Comboni, en ce jour

Dans une lettre à Elisabetta Girelli (1870) de Vérone l’on lit:
Nous sommes unis dans le Sacré-Cœur de Jésus sur la terre pour être unis ensuite au Paradis pour toujours. Il faut courir à grands pas sur les chemins de Dieu et de la sainteté, pour ne s'arrêter qu'au Paradis.

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N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
221
Mgr. Luigi di Canossa
0
Rome
10.11.1867

N° 221 (209) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/44

Vive Jésus et Marie !

Rome, le 10 novembre 1867

Excellence Révérendissime,
 

[1476]
Malgré les nombreux rapports de Mgr. le Vice-Gérant au Saint-Père et au Cardinal Vicaire qui fait tout pour empêcher que les Africaines me soient confiées contre votre volonté exprimée dans votre lettre au Cardinal Barnabò, le Saint-Père manu propria a signé aujourd'hui l'ordre qu'elles me soient confiées. Le Cardinal Barnabò, qui a dirigé d'un cœur paternel tous mes pas, en est très content.

Je vous donnerai plus de détails à une autre occasion, et vous verrez combien le Seigneur bénit son pauvre fils, bien qu'il en soit indigne.


[1477]
Ne pouvant pas partir demain matin à cause de l'absence de paquebots à vapeur qui quittent Civitavecchia pour Marseille, je quitterai Rome jeudi. Ce retard provoqué par Mgr. le Vice-Gérant m'a causé une perte de plusieurs centaines d'écus ; mais Dieu qui a pourvu à nos besoins après que Mgr. le Vice-Gèrant nous eût laissé tomber, pourvoira à tout.

Personnellement, après avoir remercié Dieu et Votre Excellence, je remercie Saint Espedito, martyr, qui après avoir été invoqué par moi et par d'autres avec de nombreux Triduum a exaucé nos prières. Il est un Protecteur spécial pour la bonne réussite des affaires et des voyages. Aujourd'hui le Cardinal Barnabò m'a dit que mon séjour actuel à Rome a été un bien pour moi, car si j'étais parti tout de suite sans résoudre cette affaire j'aurais eu un fardeau très lourd à porter sur les épaules et dont j'aurais mis plusieurs années à me débarrasser.


[1478]
e vous remercie de votre charité qui m'a couvert de sa protection. C'est à moi de correspondre fidèlement pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes.

Hier, je suis allé trouver la protestante qui était en train de faire les Exercices Spirituels ; elle répond admirablement à la grâce, et la Supérieure m'a assuré qu'elle sera une vraie épouse du Christ.

Présentez mes hommages au Marquis Ottavio. Salutations de ma part aux Abbés Dalbosco et Vincenzo ; priez pour



votre indigne fils

Abbé Daniel Comboni



P.-S. Aujourd'hui, aux funérailles du Cardinal Roberti, j'ai vu le Pape en parfaite santé. Malgré les attaques de la Révolution, notre bien-aimé Pontife-Roi triomphe, et le principe de la justice que le Saint Pape-Roi proclame prévaudra toujours.






222
Mgr. Luigi di Canossa
0
Rome
21.11.1867

N° 222 (210) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/45

Vive Jésus et Marie !

Rome, le 21 novembre 1867

Illustre Monseigneur,

[1479]
Je n'ai pas assez de mots pour louer et remercier notre bon et cher Jésus pour avoir protégé et défendu avec sa singulière Providence et son amour ce pauvre et indigne fils qui vous écrit. Le Seigneur, après m'avoir, par sa miséricorde, tenu sur les épines et sur la croix, m'a réconforté surabondamment en faisant triompher sa cause et son œuvre contre les formidables attentats d'un puissant ennemi pour lequel je vous supplie de prier comme je le fais moi-même dans ma faiblesse.


[1480]
Il suffit de vous dire que (comme l'a bien raconté le Saint-Père au Cardinal Barnabò) l'appel au tribunal criminel du Vicariat avait pour but de me faire incarcérer et puis de me faire expulser de Rome. Heureusement pour moi que le matin, poussé par le Cardinal Barnabò, je suis allé chez le Cardinal Vicaire, Juge Ordinaire de Rome, lequel ordonna de me renvoyer tout de suite et de me faire des excuses pour avoir ordonné cette comparution. Le juge m'a renvoyé en me disant qu'il y avait eu un malentendu.


[1481]
En plus malgré un rapport fait au Saint-Père par le Vice-Gérant sur mon compte, bien que des confesseurs se soient présentés au Cardinal Vicaire envoyés par...... pour dire qu'en toute conscience ils ne pouvaient pas permettre aux Africaines de venir avec moi... malgré les lettres de neuf Africaines au Cardinal Vicaire, au Pape et au Cardinal Barnabò, dans lesquelles elles demandaient de ne pas venir avec moi, le Saint-Père a ordonné de les confier toutes aux Sœurs de Saint Joseph.

Suite à ma demande, toute la semaine a été employée pour examiner les filles l'une après l'autre. Par ordre du Pape, un homme plein d'esprit, le Père Capello Barnabite, Supérieur et Curé à San Carlo ai Catinari est venu. Deux Pères Dominicains distincts sont aussi intervenus. Le résultat, apporté au Saint-Père et au Cardinal Vicaire, a été qu'on ne doit pas toucher un seul cheveu du Missionnaire Comboni, et plus tard, l'ordre du Saint-Père a été de me confier toutes les Africaines. Le Cardinal Vicaire ensuite a dit au chanoine Zerlati, avec lequel il vit depuis plusieurs années :


[1482]
"J'ai toujours vu toutes les œuvres de Dieu naître et se développer, marquées par la croix et la persécution. Je vois que celle-ci aussi (notre Œuvre) est vraiment une Œuvre de Dieu." D'autres hommes respectables m'ont tenu le même langage. Vous imaginez l'effet que ce triomphe a pu produire chez le Vice-Gérant. Le pauvre homme ne comprend pas encore que ses actes ont été inspirés par un tout autre esprit que celui de Dieu.

Le Cardinal Barnabò a agi envers moi en vrai Père, car tout en admirant l'action de Dieu qui presque tout seul a défendu mon innocence, il m'a donné ses prudents et très sages conseils. Bref, le dossier des Africaines est clos.


[1483]
Le Cardinal Barnabò n'a pas voulu me faire partir avant de bien régler l'affaire des 1.500 écus, ni avant d'avoir fait effacer des registres du tribunal criminel le fait que j'avais été interpellé ; car cela reste toujours une tache pour un missionnaire qui doit traiter sur une si grande échelle, les importantes affaires de la gloire de Dieu. Sur ce dernier point, j'ai alors présenté mes remontrances au Cardinal Vicaire, lequel, ayant prévu ma démarche, m'assura qu'il avait déjà donné l'ordre d'effacer, etc... Mais il avait constaté que mon nom avait été écrit seulement sur la carte d'intimation, celle que j'avais envoyée au Pape et que Lui-même avait déchirée.


[1484]
En ce qui concerne les 1.500 écus (après l'inutile effort des Prélats et des Messeigneurs de la Curie de me faire restituer l'obligation) le Cardinal Vicaire m'a conseillé de saisir le tribunal des affaires ecclésiastiques, et il m'a lui-même envoyé chez Mgr. Gasparoli. J'ai su hier par le Cardinal Barnabò, que le Cardinal Vicaire lui a exprimé l'avis de faire comparaître le Vice-Gérant devant ce tribunal et sans rémission. Comment faire ? Je suis allé chez Mgr. Gasparoli, il m'a demandé de lui envoyer mon Procureur M. Nuvoli, (que j'avait choisi avec le consentement du Cardinal Barnabò) avocat de la Sacra Rota pour se concerter sur l'ensemble du dossier. Le Cardinal Barnabò, ensuite m'a conseillé d'écrire une lettre au Vice-Gèrant, lui déclarant que si dans les 24 heures il ne me restitue pas le titre d'obligation, je lui ferai parvenir une intimation par le juge. J'écrirai cette lettre ce soir. Dés que mon Procureur sera nommé, je pourrai partir.


[1485]
On peut imaginer combien de démarches et de dépenses m'a coûté le fait de rester un mois à Rome, sans compter la dépense de deux paoli par jour pour chaque Africaine logée au Couvent de Saint Joseph. Cela fait une somme de 52,80 écus. Eh bien ! mon vénérable Monseigneur et Père, vous voyez ce qu'a fait notre cher Jésus et comme il est un honnête homme.

Le Prince D. Alessandro Torlonia m'a donné 30 écus après avoir seulement lu notre Programme. Le Comte de Sartiges, Ambassadeur à Rome, m'a fait obtenir hier un passage gratuit de Civitavecchia à Marseille pour les deux Sœurs, les 12 Africaines et moi. Le trajet en deuxième classe coûte 96 francs par personne ; l'Ambassadeur, en m'accordant le voyage sur les Messageries Impériales (rétablies seulement depuis 8 jours sur les côtes de l'Italie), m'a fait un don de 1440 francs.


[1486]
Le Seigneur n'est-il donc pas un honnête homme ? N'y a-t-il pas là des signes que Dieu protège l'Œuvre ? Remercions le Seigneur qui est si bon.


[1487]
Hier, je suis allé chez Vimercati, il m'a dit que Dieu protège sans doute cette Œuvre avec sa grâce et qu'il la protégera aussi par des moyens financiers.

Il m'a dit aussi avoir beaucoup à cœur notre Œuvre. Ensuite, il m'a demandé si les Sœurs Viperesche avaient remis aux Africaines le linge qu'il avait lui-même acheté pour elles. J'ai dû lui dire la vérité : c'est-à-dire qu'elles n'avaient même pas reçu un fil ! Il fut étonné parce qu'il avait dépensé plus de 400 écus, pour la literie et le linge." Patience ! - dit le pauvre vieux - le Seigneur m'a châtié parce que j'ai trop joui pour cet acte de charité". Fiat voluntas Dei (Que la volonté de Dieu soit faite).

Cela suffit sur ce sujet, tirons un trait.

En tout cas, je remercie le Seigneur car la tempête provoquée par le Vice-Gérant a servi à faire apprécier l'Œuvre et à me donner à Rome un crédit et une estime que je ne mérite absolument pas. Vous voyez combien notre Dieu est bon.

Samedi dernier, le Cardinal Barnabò, comme il me l'a dit lui-même, a amené votre lettre au Pape qui l'a beaucoup appréciée.


[1488]
Que dire de la lettre que Votre Excellence a adressée au Cardinal Barnabò, dans laquelle vous le remerciiez de m'avoir si bien aidé ? Cette lettre a fait un grand bien au Cardinal qui l'a agréée et se réjouissait de voir votre zèle pour le bien de l'Afrique.

Je n'ai pas de mots pour vous remercier aussi de la dernière lettre que vous m'avez écrite. Elle m'a été remise hier par son Eminence. Elle est pour moi un monument de votre bonté, une règle de conduite pour l'Afrique, une claire et précieuse manifestation de la divine volonté par l'intermédiaire de la légitime autorité que le Ciel même a constituée. Je vous assure que nous tous, moi en premier, nous essayerons avec la grâce de Dieu d'observer vos saints préceptes à la lettre. Je répondrai à cette lettre une autre fois car cette fois-ci j'ai été trop long.

Je vous demande seulement de faire vite avec les Canossiennes. Le Cardinal Barnabò souhaiterait beaucoup qu'elles soient destinées à notre œuvre ;

je disposerai les choses sur cette base au Caire. Vous, en tant que Chef de l'Œuvre, le Cardinal Barnabò, en tant que Préfet de Propaganda Fide , et le Pape, en tant que Vicaire du Christ, tous vous agréez les Canossiennes. Il est vraiment convenable que Saint Joseph établisse ses Filles là où le grand Patriarche a demeuré sept ans. J'espère que vous pourrez en envoyer deux ou trois bientôt.


[1489]
Il se pourrait bien que le Vice-Gérant ait écrit au Vicaire Apostolique d'Egypte contre la nouvelle expédition. Pour cela, il me paraît opportun que vous lui écriviez une bonne lettre de recommandation pour nous tous. Voici l'adresse :

Mgr. Luigi Ciurcia Archevêque d'Irenopoles

Vicaire et Délégué Apostolique d'Egypte

Alexandrie d'Egypte


[1490]
Demain, je vous enverrai les Rescrits pour les Camilliens Zerlini, Parozzi, Benigni, et Motter. J'ai payé ces documents à la Congrégation des Evêques et des Réguliers 28 francs et 80 centimes. Veuillez bien récupérer cette somme ; à savoir 7,20 francs chacun. Ceux de la Congrégation ont cherché la pétition du Père Giovanni Batta Carcereri, mais il n'ont rien trouvé. Il faudrait que le Père Batta puisse la renouveler en l'envoyant directement à Mgr. Svegliati.

Je vous remercie de tout cœur, comme un fils envers son Père, pour votre lettre de remerciement au Cardinal Barnabò, qui pour moi a été comme un Père et a pris davantage à cœur la protection de l'Œuvre.

Le Cardinal De Pietro fera aussi un grand bien à l'Œuvre. Tous mes compliments au nez de l'Abbé Vincenzo qui a su flairer et comprendre Monseigneur le Vice-Gérant.

Mille salutations au Marquis Ottavio. Que les noms de Jésus et de Marie soient loués pour l'éternité. J'embrasse avec toute mon affection vos mains sacrées, et je me déclare



votre humble et indigne fils

Abbé Daniel Comboni



P.-S. Dimanche matin je pars avec 14 personnes de Civitavecchia ; lundi soir nous serons à Marseille et vendredi nous partirons pour Alexandrie.

Tous mes souhaits à l'Abbé Dalbosco.






223
Mgr. Luigi di Canossa
0
Marseille
29.11.1867

N° 223 (211) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/46

Vive Jésus et Marie !

Marseille, le 29 novembre 1867

Excellence Révérendissime,

[1491]
Le 24 novembre, je suis parti de Rome avec 12 Africaines et deux Sœurs de Saint Joseph. Mgr. Ferrari et la Marquise Brigida sa sœur, suite à la demande de la pieuse Maria Assunta, m'ayant recommandé à Mgr. Bisleti Evêque de Civitavecchia son cousin, quand nous sommes arrivés à la gare, nous avons trouvé le Secrétaire de l'Evêque et deux Sœurs du Très Précieux Sang. Le premier m'a conduit à l'évêché où j'ai passé la nuit ; les Sœurs ont conduit les 14 dans leur couvent. Nous avons été accueillis comme de véritables membres de la famille.

Le matin, nous sommes montés à bord du Posillipe, et le soir du 26, nous étions sains et saufs à Marseille.


[1492]
A Marseille, j'ai reçu une nouvelle Africaine âgée de 23 ans, très pieuse, brave et assez instruite, qui vaut deux Sœurs. Notre Père Zanoni, qui l'a connue il y a un mois, m'a assuré qu'elle est un véritable joyau.

Le Père Zanoni et les deux autres missionnaires mènent une vie très réservée en ne sortant que pour aller à l'église et à l'Institut de Saint Joseph, auquel je les avais recommandés. Les Africaines sont donc 16. Nous avons obtenu trois Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition pour conduire et garder les filles africaines au Caire où les Sœurs ont une maison. Notre expédition est donc composée de 23 personnes. Nous avons tout organisé et arrangé, et dans deux heures, nous partons, tout joyeux, du port de Marseille, car nous avons vu la main de Dieu à l'œuvre et sa Providence, à plusieurs reprises. Je ne peux pas vous en dire plus par manque de temps. Priez donc pour le voyage. Quand vous recevrez cette lettre nous serons déjà en haute mer entre la Grèce et l'Afrique.


[1493]
J'ai lu vos deux précieuses lettres écrites à nos trois Camilliens : Ô ! combien ont été pour nous un réconfort vos paroles et votre accent, vénéré Père.

Nous ne vivrons et ne respirerons que pour Jésus et pour Lui gagner des âmes. J'ai avec moi tout ce que vous nous avez recommandé, et les lettres de Saint François Xavier ; nous ferons tout avec la grâce de Dieu.

Tous les quatre, nous n'avons qu'une seule âme. Je vis avec eux depuis trois jours et je me suis convaincu qu'ils ont d'éminentes vertus et un grand esprit apostolique.


[1494]
Je suis parfois stupéfait devant eux ; c'est une nouvelle grâce que le Seigneur me donne. C'est une école où je peux apprendre beaucoup. Priez le Seigneur afin que je puisse en profiter au maximum, car je suis trop loin pour pouvoir imiter leurs vertus. Nous allons en Egypte, prêts à beaucoup souffrir, bien que nous voyions devant nous un merveilleux horizon.

Afin que les œuvres de Dieu aillent de l'avant, beaucoup de tribulations et de croix sont nécessaires. Vos lettres, en nous mettant dans la bonne disposition, nous donnent aussi la force de tout supporter.


[1495]
Voici une première croix : Pietro Bertoli, le laïc qui a accompagné les Pères à Marseille leur a donné beaucoup de peine. Il manque d'esprit ; c'est l'impression que j'ai eue à Rome, et Votre Excellence en a été témoin. Je joins une lettre que j'ai reçue.

Après de nombreuses prières à Jésus et de sérieuses considérations de notre part, nous avons décidé de le renvoyer. Je lui ai donné de l'argent pour qu'il aille jusqu'à Vérone où je suis sûr qu'il ne retournera pas. C'est un grand sacrifice à l'amour propre, mais dans la mission, il serait un obstacle à la paix entre nous qui sommes un seul cœur. J'espère que notre vénéré Père approuve notre décision. Maintenant, Bertoli me prie, en larmes, de venir avec nous ; mon cœur est ému, mais la conscience ne peut pas y consentir.


[1496]
Deuxième et plus douloureuse croix. J'ai remarqué que le Père Guardi (j'en suis convaincu) est en train d'essayer de faire annuler le Rescrit par le Saint-Père ; Barnabò n'a pas aimé tout ce que vous lui avez écrit concernant les Pères Artini et Guardi. Je crains que le Cardinal et le Père Guardi (qui sont amis) aient eu des entretiens et qu'avant d'en parler au Saint-Père, ils aient convenu d'utiliser les bonnes manières pour convaincre l'Evêque de Vérone de faire rappeler aussi les trois qui sont partis. Je crains donc que sur ce point, la réponse du Cardinal à Votre Excellence sera sans doute dure. Personnellement, dès que je me suis rendu compte de cette manœuvre, je me suis précipité chez Mgr. Svegliati pour le tester ; je l'ai trouvé bien disposé et il m'a promis qu'il fera tout son possible pour convaincre le Général de donner aussi sa bénédiction pour Tezza. Je lui ai expliqué nos intentions, et je lui ai dit que nous serions heureux qu'ils restent tous de véritables Camilliens, etc. Il était content et il a approuvé. Donc, courage Monseigneur ! Ne craignez pas la lettre que vous écrira le Cardinal Barnabò, lequel, par ailleurs, est très favorable à la mission et a été mon bouclier dans la dernière croix.


[1497]
En ce qui concerne les trois, je pense suivre la théorie des faits accomplis : ces trois sont les plus heureux du monde pour la décision prise et on en ferait des martyrs si on les rappelait. D'autre part, ils nous sont nécessaires.

En ce qui concerne Tezza, je laisserai faire Mgr. Svegliati, et je n'insisterai plus. Je dirai même, vu le moment, qu'il faut utiliser les bonnes manières avec le Père Artini aussi. Barnabò n'a pas aimé que vous parliez mal de ce Père. A Rome, les Cardinaux et les Prélats sont très attentifs à respecter les attributions et les fonctions de chacun, et à ne jamais empiéter sur la juridiction d'autrui.

En ce qui concerne le Père Artini, c'est le Général, la Congrégation des Evêques et des Réguliers et le Pape-même qui ont juridiction sur lui. A part ceux-ci, personne d'autre ne s'occupera de l'affaire. L'arme mise en œuvre par le Père Guardi et par l'Ordre Camillien est terrible, bien combinée et subtile. La voici : "l'Evêque de Vérone et l'Abbé Comboni ont suborné et séduit les quatre Camilliens pour qu'ils abandonnent leur Ordre. Ils les ont volés à l'Ordre". Vous savez bien que c'est faux, mais il est certain que cette arme sera utilisée. Courage ! Ne vous inquiétez pas. Ne revenez pas sur vos pas. Vous avez utilisé avec les quatre la plus exquise délicatesse et vous avez montré le respect qu'on doit à l'Eglise : la vérité et la justice doivent triompher. Courage !


[1498]
A Marseille, j'ai reçu 350 florins de l'Autriche pour 800 Messes et 330 francs-or de Cologne pour 300 Messes. Je mets à votre disposition tout cela. Vous avez la possibilité de les convertir en livres autrichiennes. Vous nous donnerez la partie qui vous semble opportune, et vous garderez le reste pour les Prêtres du Diocèse. Je vous prie de me donner une réponse positive à ce sujet.

Pour m'écrire en Egypte, vous pouvez envoyer les lettres à l'Abbé Dalbosco qui me les fera parvenir.


[1499]
J'ai décidé avec un ami à moi, illustre écrivain et avocat de Marseille, de faire publier dans une nouvelle feuille mensuelle, un article sur la Garde d'Honneur du Sacré-Cœur et l'Afrique. Dieu nous prépare de beaux chemins.

A l'avenir il vaut mieux suivre la règle, comme nous le conseille sagement le Cardinal Barnabò, qu'il vaut mieux ne jamais accepter de religieux sans l'accord formel de leurs Ordres respectifs. Le Seigneur nous aidera à garder nos quatre religieux pour l'apostolat africain.


[1500]
Le Père Zanoni et nous tous, nous prions votre bonté de nous donner votre bénédiction chaque soir ; ce sera un grand réconfort pour nous.

J'avais préparé à Civitavecchia une lettre avec les quatre Rescrits pour vous, mais les tracas de l'embarquement m'ont fait oublier de poster la lettre.


[1501]
Je vous envoie les quatre Rescrits, mais pour l'amour de Dieu ! faites en sorte que personne ne sache que c'est moi qui vous les ai envoyés, car ce serait odieux de ma part vis-à-vis du Père Artini. L'envoi coûte 30 francs, que j'ai moi-même payés. Je vous prie de faire en sorte de les percevoir et de les mettre en acompte des Messes que vous ferez célébrer à des Prêtres qui en ont besoin.

Vous recevrez de Rome 6 grandes photos des Africaines, que nous avons déjà données au Saint-Père. Trois sont pour l'Abbé Dalbosco, une pour vous et je prie l'Abbé Dalbosco d'envoyer les deux autres à Cologne.


[1502]
M. Vimercati représente beaucoup pour nous. Il m'a autorisé à réclamer au Vice-Gérant la lingerie qu'il avait achetée pour les Africaines, pour une valeur de 500 écus. Barnabò m'a conseillé de donner l'ordre à mon Procureur d'écrire une lettre au Vice-Gérant pour la réclamer.

Les grâces que j'ai reçues à Rome par le Seigneur sont immenses. Le triomphe et le profit sont grands. Dieu est bon, car plutôt que perdre, j'ai gagné et triomphé. L'innocence et la vérité ont triomphé.

Il faut que j'arrête, car le paquebot à vapeur Peluse est prêt pour partir vers Alexandrie.


[1503]
Mille salutations au Marquis Ottavio, à la Marquise, à l'Abbé Vincenzo, à Mgr. le Vicaire, à Perbellini, etc.

Vos enfants s'agenouillent pour vous demander Votre Bénédiction.

Notre engagement sera de tout sacrifier par amour de Dieu et pour faire avancer son Œuvre.



Votre humble et indigne fils

Abbé Daniel Comboni



P.-S. Merci beaucoup pour tout ce que vous avez fait et en particulier pour les lettres envoyées à Rome qui m'ont puissamment soutenu et qui ont été la cause de ce que Barnabò m'a soutenu.

[A la fin de la quatrième page, écrit au crayon] : Au moment de partir, j'ai reçu votre lettre du 26 août. Elle m'est chère ! Merci.






224
Mgr. Luigi di Canossa
0
Messina
1.12.1867

N° 224 (212) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/47

Vive Jésus et Marie !

Messine, du paquebot Peluse,

le 1er décembre 1867 (5h de l'après-midi)

Excellence Révérendissime,

[1504]
Je n'ai jamais eu l'occasion de faire un si bon voyage. Nous sommes à bord d'un des plus grands et des plus sûrs bateaux à vapeur. Aucune des 23 personnes qui composent notre caravane bigarrée n'a été souffrante. J'espère que le voyage continuera ainsi jusqu'à Alexandrie.

A bord du paquebot j'ai lu votre lettre apostolique du 25, adressée à nos trois dignes missionnaires. Votre Excellence a écrit à la lettre ce qui s'est réellement passé et la joie que nous avons éprouvée en nous revoyant et en nous racontant mutuellement les batailles, les croix et les joies. Je ne peux pas vous exprimer l'émotion des trois missionnaires, pas du tout habitués à recevoir autant de réconfort, lorsque ils ont entendu vos sublimes expressions pleines de l'esprit de Dieu et vos salutaires admonitions et encouragements. Ils ont versé beaucoup de larmes et le plus âgé, le Père Zanoni s'est exclamé : "Oh ! que le Seigneur est bon ; il sait réconforter sur cette terre et nous faire aimer les croix ! c'est le médicament le plus sublime : c'est une bénédiction que Dieu nous communique par notre Evêque vénéré et notre bien-aimé Père". Nous vous remercions pour votre bonté et votre charité. Rien ne pourra égaler autant de plaisir et de joie.


[1505]
Je vous confesse que je suis de plus en plus heureux d'avoir pris la ferme résolution de renvoyer le laïc Pietro Bertoli. C'est un homme de bonnes mœurs, de bon cœur, possédant en outre de bonnes connaissances médicales etc., mais la dose de son orgueil et de son amour-propre était trop grande pour être compatible avec l'humilité et la docilité nécessaires dans une si difficile Mission.

Le bon Père Zanoni m'a plusieurs fois répété : "Si je suis un Jonas, jetez-moi à la mer". Je fus inébranlable dans ma résolution. Dans la soirée de jeudi et pendant la nuit, Bertoli se jeta à mes pieds et aux pieds des autres, il commença à pleurer, à demander pardon ; pendant toute la nuit il a frappé à ma porte, il faisait peur et compassion car il désirait ardemment venir avec nous.


[1506]
Dieu seul sait combien mon cœur a souffert en persistant dans ce refus. Mais le devoir de la conscience et la gloire de Dieu doivent être supérieurs aux exigences du cœur. Nous allons fonder des Missions dans des pays où la vertu-même sera critiquée et attaquée ; malheur à nous si le venin de la discorde s'infiltre parmi nous. Il est capital que les premières impressions sur la nouvelle Mission en Egypte soient bonnes, que l'honneur et le respect règnent, et que les intérêts de la gloire de Dieu soient traités avec toute la dignité et la sainteté du ministère.

Tout dépend d'un commencement positif et d'un bon démarrage ; j'ai fermé le cœur à la compassion et avec décision je l'ai renvoyé en lui fournissant l'argent nécessaire pour qu'il aille jusqu'à Vérone.


[1507]
Tous les quatre, nous sommes un seul cœur et une seule âme, nous rivalisons à nous complaire les uns aux autres. Je suis convaincu de n'être même pas digne d'embrasser les pieds de mes compagnons. Ils sont tellement bons et charitables, non seulement ils ont de la compassion pour moi, mais ils m'entourent aussi du respect et de l'amour qu'on doit à un Supérieur. Ils sont bien conscients de la grandeur de la divine mission qu'ils vont accomplir en Egypte où, je crois, ils feront honneur aux Prêtres de Vérone et au vénérable Successeur des Apôtres qui aujourd'hui préside à la grande Œuvre. Je vous recommande, Excellence, de résister avec courage et fermeté aux tentatives de ceux qui voudraient nous les arracher. Avec ces sujets, soyez sûr que l'Œuvre commencera bien. Je suis certain que Votre Excellence saura bien résister et justifier à Rome ce choix, car nous avons secondé la vocation de ces dignes religieux qui, autrement, auraient été malheureux dans leur Province, étant donné les conditions politiques critiques dues au mauvais gouvernement révolutionnaire.


[1508]
Le Pape n'a pas donné son accord au Père Giovanni Batta Carcereri qui est actuellement à Vérone, parce qu'il manquait l'accord du Procureur Général de l'Ordre Camillien. En revanche, les quatre autres avaient cet accord.


[1509]
Depuis plusieurs années je corresponds avec mademoiselle Marie Deluil Martiny de Marseille. Mademoiselle Martiny est la fondatrice et la propagatrice de la Garde d'Honneur du Sacré-Cœur de Jésus ; cette œuvre, depuis sa fondation le 18 mars 1863, a gagné des milliers d'âmes à la Foi et à la piété. Mlle Martiny (elle a seulement 24 ans, et elle a été capable à Lyon de convaincre des milliers de soldats de venir adorer le Très Saint Sacrement pendant la Garde d'Honneur) a fondé l'œuvre dans les cinq parties du monde, et compte aujourd'hui plus d'un million d'inscrits. Elle désire que Votre Excellence puisse instituer son œuvre à Vérone et dans les communautés religieuses. C'est facile : pas d'argent, seulement une heure de son temps dans laquelle on exprime l'intention d'offrir en réparation des péchés du monde les mérites du coup de lance qui transperça le Cœur de Jésus-Christ. Mlle Martiny vous enverra les médailles (qui sont très belles) avec les images.


[1510]
C'est une œuvre de grand honneur à Dieu. Il suffit de consacrer au Sacré-Cœur les actions à une heure fixée, soit pendant le repas, soit pendant le travail, etc. Le père de cette grande âme s'est concerté avec moi pour publier un journal mensuel dans lequel on développera la gloire de Jésus-Christ et sa dignité contemplée dans sa doctrine et dans son exemple. C'est un journal qui permettra de faire connaître au public l'Œuvre pour la régénération de l'Afrique et la Garde d'Honneur du Sacré-Cœur.


[1511]
J'ai donné à Mlle Martiny l'adresse de Votre Excellence afin qu'elle puisse vous envoyer les médailles et les Quadrants. L'Abbé Dalbosco peut vous être utile ; elle communiquera aussi avec lui.

Le rédacteur du Journal est le père de Mlle Martiny, un grand avocat de Marseille très riche. J'ai présenté à cette pieuse jeune fille nos missionnaires qui ont été étonnés de voir autant de piété et de connaissance théologique sur le Sacré-Cœur. Elle est suivie par un confesseur Jésuite depuis 10 ans. Elle fait déjà prier chaque jour pour notre œuvre.


[1512]
Le Père Zanoni et les autres disent que notre Œuvre est une œuvre de Dieu et qu'ils ont vu et qu'ils voient des miracles. J'espère que c'est vraiment la volonté de Dieu. A mon tour, je dirai à Votre Excellence, en tant que Chef et Père : "Si je suis un Jonas, jetez-moi à la mer".

Nous embrassons vos mains et nous vous prions de nous assister avec vos lettres précieuses qui sont pour nous l'expression de la volonté de Dieu et notre réconfort. Mille salutations à Ottavio, à l'Abbé Vincenzo, au Vicaire, à Perbellini etc.



Votre humble et obéissant

Abbé Daniel




[1513]
P.-S. Pour montrer à Votre Excellence combien Dieu nous protège, je vous informe que nous recevons de l'argent de plusieurs personnes. Compte tenu des dépenses réalisées entre Rome et Marseille (12 Africaines, 2 Sœurs et moi), et de Marseille jusqu'à Alexandrie d'Egypte (16 Africaines, 3 Sœurs, 4 Missionnaires), calculez tout ce que j'aurais dû dépenser si M. Moustier ne m'avait pas accordé le passage gratuit, sans parler de M. de Sartiges etc..., il en résulte que le gouvernement français m'a assisté de Civitavecchia à Marseille et jusqu'à Alexandrie avec la somme considérable de 542 napoléons-or. Donc sans l'aide de la France, j'aurais dû dépenser 542 napoléons de plus que ce que j'ai dépensé jusqu'à présent. Voyez-vous Monseigneur, comment Dieu nous assiste ? Courage donc ! Qu'aucun obstacle ne nous effraie. Beaucoup de napoléons-or, de lires et de livres sont encore cachés dans la barbe de saint Joseph. Il nous les donnera le moment venu.


[1514]
A Marseille ma bonne Mère Sœur Emilie Julien, Supérieure Générale des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition (l'Institut a été appelé ainsi suite à une vision qu'a eue la fondatrice Mme Emilie de Viallar qui a voulu honorer ainsi Saint Joseph, en mémoire de l'Apparition de l'Ange qui lui dit : "lève-toi, prends l'enfant et fuis en Egypte") a été non seulement comme une mère en aidant nos missionnaires en Egypte, mais elle n'a rien voulu pour les frais de séjour des jeunes Africaines que le couvent avait accueillies.

Mère Emilie a été la première Sœur à s'établir à Jérusalem après les Croisades, et elle a fondé 12 maisons en Asie et en Afrique. Elle m'a donné trois Sœurs pour conduire les filles Africaines en Egypte, une Française, une de St. Afrique qui connaît 4 langues, et l'autre d'Arménie, d'Erzerum, qui connaît aussi 4 langues. J'espère que nous ferons une belle mission... A Rome, elle est aussi la Présidente de l'Œuvre Apostolique des Femmes de l'Evangile qui nous fournira les parements sacrés pour le Caire. J'aimerais que vous puissiez lui écrire une lettre de remerciement pour le bien qu'elle nous a fait. Elle appartient entièrement au Pape, à Barnabò et à Antonelli. C'est elle qui m'a fait obtenir, il y a trois ans, 200 écus du Cardinal Reisach.






225
Mgr. Luigi di Canossa
0
Le Caire
10.12.1867

N° 225 (213) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/48

Vive Jésus et Marie !

Le Caire, le 10 décembre 1867

Excellence Révérendissime,

[1515]
Nous sommes arrivés, tous les 23, en bonne santé au Caire. Un télégramme que j'ai envoyé au Caire, m'a fait obtenir, par intercession de Saint Joseph et de Saint Espedito, un passage gratuit d'Alexandrie au Caire pour nous et pour les caisses. Nous avons économisé la somme de 53 napoléons-or.

C'est la première fois que des Noires, si méprisées parmi les Turcs voyagent aux frais du Pacha dans des carrosses réservés aux riches. Vous voyez combien la Sainte Famille nous protège. Monseigneur Ciurcia nous a très bien accueillis à Alexandrie. Ici, au Caire, nous sommes regardés de travers par les Moniales Clarisses, les Sœurs du Bon Pasteur, et par les Franciscains (que cela reste entre nous). Ils ont même réussi à nous créer des difficultés. Mais je crois que, comme nous avons déjà mis pied au Caire, il sera difficile, même très difficile de nous créer de sérieux ennuis. L'Œuvre triomphera, car elle appartient à Dieu. Dieu m'inspire une confiance absolue ; " Si Deus pro nobis, quis contra nos ?" (Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ?)


[1516]
J'attends de l'argent de Cologne car il ne me reste que 80 napoléons-or. Oh ! Saint Joseph a été pauvre pour pourvoir aux besoins des autres. Ce serait bien si Votre Excellence pouvait parler de notre Œuvre dans le journal l'Unità Cattolica et si vous le jugez bon, aussi dans le Veneto Cattolico. Cela produira sans doute auprès des Evêques et des fidèles de bonnes dispositions, et l'Œuvre du Bon Pasteur sera mieux acceptée. Dans ce cas vous pouvez dire à l'Abbé Dalbosco d'envoyer aux rédactions de ces journaux le Plan, le Programme et la feuille des indulgences. Vous pouvez aussi, quand vous en aurez le temps, réaliser ce que vous m'aviez dit au sujet du Cardinal De Pietro.


[1517]
Sachez qu'ici à la grotte de la Bienheureuse Vierge et dans l'ancienne Memphis, on prie chaque jour pour Vérone et pour son vénérable Ange et notre Père. Faites de même pour nous, pendant la célébration de la Messe et faites prier les Canossiennes (auxquelles nous préparons le terrain) et aussi nos bons fidèles

Je ne vous écris pas davantage car je suis très fatigué. Mes salutations au Marquis Ottavio et à toute sa famille, à Mgr. le Vicaire, à Perbellini, à l'Abbé Vincenzo, à la Supérieure de Saint Joseph etc.

Nos trois bons Missionnaires Camilliens sont pleins d'ardeur et heureux de se consacrer au salut des âmes. Ils embrassent les mains de Votre Excellence avec une filiale affection et une profonde vénération.

Je vous offre tous les sentiments de ma gratitude et mes hommages.

Les trois Sœurs de Saint Joseph, les 16 filles et les 2 garçons Africains vous baisent les mains. Avant de vous coucher, donnez-nous votre sainte, pastorale et paternelle bénédiction.



Votre humble et indigne fils

Abbé Daniel Comboni






226
Mgr. Luigi di Canossa
0
Le Caire
18.12.1867

N° 226 (214) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/49

Vive Jésus et Marie !

Le Caire, le 18 décembre 1867

Révérend Monseigneur,

[1518]
Nous tous, vos enfants, nous vous souhaitons de très heureuses Fêtes et une Bonne Année.

Je ne peux pas encore vous écrire au sujet de notre installation parce que je suis trop occupé. Je vous dis seulement que nous avons pris en location un Couvent des Frères Maronites dans le Vieux Caire au prix de 7 napoléons-or par mois.

Il y a une église plus belle que celle de Saint Carlo à l'Institut Mazza, et deux maisons annexées à l'Eglise mais séparées. Dans une des maisons, il y a les Sœurs avec les filles et dans l'autre, nous-mêmes. Au milieu des secrètes tempêtes qu'on prépare contre nous, et qui n'ont pas échappé à nos regards, nous nous installerons très bien et nous fonderons deux beaux Instituts pour l'Afrique Centrale.

Bien qu'en Egypte ce soit toujours difficile de démarrer une œuvre, moi j'entrevois cependant un horizon très heureux pour nous ; je vous en donnerai l'explication plus tard.


[1519]
Ne restituez rien de ce que les Moniales vous ont donné, ni les meubles ni l'argent (je crois, 10 napoléons-or), avant que le procès ne soit terminé.

En restant dans les limites de la plus stricte justice, comme nous l'avons constaté à Rome, je suis créditeur envers Mgr. le Vice-Gérant. C'est ce que m'ont dit les Cardinaux, les Prélats et les Avocats et les Canonistes que j'ai consultés à Rome ; c'est aussi ce que me dit ma conscience. Comme je vous l'ai écrit, j'espère que l'affaire sera traitée à l'amiable par Mgr. Gasparoli.

Nous prions à la Grotte de la Sainte Famille pour vous et pour votre Diocèse, car nous sommes à vous. Priez et bénissez-nous chaque soir.


[1520]
Nous attendons le Délégué Apostolique Monseigneur Ciurcia après les saintes Fêtes. Le pauvre ! De nombreuses épines et tribulations l'attendent ici ; et ce sera une grande grâce s'il peut s'en sortir

Recevez nos hommages, nous embrassons votre soutane sacrée. Présentez mes respects à Mgr. le Vicaire, à Perbellini, au Recteur du Séminaire et à l'Abbé Vincenzo. Saluez de ma part l'Abbé Alessandro Aldegheri et les membres de sa famille.

J'implore votre sainte bénédiction.



Votre humble et dévot fils

Abbé Daniel Comboni






227
Mgr. Luigi di Canossa
0
Le Caire
20.12.1867

N° 227 (215) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/50

Vive Jésus et Marie !

Le Caire, le 20 décembre 1867

Excellence Révérendissime,

[1521]
Nous nous sommes installés hier soir dans notre vaste habitation. Depuis une semaine, j'y ai envoyé nos trois bons Missionnaires, deux sœurs et six Africaines, parmi les plus âgées. Elle ont assez bien mis en ordre la maison.

Le Père Zanoni est fait pour ça et j'ai entièrement confiance en lui. J'ai fait les provisions consenties par notre modeste bourse. Il me semble que le Seigneur nous bénit beaucoup.


[1522]
Hier matin, en passant par le Couvent des Franciscains j'ai su qu'il y avait du courrier pour moi au bureau des postes. Comme j'attends avec impatience de l'argent de Cologne, j'ai tout quitté et j'y suis allé en courant. Sur le chemin, j'ai prié le Seigneur que ce soit une lettre de Cologne, et j'en goûtais d'avance la joie. Vous ne le croirez pas ! quand j'ai récupéré, ouvert et lu votre précieuse lettre, mon cœur a été beaucoup plus réconforté après avoir pris connaissance des bonnes dispositions du Père Artini. J'ai envoyé la lettre au Vieux Caire par un des Africains et les trois Camilliens ont été, eux aussi, remplis de cette joie.


[1523]
Jusqu'à présent, nous sommes 25, parce que nous avons reçu deux autres Africains. L'un est d'Ambar, un pharmacien qui est resté huit ans à Vérone, et que j'avais ensuite accompagné en 1860 à Naples. L'autre est Giovanni, celui que j'ai présenté à l'Impératrice Caroline de Salzbourg l'année dernière et qui est venu en Afrique avec moi. Il est organiste, menuisier, etc. Tous les deux sont de braves jeunes. Il y a aussi deux autres Africains qui fréquentent la maison, mais nous ne pensons pas les accepter pour le moment.

Je vous remercie de vos conseils ; je vous assure qu'ils me sont très précieux. Malgré ma faiblesse je tâcherai de les mettre en pratique. Continuez à nous réconforter avec vos lettres. Vous n'imaginez pas le bien qu'elles nous apportent !


[1524]
Nous vous écrirons un rapport détaillé sur notre voyage et notre installation. Je ferai tout ce que vous m'avez dit dans votre lettre.

En ce qui concerne Tezza, dès qu'il peut partir, envoyez-le à Marseille où il se présentera à la Cappelletta chez la Supérieure Générale de Saint Joseph de l'Apparition, il recevra alors toutes les instructions.

Je vous enverrai une lettre adressée à la Direction des Messageries Impériales par le prochain bateau à vapeur pour demander un passage gratuit jusqu'à Alexandrie. Là-bas, moi-même ou l'un de nous viendra le recevoir. J'ai droit à une place gratuite pour exploiter les 24 places qui m'ont été accordées par le Ministre. Par Tezza, nous attendons les quatre calendriers liturgiques et une copie du "Supplément des Saints de Vérone".


[1525]
Monseigneur Ciurcia est arrivé aujourd'hui au Caire et il m'a dit qu'il avait reçu une longue lettre de Votre Excellence. Nous vous remercions de tout cœur ; et l'Afrique une fois convertie vous sera débitrice de l'initiative de l'Œuvre : Digitus Dei est hic (Ici il y a le doigt de Dieu).

Oh ! combien d'âmes je vois chaque jour qui iront en enfer ! C'est une souffrance trop grande.


[1526]
J'écrirai dans quelques jours au Ministre Moustier pour obtenir une réduction de 50% sur les colis que j'ai commandés et que je commanderai à l'avenir en France. On fait de grandes économies en achetant une partie de la nourriture et de la lingerie en France.

Une affaire assez délicate est la question de la protection des puissances Européennes en Egypte, et tout spécialement pour nos deux Instituts. L'Autriche a des droits, car elle est la Protectrice de la Vallée du Nil. La France a des droits grâce à la protection qu'elle m'a accordée pour les voyages, et grâce à tout ce qu'elle fera. L'Italie a des droits car nous sommes des citoyens italiens.

Les trois consuls de ces trois nations me traitent aimablement. Personnellement, je me suis maintenu et je crois que je me maintiendrai dans une respectueuse et amicale indépendance.

En implorant une bénédiction spéciale, en plus de celle pour chaque soir, je vous embrasse la main.



Votre obéissant et heureux Fils

Abbé Daniel



P.-S. Monseigneur Ciurcia vous salue de tout cœur. Les trois Camilliens ont écrit au Père Artini.






228
Horaire Inst. Fem Du Caire
0
Le Caire
25.12.1867

N° 228 (216) - HORAIRE

ACR, A, c. 13/6

Le Caire, le 25 décembre 1867

[1527]
HORAIRE JOURNALIER

De l'Institut d'Education des Noires dans le Vieux Caire



A 5h du matin De mars à novembre. A 5h.30 : de novembre à mars

Réveil et nettoyage de la chambre ; toilette de la personne silence

une ½ heure après Exercice du matin et oraison mentale pendant une ½ heure.

Ensuite, Messe et exercice privé de dévotion.

A 7h Petit déjeuner et temps libre.

A 8h Formation religieuse ou concernant le travail,

désengagement d'offices particuliers.

A 11h45 Leçon spirituelle séparée en arabe et en italien.

A 12h Déjeuner et récréation en commun

Travaux dans le jardin comme divertissement.

A 14h Chapelet, exercice et apprentissage de la lecture et de

l'écriture.

A 18h Récréation dans le jardin.

A 18h45 Visite dans l'Eglise.

A 19h Dîner et récréation avec exercices de chant ou musique.

A 20h Exercices du soir et examen de conscience.

A 21h Coucher.



1° N.B. Les exercices de piété qui demandent de la lecture se font séparément dans deux sections : une italienne et l'autre arabe.

2° N.B. La formation des catéchumènes est faite par les Noires les mieux formées sous la direction du Prêtre qui en a la charge et de la Supérieure.

3° N.B. La Supérieure, en accord avec le Père Directeur, fait en sorte que les Dimanches et les jours de Fêtes, le temps soit employé spécialement pour l'instruction catéchistique ou pour des promenades et des divertissements utiles.



Abbé Daniel Comboni






229
Président Société de Cologne
0
Le Caire
27.12.1867

N° 229 (217) - AU PRESIDENT DE LA SOCIETE DE COLOGNE

"Jahresbericht..." 15 (1867), pp. 40-66

Le Caire, le 27 décembre 1867

Rapport de l'année 1867

La première colonie noire de l'Afrique Centrale

aux pieds de Pie IX

[1528]
L'œuvre du renouvellement spirituel de l'Afrique devait avoir sa première consécration sur le tombeau des Princes des Apôtres au moment du triomphe solennel de l'Eglise, lorsque, de toutes les parties du monde, l'Episcopat catholique s'apprêtait à rejoindre la Ville Eternelle pour y fêter la mémoire du dix-huitième centenaire du glorieux martyre des Princes des Apôtres.

La Providence, de façon opportune, avait disposé que la première expédition de missionnaires africains, formés, au centre du catholicisme, à l'apostolat des Noirs, pourrait recevoir force et enthousiasme aux pieds du représentant de Celui qui, par la prédication de l'Evangile, avait appelé sur la route de la vie éternelle toutes les nations de la terre : "Euntes in mundum universum, praedicate Evangelium omni creaturae (Allez dans le monde entier, annoncez l'Evangile à tout le monde)".


[1529]
Je crois opportun d'omettre les différentes raisons qui ont déterminé le voyage à Rome des premières Africaines prêtes pour la mission.

Le Mercredi Saint de l'année 1867, j'avais quitté l'Institut Mazza avec 9 jeunes Africaines accompagnées d'une pieuse Institutrice et de Mlle Marie de la Pierre. Cette dernière, née à Aubonne, près du Lac de Genève, élevée dans la foi de Calvin, avait 17 ans, et était encore protestante, quand j'ai fait sa connaissance dans la maison d'un haut officier de l'armée autrichienne en Vénétie. J'avais demandé à une dame pieuse de lui parler du catholicisme mais, dès la première tentative, elle a dit qu'elle abhorrait une Foi qu'elle ne considérait pas comme supérieure à la sienne. Certes, au début, l'espoir de la convertir à une religion qui lui interdisait de se donner éperdument aux plaisirs mondains et aux vanités du monde, était vraiment petit. En effet, étant si jeune, elle était exposée aux dangers des divertissements et des plaisirs de la vie mondaine auxquels elle s'adonnait.

Mais la grâce qui a déjà triomphé de tant d'âmes rebelles ne connaît pas d'obstacles. Dans sa puissance infinie la grâce attendait cette fille au moment fixé par la Providence pour triompher aussi de son âme. J'avais décidé plus d'une fois de conduire Mlle de la Pierre dans les plus belles églises pour participer à des célébrations solennelles et somptueuses. En effet, la majesté de notre culte extérieur parle de façon admirable au cœur et a déjà fait de grandes conquêtes à la Foi catholique. Le vendredi saint 1864, Mlle de la Pierre entrait dans une église catholique.


[1530]
Pendant les émouvantes célébrations de la Passion de notre Sauveur, elle a été profondément émue et les larmes coulaient sur ses joues. A cause des larmes et des sanglots, elle n'a pu voir que très peu des autres célébrations...

Bref, tout de suite après, à Vérone, elle a été accueillie par mon vénéré Supérieur, l'Abbé Nicola Mazza, dans son Institut. Dix-sept mois plus tard, le 8 septembre 1865, elle faisait sa profession de Foi solennelle en présence de Mgr. l'Evêque de Vérone, Marquis de Canossa, dans la cathédrale de Vérone. Marie de la Pierre est venue à Rome avec les jeunes Africaines et là elle fut confiée aux soins de la Supérieure des Sœurs de Sainte Dorothée. Pour examiner et mettre à l'épreuve sa vocation à l'état religieux, j'ai demandé aux Pères de la Compagnie de Jésus du collège de la Providence de l'examiner, et alors qu'elle était chez les Ursulines comme postulante, j'ai été appelé pour donner mon approbation avant son entrée au Noviciat. Que Dieu fasse d'elle, qui s'est mise à l'ombre de son saint autel, une sainte.


[1531]
Suite à une recommandation de Son Eminence le Patriarche Trevisanato, et à la demande des Sœurs de Sainte Dorothée de Venise, j'ai volontiers accueilli à Padoue trois Africaines pour les faire participer à notre expédition. Le Vendredi Saint, les 14 filles sont arrivées à Rome et furent hébergées dans le Couvent de l'Immaculée Conception près de la Basilique de Sainte Marie Majeure.

J'ai profité de l'occasion de notre séjour dans la ville des papes, pour présenter les Africaines à Son Eminence le Cardinal Barnabò qui les a accueillies avec une grande bienveillance. Plusieurs fois, il a demandé à pouvoir les présenter à d'autres Cardinaux et à différents Prélats, princes et princesses de Rome. Tout le monde en a été enthousiasmé. Monsieur le Baron von Gmainer, mon illustre ami, Colonel et aujourd'hui Général du grand mécène le Roi Louis Ier de Bavière qui avait passé l'hiver à Rome dans son palais "Villa Malta", eut la courtoisie de les présenter à Sa Majesté après une intéressante visite à tout le groupe.


[1532]
L'insigne vieillard nous a accueillis dans son palais avec beaucoup de gentillesse, le jour précédant son départ pour l'Allemagne. Il a même daigné parler longuement avec les filles, il a posé à chacune d'entre elles une question, il a montré le fameux palmier qui se dressait majestueux dans son jardin, et leur a parlé de son voyage en Algérie. La brave Catherine Zenab, fille d'un chef, c'est-à-dire d'un petit roi africain, a eu l'honneur d'être interrogée par cet insigne personnage à propos de ses origines. Mais la pauvre fille, intimidée par la dignité et la noblesse du vieux monarque, n'a pas répondu à plusieurs questions. Ce fut une grande journée pour ces pauvres créatures africaines qui, une fois rentrées chez elles, dans leurs tranquilles et modestes cases, parleront encore longuement des beaux jours vécus dans la Ville Eternelle.

A Rome, il y a aussi un noble personnage dont le nom est béni par les pauvres et par de nombreux Instituts religieux.


[1533]
De nombreux couvents, crèches, collèges, hôpitaux et d'autres Instituts de bienfaisance sont les témoins éloquents de l'excellente charité chrétienne de ce saint vieillard : Monsieur le Comte Vimercati, veuf d'une princesse Bourbon.

Un jour, lorsque le Comte était gravement malade, Mgr. Pacifici m'a dit à propos de ce grand bienfaiteur de l'humanité : "Si le Comte Vimercati meurt, ce sera un malheur pour Rome. Je ne connais pas au monde un laïc qui ait reçu de Dieu une piété si profonde et qui ait vécu avec autant de perfection chrétienne comme ce vertueux Monsieur." La puissance de la grâce de Jésus-Christ a fait des miracles dans cette âme docile, grâce aux conseils éclairés qu'il recevait des Pères Jésuites qui, depuis plusieurs années, avaient assumé la direction de son âme. Les Pères lui ont donné le centuple des aides matérielles qu'il leur attribuait, en lui inculquant les héroïques sentiments de piété, de dévouement et de charité qui lui ont assuré la vie éternelle.


[1534]
En tant que protecteur du couvent de l'Immaculée Conception où les Africaines devaient être accueillies, le Comte Vimercati se rendit chez le Saint-Père (qui l'aime et l'estime selon son mérite), pour l'informer de l'arrivée d'un groupe d'Africaines à Rome, destinées à constituer au Caire la base d'un Institut qui ne propose rien de moins que d'initier la mise en place du "Plan pour la régénération de l'Afrique".

Sa Sainteté, après avoir assuré au Comte que ce Plan proposé pour la conversion des Noirs de l'Afrique Centrale lui semblait le plus sûr, le plus apte au but et le plus pratique, lui a exprimé sa grande satisfaction pour le voyage des Africaines à Rome et son souhait de voir tout le groupe dès son arrivée dans la Ville éternelle. Or, comme le Saint-Père est occupé par les solennelles célébrations pontificales pendant la Semaine Sainte et aussi pendant les fêtes pascales, qui attirent à Rome beaucoup de chrétiens du monde entier, j'avais décidé de demander au Vatican une audience du Saint-Père tout de suite après l'Octave de Pâques.


[1535]
Le Saint-Père a daigné nous recevoir pendant sa promenade vespérale dans les magnifiques jardins du Vatican le lundi après le dimanche "in Albis".

Le groupe des Noires s'est empressé de se jeter aux pieds de Pie IX pour se laisser insuffler par le Vicaire de Jésus-Christ le véritable esprit de leur noble œuvre de conversion parmi les tribus africaines, et pour recevoir de lui le mandat de l'Eglise. Il était 4 h. 30 de l'après-midi lorsque nous sommes arrivés dans les jardins du Pape, Son Excellence Mgr. Castellacci, Archevêque de Petra, Vice-Gérant de Rome et Supérieur du Couvent de l'Immaculée Conception, avec sa suite et moi.

Les 12 filles nous attendaient avec leurs accompagnatrices, deux Sœurs du couvent. Quelques minutes après, le Comte Vimercati est apparu avec son digne maître de maison, Monsieur Lorenzo Pardini. Nous avons disposé les Africaines en file dans l'allée qui s'étale tout le long de la bibliothèque vaticane, tandis que Monsieur le Comte, Mgr. Castellacci et moi, nous nous sommes mis en bas de la bibliothèque pour attendre le Saint-Père. Notre cœur était joyeux à l'idée du bonheur que la divine bonté voulait nous faire partager.


[1536]
Nous étions là dans l'attente de nous faire insuffler la ferveur par la sainte bouche de Pie IX, le Pape de la Providence, le véritable ami de l'humanité, le sauveur éclairé de la société moderne, le grand protecteur de notre civilisation, le vaillant guerrier ; l'homme patient de ce 19ème siècle, que la génération actuelle vénérera sur les autels comme un saint, le héros immortel, la gloire de la chair de Pierre, dont la force, la sagesse, la valeur, la foi, la piété et la fermeté apparaissent dans toute leur splendeur dans la lutte contre les furieux assauts de l'enfer.

Il est celui qui, en dirigeant le navire de Pierre qui lui a été confié, secourt, sauve, rend l'Eglise Catholique glorieuse, et concourt ainsi à l'accomplissement de la promesse de l'Evangile : "Portae inferi non praevalebunt (Les portes de l'enfer ne prévaudront pas)".

A 17 heures précises, le Saint-Père a descendu les marches accompagné par Mgr. Negrotti et par un autre prélat domestique. Nous nous sommes agenouillés par terre devant lui pour embrasser ses pieds, qui, tout comme ceux du Divin Sauveur, marchent seulement pour faire du bien et pour porter le salut.

Mais lui dans son extraordinaire bonté, nous a fait mettre debout, il nous a présenté sa main pour l'embrasser, et nous a donné sa bénédiction.

Après une amicale salutation au Comte Vimercati, il a dirigé son regard vers le groupe des jeunes Africaines qui l'attendaient à genoux, et il nous a demandé : "C'est bien là l'intéressante expédition ?...Je suis très heureux de les voir...Ce sont les jeunes filles éduquées à Vérone ?...Bien ! bien ! Vous avez obtenu chez toutes les filles le but de l'éducation donnée ?" "Oui, Saint-Père", a répondu Mgr. Castellacci.

"Je mets toutes mes espérances en elles, - a continué le Saint-Père, - en outre, je suis heureux de voir que vous n'avez pas perdu votre peine avec ces filles, car en général plus l'on fait de bien à un Noir, plus il se montre d'habitude ingrat...Dans ma jeunesse en Amérique, nous avons trouvé une fois trois Noirs ; nous étions bien pourvus en vivres, il ne nous manquait rien et on traitait très bien les serviteurs noirs, mais pour nous remercier, ils nous volaient tout le temps. Ils étaient ingrats, menteurs, capables de dire que le blanc est vert et que le rouge est noir. Ainsi pendant longtemps nous ne nous méfiions jamais suffisamment d'eux malgré tout le bien que nous leur avions toujours fait. Mais, comme on dit, c'était perdre sa peine ; ils étaient très ingrats. En Afrique Centrale, les Noirs sont-ils voleurs, ingrats et menteurs comme en Amérique ?"


[1537]
"Saint-Père", lui ai-je répondu, "Nous sommes tous des hommes. Il n'y a pas que le Noir qui ait des défauts. Le Blanc serait ingrat, voleur, menteur, méchant peut-être de façon pire que le Noir s'il se voyait dans la triste condition d'esclave comme ce dernier, qui semble exister uniquement pour servir les mille prétentions et souvent les caprices cruels et bizarres de ses patrons odieux.

Si le Noir, dès son enfance, recevait la formation que reçoit le Blanc il en tirerait peut-être davantage de profit. Seulement avec une grande patience, beaucoup de charité et une solide formation catholique, nous pouvons obtenir tout ce que l'on veut de ces enfants". "En effet Saint-Père - ajouta, ému, le Comte Vimercati - ces Africaines ont fait de grands progrès dans la piété et dans l'instruction ; cela fait seulement 14 jours qu'elles sont dans le couvent, et pourtant la Supérieure m'a dit qu'elles semblaient déjà être des novices".

Nous sommes ainsi arrivés à l'endroit où se trouvaient les filles à genoux. Les yeux, du Pape, pleins de bonté et de grâce, se posaient avec intérêt sur ces créatures noires dont les âmes étaient devenues, dans l'eau du Baptême, plus blanches que la neige.

"Soyez les bienvenues, chères filles - dit-il - je suis heureux de vous voir ; combien êtes-vous ?" "Douze" répondirent-elles d'une seule voix. "Approchez-vous", reprit le Pape.


[1538]
Le Pape s'assit sur un grand fauteuil pendant la conversation avec les filles. A sa gauche siégeait le Comte Vimercati, puis Mgr. Castellacci, moi, Mgr. Negrotti, un autre Prélat et M. Pardini.

C'était une de ces magnifiques journées de printemps dans laquelle la nature déploie toute sa grâce et sa beauté. De magnifiques arbres s'élevaient vers le ciel et formaient un pavillon sous lequel était assis le Pape, habillé en blanc et avec un chapeau rouge qu'il a tout de suite donné à Mgr. Negrotti. A la droite de Sa Sainteté, il y avait une petite table avec des ornements en or ; sur la table, il y avait des petits bouquets de fleurs et un grand panier plein d'oranges.

"Levez-vous chères filles, approchez-vous - dit-il - et mettez-vous en file. Voilà ; vous y êtes toutes ? Une, deux, trois, quatre, etc....douze...très bien ! Vous voulez donc retourner dans vos villages en Afrique !...Mais pour quel motif voulez-vous retourner dans votre patrie ?"

Deux ou trois d'entre elles ont répondu ainsi : "Pour enseigner à nos sœurs la Foi en Jésus-Christ et leur indiquer le chemin vers le Ciel.... Nous voulons partager avec elles les biens que nous avons reçus en Europe". "Vous voulez les rendre blanches, n'est-ce pas ?" continua le Saint-Père. "Oui" répondirent-elles. "Mais comment allez vous accomplir cela si vous êtes vous-mêmes si noires ?" ajouta le Saint-Père. Maria Zerea a répondu au nom de toutes les autres : " Nous voulons les rendre blanches dans l'âme". " C'est juste, c'est juste,- répliqua le Saint-Père - blanches dans l'âme comme vous... Vous êtes blanches à moitié...et combien d'âmes de vos sœurs pensez-vous conquérir à Dieu et guider vers le ciel ? Une douzaine chacune ?". "Plus de douze, beaucoup plus Saint-Père" ai-je répondu en reprenant la parole. "Beaucoup plus " ont répondu toutes les filles ensemble. "Bien, bien" - ajouta Pie IX - mais qu'est-ce que vous direz à vos sœurs là-bas ? Vous parlerez de tout ce que vous avez vu ici en Europe, des belles églises et des palais, des grandes villes ?" "Oui"- répondit Maria Zarea - nous leur raconterons tout, et nous leur ferons connaître aussi notre Seigneur et Sauveur le Christ-Jésus".


[1539]
"Mais qu'adorent les habitants de là-bas ? - demanda le Saint-Père - sont-ils idolâtres ?" Pendant que j'expliquais au Saint-Père que les tribus noires avaient plusieurs croyances et différentes superstitions, et qu'en peu de mots je lui expliquais l'idolâtrie des populations du Fleuve Blanc, une des jeunes m'interrompit en disant au Saint-Père : "Là-bas nous parlerons à tous du Pape, et nous dirons que nous l'avons vu et que nous lui avons embrassé les pieds". "Bien"- répondit-il - comment allez-vous décrire le Pape, ma fille ?" "Nous dirons - répondit Maria - qu'il est le représentant de Dieu, le Chef de l'Eglise, qu'il aime beaucoup aussi les Noirs et qu'il envoie des Missionnaires dans leur pays pour les sauver et pour leur indiquer la voie du ciel". "Bravo, bravo", dit le Saint-Père.

A ce moment là, il a ouvert un paquet apporté par Mgr. Negrotti qui contenait de belles médailles en argent de l'Immaculée Conception. En s'adressant à la Supérieure, et avec son habituelle amabilité il dit : "Que la Mère la plus révérende avance !"


[1540]
La Supérieure s'est agenouillée devant le Saint-Père, a embrassé ses pieds et a reçu une médaille, un petit bouquet de fleurs, une orange et sa bénédiction.

Il en a été de même pour l'autre religieuse. Ensuite Sa Sainteté s'est adressée aux Africaines et a demandé à la plus âgée d'avancer.


[1541]
Elisabeth Caltuma s'est agenouillée devant le Saint-Père qui lui demanda "Seras-tu une mère aussi pour les petites Africaines ?" "Oui, Saint-Père, nous nous efforcerons de traiter ces petites de la même manière que les Institutrices nous ont traitées".

Le Saint-Père remarqua des cicatrices sur son visage, et lui demanda : "Que signifient ces cicatrices ?" Elisabeth répondit que certaines Africaines se font ces cicatrices pour mieux faire ressortir leur beauté. "Bah !" s'exclama le Saint Père en souriant de bon goût.

Au contraire ces signes étaient faits par les esclavagistes pour pouvoir distinguer les esclaves, et pour indiquer les différentes tribus auxquelles ils appartiennent.

"Quelle est donc la raison des cicatrices que tu portes sur ton visage, ma fille ?" demanda encore le Pape. "Je les ai eues à cause d'une maladie" répondit la fille. J'ai alors expliqué que les Noirs ont l'habitude de pratiquer une incision à l'endroit où ils sentent de la douleur pour en faire sortir le sang.

"Avec toutes ces cicatrices, ma chère fille, tu iras au paradis et elles rendront la beauté de ton âme beaucoup plus radieuse que la beauté de ton corps, n'est-ce pas ?" dit le Saint-Père et il sourit.


[1542]
Il donna à elle aussi la médaille, le bouquet de fleurs et l'orange. Après lui avoir embrassé les pieds, la fille se retira. Le Pape s'est ensuite approché de Domitille qui a le visage plus noir que les autres. Elle plaît aussi à cause de deux dents, plus blanches que l'ivoire, qui se superposent ; ainsi celle qui est dessus se voit même si la bouche est fermée. "Ah ! Ah ! Qu'as-tu ma fille ? pourquoi cette dent sort-elle dehors de cette façon ?" "Je crois que c'est un caprice de la nature" lui ai-je répondu. Domitille baissa les yeux et a fait un sourire qui laissa entrevoir les deux dents superposées. Le Pape la regarda attentivement et lui dit : "Tu es très noire, ma fille, mais ton âme, je l'espère, est plus blanche que tes dents...prends !" et il lui donna le même cadeau qu'aux autres. Ce fut le tour de Fortunata, le Saint-Père lui demanda : "Qu'est-ce que tu as appris à Vérone ? Sais-tu coudre, tricoter, broder ?" "Oui, Saint-Père" répondit-elle. Le Comte Vimercati fit alors remarquer au Saint- Père que c'étaient justement ces filles-là qui avaient brodé les parements sacerdotaux en or que Sa Majesté l'Impératrice Maria Anna d'Autriche avait offerts au Pape.

A cette occasion le Saint Père a confessé n'avoir jamais vu de parements aussi beaux et aussi précieux au point qu'à l'exposition mondiale de Paris, ils avaient été primés avec une médaille de première classe. En outre, le Comte dit au Pape que les jeunes filles connaissaient bien toutes sortes de travaux d'aiguille et surtout qu'elles étaient capables de faire de très belles broderies en or et en soie. Emerveillé, le Pape s'adressa à Fortunata et lui dit : "Mais dans ton pays tu ne feras plus de broderies comme celles-ci, là-bas il suffira que tu couses, que tu reprise des bas. C'est bien, ma fille !". En parlant il lui donna ses cadeaux, et il appela la quatrième fille, Louise, la plus petite, mais la plus instruite.


[1543]
"Oh ! tu es une petite maman - lui dit-il - qu'est-ce que tu sais faire ? Tu sais lire, écrire ?" "Oui, Saint-Père, l'arabe et l'italien" répondit Louise. "Bien, alors tu enseigneras à tes sœurs à lire et à écrire". "Oui Saint-Père" répondit-elle.

A la question du Saint-Père concernant le système graphique des Africains, je lui ai répondu que les Noirs qui habitent l'intérieur de l'Afrique, ne connaissent pas l'écriture et qu'ils n'ont même pas de mots pour exprimer les concepts d'écriture et de lecture. Les Missionnaires ont donc dû adopter des signes graphiques approximatifs, et puis l'alphabet latin comme étant le plus pratique pour les étudiants et les missionnaires...

Ensuite le Pape a appelé les autres filles ; il adressa à chacune un mot, posa une question ou fit une observation qui montrait ouvertement l'intérêt qu'il avait pour elles et la joie que lui procurait leur présence. Il fit un cadeau à chacune. Lorsque la dernière (la plus jeune) s'est approchée, Mgr. Castellacci a fait remarquer au Pape que la jeune fille s'appelait Pia, et qu'on lui avait donné ce prénom en souvenir de Sa Sainteté. Le Pape prit la fillette par la main et lui demanda : "Comment t'appelles-tu ?" "Je m'appelle Pia" répondit-elle. " Tu sais ce que signifie ce prénom ?" "Pie IX" répondit-elle. Le Pape sourit de bon goût et nous aussi...ensuite il lui demanda : "Tu sais qui est Pie IX ?". "C'est vous" répliqua-t-elle avec candeur. "Mais qui est le Pape ?" reprit le Saint-Père. Pia répondit : "C'est le représentant de Jésus-Christ". "Bravo ! bravo !" avons-nous crié tous ensemble. "Si tu savais, ma fille",- dit le Pape avec une voix sérieuse en s'adressant à nous tous,- si tu savais ce qu'on veut faire à Pie IX et au Pape aujourd'hui ! Adieu, ma petite, tu prieras aussi pour Pie IX n'est-ce pas ?" "Toujours, Saint-Père" fut la réponse, et après avoir reçu ses cadeaux, elle reprit sa place.

Le Saint-Père donna une médaille aussi à chacun de nous. Il lui en restait encore trois, il m'en donna une deuxième en disant : "Prends une autre médaille parce que tu es un missionnaire". En recevant la médaille de sa main, je lui ai dit : "Comme il vous reste encore deux médailles, je me permets de vous prier de bien vouloir me les donner, car je sais bien comment les utiliser". "Oh mon fils, - répondit-il alors -, pour Pie IX il ne reste que le papier... prends ! Prends" ! Et en me les remettant il laissa tomber par terre le papier. Alors j'ai ramassé le papier et je lui ai dit : "Si Votre Sainteté le permet, je prendrai aussi le papier comme un autre précieux souvenir de Pie IX". "Prends-le, prends-le, pour y envelopper les médailles" me répondit-il.


[1544]
Je me suis mis à ses pieds et je l'ai remercié de ces précieux souvenirs de sa bonté. Le Saint-Père a fait ensuite agenouiller les filles pour leur donner sa bénédiction. Nous nous sommes agenouillés nous aussi. Le Saint-Père alors a adressé aux Africaines une émouvante allocution dans laquelle il les invitait à rendre grâce pour la faveur qui leur avait été accordée de préférence aux autres Africaines qui vivaient encore dans l'ombre du paganisme.

Il a entre autres prononcé ces mots : "Que Dieu vous bénisse, mes chères filles, qu'il vous accompagne dans votre chemin, car vous avez une œuvre difficile à accomplir. Si vous correspondez toujours à la grâce qui vous a été donnée, vous serez heureuses ; vous pourrez alors accomplir des choses que beaucoup de missionnaires n'ont pas pu accomplir jusqu'à présent. Oui ! vous gagnerez des âmes si chacune d'entre vous s'en soucie. Rappelez-vous les principes et les enseignements que vous avez reçus de vos Supérieurs, et soyez toujours reconnaissantes envers eux. Priez pour ceux qui vous ont fait du bien ; priez aussi pour moi, car je suis désormais un vieillard et je vous accompagne spirituellement. Je vous bénis de tout cœur, mes filles : Dominus vos benedicat et ab omni malo defendat, et vos omnes perducat ad vitam aeternam. Amen " ("Que Dieu vous bénisse et qu'il vous défende de tout mal pour vous conduire à la vie éternelle. Amen").


[1545]
Après la bénédiction nous nous sommes levés pour le remercier et prendre congé. Mais le Pape nous a invités à nous promener encore un peu avec lui dans les jardins du Vatican, et en s'adressant aux filles il leur dit : "Venez, venez, vous aussi, mes filles ; je veux vous montrer d'autres beautés de toutes sortes que vous n'avez pas encore vues dans votre pays".

Il se leva, Mgr. Negrotti lui donna le chapeau que le Pape mit sur sa tête ; le Comte Vimercati se plaça à sa droite et Mgr. Castellacci qui était à la droite du Comte eut la gentillesse de me laisser prendre place à la gauche du Pape ; immédiatement derrière nous suivaient les deux Prélats et M. Pardini. A six pas de nous, suivaient les filles disposées en deux rangs.

Pendant que je marchais à côté du Pape avec mon chapeau à la main, il me dit avec une grande amabilité : "Couvre-toi, mon fils, sinon tu attraperas un rhume".

Je mis le chapeau sur ma tête et j'ai continué à marcher à ses côtés, rempli d'émotion. Le Pape m'a demandé si les Africaines avaient déjà vu les grandes merveilles de la ville de Rome, les églises, les basiliques et Saint Pierre. Je répondis affirmativement à sa question et il ajouta : "Combien de temps restez-vous encore à Rome ?" Je lui répondis que nous devrions rester jusqu'au mois de septembre car pour l'orientation définitive du Séminaire Africain de Vérone et pour le renforcement de l'Association du Bon Pasteur pour la conversion de l'Afrique, il me fallait encore trois ou quatre mois.


[1546]
"Très bien, - ajouta-t-il, en s'adressant au Comte Vimercati - alors nous verrons encore les Africaines, n'est-ce pas ?". "Si Votre Sainteté le désire - répondit le Comte - je serai honoré de les accompagner chez vous encore une fois".

Le Comte ajouta qu'il avait l'intention de faire prendre une photo du groupe des Africaines par le neveu d'un vieil Evêque de la Toscane et le Pape manifesta son désir d'en avoir une copie. Au mois de juillet, le Comte fit faire une grande photo de tout le groupe, et ensuite il en envoya une copie à Sa Sainteté qui, avec une grande joie, l'a accrochée au mur de la pièce à côté de la salle d'accueil des ambassadeurs. Sur cette photo, il ne manque que Elisabeth Caltuma qui à ce moment-là était malade.

Pendant la promenade, le Pape a eu la bonté de s'entretenir avec nous de plusieurs sujets ; nous avons entre autres parlé de l'Afrique, de l'actualité politique, de la Mission de Tonello. En cette circonstance il m'a dit : "J'avais commencé à prévoir des Evêques pour les sièges vacants de la malheureuse Italie, mais arrivé à un certain point, j'ai dû m'arrêter, car je n'y voyais pas clair". Je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander s'il espérait voir l'Eglise triompher, et la papauté reconquérir les provinces enlevées par ses ennemis, comme le souhaitait ardemment tout le monde catholique.

"L'Eglise gagnera certainement" - me répondit-il, - mais humainement parlant, je n'ai pas pour le moment le moindre espoir ; à présent, l'horizon nous montre seulement des raisons qui sont contre nous ; mais mon espoir repose uniquement en Dieu". Alors je l'interrompis : "Ah ! Saint-Père, sous le soleil vous ne voyez pas de traces d'espoir, et pourtant, je suis convaincu que Votre Sainteté est certaine de voir le triomphe de l'Eglise, et peut-être ce moment tant attendu est-il très proche". "Si cela était si certain, - répondit le Saint-Père - où serait alors la Foi ?... Prions, prions, et alors, Dieu sera avec nous".


[1547]
Le Pape a interrompu deux ou trois fois notre conversation pour attirer notre attention sur diverses merveilles des jardins du Vatican, et pour nous montrer de nombreuses vues panoramiques. En effet, nous étions arrivés dans un endroit où s'ouvraient devant nos yeux, d'un côté la chaîne des monts de la Sabinie et du Latium, et de l'autre, les plaines sans vie où est située, comme une ville dans le désert, Rome. On la voit avec toutes ses ruines et ses nombreuses églises dont les clochers et les coupoles s'élèvent dans le ciel. Vision si charmante que les faux prophètes qui viennent ici pour se moquer d'elle, se voient contraints de la bénir et d'en rester époustouflés. Non loin, s'élève le Palais du Vatican, la résidence des Papes. Ici, c'est l'asile mystérieux où, à l'ombre vénérable de la Coupole de Saint Pierre, le Suprême Pasteur tient dans ses mains le gouvernement de l'Eglise et où il résume, en tant que Chef du peuple croyant, l'histoire du monde. Ici l'homme disparaît sous la sublimité de sa vocation.

L'auguste solitude de ce Palais oblige l'âme à un respect profond, et le chrétien ne peut pas s'empêcher d'avoir un grand sentiment de vénération devant cette majesté du Prêtre que le Christ nomme Son Vicaire, et devant lequel l'univers s'agenouille. L'émerveillement provoqué par les antiquités de Rome se transfère sur le Pape et la magnifique impression qu'on peut avoir au Vatican est la même que l'on éprouve à ses pieds.

Nous étions devant le belvédère. Au milieu de la prairie qui s'étale jusqu'au mur d'enceinte, se trouve un petit lac entouré de pierres. Au centre du lac, se dresse une gracieuse fontaine de bronze en forme d'élégant bateau de guerre, dont les canons éjectent des jets d'eau dès qu'un dispositif caché non loin du lac se met en mouvement. Cette œuvre d'art remonte au début de ce siècle. Le Pape nous a montré et expliqué le mécanisme de fonctionnement, et ensuite, il nous a demandé de reculer et de faire avancer les jeunes filles. Alors que j'étais resté encore quelques instants pour mieux observer la fontaine, le Pape me tapa sur l'épaule et me dit en souriant aimablement : "Viens vite, mon fils, laisse approcher les filles".

J'ai alors reculé et les jeunes filles se sont avancées.

"Observez les beaux poissons qui nagent ici dans l'eau" leur dit le Pape ; et pendant que les jeunes filles regardaient avec curiosité dans l'eau en bavardant entre elles, le Saint-Père fit signe au jardinier de mettre en marche le mécanisme, et à l'instant où il disait "Regardez, regardez", tout à coup les canons ont aspergé d'eau les Africaines qui se sont enfuies en criant, tandis que leurs voiles papillonnaient dans l'air. Elles s'arrêtèrent à dix pas de la fontaine en grand silence. Le Pape observa les jeunes filles qui s'enfuyaient, et en souriant il dit avec une évidente hilarité :

"Ces filles ressemblent à douze âmes du purgatoire..., mais de celles qui n'ont pas encore escompté leur peine...vous comprenez", et il sourit, "de celles qui doivent souffrir au purgatoire encore pendant quelque temps". Je n'arrive pas à décrire l'hilarité de Pie IX à ce moment là, ni le plaisir que nous avons aussi éprouvé avec lui. Quand les jeunes filles se furent calmées, nous avons poursuivi jusqu'à un petit jardin composé d'une vingtaine de parterres de fleurs et de bosquets de plantes toujours vertes.


[1548]
Nous nous sommes promenés sur des petits sentiers et à chaque instant, il y avait des machines hydrauliques en fonction qui éjectaient de l'eau de tous les côtés jusqu'à nous. Le Pape riait franchement et il s'amusait en voyant le Comte Vimercati qui avait été aspergé. Nous avons traversé lentement le jardin deux fois jusqu'à l'escalier de la bibliothèque. Le Pape était très content et il nous a manifesté sa grande joie et sa satisfaction pour avoir passé l'après-midi en compagnie des Africaines ; il a particulièrement remercié le Comte Vimercati.


[1549]
Deux Africaines, Elisabeth Caltuma et Maria Zarea se sont approchées du Pape et agenouillées devant lui, elles lui ont dit : "Saint-Père, nous recommandons à votre cœur nos malheureux frères et sœurs de l'Afrique Centrale ; ils n'ont pas encore connu le vrai Dieu, et peut-être seront-ils perdus". A ces derniers mots, elles ont commencé à pleurer. Le Pape accueillit cette supplique avec beaucoup d'émotion et il leur recommanda de prier la Vierge, conçue sans péché, qu'elles aimeront et vénéreront comme leur Mère. Ensuite, il nous a tous bénis une dernière fois, et après avoir échangé deux mots avec le Comte Vimercati et Mgr. Castellacci, il nous exprima le souhait de nous voir encore une fois chez lui, et accompagné des deux Prélats, il a monté les escaliers et il s'est retiré dans ses appartements.

Nous avons eu le bonheur de rester en compagnie de Pie IX pendant plus d'une heure et demie. Pour les Africaines, ce jour restera le plus beau de leur vie, et il restera gravé à jamais dans mon esprit. Je le considère comme une faveur spéciale de la Providence, comme une grâce dont le souvenir sera pour moi dans toutes les situations difficiles de mon orageux pèlerinage sur cette terre, une garantie spirituelle de force et de consolation.


[1550]
J'allongerais trop mon rapport si je vous racontais la place de choix importante qu'a eue notre groupe de filles africaines pendant les célébrations solennelles du 18ème jubilé du martyre de Pierre.

Il suffit de dire que le 29 juin, justement le jour de cette glorieuse Fête pour l'Eglise, nos 12 filles ont eu une place éminente dans la Basilique du Vatican.

Les places leur avaient été procurées par Mgr. Borromeo, maître de Palais de Sa Sainteté. Ainsi, le premier groupe de l'Afrique Centrale a participé à la fête la plus solennelle que le culte extérieur de l'Eglise puisse présenter aux yeux du monde au 18ème siècle de son existence.

Excusez-moi d'avoir trop détaillé les paroles du Pape, nos discours et les plus insignifiantes circonstances de notre audience avec le Saint-Père. La vérité parle par la simplicité. Voici mes raisons :

Dans notre conversation avec Pie IX, nous avons eu l'occasion, d'une part d'admirer le personnage le plus distingué de l'univers, celui que les plus puissants de ce monde couvrent de respect, celui dont la vocation divine s'élève au dessus des plus nobles et des plus voyantes initiatives humaines et d'autre part, ce fut l'occasion de présenter des êtres humains appartenant à la catégorie des plus démunis et des plus humbles : les pauvres Africains dont l'histoire de leur vie offre des détails que notre civilisation devrait méditer avec effroi.


[1551]
Mais cette image de Pie IX avec les Africaines à ses pieds, soulève notre esprit au-dessus de la terre. Elle nous représente deux des principaux moments de la vie du Divin Rédempteur qui nous dévoilent deux aspects sublimes de son caractère ; Jésus-Christ qui se fait petit avec les petits et qui les invite à venir chez lui : "Laissez les enfants venir à moi", et Jésus-Christ qui donne à ses premiers apôtres la mission d'annoncer l'Evangile au monde "Allez dans le monde entier, et annoncez l'Evangile à toutes les créatures".

Pie IX aussi s'est fait petit avec les Noirs, il les a appelés à ses pieds, il a daigné parler avec eux, il s'est laissé instruire sur leurs tribus, leurs pays, leurs conditions de vie, leurs frères et sœurs perdus. Il trouve sa joie précisément en cela : verser sur eux ses grâces, ses bénédictions, ses bienfaits, sa bonté. Il les réconforte, les encourage, il leur indique le chemin de la vraie vie, il leur donne pleinement l'exemple admirable de l'Evangile : "Laissez les enfants venir à moi".

Pie IX a reconnu dans les cicatrices sur les visages de ces enfants, la condition de beaucoup de tribus et de grands peuples qui souffrent encore sous le poids de l'esclavage et des ténèbres de la mort et sur lesquels pèse encore la terrible malédiction de Cham.


[1552]
Leur regard trahit les signes d'intelligence, d'esprit et de dévouement. Leur conduite modeste, respectueuse et recueillie est le reflet de l'éducation religieuse et civile qu'elles viennent de recevoir de l'Eglise Catholique, et par conséquent de la vocation à l'apostolat, auquel les a préparées la Providence. Le Pape voit en elles les premiers messagers de la Foi parmi les tribus noires, les personnes les plus aptes à la civilisation de leur pays, les instruments les plus adaptés à la conversion de leurs frères abandonnés, les premières héroïnes de l'apostolat des Noirs.

A cause de tout cela, le grand cœur de Pie IX avec son zèle pour le salut des âmes de l'univers entier, bénit ces 12 Africaines comme étant les 12 premières éducatrices des Noirs ; il remplit leurs âmes de courage, de confiance, d'amour, de dévouement ; il élève au-dessus de la terre leurs sentiments, réchauffe leurs cœurs avec son ardeur prophétique, confirme leur mission et répète à ces nouvelles apôtres de l'Afrique, pour ainsi dire, les paroles du divin Rédempteur : "Allez...et annoncez l'Evangile ".

Considérez ces deux points, et à leur lumière, pensez à Pie IX qui reçoit à ses pieds le premier groupe de Noires de l'Afrique Centrale.


[1553]
Soyez certain que ce n'est pas uniquement l'intérêt que je porte à la régénération de l'Afrique qui m'a poussé à écrire cette petite relation, mais c'est tout d'abord le sentiment de gratitude, de vénération et d'amour que je voulais manifester pour le Vicaire du Christ, mettant ainsi en lumière une fois de plus la bonté, l'amabilité et le zèle du Souverain Pontife pour le salut des âmes les plus abandonnées. Les siècles à venir le vénéreront comme l'incarnation de l'amour catholique, comme un modèle parfait, et une image vivante de Celui qui a dit :

"Laissez les enfants venir à moi " et aussi "Allez dans le monde entier, annoncez l'Evangile à toutes les créatures ".



Abbé Daniel Comboni

Traduction de l'allemand.






230
Le Plan
1
Rome
1867
N° 230 (218) - LE PLAN

ACR, A, c. 25/9 n. 2



3ème Edition, Typographie Propaganda Fide - Rome. Avec de petites modifications.





1867