Comboni, en ce jour

Dans une lettre à Elisabetta Girelli (1870) de Vérone l’on lit:
Nous sommes unis dans le Sacré-Cœur de Jésus sur la terre pour être unis ensuite au Paradis pour toujours. Il faut courir à grands pas sur les chemins de Dieu et de la sainteté, pour ne s'arrêter qu'au Paradis.

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N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
241
Card. Alessandro Barnabò
0
Le Caire
12. 3.1868

N° 241 (226) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SC. Egypte, v. 20, ff. 1225-1226v

Le Caire, le 12 mars 1868

Eminent Prince,

[1576]
Dieu, me semble-t-il, dans son infinie miséricorde, a accordé ses bénédictions à l'Œuvre pour la régénération de la Nigrizia qui vient de commencer en suivant les indications de mon Plan. Je juge opportun, donc, de faire part à Votre Eminence des premiers pas de l'Œuvre et de ses espoirs.


[1577]
A la fin du mois de novembre dernier j'ai quitté Marseille avec trois Missionnaires, trois Sœurs de Saint Joseph et seize filles africaines. En tout 23 personnes.

Après avoir obtenu du Pacha d'Alexandrie le passage gratuit dans les trains égyptiens, nous sommes bien arrivés au Caire, la veille de l'Immaculée Conception. Pour cette expédition, nous avions avec nous 46 caisses d'affaires personnelles et de provisions. Le Gouvernement français nous a fait épargner 2.168 écus, le Gouvernement égyptien 324 écus ; en tout, nous avons économisé 2.492 écus.


[1578]
Pour la somme de 336 écus par an, j'ai pris en location le couvent des Maronites dans le Vieux Caire. Le Couvent a comme annexe une ancienne maison qui se trouve à cent pas de la grotte de la Bienheureuse Vierge Marie, où la tradition veut que la Sainte Famille ait habité pendant son exil en Egypte.

Dans les deux maisons, séparées par une église assez grande, j'ai ouvert deux petits Instituts qui, grâce à Dieu, fonctionnent très bien. Les Missionnaires s'occupent surtout de la direction spirituelle des deux Instituts naissants, de l'étude des langues africaines et des coutumes de l'Orient, ainsi que des œuvres de charité en faveur des malades. Etant donné les controverses assez compliquées entre certaines institutions, que notre perspicace Délégué arrivera peut-être à résoudre, j'ai décidé que notre activité ne devra jamais sortir des limites de nos projets.


[1579]
Notre but est très clair : l'apostolat en faveur de la race noire. L'Institut féminin est en train de bien se développer ; et grâce à l'œuvre de nos jeunes Africaines, de véritables Filles de la Charité, nous avons déjà fait quelques conquêtes pour le ciel. Votre Eminence connaît bien le but principal de nos Instituts : former et instruire dans la Foi et dans les métiers les filles et les garçons africains afin qu'à leur tour, après avoir reçu l'éducation nécessaire, ils puissent pénétrer dans les territoires de la Nigrizia et être des apôtres de la Foi et de la civilisation pour leurs compatriotes.

A ce but principal, il me semble que la Providence veut ajouter un but secondaire mais de non moindre importance, c'est-à-dire la conversion d'un bon nombre d'âmes. L'existence de deux groupes de Noirs au Caire, éduqués dans la Foi et la civilisation chrétienne, constitue un important élément d'apostolat en faveur des Africains non catholiques qui demeurent en Egypte. Simplement en voyant nos jeunes Africaines, en conversant avec elles, et en les entendant chanter, beaucoup d'autres filles, encore infidèles, ont eu envie de devenir catholiques.


[1580]
Etant donné la susceptibilité du fanatisme musulman et la vigilance de la franc-maçonnerie, laquelle, guidée par trois Loges, a réussi à répandre dans la capitale le venin de la haine contre notre sainte Religion au sein de toutes les classes et les races, il est opportun de procéder avec beaucoup de prudence en étudiant bien le moment providentiel pour admettre les aspirantes dans l'Eglise Catholique.


[1581]
Par contre, pour le moment, je crois qu'il ne sera pas difficile de gagner à Jésus-Christ beaucoup de ces Africains qui, en tant qu'esclaves ou serviteurs, demeurent dans les familles de bons catholiques où il est naturel, une fois convertis, qu'ils persévèrent plus facilement dans la Foi. En m'occupant de cette activité très importante, j'ai eu la preuve claire qu'ici, il y a encore la coutume, même dans les familles très chrétiennes, d'abandonner les domestiques à eux-mêmes. S'intéresser à eux est vu comme une chose humiliante. Exception faite de quelques familles vraiment singulières, la triste règle de négliger l'instruction religieuse des Noirs demeure, alors qu'ils auraient besoin plus que d'autres d'avoir la Foi.


[1582]
Souvent, ces Noirs ont le malheur de tomber sous le despotisme d'une vieille servante musulmane, qui leur impose facilement ses superstitions sans que les patrons s'en préoccupent. Nous connaissons certains Africains qui de cette manière, sont devenus musulmans dans la maison-même de leurs patrons éminents catholiques. Suite à cela, nous espérons que s'ouvrira peut-être un bon champ d'apostolat pour les Instituts des Noirs. Pour confirmer cela je peux citer la récente conversion d'une Africaine de dix-huit ans, la première fleur que notre Institut est heureux d'avoir offerte à l'Eglise et au Paradis.


[1583]
Il y a cinq ans, est arrivée au Caire une jeune fille, de la tribu des Denka, qui s'appelait Mahbuba, enlevée par des Giallabas, inhumains et avides marchands d'esclaves. Le seul qui possède le secret de tirer le bien du mal, avait déjà compté sur l'Œuvre de notre Institut féminin pour destiner à un bonheur éternel la pauvre Mahbuba, bien qu'aux yeux des hommes elle ait semblé être une des plus malheureuses créatures de la terre. Après qu'elle eût été vendue et revendue plusieurs fois à des patrons musulmans, Dieu disposa qu'elle soit achetée par une pieuse dame catholique grecque du Caire qui lui a appris à prononcer les chers noms de Jésus et de Marie dans lesquels réside notre unique espoir du salut.


[1584]
Il faut dire que l'Esprit-Saint depuis longtemps avait commencé son œuvre dans cette âme ; en effet, assez vite elle adhéra aux quelques notions du christianisme que sa patronne lui avait transmises fortuitement. Cela n'était pas suffisant pour lui donner la force qu'elle a vite montrée dans sa lutte contre les tentations des fanatiques musulmans.

Au bout de quelque temps, Mahbuba tomba malade. La maladie a lentement dégénéré en tuberculose. Ainsi elle a risqué de redevenir la proie des musulmans qui ont essayé, avec plus de vigueur de l'endoctriner et de lui faire professer les faux dogmes de l'Islam. Mais Dieu veillait sur cette âme. Elle ne connaissait que quelques mots isolés de notre Foi, reçus par sa patronne, et pourtant, toute seule, elle a compris que la sainteté de notre Foi ne correspondait pas du tout à l'instruction qu'elle recevait des autres domestiques musulmans. Elle n'avait jamais pu accepter leurs enseignements et ne s'était jamais sentie comblée par ces doctrines, mais personne d'autre n'était capable de lui en donner de meilleures. Pour cela elle était triste et découragée.

Ses maîtres commencèrent alors à s'irriter, à la menacer et à la frapper.

A l'occasion de certaines fêtes de l'Islam, ils l'obligeaient à accomplir avec eux les rites prévus. Bien que la tuberculose se fût déjà manifestée, elle aussi devait, pendant le Ramadan, jeûner jusqu'au coucher du soleil. La malheureuse Mahbuba ressentait de plus en plus le manque du vrai Dieu. Son âme, sans le savoir, Le désirait sans cesse. De temps en temps de sa bouche sortaient les quelques mots qu'elle avait appris de sa patronne : "Jésus, Marie..., chrétienne..., baptême..., paradis etc..." Elle ne connaissait pas les réalités divines que ces mots cachaient, mais le fait de les répéter lui apportait un grand réconfort. Comme vous pouvez l'imaginer, ces mots représentaient autant d'épines pour ceux qui voulaient à tout prix qu'elle reste musulmane. Ils ont pensé qu'en l'isolant ils arriveraient à la vaincre. Cela ne présentait pas de difficulté car, en Orient la tuberculose est une maladie redoutable considérée comme une espèce de peste. Ils ont convaincu la patronne de transférer Mahbuba dans une de ses villas où elle a été prise en charge par de nouveaux bourreaux musulmans, déjà bien instruits par les premiers.


[1585]
Sous prétexte de la guérir avec certaines pratiques à eux, mais en fait pour accélérer sa mort avant qu'elle ne puisse devenir chrétienne, ils allumaient de grands feux, et ils obligeaient Mahbuba à rester des heures et des heures près du feu. De temps en temps, ils l'enterraient sous du sable brûlant pendant une bonne partie de la journée. Ainsi, au bout d'un certain temps, Mahbuba était réduite à l'extrême. Alors sous prétexte de tuberculose, ses ennemis obtinrent de la patronne la permission de transférer Mahbuba à l'Hôpital turc. Ils exultaient pour leur triomphe diabolique ; mais Dieu décida justement de les confondre en faisant connaître, entre temps, notre Institut pour Africaines qui venait d'être fondé, à la patronne grecque. Sa conscience, qui n'était pas tranquille, et ne pouvait pas l'être, la poussa à me contacter pour me demander d'accepter Mahbuba.

Le jour même, je suis allé à l'Hôpital turc pour lui rendre visite, et aussitôt elle fut transférée chez nous. Mahbuba était des nôtres.

Son âme semblait voir le sort que Dieu lui avait prédestiné parmi nous. En voyant les jeunes Africaines qui s'occupaient d'elle pour l'instruire et l'assister, qui faisaient le signe de la croix et portaient la médaille reçue du Saint-Père, Mahbuba dit : "moi aussi, moi aussi, je veux devenir chrétienne comme vous." Comme elle appartenait à la tribu des Denka, j'ai mis à ses côtés une jeune de cette ethnie, et quelques jours après elle me répétait en arabe et en Denka les principaux mystères de la Foi et les Sacrements. Mahbuba buvait avec avidité la science de son éternel salut. Elle ne trouvait pas la moindre difficulté pour croire et répétait avec ses compagnes, chaque fois que l'occasion se présentait, les dogmes de notre religion.


[1586]
Une fois connue l'ineffable signification qui se cachait dans les saints noms de Jésus, de Marie et de Joseph, elle n'en finissait pas d'embrasser les saintes images, et elle leur demandait, aussi bien qu'à nous, le saint Baptême.

C'est pourquoi, après avoir consulté mes autres compagnons, j'ai décidé de ne pas différer cette grâce au delà du soir du 11 février. Il était 9 heures du soir, et la chambre de Mahbuba était éclairée par les flambeaux du petit autel que les jeunes filles africaines avaient improvisé. Lorsque je me suis habillé avec les parements sacrés, tous se prosternèrent en prière. La jeune fille comprit que le moment tant attendu était arrivé, et elle salua cet événement avec un extraordinaire sourire de joie que nous avons vu sur son visage, dans ses yeux, sur ses lèvres. Nous avons vécu un moment de grande émotion ; la voir ainsi concentrée et recueillie pour accompagner notre prière était attendrissant.

Lorsqu'elle a senti couler sur sa tête l'eau de la régénération, son visage est devenu extraordinairement radieux, et dans une grande joie elle a dit : "ana Myriam, je suis Marie." En effet, nous voulions lui donner ce nom pour consacrer à la Divine Mère de notre Œuvre sa première fleur. La jeune fille a souffert les douleurs du martyre, mais la puissance de la grâce est sans mesure ! Elle voulait souffrir davantage et trouvait un réconfort indicible en embrassant le crucifix.

Le 14 février, Mahbuba est partie au paradis pour prier pour la conversion des Noirs.


[1587]
Son Excellence le Délégué Apostolique nous aime bien. Il nous a fait l'honneur de nous rendre visite. Il reviendra après la Saint Joseph dans la paroisse du Vieux Caire pour donner la confirmation. Dans cette paroisse, le Curé est un pieux et bon Franciscain avec lequel je me suis entendu pour le Baptême de Mahbuba.

Je n'ai pas de mots pour remercier Votre Eminence pour la paternelle assistance que vous m'avez prêtée dans la terrible controverse que j'ai eue à Rome avec Mgr. le Vice-Gérant. Après Dieu, c'est à vous que je dois la bonne réussite de cette pénible affaire qui, je l'espère avec la grâce de Dieu, sera la dernière.

En embrassant votre Pourpre Sacrée, je me déclare



votre humble et dévoué

Abbé Daniel Comboni






242
Card. Alessandro Barnabò
0
Le Caire
13. 3.1868

N° 242 (227) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SC, Egypte, v. 20, f. 1227

Le Vieux Caire, le 13 mars 1868

Très Eminent Prince,

[1588]
Les deux instituts pour la conversion des Noirs récemment fondés au Vieux Caire étant totalement dépourvus d'ornements sacrés et de tout objet de culte, le soussigné s'adresse humblement à Votre Eminence pour vous supplier de bien vouloir daigner lui accorder une provision d'ornements et d'objets de culte produits par l'Œuvre Apostolique de Rome, dont la distribution aura lieu au cours de ce mois de mars.

Dans l'espoir d'obtenir cette grâce, j'ai l'honneur d'embrasser votre Pourpre Sacrée et d'être



votre humble et dévoué serviteur

Abbé Daniel Comboni

Supérieur des Instituts des Noirs






243
Mgr. Luigi di Canossa
1
Le Caire
29. 3.1868

N° 243 (228) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/54

Le Caire, le 29 mars 1868

Résumé d'une lettre de Daniel Comboni.

244
Abbé Alessandro Dalbosco
0
Le Caire
2. 4.1868

N° 244 (229) - A L'ABBE ALESSANDRO DALBOSCO

ACR, A, c. 38/24 n. 4

le 2 avril 1868

[1589]
"......Nos Missionnaires n'aiment pas trop M. Girard parce qu'il fait comme si l'Œuvre et le Plan étaient les siens, etc..

Laissons faire le Seigneur. J'écrirai à M. Girard en l'encourageant à avoir un grand intérêt pour l'Œuvre des Noirs. Mais je me limiterai à peu d'éloges :

1° parce qu'il est un peu exalté, ou mieux il a la réputation de l'être.

2° parce qu'il a exprimé dans son journal un avis contre les Franciscains, en disant que leur œuvre ne suffit pas à l'Apostolat de la Terre Sainte et de l'Egypte (et en cela il à raison). Mais du moment qu'ici, nous sommes parmi les Franciscains, avec lesquels je suis en bons rapports et en paix, et qui m'assistent, et du moment que le Délégué est un Franciscain qui parle avec peu d'égard de Girard, j'estime prudent de bien mesurer les éloges visant Girard. D'ailleurs tirons parti de son aide car il peut nous ouvrir le chemin vers d'énormes avantages de France...".






245
Abbé Alessandro Dalbosco
1
Le Caire
10. 4.1868
N° 245 (230) - A L'ABBE ALESSANDRO DALBOSCO

ACR, A, c. 14/133



Le 10 avril 1868



Résumé d'une lettre de Comboni.





246
Abbé Alessandro Dalbosco
1
Le Caire
18. 4.1868
N° 246 (231) - A L'ABBE ALESSANDRO DALBOSCO

ACR, A, c. 38/24 n.5



Le 18 avril 1868



Résumé d'une lettre de Comboni.





247
Mgr. Luigi di Canossa
0
Le Caire
1. 5.1868

N° 247 (232) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/55

Que Jésus et Marie soient loués.

Le Caire, le 1er mai 1868

Excellence Révérendissime,

[1590]
Dans ma dernière lettre, j'ai oublié de vous dire que le petit Africain Girolamo Rihhan, que j'ai reçu avec moi depuis le début, est parti le 2 avril pour le repos éternel avec tous les sacrements, sûr d'aller au paradis. C'est une âme sauvée de la perdition, car il était un des onze Africains éduqués à Naples, d'où ils furent expulsés. En Egypte, hélas ! ils ont commencé à mener une vie de débauchés ; certains vivent en concubinage avec des femmes turques, d'autres avec des hérétiques, d'autres encore en s'adonnant au vol, etc.

Comme Giacomo Rihhan était malade de tuberculose, j'ai décidé de l'accueillir dans l'espoir qu'il mourrait converti. Il a fallu deux mois pour le convaincre de se confesser. La grâce a triomphé sur lui, et maintenant il est certain qu'il est sauvé.


[1591]
Dimanche dernier, fête dédiée au Bon Pasteur, fut pour notre Institut un véritable Paradis. Nous avons solennellement baptisé une jeune Africaine de 18 ans que nous avions bien formée, et à laquelle nous avons donné le nom de la Marquise, votre belle-sœur, Maria Clelia. Ce sont de véritable joies pour un missionnaire, et du moment que nous avons décidé de partager non seulement les peines, mais aussi les joies, voici le moment de l'allégresse. C'est une véritable joie de pouvoir baptiser ; cette fois-ci, c'est le Père Zanoni qui a eu cet honneur.

Dès que le Père Carcereri aura terminé de rédiger la biographie de la "Première Fleur ", je vous en enverrai aussitôt une copie, car je suis certain que Dieu sera glorifié, et que votre cœur paternel s'en réjouira.

Il semble qu'une guerre secrète nous ait été déclarée par les Franciscains de la Terre Sainte, car ils ne voient pas d'un bon œil le peu de bien que nous faisons.

Ici, au Vieux Caire, il y a une paroisse, et le Curé, un Franciscain, est un véritable missionnaire.


[1592]
Non seulement je m'entends bien avec lui, mais il a lui-même assisté au dernier Baptême que nous avons célébré avec son plein consentement. Après le Baptême, j'ai écrit un bref rapport à Mgr. le Délégué en Alexandrie. Je suis pleinement en règle avec le Curé et le Délégué. Et, en effet, après avoir demandé conseil au Curé et à nos missionnaires, j'ai ordonné que le Baptême soit célébré chez nous malgré les remontrances des Franciscains du Couvent du Grand Caire qui réclamaient le droit de baptiser toutes nos converties dans leur église, et par eux-mêmes, après leur appréciation. Voilà, c'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet. Assez sur ce point, à propos duquel il y aurait beaucoup à dire, mais je ne veux pas être trop bavard.


[1593]
Nous allons de l'avant avec tout le respect et la prudence possibles ; avec le temps, Dieu nous donnera la grâce de surmonter un des plus grands obstacles au développement de l'apostolat en Egypte en faveur des Noirs : c'est-à-dire les intrigues des Franciscains de Terre Sainte.

En attendant, j'espère pouvoir consacrer à Marie en ce mois de mai (que nous avons commencé hier avec un petit sermon chaque soir) la conversion de deux autres filles africaines de 16 ans. Il faut les instruire en grand secret, car si cela devient notoire, il y a des gens qui essayeraient de convaincre les patrons de ne pas parler du catholicisme aux Africaines et donc de ne pas nous les confier.

Courage, Monseigneur ! les œuvres de Dieu doivent être mises à l'épreuve par le démon. C'est au prix de nombreuses croix que l'on gagne la palme et que l'on triomphe.


[1594]
Je suis tellement opprimé par toutes sortes de croix que je n'ai pas envie d'écrire autre chose. La Supérieure est en pleine tempête, et je ne sais pas si elle s'en sortira. En outre, il y a quatre autres gravement malades. En ce qui me concerne, je ne suis debout que depuis hier. J'ai eu des fièvres à partir du dimanche in Albis ; toutefois, je n'ai pas pu célébrer la Messe pendant trois seuls jours. Que Jésus soit toujours béni.


[1595]
Permettez-moi seulement de dire un mot à propos de ce qui m'a été écrit par l'Abbé Dalbosco. Celui-ci n'a pas compris notre position à l'égard de M. Girard. Il dit savoir, tout comme l'Evêque de Vérone, que nous désirons rompre les relations avec M. Girard, et que nous sommes un peu vexés parce que M. Girard, honnête homme, veut faire sien le Plan de l'Abbé Comboni.

Eh bien, je déclare à Votre Excellence que les deux propositions sont fausses ; et je vous le dis avec la même sincérité que j'ai lorsque je vais me confesser.

Je vous répète, non seulement tout est faux, mais je n'ai jamais eu cette pensée.

Au contraire, pour certaines perspectives futures, je suis content que M. Girard ait de bonnes relations avec le Chef de l'Œuvre pour la Régénération de l'Afrique et qu'il fasse sien notre Plan, comme ceux de Cologne l'ont d'ailleurs déjà fait. Nous obtiendrons ainsi des ressources, sans lesquelles les plus beaux Plans sont vides de sens.


[1596]
Qui peut nier que cent autres personnes n'aient imaginé un Plan comme le mien ? Ce qui en M. Girard nous a fait sourire et que nous avons trouvé un peu exagéré, c'est le fait qu'il ait dit avoir trouvé pour nous la maison des Maronites au Vieux Caire ; je l'ai su par les Franciscains et à ce propos, avec eux, nous avons bien rigolé. Or c'est par un pur hasard que j'ai eu ce couvent pour 90 napoléons-or par an. Suite à cela et au sombre portrait de M. Girard qui nous a été brossé par les Franciscains (ce Monsieur d'ailleurs dit de grandes vérités), nous ne nous sommes pas fait une grande idée de cet homme. Ceci dit, jamais nous n'avons montré le moindre regret en entendant que M. Girard fait sien notre Plan, ou qu'il entretient des relations étroites avec Votre Excellence.


[1597]
Voilà la vérité, en toute conscience. Mes compagnons aussi pensent de la même façon. Si l'un d'entre eux a écrit autre chose à Vérone, cela n'a pas dépendu de moi, car je n'en sais rien. Ma véritable pensée est celle que je viens de vous manifester, et que vous avez vous-même sans doute dû percevoir clairement dans mes lettres. Je dois vous dire, en outre, que nous avons noué des contacts avec M. Girard. Je lui ai écrit gentiment et avec gratitude, et peut-être que Votre Excellence a déjà lu ma lettre publiée sur la revue "La Terre Sainte".

A mon humble avis, je crois qu'il vaut mieux ne faire aucune déclaration à M. Girard, ni lui dire, non plus, de ne pas nous mêler à des questions étrangères à notre Œuvre. Cela ne sert à rien pour les Franciscains qui, en Orient, par principe, sont toujours opposés à n'importe quelle Institution différente de la leur.

Cela pourrait aussi refroidir M. Girard qui est Français et qui est animé, de plus en plus, par le désir de travailler pour la cause de Dieu, depuis qu'il a noué des liens d'amitié avec tous les Evêques et les Patriarches de l'Orient, et aussi avec un Evêque de la famille Canossa.


[1598]
Nous sommes seulement responsables de ce que nous écrivons. Même si les Franciscains me disent que M. Girard a publié un article racontant que l'Evêque de Vérone et ses missionnaires avaient épousé ses opinions, j'inviterai les Franciscains et n'importe qui à prouver que cela est dans nos lettres et correspondances.

Ils seraient convaincus seulement par ce que nous avons écrit. C'est bien la raison pour laquelle je vous ai parlé dans ma dernière lettre de ma préoccupation de bien mesurer nos expressions dans notre correspondance avec M. Girard lequel, en outre, peut se révéler très utile, car il est très zélé.


[1599]
Je voudrais écrire au Marquis Ottavio pour lui parler du nom Clelia donné à l'heureuse Fedelkarim. C'est une âme touchée par la grâce et d'une candeur admirable. Je vous prie d'être pour cela mon interprète après de lui.

Nous attendons le Père Tezza. Nous l'attendions déjà avec l'arrivée des autres la dernière fois. Depuis plus d'un mois, l'Abbé Dalbosco nous a écrit qu'il est à notre disposition. Nous l'avons demandé, en pensant que c'était aussi l'avis de notre bien-aimé Père, qui s'était toujours exprimé dans ce sens.

Envoyez-moi une grande bénédiction, car je suis affligé. Recevez les salutations de tous. Nous attendons Bachit. Dites au saint vieillard le Comte Luigi que je serai fidèle à ma promesse. A tous...tout.

J'embrasse vos mains.



Abbé Daniel Comboni






248
Card. Alessandro Barnabò
0
Le Caire
15. 5.1868

N° 248 (233) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SC Afr. C., v. 7, ff. 1268-1269v

Vive Jésus, Marie et Joseph !

Le Caire, le 15 mai 1868

Eminent Prince,

[1600]
Je vous exprime l'immense joie que j'ai éprouvée en recevant votre lettre du 22 dernier, et j'ai aussi le plaisir de vous manifester ma gratitude, et de vous assurer que je ne me permettrai jamais de faire quoi que soit d'important, sans dépendre totalement de l'unique et légitime Représentant du Saint-Siège en Egypte et en Afrique Centrale, notre très vénéré Mgr. le Vicaire Apostolique. Je suis convaincu que, seulement ainsi, je pourrai obtenir les bénédictions du ciel en travaillant en faveur de l'Œuvre très sainte pour la conversion des Noirs.

J'ai reçu de la part de Mgr. le Vicaire Apostolique en personne la permission de m'occuper des âmes appartenant à la race noire pour en gagner le plus grand nombre au Christ, toujours bien entendu à la condition d'agir avec la plus grande prudence possible sans nous compromettre, et avec la certitude morale que ces gens puissent ensuite, là où ils sont, persévérer dans la Foi.

Aujourd'hui je suis en mesure de pouvoir annoncer à Votre Eminence que j'ai trouvé auprès de certaines familles chrétiennes établies en Egypte, de nombreuses âmes qui sont encore païennes ou qui ont déjà embrassé l'Islam.


[1601]
La cause de cette plaie qui touche ici en Orient la malheureuse race noire, c'est l'habituelle négligence des maîtres catholiques. En général ces derniers ne s'intéressent pas au salut de leurs domestiques africains, ou bien ils ne veulent pas qu'ils deviennent catholiques car ils craignent, à tort, qu'en embrassant notre Foi, ils cessent d'être des esclaves, et qu'il serait par conséquent impossible, par la suite, de les dominer. Ces stupides ne s'imaginent pas que de tels domestiques, avec la grâce de Jésus-Christ, deviennent beaucoup plus fidèles et soumis à leurs patrons, comme d'ailleurs l'expérience nous l'enseigne encore aujourd'hui.

Je ne cherche que la gloire de Dieu et le salut des âmes. Bien que je ne sois qu'un pauvre diable à tout point de vue, je me vois obligé de répéter à Votre Eminence, qui êtes chargé par Dieu de toutes les Missions de la terre, ce que je me suis permis, par amour de Jésus-Christ, de dire confidentiellement à notre digne Vicaire et Délégué Apostolique, c'est-à-dire que la cause de la perte d'un grand nombre d'âmes d'Africains est due au fait que nos Missionnaires ou Prêtres des divers rites catholiques en Egypte, n'ont pas inculqué et n'inculquent pas suffisamment et avec chaleur aux chefs et aux mères des familles catholiques, la sainte obligation d'observer le 4ème précepte du Décalogue qui contient entre autres l'absolu devoir de procurer le vrai bien à ses propres domestiques, c'est-à-dire le salut de l'âme.


[1602]
Pour un chef de famille catholique, il serait très facile de convertir à la véritable Foi les esclaves achetés ; un tel devoir est reconnu comme un droit non seulement par les esclaves, mais aussi par le gouvernement musulman, qui dans une pareille circonstance, même en s'apercevant de cela, n'intervient jamais.


[1603]
J'aurais beaucoup à vous dire à propos de la façon d'accomplir cette partie importante de l'apostolat en Egypte. Ceci pourrait constituer une tâche secondaire des Instituts des Noirs. J'aurais beaucoup à dire aussi au sujet des difficultés, sans doute surmontables, que nous rencontrons de tous les côtés, sans exclure celles venant de quelques prêtres. Pour ne pas être trop long, je me bornerai à vous dire que toutes les remarques que je pourrai faire à ce propos et de même tout ce que je verrai opportun de dire à notre bien-aimé Vicaire Apostolique, pour le bien de notre sainte religion, je le lui exposerai discrètement, en tenant compte de sa position très délicate, car il appartient lui aussi à l'Ordre Séraphique.


[1604]
Je suis tout d'abord heureux de vous parler de quelques résultats de notre Œuvre. Le 2 avril dernier un garçon Africain de 20 ans, Girolamo Rihhan, est parti pour le ciel. C'était un jeune affecté par la tuberculose, que j'avais accueilli dans l'Institut en décembre dernier dans l'espoir de le voir mourir au sein de la sainte Eglise et de sauver ainsi son âme. Et c'est ainsi que cela s'est passé. Le Dimanche dédié au Bon Pasteur, le 26 avril, nous avons conféré dans notre chapelle le Baptême à une Africaine de 18 ans appartenant à la tribu des Denka. Le digne Curé de la Paroisse du Vieux Caire, auquel nous avons préalablement demandé son accord, a aussi assisté à la cérémonie. La baptisée, connaissant sa langue maternelle mieux que l'arabe, a été bien instruite sous ma direction par une de nos jeunes Africaines de la même tribu. Nous lui avons donné le nom de Maria Clelia. Elle vit maintenant avec sa patronne et nous sommes heureux de voir la puissance de la grâce dans cette âme prédestinée.


[1605]
Nous sommes en même temps en train de catéchiser une autre Africaine de 16 ans qui avait été baptisée dans une ville de l'Orient il y a un mois. Elle avait seulement appris par cœur le Pater, l'Ave et le Credo, dans une langue qui lui était inconnue. De plus elle ignorait complètement le dogme de la Sainte Trinité et la vie du Christ.

J'ai d'abord tout vérifié, et surtout la raison pour laquelle cette fille avait été chassée de force de l'Institut catholique qui, quelques jours auparavant, lui avait conféré le baptême ; cette expulsion la mettait dans le risque de se perdre a cause des musulmans. Je ferai un compte-rendu par écrit au Chef de cette Mission-là.

Par contre, il m'a été vraiment impossible de gagner à la pratique du catholicisme un Abyssinien de 17 ans qui m'avait été confié par le Vice-Consul belge au Caire.

A vrai dire, j'avais moi-même réclamé ce jeune pour le guérir d'une maladie, mais aussi pour l'appeler à la Foi. Ce garçon, bien qu'infirme et au lit, pratiquait le jeûne du Ramadan des Musulmans. Le Consul me l'a volontiers confié pour que je le soigne, en me disant qu'il appartenait à notre sainte religion. Le fait est qu'il ne connaissait ni le signe de la croix, ni la Trinité, ni le nom du Christ.


[1606]
J'ai pu constater qu'après avoir été racheté par un Grec catholique, ce jeune avait été conduit à l'Eglise grecque catholique où il avait été solennellement baptisé. Ensuite, comme cela arrive souvent, ce jeune esclave a été abandonné au despotisme des domestiques musulmans.

Cette histoire est totalement différente d'une autre. Dans une bonne famille grecque catholique, j'ai rencontré deux filles africaines encore païennes, lesquelles, après avoir vu nos jeunes, se sont jetées à mes pieds et, les larmes aux yeux, m'ont demandé le Baptême en me disant que c'était leur désir depuis longtemps.

La pieuse patronne, qui connaissait bien leur bonté, a accepté de me les confier à tour de rôle, afin qu'on puisse leur donner une formation. Mais nous avons dû retarder le tout car leur Curé grec avait jugé qu'il était trop tôt et que les filles étaient trop jeunes (chacune ayant 16 ans).

J'ai cependant confiance de pouvoir convaincre ce Curé qui jouit d'un grande considération parmi les siens, sur l'opportunité d'instruire entre temps les deux catéchumènes qui ne sont pas trop jeunes pour cela, et qu'après une convenable formation, il ne serait pas trop tôt pour les baptiser parce qu'elles pourraient bien garder leur Foi sous le regard bienveillant de leur patronne et de la bonne famille qui les considèrent comme leurs enfants.

En plus, j'ai pu accueillir, grâce au concours du zélé Vicaire Apostolique des Coptes, un excellent jeune de 19 ans provenant du Royaume Amharique appartenant aux hérétiques d'Abyssinie. Il boit avec une extraordinaire avidité l'instruction chrétienne et, en l'espace d'un mois, il donne déjà de bons espoirs de voir bientôt en lui un fervent catholique et un habile catéchiste.


[1607]
Enfin, avec l'aide de notre chère Maman Marie, le 8 de ce mois de mai qui lui est consacré, nous avons pu empêcher qu'un employé catholique de rite oriental, âpre au gain, vende à des Turcs, une grande noire Denka de 18 ans. L'extraordinaire beauté des formes de cette jeune fille est très appréciée par les Barabbas d'ici. Cette Denka, après avoir vu son amie Maria Clelia (que nous avons baptisée le jour du Bon Pasteur) recevoir sa formation parmi nous, m'a supplié de lui donner le Baptême ; depuis ce jour, elle observe un jeûne rigoureux, et elle est un exemple pour les autres. Grâce à une série providentielle de circonstances que je ne sais pas m'expliquer, cet employé catholique m'a donné son esclave Denka à condition que notre Institut se charge de former une Abyssinienne qu'il avait l'intention d'acheter et de lui apprendre tout ce que nos filles connaissaient, afin qu'elle soit une aide et une compagnie pour son épouse. J'ai confié la fille Denka à une pieuse dame maronite. Elle entrera dans notre Institut pour y être instruite et baptisée lors de la prochaine fête de l'Ascension. Ensuite, elle retournera chez cette dame pour y vivre, comme sa patronne, dans l'observance de la loi de Dieu.


[1608]
Voici les modestes fruits que nous avons pu cueillir grâce à l'œuvre des deux Instituts pour les Africains, qui viennent d'être fondés en Egypte. Je suis sûr que, malgré les difficultés, les Instituts progresseront aussi dans l'avenir, afin de permettre à de nombreuses Africaines, parmi les centaines que j'ai vues et encouragées, en leur rendant visite auprès des familles catholiques de différents rites, où elles travaillent comme domestiques, d'entrer dans le bercail du Christ.

En tout cela, Votre Eminence peut sans doute remarquer la sagesse de notre Vicaire Apostolique qui nous recommande de garder de la prudence.

A présent, j'ai eu des joies ; la prochaine fois, je vous parlerai des épines.

J'embrasse votre Sacrée Pourpre, et je déclare, plein de respect et de gratitude, être



de Votre Eminence l'humble fils

Abbé Daniel Comboni






249
Mgr. Luigi di Canossa
1
Le Caire
18. 5.1868
N° 249 (234) - A MONSEIGNEUR LUIGI DI CANOSSA

ACR, A, c. 14/56



Le Vieux Caire, le 18 mai 1868



Résumé d'une lettre de Comboni, rédigé par l'Abbé Dalbosco.





250
Card. Alessandro Barnabò
0
Le Caire
25. 5.1868

N° 250 (235) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SC Afr. C., v. 7, ff. 1274-1276

Vive Jésus, Marie et Joseph !

Le Caire, le 25 mai 1868

Eminent Prince,

[1609]
Le 15 dernier, je vous ai adressé une lettre dans laquelle je vous exposais les petites joies de mon modeste apostolat, et je vous ai annoncé aussi mon désir de partager avec vous mes croix. Oui, Eminence, j'ai de très grandes croix qui, sans doute, proviennent de la bonté de Dieu ; mais il y en une qui vient sûrement du diable. Cette croix inattendue me pousse à vous écrire avant le temps prévu. Permettez-moi alors de vous en parler tout de suite car elle est très récente, ensuite, je me réserve de vous parler, à grands lignes, des autres.

Cela fait désormais plusieurs jours que telle ou telle personne m'a dit que j'ai été nommé Chevalier de la Couronne d'Italie, et que cela a été publié dans divers journaux en Italie et en Egypte. Avec légèreté pour certains, et par esprit de plaisanterie de la part d'autres, j'ai reçu plein de félicitations. Je n'y ai pas prêté trop d'attention car je sais que depuis quelques années la presse périodique italienne est devenue plutôt l'organe du mensonge que de la vérité. Mais des lettres provenant de Vérone et d'autres endroits de la péninsule m'ont annoncé le bien-fondé de la nouvelle, qui avait été publiée dans le Bulletin Officiel du Royaume d'Italie, précédée d'un Décret ministériel écrit en des termes qui mettent en lumière la religion et le catholicisme, comme si c'était presque un Bref Pontifical. Alors, j'ai été curieux de contempler ce nouveau Bref Florentin, et j'ai voulu aller à sa recherche. Après avoir cherché et fouillé, j'ai trouvé dans le journal La Nazione la note suivante :


[1610]
"En voulant donner une attestation publique de sa bienveillance vis-à-vis de certains missionnaires les plus méritants...de la Religion....et leur rappeler qu'ils sont toujours présents à l'esprit de la Patrie et du Roi... Sa Majesté a nommé...Commandeurs M. Valerga.... a nommé Chevaliers de la Couronne d'Italie.... l'Abbé Daniel Comboni etc...".

Je ne veux pas perdre mon temps à commenter mot à mot cette solennelle bouffonnerie du Gouvernement de M. Menabrea ; c'est une véritable contradiction des faits accomplis. Je confesse, Eminence, que si cette nomination à recevoir la Croix de la Couronne d'Italie n'avait été que pour moi, j'en serais resté affligé, car elle aurait été une attaque à ma réputation, une injure solennelle faite à un pauvre prêtre de la Sainte Eglise catholique, apostolique, romaine. Mais en ayant vu qu'à côté de mon nom il y avait aussi les noms vénérés de Patriarches, d'Archevêques, d'Evêques et de Missionnaires que j'ai connus personnellement comme étant des personnes attachées au Saint-Siège et dévouées en tout au Pape-Roi, je mets alors mon cœur en paix, et je considère cette histoire comme une simple croix qui vient de me toucher et dont je peux me défendre avec l'efficace prière : "sed libera nos a malo" (mais délivre-nous du mal). Amen.


[1611]
La Couronne d'Italie ! Il suffit d'un tel énoncé, prononcé dans une époque comme la nôtre, pour y lire la perfidie et les machinations des ennemis de la Papauté. On dépouille le Pape jusqu'à la chemise (pardonnez-moi cette expression que je vous écris en confidence) et ensuite, on a le culot d'habiller certains de ses enfants qui vénèrent et le respectent, d'une Croix en or !...

On a paralysé les missions catholiques en exterminant les saintes Congrégations qui étaient la pépinière et l'espoir de l'Apostolat, et en leur dérobant des ressources pécuniaires. Après quoi, on a l'impudence de jeter la poudre dorée d'une décoration dans les yeux du missionnaire qui pleure sur le sort réservé à la vigne bien-aimée où il a déversé ses sueurs ?... Le Gouvernement de Sa Majesté le Roi de Sardaigne, après avoir meurtri avec acharnement la Religion, persécuté ses Evêques, ses Prêtres et dispersé ses plus généreux champions, ose maintenant vilipender avec de sournois hommages certains des plus méritants à cause des services rendus au profit de cette même Religion?...

C'est vraiment une bouffonnerie éhontée. C'est la logique des mensongers fils des ténèbres ; c'est la politique de la maison du diable ; c'est une croix qui me vient, à moi aussi, des mains du diable. Pour cela, j'ai décidé que lorsque, d'ici quelques jours, on me présentera la Croix de la Couronne d'Italie (que le Consul Général vient d'apporter de Florence) que la honteuse faction qui règne en Italie a pensé m'offrir, je serai content de la refuser, et je ferai une déclaration explicite comme il convient à un Prêtre et Missionnaire catholique, prêt à sacrifier sa vie mille fois pour soutenir la plus petite des vérités et des déclarations faites par le Vicaire du Christ, en qui le prêtre vénère les sublimes caractères de Pontife et de Roi.

Je suis persuadé qu'en faisant ainsi j'aurai l'honneur de suivre l'exemple des huit autres Evêques et Missionnaires qui, tout comme moi, ont été crucifiés par la soi-disant Couronne d'Italie.


[1612]
Je parlerai maintenant des croix qui m'ont été données par Dieu, et qui sont donc bien plus intéressantes, elle sont un don de sa miséricorde infinie, mais j'en parlerai rapidement.

En plus de neuf maladies graves qui ont touché la communauté des femmes et qui m'ont procuré d'énormes dépenses, la Supérieure est malade depuis deux mois et elle en aura encore pour deux mois. La variole a envahi les maisons maronites où nous habitons en touchant quatre Africaines et un religieux. En 15 jours seulement, nous avons enterré deux de nos filles de 20 ans éduquées en Bavière. Le Couvent des Maronites, entouré de tombeaux, n'est pas salubre ; d'après le conseil de nombreuses personnes je dois l'abandonner. Je le ferai après le retour de Mgr. Ciurcia Vicaire Apostolique, qui se trouve actuellement à Jérusalem.


[1613]
Je trouve une autre croix (qui vient de Dieu et peut-être de moi) dans le comportement de Mgr. le Vice-Gérant. Après 4 mois de silence, bien qu'il ait été maintes fois sollicité de parler, Mgr. le Vice-Gérant a écrit à l'Evêque de Vérone, et il a fait dire à mon Procureur M. Nuvoli, qu'il était prêt à restituer le titre d'obligation des 1.500 écus après avoir liquidé ses comptes avec moi. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait quand j'étais à Rome suite à mes invitations réitérées ?

Ce n'est pas tout ! Il y a un mois, il a fait savoir à nouveau à mon Procureur qu'il ne cédera pas mon titre parce qu'il n'est plus Supérieur du Monastère des Viperesche. Il a dit avoir dépensé les 1.500 écus : où ? et comment ? il ne le sait pas, il ne veut pas le savoir, et il n'est pas obligé de le savoir. Il a dit qu'il pensera à les récupérer. Je lui pardonne, mais c'est un homme sans morale.


[1614]
L'Eglise est très prudente, elle sait ce qu'il faut faire.

Pour ma part, je dois beaucoup souffrir car à Rome, personne, ni séculier, ni ecclésiastique, n'ose assumer une cause intentée par un Prêtre contre un Evêque. On écrit, on invite à répondre, on réclame justice, et la justice se tait, la réponse se résume à un profond silence. Fiat ! Le Dieu qui m'a protégé à Rome, en se servant de vos conseils, pensera à me protéger aussi dans l'avenir, jusqu'à en finir avec cette cause si ennuyeuse.

Il paraît que le Couvent des Viperesche est secoué et que sa Supérieure avait dit aux trois dernières Africaines que le Pape est un brigand, que Pie IX n'a pas la faculté de toucher le Vice-Gérant de ce Couvent, et que les Sœurs de Saint Joseph sont des balayeurs.

Je vous dis cela pour décharger ma conscience car les Africaines ont déclaré cela sous serment à moi-même et à un Père qui habite ici avec nous. Je pense cependant, qu'à Rome, on aura beaucoup plus d'arguments à ce sujet.

Pardonnez-moi si je cherche ainsi un apaisement à ma douleur.


[1615]
Finalement dans sa bonté Dieu me donne la croix des graves soucis économiques qui m'accablent. Cologne, qui s'était engagée avec moi pour donner 5.000 francs par an ; m'a donné jusqu'à présent 8.300 francs. Sans compter une jolie somme laissée à l'Evêque pour le petit Séminaire de Vérone et les pertes que m'a causées le Vice-Gérant pour avoir contraint ma caravane à rester en France pour un mois etc., j'ai reçu dans mes mains 7000 francs qui m'ont été offerts par des bienfaiteurs personnels de France, d'Italie et d'Allemagne. Mais les dépenses engagées jusqu'à présent s'élèvent à 17.600 francs. Je ne sais pas comment aller de l'avant. J'ai déjà limité le nombre de personnes dans les deux Instituts. Ce nombre restera stationnaire jusqu'au moment où j'aurai assuré les moyens de vivre à ces deux Instituts. Je tiens compte aussi du fait que dans ces deux petits Instituts il y a déjà le personnel suffisant pour exercer un Apostolat satisfaisant en faveur des Noirs qui habitent en Egypte.


[1616]
Au milieu de ces tribulations, je garde courage et confiance en Dieu. L'importance de ces deux premiers Instituts est capitale pour l'œuvre de conversion des Noirs. Les grâces spéciales et extraordinaires que je vois m'assurent que Dieu viendra au secours de son Œuvre. Mais mon cœur, Eminence, a besoin de réconfort.

Ce serait pour moi une grande consolation si Votre Eminence était assez aimable pour m'obtenir la bienfaisante Bénédiction du Saint-Père pour moi et pour mes deux Instituts d'Egypte. Cette bénédiction sera pour moi le réconfort le plus efficace.


[1617]
Vingt jours après son arrivée au Caire, en provenance de Toscane, Sœur Xaveria Jobstreibizer est morte à l'hôpital. La pieuse Arménienne, sœur Madeleine, qui a prononcé ses vœux entre les mains de Votre Eminence, se comporte en véritable fille de Saint Joseph et fait de grands progrès dans le chemin de la perfection. Mes bons compagnons étudient l'arabe. Mgr. Massaia a écrit une lettre depuis le Royaume de Choa au Chevalier Madrus qui habite au Caire.

Mes maisons, en ce qui concerne l'esprit, vivent fidèlement la vie religieuse comme n'importe quel autre Institut d'Europe.

En vous demandant pardon pour cette longue lettre, j'ai l'honneur de vous offrir les sentiments de ma plus profonde vénération et d'embrasser votre Pourpre Sacrée. Je déclare être



votre humble et dévoué fils

Abbé Daniel Comboni