé, tirera grand avantage de son zèle apostolique, de ses connaissances en mathématique, de son habileté en mécanique et dans les beaux-arts, et aussi de ses qualités de Supérieur et d'administrateur.



[1790]
Stanislao Carcereri

Né en 1840, fils d'une famille de paysans, pauvres mais craignant Dieu, dans le petit village de Cerro du diocèse de Vérone, le même village que l'Abbé Angelo Vinco, qui a trouvé la mort sur le Fleuve Blanc au 4ème degré de L. N.

A l'âge de 11 ans, en vertu d'un privilège apostolique, demandé en raison de son jeune âge, il est entré dans l'Ordre des Clercs Réguliers de Saint Camille de Lellis. Doué d'un grand talent, il a fait tellement de progrès dans la littérature italienne et latine, ainsi que dans les sciences philosophiques et théologiques, que ses Supérieurs l'ont tout de suite chargé de l'enseignement de plusieurs disciplines.

Eduqué depuis sa jeunesse à l'école de la sagesse chrétienne, il a cultivé de façon intense l'esprit de piété au point de se distinguer parmi les élèves de Saint Camille par l'exercice de toutes les vertus comme un véritable modèle de vie qui plaît à Dieu.


[1791]
En 1859, il a soutenu avec honneur le difficile examen d'Etat pour obtenir le titre de Docteur en Philosophie et pouvoir enseigner au Lycée de Vérone, mais hélas ! il n'a pas pu le compléter à cause d'une maladie très sérieuse. Plus tard, il a enseigné l'histoire universelle, la géographie, les statistiques, la littérature latine, la philosophie, la religion, le droit canonique et la théologie dogmatique et morale à Sainte Marie du Paradis.

En 1862, il a été nommé archiviste et secrétaire de la Province de la Lombardie et de la Vénétie. Enfin, il a été Supérieur du couvent de Marzana près de Vérone.

Carcereri est doué d'une intelligence aiguë, d'une haute spiritualité et d'un grand zèle pour les âmes, ces qualités font de lui un conseiller spirituel valable.

En tant que Prêtre, il est un bon prédicateur, très habile dans l'explication du catéchisme et dans l'assistance spirituelle des religieux, des Prêtres et des fidèles.

Il possède parfaitement la langue latine et italienne. Le grec, l'allemand et le français lui sont des langues assez familières et il s'est maintenant consacré à l'étude de l'arabe.


[1792]
L'idée de s'associer aux Missions catholiques lui était déjà venue en 1857. Après les premiers signes avant-coureurs de la suppression des Ordres religieux en Italie, au début de 1867, et désirant devenir Missionnaire parmi les infidèles, il s'est adressé aux Séminaires de Milan et de Lyon et a reçu une réponse affirmative si effectivement la suppression de son Ordre devait avoir lieu

Au début du Carême de l'année dernière et, par des circonstances providentielles, m'a été offerte l'occasion de connaître les aspirations généreuses dont il était animé ainsi que celles de ses confrères Zanoni, Tezza et Franceschini. Je me suis donc dépêché de convaincre ces quatre hommes, et l'Evêque de Vérone, Monseigneur di Canossa, a fait le possible pour atteindre ce but.

Et c'est ainsi qu'ils tournèrent leurs regards vers cette partie du monde la plus malheureuse et qui a le plus besoin d'aide. Dieu a béni l'Œuvre par sa providence en appelant le Père Stanislao Carcereri à l'Apostolat des Noirs.


[1793]
Malgré le Bref de Sa Sainteté Pie IX, ses Supérieurs n'ont pas voulu lui donner l'autorisation de partir et, à plusieurs reprises ils lui ont proposé d'être accueilli dans la Maison Générale de Rome. Il a su patienter, et la rapidité avec laquelle le Vicaire de Jésus-Christ lui a donné la permission a été pour lui un nouveau signe de la volonté de Dieu qui l'appelait en Afrique, le seul lieu où, à son avis, son âme trouverait le bonheur. Pour cela, il a tout abandonné : les espoirs prometteurs, et même son vieux Père qu'il a confié à son frère aîné, lui aussi un excellent religieux de Saint Camille de Lellis. Maintenant, il a aussi reçu la bénédiction de ceux qui avaient essayé de le détourner de sa décision.

Il est très heureux de sa vocation, et il en remercie Dieu chaque jour.




[1794]
Giuseppe Franceschini

Franceschini est le fils d'une famille craignant le Seigneur. Il est né à Trévise en 1846 et il s'est installé plus tard à Venise avec son Père, concierge du bureau gouvernemental autrichien de Venise où Giuseppe a fréquenté avec grande diligence l'école des vénérables Pères de la Congrégation de Saint Philippe.

Là il a été rempli de l'esprit de la vraie piété. C'est là que sa vocation à l'état religieux est née. Avec six autres compagnons, qui, plus tard, sont entrés dans différents ordres religieux, il se consacra à la vie monastique. Ce jeune possède un talent extraordinaire, il est de bonne humeur, vif et entreprenant.

En 1860, il est entré dans l'Ordre de Saint Camille de Lellis où il était aimé par tout le monde. Dès le début de sa vie religieuse, il avait un penchant pour la vie missionnaire, et il a essayé de s'y préparer avec un grand soin. Il s'est consacré avec ferveur à ses études, mais il s'est aussi exercé dans les arts et métiers nécessaires à un tel but. Entre autres, il fait très bien la cuisine, et il est habile dans la couture, comme cordonnier, menuisier et aussi comme infirmier. Il est assez actif, et il réussit en tout. Il sait faire beaucoup de choses ; ainsi il se sort de nombreux problèmes pratiques et embarrassants. Il connaît parfaitement les langues italienne et latine, discrètement le grec et le français, et un peu d'allemand. Actuellement, il est lui aussi occupé dans l'étude de l'arabe.

Même s'il n'est que sous-diacre, il a terminé avec succès les cours de théologie.


[1795]
En vertu du Bref de Pie IX du 5 juillet, il a reçu l'autorisation de nous suivre en Afrique et ainsi, il est parvenu à accomplir ses plus fervents désirs.

Nous attendons beaucoup de fruits de ses vertus, de son esprit de dévouement et de la piété, qui l'anime d'une manière extraordinaire, ainsi que de son talent et de ses activités au profit des Noirs.


[1796]
La Congrégation des Sœurs de "Saint Joseph de l'Apparition"

Il s'agit de la première Congrégation religieuse choisie par la Providence pour la conversion des Noirs, et chargée de la direction des Instituts féminins et de la formation des personnes destinées aux Missions en Afrique Centrale selon le Plan que nous avons élaboré. Il est donc opportun de faire connaître à nos pieux collaborateurs et généreux bienfaiteurs de l'Allemagne catholique, cette Congrégation des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition, appelée aussi Sœurs de la Charité chrétienne.

Cette Congrégation a été fondée en 1829 par Emilie de Vialar, qui a ouvert, avec ses propres moyens, la première maison à Gaillac dans le Département du Tarn, dans le Languedoc. Ses statuts furent approuvés la première fois par l'Archevêque d'Albi.

Cette pieuse fondatrice, ardente de charité et de zèle pour le salut des âmes, avait aussi à cœur la formation d'un personnel pour les Missions étrangères, et, par le biais de celui-ci, consacrer sa propre vie et son Institut aux Missions.

Les finalités de cette Congrégation sont : l'éducation des jeunes filles, l'instruction gratuite pour les pauvres, la direction des écoles maternelles, le soin des malades, les services domestiques aux prisonniers, la visite à domicile des vieillards et des pauvres et la conversion des infidèles.

De nombreux Evêques et Vicaires Apostoliques ont ouvert les portes de leurs Diocèses et de leurs Missions à cette Congrégation. Elle a été très louée par le Pape Grégoire XVI dans ses Lettres Apostoliques de l'année 1840 publiées par la Sacrée Congrégation des Evêques et des Réguliers.


[1797]
Le nouvel Institut s'est diffusé, en très peu d'années, dans plusieurs diocèses de France et Emilie de Vialar, se trouvant entourée d'un grand nombre de vierges formées par elle-même à la vie apostolique, décida de se rendre en Algérie en 1836 accompagnée de Sœur Emilie Julien pour y fonder deux Maisons.

Elles sont, je crois, les premières Sœurs qui sont allées en Algérie après la conquête du pays par l'armée française.

Il est difficile de décrire les miracles de charité chrétienne et le dévouement de ces Sœurs dans des circonstances très dangereuses, menacées par des maladies contagieuses comme la peste et le choléra, qui tourmentent ces malheureuses régions. Il est difficile aussi de décrire les souffrances et les persécutions endurées par ces Sœurs par amour de Dieu dans les premières années.


[1798]
D'après l'exemple du Divin Sauveur et de son Epouse bien-aimée, l'Eglise, dont l'histoire est une suite de souffrances et d'épreuves, Dieu avait destiné aussi cette Œuvre à naître et à grandir au pied de la Croix, parmi de très dures épreuves. Tout comme à la Passion et la Mort de Jésus, a suivi sa Résurrection, et comme l'Eglise qui, après le martyre et la persécution, a toujours vaincu, ainsi les persécutions et les épreuves endurées par la Congrégation de Saint Joseph de l'Apparition ont favorisé sa diffusion à Tunis et à Tripoli, chez le peuple Berbère et dans d'autres pays de l'Afrique Septentrionale où cette Congrégation a fait un grand bien.


[1799]
Emilie de Vialar est ensuite rentrée en France pour visiter les différentes maisons de la Congrégation et pour fonder à Marseille une Maison Mère, centre de l'Institut, et organiser le départ des Sœurs dans les différentes Missions étrangères. Avec l'aide des anciennes, plus capables, elle a eu la possibilité, en très peu d'années, de fonder de nombreux établissements à Malte, en Grèce, au Levant, en Asie Mineure, en Arménie, en Orient, en Inde et en Australie.

Moi-même j'ai connu l'Institut à Jérusalem en 1857 et j'ai visité leur maison, près du Saint-Sépulcre, dirigée par Sœur Jenech, une Maltaise. J'ai aussi eu l'occasion de voir les nombreux fruits de l'abnégation des Filles de Saint Joseph. Plus tard, j'ai trouvé des traces inestimables de leur activité dans les différents pays étrangers que j'ai eu l'occasion de visiter lors de mes voyages en Europe et ailleurs, où la Providence se sert de ces Sœurs comme des instruments de salut pour des millions d'âmes qui, aujourd'hui, jouissent de la vision de Dieu dans le Ciel.


[1800]
La première héroïne sur le terrain de l'apostolat de cette Congrégation est l'actuelle Supérieure Générale, Sœur Emilie Julien. Je la connais depuis 1860, elle m'a beaucoup aidé à faire du bien à de nombreuses âmes.

Après une glorieuse activité pleine de croix et de sacrifices depuis l'âge de 21 ans en Afrique du Nord, où elle a été Supérieure de plusieurs établissements pendant six difficiles années, elle s'est installée en Syrie en 1846 avec ses Sœurs et le Révérend Abbé Massimiliano Ryllo S. J., qui a été Missionnaire Apostolique en Syrie pendant 16 ans, et qui est mort à Khartoum en tant que Pro-Vicaire de l'Afrique Centrale. Elle a été la première, depuis les Croisades, à avoir fondé une communauté de Sœurs dans la Ville Sainte, où se sont déroulés les grands mystères de notre Rédemption.


[1801]
Avec la fondation du premier couvent de Sœurs elle a hissé, entre les murs de Sion, l'étendard de la charité chrétienne dont les femmes de l'Evangile étaient animées, et a semé les lys de la sainte virginité pour le bien des infidèles.

C'est elle aussi qui a fondé les maisons de Bethléem, Jaffa, Saïda, Alep, Chypre et dans d'autres lieux de l'Orient ; elle a dirigé toutes ses maisons en tant que Supérieure Provinciale de l'Orient avec résidence à Jérusalem.


[1802]
Après la mort d'Emilie de Vialar à Marseille, Sœur Emilie Julien a été élue Supérieure Générale de toute la Congrégation. De retour en Europe, elle a transféré sa résidence à Rome où elle a ouvert un Noviciat.

En même temps, elle a fondé "l'Œuvre Apostolique" qu'elle préside depuis 1863 et qui, ayant pour modèle celle de Paris, est un lieu de rassemblement de Dames pieuses, et même de la haute société, qui travaillent pour faire des ornements d'église et pour fournir les objets nécessaires au culte dans les Missions étrangères.

Pendant les dernières années de son séjour à Rome, Mère Emilie a conquis l'estime et l'admiration de notre Pape, le glorieux Pie IX, du Cardinal Barnabò, Préfet Général de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi, d'un grand nombre de Princes de l'Eglise et de Princes et de Princesses des différentes maisons royales d'Europe et de la noblesse romaine.


[1803]
Une charité sublime, une prudence admirable, un talent distingué, qui connaît les hommes et les affaires et qui sait bien comment les traiter, un noble courage, une confiance héroïque dans la Providence et un total abandon à la volonté de Dieu, voilà les traits fondamentaux du caractère de cette femme de l'Evangile qui a rendu de nombreux services à l'Eglise et aux Missions.

Elle a dû endurer toute sorte d'épreuves, mais sa patience, sa résignation et sa vertu lui ont permis de garder une maîtrise de soi étonnante. On peut dire qu'avec le "Fiat" qu'elle a toujours sur ses lèvres, elle est capable d'affronter n'importe quelle difficulté.

Outre la Province de Toscane, composée de 8 maisons, Sœur Emilie Julien a fondé, depuis Rome, plusieurs établissements dans différents pays du monde, parmi lesquels un hôpital au Caire en 1864. C'est pendant son mandat de Générale, que le Pape Pie IX, le 13 janvier 1863, suite à la recommandation des Ordinaires des pays où la Congrégation avait fondé des maisons, et en considérant les abondants résultats obtenus, a confirmé l'Institut en tant que Congrégation de vœux simples ainsi que les Statuts actuels, en soumettant l'Ordre à la juridiction des Ordinaires du lieu selon les normes canoniques des Constitutions Apostoliques ; et, par l'intermédiaire de la Secrétairerie d'Etat, il a nommé le Cardinal Barnabò son protecteur.


[1804]
Dans tout cela, nous devons admirer l'adorable Providence qui a choisi les Filles de Saint Joseph comme les premières directrices de notre premier Institut pour la conversion de l'Afrique. Toute une série de circonstances a fait naître cette Œuvre sur la terre des Pharaons, à deux pas de la Sainte Grotte où le grand Patriarche Saint Joseph a vécu avec la Sainte Famille. La présence de ce dernier, pendant sept ans, a ébranlé les idoles de l'Egypte, et a mis à leur place la Foi en Jésus Christ ; et aujourd'hui, un centre de vie religieuse produit de nombreux héros pour le Ciel et partout embellit l'Eglise catholique de modèles de vertu. Par ses œuvres et ses conquêtes dans tout l'univers, Saint Joseph a couronné l'Eglise de triomphes à toutes les époques, et la couronnera jusqu'à la fin des temps.


[1805]
Sœur Marie Bertholon
Supérieure de l'Institut des Sœurs en Egypte

Sœur Marie, fille d'honnêtes parents, est née le 9 février 1837 à Lyon. Elle a fréquenté avec diligence et avec succès depuis l'âge de sept ans l'école des Sœurs du Très Saint-Sacrement, dont la Maison Mère se trouve à Autun.

Toutefois elle n'a pas montré de propension particulière pour la vie religieuse pendant son adolescence. C'est seulement à 17 ans, après la lecture des Annales de la Propagation de la Foi, et après avoir entendu la prédication d'un Jésuite, qu'elle a eu l'idée d'entrer dans une Congrégation qui s'occupe des Missions. Elle a choisi le couvent de Jésus et de Marie, en refusant l'invitation des pieuses Sœurs du Très Saint-Sacrement chez qui elle avait reçu son éducation, à entrer chez elles.

Tout était prêt pour son entrée dans le couvent de Jésus et Marie, lorsque les conseils d'un Missionnaire, de retour de Syrie où il avait été témoin de la fécondité du travail des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition, la poussèrent à s'engager dans cet Institut. Elle avait 20 ans lorsqu'elle a commencé son noviciat dans la Maison Mère de Marseille, sous la direction de Sœur Clotilde Delas, à l'époque maîtresse des novices. Il a fallu cette ardente et expérimentée Missionnaire, qui avait vécu pendant 14 ans à Alger et à Tunis (actuellement, elle est Supérieure de la Toscane où je lui ai rendu plusieurs fois visite), pour former Marie dans sa détermination, et pour cultiver dans son cœur l'esprit de reniement de soi-même et le dévouement des femmes de l'Evangile. La Providence, qui l'avait appelée à devenir une bonne mère des Noires, l'avait aussi préparée à l'exercice des tâches qui ne sont pas moins importantes dans le service des Missions.

Pendant quatre ans, elle a été à Requista dans le Département de Beyron, où la deuxième classe d'une école lui a été confiée. Ensuite, elle a été envoyée en Afrique dans le diocèse de Rodez, où elle a exercé toutes les tâches de la maison, elle visitait aussi les malades et aidait les pauvres dans leurs habitations.


[1806]
Les traits fondamentaux du caractère de Sœur Marie Bertholon sont une charité éminemment chrétienne et un vrai dévouement, une humilité sincère et une grande activité. Elle ne parle que sa langue maternelle et un peu d'italien, en revanche, elle brille dans tous les travaux domestiques. Eduquée à l'école de la vraie piété, elle a acquis au plus haut degré la vertu de l'abnégation et du renoncement à sa propre volonté. Ainsi au moment où elle fut rappelée de la Mission, le but de sa vocation, le sacrifice a été plus facile à supporter.

Quand nous sommes arrivés à Marseille, elle était destinée à Malte. Et nous avons réussi à la faire affecter au groupe des Sœurs qui devaient accompagner les filles africaines au Caire. Son âme a été remplie de joie lorsque la Supérieure lui a tout simplement dit : "Vous irez en Egypte". Elle ne savait pas non plus qu'elle allait être nommée Supérieure. A sa grande surprise et à regret elle a appris la nouvelle de la charge que Dieu avait choisie pour elle, après notre arrivée au Caire. Elle ne voulait pas croire qu'elle avait été choisie pour une tâche si importante pour laquelle elle se croyait, dans son humilité, indigne et incapable.


[1807]
Malgré nos objections elle voulait être soumise à une autre ou renoncer à la Mission qu'elle avait pourtant tant aimée. Pour qu'elle accepte il a fallu l'intervention de la Supérieure Générale, qui lui a rappelé le vœu d'obéissance. Seulement pour accomplir la volonté de Dieu, maintenant elle exerce avec une perfection admirable les devoirs d'une Supérieure et a commencé avec enthousiasme l'étude de la langue arabe. Elle est avec nous depuis trois mois, et nous a donné suffisamment de preuves qu'elle est vraiment à la hauteur de sa mission. Elle sera sans doute d'une très grande utilité pour l'apostolat à l'intérieur de l'Afrique.


[1808]
Sœur Elisabeth Cambefort

Sœur Elisabeth a 35 ans. Née dans une famille aisée de Montauban. A six ans, elle a été en pension chez les Sœurs du Saint Nom de Jésus, mais elle n'y est restée que 18 mois, car la mort imprévue de sa mère l'avait obligée à rentrer dans sa famille. Elle a pu, néanmoins, continuer à fréquenter l'école du couvent.

Dès cet âge, Elisabeth pensait se consacrer à la vie religieuse. Puisque les membres de sa famille s'opposaient à sa vocation, elle a dû surmonter de nombreux obstacles pour pouvoir entrer dans la Congrégation de Saint Joseph de l'Apparition comme cela lui avait été conseillé par le Révérend Père Blancart, Missionnaire de la Congrégation du Mont Calvaire, étant donné son désir de se consacrer aux Missions étrangères. Elle est entrée au Noviciat de Marseille sous la direction de Sœur Clotilde Delas que plus tard Elisabeth a suivie à Montelupo en Toscane. Elle y est restée pendant 8 ans au service des prisonniers et des jeunes femmes perdues. Au mois de novembre dernier, elle a été appelée à Marseille, et puis, elle a suivi les filles africaines au Caire.

Sœur Elisabeth, outre sa langue maternelle, parle très bien l'italien et maintenant elle étudie l'arabe. Elle est très expérimentée dans les travaux domestiques, et c'est un modèle de piété.


[1809]
Sœur Madeleine Caracassian

Un bon matin de juillet, il y a quelques années, j'étais assis au quatrième étage de mon logement à Rome, lorsque un vénérable Prêtre est entré chez moi ; il n'avait plus de souffle, et il était accompagné d'une vieille dame habillée de noir.

En regardant son visage rayonnant de joie, on pouvait facilement percevoir qu'un événement extraordinaire et heureux l'avait fortement ému, et aussi les yeux de la vieille dame, resplendissants de lumière, manifestaient la même intime joie.

Ce Prêtre était le Père Nicolò Olivieri, vénéré par tous et qui se trouve maintenant au Paradis. La dame qui l'accompagnait était sa domestique, la vieille Madeleine.

Le but de sa venue était de venir me chercher pour rendre visite aux jeunes filles africaines qui venaient d'arriver de Syrie, et qui étaient logées chez les Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition ; le Père Olivieri les avait rachetées en Egypte.

On connaît bien l'aide que prêtent les Sœurs de Saint Joseph à l'Œuvre pour le rachat des esclaves. Les Noires viennent d'Egypte par deux ou trois, conduites d'abord en Palestine dans les maisons de ces Sœurs, et ensuite en Europe.


[1810]
Nous sommes descendus dans la rue suivis par la vieille Madeleine. Le pieux vieillard avait une terrible toux, et on comprenait bien qu'il ne vivrait pas très longtemps. Arrivés sur la Place Farnèse, nous avons tourné à droite vers la Place de la Sainte Trinité des Pèlerins. Là, avant d'aborder la Place du Mont de la Piété, il y a, sous une arche, une image miraculeuse de la Vierge, très vénérée. Le Père Olivieri avait l'habitude de s'agenouiller devant cette image et de prier chaque matin, avant d'aller au Monastère des Trinitaires à Saint Crisogono, près du quartier du Trastevere. Il m'est arrivé plusieurs fois de l'accompagner sur ce chemin pendant un quart d'heure, et j'ai été témoin des nombreux soupirs qui sortaient de son âme pour les pauvres Noires qu'il confiait à la Sainte Vierge avec, ô combien de ferveur et de larmes !

Cette fois-ci agenouillé sur la terre nue, après avoir prié avec l'habituelle ferveur il laissa échapper de sa bouche, sans s'en apercevoir, cette exclamation : "Merci Maman, merci beaucoup, merci !"


[1811]
Nous avons continué notre chemin et, en passant par l'église de San Carlo, la Place des Catinari et l'église de Sainte Catherine des Funari, nous sommes arrivés Place Margana chez les Sœurs de Saint Joseph. Dès que nous nous sommes assis dans le parloir, des petites filles africaines sont entrées, accompagnées par deux Sœurs. Trois jeunes filles arméniennes, habillées en noir et avec un chapeau de leur pays, les suivaient. Elle donnaient l'impression d'appartenir à des familles aisées et bien éduquées. Elles étaient arrivées de Constantinople avec les Africaines. Dans un premier temps, j'ai prêté peu d'attention à ces trois Blanches, attiré plutôt par les petites Noires et encore plus par le Père Olivieri qui les regardait tout content et par la vieille Madeleine, qui avait été en Egypte 16 fois, et qui, comme si elle était encore une jeune fille, avait le désir d'y revenir. Un quart d'heure après, l'Archevêque d'Arménie, Monseigneur Hurmy est entré, et nous avons dirigé enfin notre attention vers les filles arméniennes. L'une d'entre elles était notre Sœur Madeleine, on lisait sur son visage l'innocence et la sincérité.


[1812]
Qui pouvait imaginer que cette jeune fille serait une des premières mères pour les filles Noires, et qu'elle me suivrait en Egypte pour se consacrer pour toujours à notre Œuvre pour la régénération de l'Afrique ?

Sœur Madeleine a 19 ans et descend d'une famille aisée de marchands de la région d'Erzerum. Son père, Monsieur Giovanni Caracassian, mourut quelque mois après sa naissance. Sa mère nommée Serpuis (qui, dans la langue arménienne, signifie sainte), était très pieuse. Restée veuve à 21 ans, elle avait refusé d'avantageuses propositions de mariage, car elle devait éduquer trois âmes pour le Ciel, et avait donc déjà suffisamment de travail. Elle s'est consacrée complètement à l'éducation de ses enfants, sa fille Catherine, actuellement mariée et mère de trois enfants, son fils Grégoire, 21 ans, aujourd'hui commerçant, et notre petite Madeleine.

Sous la prudente direction de sa mère, Madeleine était imprégnée de l'esprit de piété depuis son enfance, et comme elle montrait beaucoup de talent et d'intelligence, son oncle maternel le Père Serafino Pagia, un pieux Prêtre arménien-catholique, décida de se charger de l'éduquer dans la religion catholique et dans les sciences élémentaires dont elle en tira grand profit.

A l'âge de 8 ans, elle a été confiée aux Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition à Erzerum. Elle a très bien appris, en plus des travaux féminins, les langues arménienne, turque et française sous la direction de Sœur Accabia Akccia, une Arménienne, et de Sœur Marie, une Française. Cette dernière a été son institutrice dans tous les travaux domestiques.

Déjà, à l'âge de 7 ans, Madeleine pensait se consacrer à la vie religieuse, mais elle s'est décidée, à treize ans seulement, malgré toutes les difficultés, à entrer dans l'Institut des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition.


[1813]
La grâce sait toujours vaincre la nature. Madeleine aimait tendrement sa maman, et cette dernière n'avait jamais pensé se séparer de sa fille qu'elle aimait d'une manière spéciale. Je ne sais pas qui des deux s'est montrée la plus forte et la plus généreuse pendant un an de luttes et de souffrances. Certainement madame Serpuis Caracassian, suivant l'exemple des mères animées par un vrai esprit chrétien, en faisant l'offrande de sa propre fille, a fait un sacrifice complet à Saint Joseph. Madeleine s'est séparée pour toujours de sa mère qu'elle aimait si tendrement pour se consacrer totalement à Dieu.

Partie d'Erzerum, après un voyage à cheval de huit jours, Madeleine est arrivée à Trebisonde en Anatolie où elle a embarqué sur un navire de la Poste qui allait à Constantinople. Dans cette capitale du royaume turc elle demeura chez les Sœurs de Saint Vincent de Paul. Ensuite, elle est passée par les Dardanelles et via la Grèce, Messine et Naples, elle est arrivée à Rome. Là, accueillie par la Supérieure Générale, elle est entrée aussitôt au Noviciat.

La Supérieure a reconnu tout de suite le talent et l'esprit qui animaient Madeleine ; elle a donc décidé de la faire instruire dans toutes les branches du savoir nécessaires pour faire d'elle une femme apostolique.


[1814]
On peut dire que Sœur Madeleine était née pour la vie religieuse. Alors qu'elle était dans la Ville Eternelle, elle a été admirée comme un modèle de toutes les vertus religieuses. Elle n'a pas de volonté propre, sa volonté est la volonté de Dieu manifestée par ses Supérieurs ; sa volonté est de faire toujours son devoir quel que soit ce qui lui est commandé. Les vertus dont la grâce divine l'a abondamment remplie sont la pureté de son âme, son innocence, son obéissance unie à une intelligence prompte et pénétrante.

Son confesseur ordinaire était Monseigneur Arsenio Avek-Wartan Angiarakian appartenant à l'Ordre des Conventuels Arméniens et Archevêque de Tarse.

Plus tard, lorsque Monseigneur a dû rejoindre l'Orient pour s'occuper de l'élection du Patriarche, sa place de confesseur a été prise par les Pères Villefort et Franco de la Compagnie de Jésus. Elle connaît bien les langues arménienne, turque, française et italienne ; et actuellement elle travaille avec succès l'arabe.


[1815]
A l'occasion de sa profession religieuse, le Cardinal Barnabò a reçu ses vœux, et il me l'a confiée le 24 novembre. Je l'ai conduite avec les Noires de Rome à Marseille. Là, la Supérieure Générale l'a destinée à accompagner les Noires pour notre établissement au Caire. Ses vertus et ses belles qualités et les espoirs que nous mettions en elle, nous ont poussés à demander à la Supérieure Générale de nous faire la promesse formelle de ne jamais l'enlever à notre œuvre. Mère Emilie Julien nous a fait une déclaration conforme à nos souhaits, et nous avons décidé de faire instruire Sœur Madeleine dans les langues abyssine, denka, bari, gallas, etc. ainsi que dans la médecine, dans la chirurgie, bref dans toutes les disciplines aptes à faire d'elle une femme de l'Evangile et selon les besoins de notre Œuvre pour la régénération de l'Afrique.

J'espère que Dieu fera de cette jeune femme une véritable fille de la charité chrétienne, un apôtre des Noirs.



[1816]
Notices biographiques des institutrices africaines du premier Institut au Caire en Egypte.

Pourquoi ces biographies ?

Parmi les maux qui tourmentent les peuples les plus malheureux de l'Afrique Centrale, le plus déplorable est sans doute celui dont j'ai souvent été témoin oculaire auprès des populations du Fleuve Blanc, c'est-à-dire l'enlèvement violent et clandestin de pauvres êtres humains qui ont une âme et un cœur aussi précieux et nobles que les nôtres, en particulier des enfants des deux sexes.

Cette terrible aberration morale et ce manque de toute humanité sont, en partie, le fruit des guerres tribales entre différents villages et régions, et en partie la conséquence de l'avidité du plus fort et du plus puissant pour améliorer sa propre situation par le commerce des esclaves.

A l'instant même où je vous écris , il y a des centaines de milliers de victimes qui, à cause de la guerre et de la cupidité des marchands, sont arrachées à leur patrie, exposées à toutes sortes de maux et condamnées à ne jamais plus revoir le visage de leurs parents et le pays où elles sont nées et à souffrir pendant toute leur vie sous le poids cruel du plus dur esclavage.


[1817]
Dans ces pays les guerres sont très fréquentes, presque continues.

Elles naissent en général de la haine traditionnelle entre familles, entre villages, entre tribus à cause du vol du bétail ou d'un enfant, ou bien suite à l'occupation illégitime d'une région amie. L'Africain considère cela comme une loi naturelle et nécessaire, et pour se venger de son ennemi, il devient violent comme un tigre.

A la vengeance il sacrifie tout, sa vie et celle des membres de sa famille.

Le vol des enfants se pratique chez les Noirs entre amis et ennemis ; ainsi, l'esclavage et le commerce d'êtres humains s'est développé. Un père et une mère ne vendent jamais leurs enfants, car l'amour paternel et maternel est très grand chez les Africains, ils sont prêts plutôt à risquer leur vie. Le mariage constitue une exception. C'est un véritable commerce que le père organise avec l'époux en établissant un prix en fonction de la situation du père et des belles qualités de la jeune fille.


[1818]
Quand nous étions auprès des Noirs du Bahr-el-Abiad, à l'intérieur de l'Afrique, nous étions très estimés et aimés, ils nous distinguaient complètement des autres Blancs, qu'ils soient Turcs ou commerçants européens, que les Noirs craignaient et méprisaient et qu'ils considéraient comme des ennemis. C'est pour cela qu'ils avaient permis à leurs enfants de nous rendre visite et d'écouter nos enseignements. Mais ils ne nous les ont jamais confiés pour les éduquer à Khartoum ou en Europe. Jamais les parents ne permettraient que leurs enfants soient éloignés de leur terre ou de leur région.

Mais comment est-il possible que chaque année des milliers de Noirs soient mis en vente publiquement ou clandestinement sur les marchés de Khartoum, du Cordofan, de Dongola, de Souakim, de Geda, de Berber, au Caire et dans d'autres villes des côtes africaines ? Cela est dû aux enlèvements secrets ou de force ou faits par les musulmans qui alimentent et pratiquent encore le terrible commerce des esclaves. Malgré les traités entre les gouvernements, malgré les lois sévères mais inefficaces du gouvernement Turc, malgré la bonne volonté d'Ismaïl Pacha et du Vice-roi d'Egypte, l'Islam favorise l'esclavage, la honte de l'humanité.

Le 17 mars dernier une caravane de pauvres esclaves noirs, arrachés de force de leur patrie est arrivée ici au Caire secrètement. Et comme d'habitude, lorsque ces caravanes de malheureux êtres humains descendent à bord de bateaux provenant du Nil, ils sont serrés comme des sardines au fond du bateau, et ils sont couverts de bois. Ainsi il arrive souvent que, dans de telles conditions de transport, beaucoup d'entre eux trouvent la mort.


[1819]
Les Baggara et de nombreuses autres races musulmanes, émigrées de l'Arabie entre le 7ème et le 14ème siècle de l'ère chrétienne, après avoir parcouru l'Afrique de l'Est et du Nord, se sont déplacés vers l'intérieur en amenant toutes sortes de superstitions et le fanatisme de l'Islam. Ce sont ces musulmans qui habitent les régions limitrophes de celles des Noirs, et en dominent quelques-unes, ce sont eux qui enlèvent secrètement, ou de force, les pauvres enfants des familles noires. Ils les vendent ensuite, comme on vend du bétail, à d'autres musulmans qui, à leur tour, les vendent aux Giallaba, qui pratiquent véritablement le métier d'esclavagistes. Les pauvres Noirs migrent ainsi de marché en marché, de patron en patron, et après avoir surmonté mille dangers au cours de leurs voyages, marchant souvent pieds nus sur le sable cuisant du désert, où une grande partie d'entre eux trouve une mort affreuse, ils arrivent sur les côtes de l'Afrique pour être vendus à des patrons inhumains qui les traitent comme des chiens. Tout cela se fait sous la protection de la loi de Mahomet, qui leur prépare une vie misérable, une vie qui les achemine prématurément à une mort éternelle.


[1820]
C'est seulement Celui dont le sacrifice sur le glorieux Golgotha a voulu extirper à jamais de la terre l'esclavage, Celui qui a annoncé aux hommes la vraie liberté en appelant toutes les nations et chaque être humain à devenir fils de Dieu qui désormais peut être appelé Abbà, Père, c'est seulement Lui qui pourra libérer l'Afrique de la tache de l'esclavage.

Seul le Catholicisme pourra redonner sa pleine liberté à cette grande partie de la famille humaine qui gémit encore sous le joug honteux du plus cruel esclavage. C'est bien en cela, même si on la considère du point de vue uniquement philanthropique, que consiste la grande importance de notre sainte Œuvre pour la régénération de l'Afrique, bénie par notre vénérable Pape Pie IX.

Nous avons le grand but de porter la lumière de la Foi dans toutes les régions de l'Afrique Centrale encore habitées par des peuples primitifs. Nous devons implanter la Foi de manière solide et pour toujours, élever au plus haut niveau l'étendard de la liberté du Fils de Dieu, et redonner ainsi la vie à des milliers d'âmes qui dorment encore dans l'ombre de la mort.


[1821]
C'est bien cela le but qui caractérise la noble Œuvre de la Société de Cologne pour le secours des pauvres enfants noirs. Cette Société est l'âme de la grande entreprise. C'est bien elle qui a suggéré, voté et fondé cette Œuvre de Rédemption. Une Œuvre qui, avec la bénédiction de Dieu, pourra devenir l'œuvre d'apostolat la plus grandiose du 19ème siècle pour le salut du continent et des peuples les plus malheureux et les plus méprisés de la société humaine.


[1822]
Après ce sommaire exposé, on comprendra facilement les sérieuses raisons qui m'ont poussé à écrire ces brèves biographies de nos chères Noires destinées à devenir les premiers apôtres des Africains qui vivent à l'intérieur de l'Afrique.

Neuf d'entre elles ont reçu de nombreuses aides de notre pieuse Société de Cologne et quatre autres ont assimilé l'esprit de notre Sainte Religion au sein de l'Allemagne catholique. Nos vénérables collaborateurs et nos chers bienfaiteurs, par ces biographies, et par ces simples mais vrais récits du cruel enlèvement de ces premières institutrices africaines, acquerront :

1°. une idée exacte des conditions malheureuses des tribus de la Nigrizia, dont ils favorisent la régénération spirituelle, par leurs aumônes ;

2°. ils comprendront mieux le but de la grande Œuvre dont ils sont membres et ils se sentiront davantage encouragés à faire tous les sacrifices nécessaires pour aider, de toutes leurs forces, cette œuvre, ainsi que dans l'avenir ;

3°. ils trouveront dans ces petites biographies une bonne et pieuse lecture, apte à nourrir leur propre piété et à donner une nouvelle impulsion à leur compassion ;

4°. ils trouveront ici un argument convaincant pour démontrer que notre Œuvre pour la régénération de l'Afrique, selon notre Plan, est le moyen radical le mieux adapté pour la raison humaine à convertir les Noirs au catholicisme ;

5°. ils apprendront à apprécier encore plus le zèle dont était animé le Révérend Père Nicolo Olivieri et sa sublime œuvre de charité chrétienne, soutenue si efficacement par notre vénérable Société de Cologne.

Je commence avec les biographies des filles noires qui ont été éduquées dans les monastères de l'Allemagne catholique.


[1823]
I – Petronilla Zenab

Petronilla a 21 ans environ. Il est très intéressant de voir par quels chemins la Providence l'a conduite au sein du Catholicisme. Selon le récit qu'elle m'a fait elle-même dans sa langue maternelle pendant le voyage vers l'Egypte, j'ai pu savoir qu'elle était née dans le royaume de Kafa, et plus précisément chez les Gallas. Un esclavagiste abyssinien l'avait enlevée de force alors qu'elle était restée seule dans la campagne paternelle. Avec lui, elle a parcouru à pied, pendant trois mois, les royaumes d'Enarea et de Scioa jusqu'à la côte de la Mer Rouge. Ensuite, elle fut transportée du Yémen sur un bateau arabe, à travers la Mer Rouge avec 15 autres filles, à la Mecque et de là jusqu'à Médine.

Elle est restée pendant six mois dans ces villes chères aux musulmans, jusqu'au moment où un Turc, venu en pèlerinage à la Mecque, l'a achetée et l'a conduite au delà de Yeddo jusqu'à la Mer Rouge et à travers le désert, de Suez au Caire. Là, elle a été vendue, avec quatre autres Noires, à un Turc nommé Omar et fut ensuite rachetée par le Consul général de la Sardaigne M. Cerruti, qui la confia au Père Olivieri. Celui-ci a son tour l'a confiée à la pieuse dame Rossetti au Caire chez laquelle Petronilla est restée pendant 14 jours. Ensuite elle fut conduite à Alexandrie d'où, sous la protection de la vieille Madeleine, avec 13 autres Noires, en passant par Trieste et Vérone, elle est arrivée à Milan. De là, via le Tyrol et Munich, elle atteignit Salzbourg. C'était la fin février de l'année 1856. Après un jour et une nuit au monastère des Ursulines, elle a été admise parmi les jeunes filles du pensionnat du monastère des Bénédictines où la Supérieure Ildegunde a pris grand soin d'elle.


[1824]
Après la mort d'Ildegunde, la Supérieure qui lui succéda a été elle aussi comme une vraie mère pour notre petite Noire. Elle a ainsi été confiée à la Supérieure du pensionnat, Sœur Maria Wenefrida qui l'aimait intensément et envers laquelle Petronilla garda toujours des sentiments de profonde reconnaissance pour tant de bienfaits dont elle avait été comblée.

Il a fallu presque six mois pour la préparer au Baptême. L'Archevêque de Salzbourg, Monseigneur Massimiliano Giuseppe von Tarnoczy lui-même l'instruisit dans la Foi catholique, et sa marraine fut madame Francesca Schider, épouse du médecin personnel de l'Impératrice Caroline. Petronilla a eu plusieurs fois l'honneur d'être présentée à l'Impératrice qui lui montra beaucoup de bienveillance.


[1825]
Je dois exprimer mes remerciements les plus sincères aux dignes Sœurs Bénédictines de Salzbourg pour l'éducation à une vraie piété et au véritable esprit de notre sainte Foi inculqué à cette fille, et pour avoir fait d'elle une véritable fille de la charité chrétienne. L'éducation que les Noires ont reçue en Allemagne est en général très solide. Les Sœurs forment les élèves noires non seulement à la religion mais aussi à tous les travaux de la vie ordinaire. Parfois elles reçoivent plus que le nécessaire, et, une fois rentrées en Afrique, trouvent des difficultés pour s'adapter aux conditions pauvres de leur patrie. Mais l'essentiel demeure : une foi solide et un grand esprit de piété. Pour cela les monastères de l'Allemagne ont une part considérable dans le développement de notre Œuvre.


[1826]
Le climat de Salzbourg étant trop froid, les Sœurs décidèrent que la France convenait peut-être davantage à Petronillla. En septembre 1863, les Sœurs chargèrent le Révérend Leandro Capella de l'amener à Paris à ses propres frais. Petronilla est restée à Paris pendant un mois et demi chez les Filles de la Sainte Croix. Mais l'air de Paris était aussi trop froid pour elle. On décida alors d'amener Petronilla vers le sud, et Mère Saveria, Supérieure de Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition en Syrie, l'a prise avec elle à Marseille, où elle est restée dans la Maison Mère jusqu'à novembre de la même année.


[1827]
Petronilla avait rencontré le Père Olivieri quatre fois à Salzbourg, et elle l'a assisté pendant sa dernière maladie à Marseille. Elle était présente à sa dernière heure quand le Père Olivieri supplia d'être enlevé du lit et déposé sur la terre nue, où il est mort comme un véritable saint. Je ne peux pas penser à ces signes admirables de la sainteté de cet homme sans pleurer. Le Père Olivieri est mort sur la terre nue, soutenu entre autres par notre bonne et chère Petronilla que lui-même avait gagnée au Christ. Au demeurant il faut dire qu'entre le parquet nu et son lit il n'y avait pas beaucoup de différence. Je l'ai vu moi-même à Marseille. C'est le même lit où dort maintenant l'Abbé Biagio Verri, animé du même esprit d'abnégation, de pénitence et de charité chrétienne.


[1828]
Petronilla appartient à une des meilleures tribus de l'Afrique. Elle a un caractère décidé et sérieux, elle est discrète et intelligente. Il semble qu'elle veuille se consacrer à la conversion des Noires infidèles. Nous comptons beaucoup sur elle. Pétronilla comprend très bien le français, l'allemand et elle apprend l'arabe. Elle est très expérimentée dans les travaux féminins. Tout cela, uni à une solide capacité de jugement et à une inébranlable constance, nous fait espérer qu'elle fera beaucoup de bien en Afrique. Elle correspondra très bien, j'en suis persuadé, à notre programme qui veut conduire l'Afrique à la régénération par l'Afrique elle-même.


[1829]
II - Amalia Amadu

Amalia a environ 19 ans. Elle est née dans le grand royaume du Bornu en Afrique Centrale.

Elle était en train de jouer sur une prairie avec d'autres gamines, lorsque des musulmans à cheval se sont approchés d'elles et les ont toutes enlevées. Ils leur ont bouché la bouche avec des bouts de tissus en coton et une fois chargées sur deux chevaux, ils les fouettaient dès qu'elles se mettaient à crier. Ensuite, ils se sont dirigés vers l'intérieur du pays et, aidés par la nuit, sans être poursuivis, ils ont rejoint une cabane éloignée du village des filles, à environ une demi-journée de voyage.

Plus tard, Amalia a été vendu à un giallaba, lequel, avec 100 autres jeunes filles noires et 4 petits garçons, a voyagé sans arrêt pendant 4 mois et a conduit le groupe à travers le Sahara jusqu'au Caire en marchant toujours sur des sables brûlants.


[1830]
Exposée au marché des esclaves, Amalia a été vendue à un certain Abraham Hut, chez lequel elle est restée avec quatre autres filles pendant six mois environ sans rien faire. Ensuite elle a été vendue à un Turc et puis rachetée par un Chrétien qui en était chargé par le Père Olivieri. Elle a été confiée à la vieille Madeleine et ensuite, avec le Père Olivieri, elle a fait le voyage, à travers la Méditerranée, jusqu'à Trieste. En passant ensuite par Milan, le Tyrol et Munich, où elle fut accueillie pendant trois jours par les Filles des Ecoles Pieuses, elle arriva au village de Beuerberg en Bavière. C'était la fin de l'année 1856, et Amalia fut confiée au monastère de l'Ordre de la Visitation de Marie.


[1831]
En suivant le modèle de Saint François de Sales, les Sœurs ont fait tout leur possible pour faire d'Amalia une vraie fille de Marie. Elles ont eu du succès. La jeune fille noire est devenue obéissante et expérimentée dans tous les travaux féminins, pleine de bonne volonté et de vraie piété.

Elle a été baptisée le 19 juin 1857 par l'Archevêque de Munich, Monseigneur Grégoire Scherr. Sa marraine a été la princesse Amalia Adalbert de Bavière.

Elle a reçu le sacrement de la Confirmation le 1er juillet 1858 du même Archevêque. Sa marraine a été la comtesse Arco-Valley.


[1832]
Amalia a toujours gardé une grande reconnaissance envers les Sœurs de Beuerberg et leur Supérieure, Sœur Maria Carolina von Pelkhoven, ainsi qu'à Sœur Luisa Regis à laquelle elle doit son habileté dans les travaux féminins.

En septembre, Monseigneur Kirchner auquel la Mission de l'Afrique Centrale doit beaucoup, pour tant de services et de sacrifices et dans lequel elle a eu un digne promoteur apostolique, m'a écrit pour me demander si je pouvais associer Amalia à l'expédition qui était en train de se préparer pour l'Egypte. Suite à ma réponse affirmative, la Supérieure du monastère de Beuerberg a envoyé Amalia à Munich en octobre. Là elle rencontre deux autres filles africaines au monastère des Bénédictines. Ensuite, toutes trois partent pour Vérone, accompagnées du Père Stéphan Reger, inspecteur et confesseur de Seligenthal près de Landshut.

Elles sont restées 14 jours à Vérone chez les Filles de la Charité chrétienne, appelées aussi Canossiennes, une Congrégation fondée par la Marquise Madeleine di Canossa, tante de l'Evêque de Vérone. Ensuite, elles sont reparties sous la protection des Missionnaires et d'une pieuse dame, ma compatriote Marguerite Bettonini-Tommasi, vers Marseille où elles sont arrivées le 27 octobre. Deux jours après, nous avons commencé ensemble la traversée pour l'Egypte.

La piété d'Amalia, son obéissance et son extraordinaire compréhension me permettent d'espérer et de pouvoir faire d'elle un valide instrument pour la conversion de l'Afrique. D'autant plus que maintenant elle jouit d'une bonne santé, bien que pendant sa permanence dans la monastère de Beuerberg, comme me l'avait écrit la Supérieure, elle ait été quelquefois malade. C'est la seule qui a survécu parmi les autres filles africaines. Au mois d'octobre, la Supérieure de Beuerberg m'a expédié une discrète somme d'argent pour l'utiliser en faveur d'Amalia.


[1833]
III - Amalia Katmala

Pour la distinguer de l'autre Amalia, dans notre Institut nous l'appelons Emilie. Elle a 20 ans environ. Emilie est née dans un village qui s'appelle Bego, à une journée de voyage de la frontière sud-orientale du royaume du Darfur dont le passage est interdit, sous peine de mort, aux Européens.

Un marchand musulman de gomme arabique, s'était arrêté à Bego pour prendre de la gomme et il avait trouvé hospitalité chez la famille de notre petite Noire. Il profita de cet accueil pendant quelques mois. La famille avait confiance en lui et le traitait amicalement. Mais hélas ! il appartenait à la catégorie des amis qui prennent plutôt qu'à celle de ceux qui donnent.


[1834]
Ce musulman, qui se comportait comme un Nubien, était en effet animé de l'invincible désir d'améliorer sa situation économique par tous les moyens possibles. Il avait, donc, décidé d'enlever la fille de son hôte avec son petit frère. Par des dons, il avait réussi à convaincre une amie d'Emilie, plus âgée qu'elle, de conduire les deux enfants dans la forêt pour ramasser du bois. L'occasion fut vite trouvée.

Alors que les trois enfants transportaient le bois sur leur tête, le cruel marchand de gomme, venant à leur rencontre, leur ordonna de jeter le bois et de le suivre. Il saisit les enfants par les mains et il les emmena avec lui. Les enfants commençaient à pousser des cris, il fit sortir alors de sa manche gauche un gros couteau et, en les jetant violemment par terre, il les menaça de mort s'ils ne se taisaient pas. Tremblants et angoissés pour ce qui était en train de se passer, les filles et le garçon se turent et suivirent patiemment leur ravisseur pendant trois heures jusqu'à une cabane où ils furent enfermés. Ils restèrent huit jours dans cette cabane. Pendant ces jours, Emilie avait refusé de manger, mais à la fin, elle avait dû se résigner.


[1835]
Au bout d'une semaine, les prisonniers ont été conduits par trois hommes au Darfur où ils restèrent 14 jours. Pendant ce temps-là, Emilie avait été séparée de son frère. Ce dernier avait déjà été vendu et, depuis lors, elle n'a jamais plus revu ni son frère, ni son amie qui les avait amenés dans le bois. Plus tard, Emilie reprit le voyage avec un Giallaba, trois garçons et un grand nombre de filles en direction du Cordofan. Les esclaves ont marché pieds nus sous un soleil brûlant pendant trois mois. Pendant ce voyage, ils n'ont eu que du blé de durrah à moitié cuit ou du maïs noir. Au Cordofan, Emile a été vendue à un Nubien qui l'amena sur un chameau chargé de peaux de vache, jusqu'à Dongola. De là, en passant par le désert sur le côté gauche du Nil et par Wadi-Halfa et Hint, ils arrivèrent au Caire après trois mois de voyage.

Au Caire, Emilie a été vendue à un eunuque noir, chef d'un harem turc et ensuite, elle a été remise à une femme qui s'occupait de l'éducation de jeunes filles noires pour le harem du Pacha. Ici, se sont manifestés les mystérieux desseins de la Providence. Emilie aurait dû être éduquée pour devenir l'instrument malheureux du péché, des honteuses débauches du musulman ; mais, dans sa bonté Dieu l'avait destinée pour lui-même. Elle tomba malade et elle fut revendue à l'eunuque car elle était invalide.


[1836]
Par le biais d'une femme arabe, l'eunuque a réussi à la vendre, avec d'autres invalides, à un monsieur européen qui, chargé par le Père Olivieri, la racheta et la confia à une femme catholique qui habitait dans la maison louée exprès par l'apôtre des Noirs et fondateur de l'Œuvre du Rachat des esclaves. Emile resta huit jours dans cette maison avec sept autres Noires, puis elle fut transférée à Alexandrie au couvent des Sœurs de Saint Vincent de Paul. C'est là qu'Emilie a connu Alessandra Antima. Durant l'hiver 1856, elle s'embarqua en compagnie de cette fille, du Père Olivieri, d'un Trinitaire, de la vieille Madeleine et de nombreuses autres Noires vers Trieste.


[1837]
De Trieste, Emilie et Alessandra sont venues à Vérone chez les Sœurs Canossiennes, puis à Milan, chez les Sœurs de la Miséricorde de Lovere, ensuite chez les Sœurs Visitandines de Salò ; puis transférées à Arco chez les Sœurs des Sept Douleurs et finalement à Trente auprès des miséricordieuses Canossiennes. Après avoir passé ainsi une année en Italie, elles furent conduites, en passant par Munich, (où, pendant un arrêt de huit jours, elles connurent Muller l'aumônier de la cour royale), à Seligenthal dans le Diocèse de Regensburg chez les Bernardines.

Emilie fut placée parmi les filles du pensionnat du monastère. Sœur Maria Angela Zetl devint son institutrice en lecture et écriture, et Sœur Engelberta Häkl dans les travaux domestiques. Ces Sœurs ont mis en elle un fondement de piété et de moralité que j'avais déjà pu admirer lors de notre première rencontre. Elle doit beaucoup aussi à Sœur Ignazia Steckmüller qu'Emilie aima, et aime encore aujourd'hui, d'une affection particulière.

Emilie séjourna dans le monastère pendant plus d'un an, avant de recevoir le Saint Baptême par l'Evêque de Regensburg, Monseigneur Senestrey, précisément le 3 avril 1859 dans l'église du monastère. Madame Amalia, épouse du Conseiller gouvernemental de Bavière, Kalchgruber, a été sa marraine. Elle a reçu le sacrement de la Confirmation quelques jours plus tard, le 7 avril, du même Evêque, en ayant cette fois-ci comme marraine Madame Francesca Simson de Munich.


[1838]
Il semble qu'Emilie préfère les travaux domestiques aux travaux intellectuels, bien que, même de ce point de vue, elle soit très instruite. Elle sait bien faire la cuisine, une tâche qu'elle a exercée dans le monastère pendant trois ans et demi. Pour la civilisation de la Nigrizia tout est utile, aussi notre Emilie, par son éducation morale et son attachement au travail rendra donc des services utiles à l'apostolat en Afrique.

En septembre dernier, le Prieur du monastère des Bernardines, Monseigneur Alfonso Brandt, m'a prié d'accueillir Emilie et Alessandra Antima pour notre Œuvre. En même temps, il m'a expédié une discrète somme d'argent pour soutenir les frais du voyage, fruit de la bienfaisance du vénérable monastère de Seligenthal et de la Société de Saint Ludovic de Munich.


[1839]
IV - Alessandra Antima

Cette jeune fille noire a environ 19 ans. Née dans la région du Darfur, elle a été enlevée pendant qu'elle jouait avec d'autres gamines. Transportée dans le Cordofan et à Khartoum, après avoir traversé le désert de Bayouda, situé à l'occident du Nil, Alessandra arriva au Caire. Ce voyage a duré plus de trois mois. Au Caire, elle se retrouva entre les mains d'un Turc qui la garda pendant un an et demi, puis l'amena à Alexandrie pour la revendre à une femme arabe. C'est à cette femme que le Père Olivieri a racheté Alessandra.

Depuis lors, l'histoire d'Emilie est aussi la sienne. Alessandra est arrivé au monastère des Cisterciennes à Seligenthal. Sa maîtresse a d'abord été la défunte Sœur Gotfrida et ensuite Sœur Maria Luisa. Les deux Sœurs se sont beaucoup engagées pour lui apprendre l'allemand. Sœur Ida l'a instruite avec la même ferveur dans les travaux domestiques.


[1840]
Le 3 avril 1859, elle aussi a été baptisée par l'Evêque de Regensburg dans le monastère de Seligenthal et ensuite elle a reçu la confirmation. Sa marraine de Baptême a été la Princesse Alessandra de Bavière, laquelle s'est fait représenter par Mlle Anna Neuhuber de Landshut ; tandis que la marraine pour la confirmation a été madame Teresa Hunger de Munich.

Alessandra a passé huit ans à Seligenthal, et trois ans à Wadsassen près d'Eger. La sœur de la Supérieure du Couvent, Sœur Ildegarda Smith a eu pour elle une attention toute particulière. C'est pourquoi Alessandra est particulièrement liée à cette sainte âme. Les Sœurs Bernardines ont surtout mis dans le cœur d'Alessandra un profond sens moral qui constitue la force principale pour résister à tous les dangers qui menacent la femme qui décide de se dédier à l'épineux travail de l'apostolat à l'intérieur de l'Afrique Centrale.



(Abbé Daniel Comboni).



Texte original en allemand.






290
Episode maçonnique
0
Paris
1868
N° 290 (274) - EPISODE MAÇONNIQUE

De "La Voce Cattolica" (Novembre 1874), nn. 130-131



Paris 1868



Tragédie franc-maçonne racontée

par un missionnaire de l'Afrique Centrale



[1841]
Le soir du 22 décembre 1868, j'étais à Paris en train de recueillir des aumônes pour les petits Noirs et aussi pour rétablir ma santé.

Ce jour-là, j'avais récolté une bonne moisson pour mes enfants et, très fatigué et remerciant Dieu, je suis rentré dans mon habitation. Il était dix heures du soir quand, alors que je lisais le Bréviaire, quelqu'un a frappé à la porte de ma chambre. Etonné que quelqu'un puisse me chercher à cette heure-là, j'ai allumé une bougie, et je suis allé à la rencontre de celui qui avait frappé à la porte en lui demandant ce qu'il voulait. Le monsieur, habillé de façon distinguée, en me faisant une révérence m'a répondu :

" Excusez-moi monsieur si je vous dérange à cette heure-ci. Je suis venu pour vous amener auprès d'un mourant qui désire vous parler avant de mourir ".

"Mais pourquoi m'a-t-il demandé à moi, un étranger, l'assistance spirituelle - ai-je répondu - plutôt qu'à son Curé ?" "Le mourant a expressément demandé votre présence, si vous voulez satisfaire le dernier désir de cet homme, il faut vous dépêcher".

Sans rien dire j'ai alors suivi l'inconnu. Dans la rue, j'ai vu un magnifique carrosse. Le monsieur m'a fait courtoisement signe d'entrer, et il s'est assis sur le siège à l'extérieur. A ma grande surprise, à la lumière des réverbères de la rue, j'ai observé trois hommes dans le carrosse avec des têtes tellement louches que j'ai voulu sauter du carrosse ; mais au même moment l'un d'entre eux me serra le poignet d'une main, et de l'autre, a posé un poignard sur ma poitrine, les deux autres ont pris leur pistolet en rendant vaine toute tentative de fugue. Ils m'ont promis de ne rien me faire si je restais tranquille ; mais que ne pouvais-je pas craindre de ces hommes mystérieux ?

Sans opposer de résistance, je me suis laissé bander les yeux, et j'ai cru que ma fin était désormais venue. J'ai demandé au Tout-puissant d'avoir miséricorde de moi.

Nous avions fait environ deux heures de route, lorsque le carrosse s'est arrêté.

Ils m'ont fait descendre et je suis entré dans une vaste maison ; il y avait des escaliers et des couloirs de tous côtés. Finalement, ils m'ont enlevé le bandeau des yeux, et le même inconnu a fermé la porte derrière moi. J'étais dans une pièce aménagée avec une grande élégance, avec des meubles en palissandre, une pendule dorée, des chaises et canapés bien rembourrés, mais j'ai cherché en vain un malade. Je ne savais plus quoi penser.


[1842]
Tout à coup j'ai vu un monsieur assis dans un fauteuil élégant, sans doute en bonne santé et possédant toutes ses forces, qui m'a invité auprès de lui ; je lui ai répondu qu'on m'avait appelé pour un mourant, mais que je m'étais aperçu que l'on m'avait trompé, du moment qu'il était en très bonne santé si mes yeux ne me trompaient pas.

"Vous avez parfaitement raison, Révérend Père, ma santé ne laisse rien à désirer, mais je dois mourir dans une heure et je voudrais me préparer à une mort chrétienne. En bref, je vous dirai qu'étant membre d'une société secrète, j'ai été promu aux plus hauts degrés parce que mon influence, dans l'état et dans la société, ainsi que ma résolution dans l'accomplissement des missions les plus difficiles, étaient toujours appréciées. Plein de volonté et d'audace, j'ai œuvré pendant 28 ans en faveur de notre société.

Lorsque j'ai été désigné au sort pour éliminer un vénérable Prélat, estimé et aimé par tout le monde, j'ai refusé cette tâche, bien que conscient qu'un tel refus me coûterait la vie à cause de la rigueur de nos statuts. La sentence est prononcée, je dois mourir dans une heure.

Quand je suis entré dans la société, je n'ai pas voulu prêter serment de récusation des secours spirituels pendant la vie et en cas de mort ; du moment que je pouvais être pour eux un membre utile, ils m'ont accepté même sans serment. C'est pour cela qu'ils ont consenti à ma demande de faire venir un prêtre. Pour éliminer tout suspect, ils ont pensé à vous appeler parce que vous êtes étranger et donc sans beaucoup de relations dans cette ville".

Il m'a dit, en outre, que la sentence serait exécutée en lui coupant les veines de la gorge à côté de la clavicule pour éviter une blessure ouverte. Il a ajouté qu'il avait tué ainsi beaucoup de personnes parce qu'elles avaient manqué à la parole donnée ou pour d'autres raisons.

"Il n'y a pas d'appel à cette sentence - m'a-t-il dit - car les affiliés à notre société secrète se déploient dans le monde entier".


[1843]
Il m'a donc prié d'écouter sa confession car le temps était limité. Jamais dans ma vie je n'ai dit avec autant de ferveur : "Le Seigneur soit dans ton cœur et sur tes lèvres afin que tu confesses bien tes péchés".

Une heure ne s'était pas écoulée que, d'un coup, trois hommes ont ouvert la porte avec force et se sont présentés pour le prendre. Il a demandé avec angoisse encore une demi-heure pour terminer sa confession. Ils refusèrent et se saisirent de lui mais, en invoquant la promesse faite de lui laisser la liberté de se préparer pour mourir, et aussi après mon intervention, il a réussi à obtenir encore vingt minutes. Il a terminé son accusation avec le plus grand repentir, il a reçu l'absolution, et avec reconnaissance il m'a baisé la main en faisant tomber une larme furtive.

Je ne pouvais pas lui donner la Communion, car je n'avais pas la délégation du Curé, et ces hommes ne m'en donnaient pas le temps. J'ai alors retiré de mon cou une relique de la Sainte Croix dans un petit reliquaire en argent, et je la lui ai donnée en lui disant d'invoquer jusqu'à la fin Celui qui n'avait pas eu honte de mourir sur une Croix pour nous sauver de nos péchés. Il a pris la relique et l'a embrassée fort en la mettant autour du cou sous ses habits.


[1844]
Je lui ai demandé s'il voulait me donner des consignes particulières. Il m'a alors dit de demander pardon à sa femme, la plus remarquable du monde, des excès qui l'avaient conduit à une si déplorable fin. Il a ajouté qu'il avait une fille religieuse au Sacré-Cœur, qui l'aimait profondément et qu'elle serait contente de savoir qu'il avait fait une mort chrétienne. Je lui ai demandé un signe pour montrer que j'avais réellement eu une conversation avec lui, et je l'ai alors prié d'écrire quelque chose sur mon bloc-notes. Avec un crayon, il a rédigé les lignes suivantes :

"Ma chère Clotilde, au moment de quitter ce monde, je te prie de me pardonner pour la souffrance que je te cause avec ma mort ! Embrasse ma chère fille de ma part, et réconfortez-vous ensemble dans la certitude que je meurs réconcilié avec Dieu, et que j'espère vous voir là-haut. Priez beaucoup pour ma pauvre âme :

Ton Théodore".

J'ai pu ainsi connaître le nom du condamné qui me suppliait de lui donner courage et force. Dès que j 'eus dit deux mots, la porte s'est ouverte et quatre hommes sont entrés pour le prendre. Je les ai suppliés, avec tout ce que je pouvais leur dire de plus émouvant, d'épargner la vie d'un époux, d'un père aimé.

Vu que mes paroles étaient inutiles, je me suis jeté à leurs pieds en les suppliant de prendre ma vie plutôt que la sienne. Leur réponse a été un coup de pied. Ils avaient déjà attaché la victime. Au moment de sortir, il s'est adressé à moi et il m'a dit : "Dieu vous rendra du mérite, mon Père, pour tout ce que vous avez fait pour moi. Souvenez-vous de moi dans le saint Sacrifice !"

Après, ils ont emmené le condamné et moi j'étais étourdi par la peur. Les lèvres tremblantes, j'ai prié Dieu d'accorder sa miséricorde à ce pauvre malheureux qui ne l'avait pas trouvée auprès des hommes. Ce que j'ai souffert pendant cette heure-là, seul Celui qui connaît tout le sait.

Mais qu'est ce bruit ? Oui, il s'approchait toujours plus ; il s'agissait de pas qui avançaient. La porte s'est ouverte, et j'ai vu devant moi les terribles hommes de la vengeance. Et ces taches sombres sur leurs mains ?


[1845]
Le sang du frère ! Et maintenant, j'ai pensé, c'est mon tour !

Sans qu'ils me le demandent, j'ai présenté mes poignets pour qu'ils les attachent, mais ils n'ont rien fait, ils m'ont seulement bandé les yeux. A nouveau des escaliers et des couloirs, ici une odeur de délicates essences, là une puanteur qui me pénétrait dans la moelle.

Finalement, les yeux ouverts, je me suis retrouvé dans une salle très éclairée et aménagée avec des meubles de grande valeur. Sur une table couverte d'un riche tapis damassé, il y avait des plats remplis de petits gâteaux et de fruits du Sud. Sur une flamme à alcool, la fumée qui sortait de canaux d'argent dégageait la vraie odeur du thé de Chine ; plusieurs bouteilles de forme, de couleur et d'étiquette différentes faisaient percevoir une somptuosité digne de Lucullus.

Beaucoup de dames et messieurs évoluaient dans la salle ; certains picoraient des petits gâteaux, d'autres prenaient un verre, d'autres conversaient dans un coin.

Quelques dames se sont approchées de moi en m'offrant des friandises. J'ai refusé sous prétexte que je devais célébrer la Messe le matin, et qu'il était deux heures après minuit. A vrai dire, j'avais des doutes car le poignard et le poison sont frères.

J'ai alors fait comprendre que je voulais partir, des messieurs, différents des premiers, m'ont accompagné en me bandant les yeux. Après avoir descendu de nombreux escaliers, nous sommes finalement arrivés dans le carrosse.

Après plusieurs heures de route, le carrosse s'est arrêté. En silence, mes accompagnateurs m'ont fait descendre, puis, après quelques pas, m'ont fait asseoir sur un objet de fer. Etait-ce une guillotine ou un instrument de martyre ? A chaque instant j'ai cru qu'un coup séparerait ma tête du corps, ou qu'un poignard me transpercerait le cœur. Je suis resté dans l'angoisse pendant une heure.

N'entendant aucun bruit, j'ai soulevé un peu la bande de mes yeux et je me suis retrouvé dans un jardin bien cultivé où fleurs et légumes dormaient encore dans le sommeil de l'hiver.

Je me suis levé pour trouver une sortie et j'ai frappé à une porte. Une jeune femme m'a ouvert, toute surprise de recevoir une visite à l'aube. Je me suis excusé en disant que je venais d'assister un mourant et je n'ai rien dit de ce qui s'était passé par peur que la famille ne soit d'accord avec les francs-maçons.

Elle m'a dit que j'étais à trois heures de marche de Paris, mais que si je voulais y aller, son mari devait bientôt aller à Paris pour amener des fleurs et des légumes et il me conduirait dans son chariot. J'ai accepté, reconnaissant, leur offre, et je me suis mis en route vers Paris.


[1846]
Ce matin-là je n'ai pas célébré la Messe, car j'étais trop agité. Le lendemain, j'ai offert la Messe pour la victime des sociétés secrètes, et je l'ai célébrée dans l'église du monastère du Sacré-Cœur. Comme je devais parler avec la Supérieure, elle s'est aperçue que j'étais troublé et elle m'en demanda la raison.

En lui recommandant de garder le secret j'ai tout raconté, et la Supérieure m'a dit, qu'en effet, la fille de ce pauvre malheureux était parmi les religieuses de son couvent, et qu'elle priait beaucoup pour son Père qu'elle savait appartenir à des sociétés secrètes et qu'elle serait réconfortée par la nouvelle de sa conversion.

Mais pour le moment, je lui ai interdit d'en parler à la fille.

Deux jours après, le 25 décembre, j'ai jeté un regard sur un journal de Paris et parmi les noms de la liste des morts j'ai vu qu'il y avait aussi des inconnus exposés à la Morgue ; j'y suis allé mais parmi les six cadavres qui étaient là, je n'ai pas reconnu le malheureux que je cherchais. Soudain, accrochée au mur, j'ai vu la précieuse relique de la vraie Croix. Emu, je me suis approché pour mieux examiner le cadavre qui en était le plus proche. Mon Dieu ! c'était vraiment lui, bien que défiguré par la mort, il était reconnaissable. Pour en être plus sûr j'ai découvert son cou et ses épaules ; sur le cou il y avaient deux trous ; les deux veines étaient transpercées. Il n'y avait plus de doute : c'était bien lui !


[1847]
Le lendemain, je suis allé à nouveau célébrer la Messe au Sacré-Cœur comme je l'avais promis. A la fin de la Messe, une moniale est venue à la porte et, en soupirant, elle m'a dit : " Je vous supplie de prier pendant la Messe et dans vos prières pour mon malheureux Père". "Puis-je vous demander quel sort à touché votre Père ?" "Ah ! je crains - m'a-t-elle dit - de l'avoir perdu pour toujours !...S'il avait subi la mort en état de grâce, j'aurais pu me résigner à sa perte, mais mourir aussitôt après une vie éloignée de Dieu... c'est terrible et douloureux ! Ah ! si je pouvais sauver l'âme de mon Père... j'accepterais bien de souffrir toutes les maladies et toutes les peines de cette terre et même les tourments de l'enfer".

"Consolez-vous, ma Sœur ! Le Sauveur a eu pitié même du bon larron. Vos prières pour votre Père ont sans doute donné des fruits". "J'ai quelques doutes car mon Père appartenait à une société secrète dont les membres récusent à la mort toute sorte de réconfort spirituel". "Et si votre Père avait reçu les secours de la Religion ?"


[1848]
La religieuse m'a regardé avec un certain doute et sans espoir. Alors j'ai pris mon portefeuille, et je lui ai montré la dernière page. Ses yeux se sont illuminés et, en approchant de ses lèvres ces mots, elle est tombée à genoux et, en levant les bras au ciel et en le regardant avec les yeux pleins de larmes, elle a crié d'une voix émue :

"Que Dieu soit loué pour l'éternité ! Mon père est sauvé !"



(Abbé Daniel Comboni)