[1228]
J'ai beaucoup de choses à vous dire au point que je ne sais pas par quel bout commencer. Cela fait désormais plus de trois semaines que je suis revenu au Caire. Une sécrète répugnance a envahi mon âme ; pour cela j'ai eu du mal à prendre ma plume pour écrire.
La cause de ma répugnance à vous écrire, c'est l'opinion que j'ai du Père Lodovico et de son Institution, et je n'avais pas le courage de vous en parler. Toutefois je me suis finalement décidé. Vous êtes un véritable ami pour moi, un soutien, le plus vaillant collaborateur de l'apostolat africain. Vous connaissez le fond de mon cœur. Je voudrais voir cent institutions se partager l'Afrique Centrale pour la convertir entièrement au Catholicisme.
Si je vous donne mon opinion sur le Père Lodovico, c'est parce que je suis persuadé d'avoir raison. Je serais très heureux de me rétracter et d'apprendre que je me suis trompé. Je dis cela parce que je sais bien que vous ne vous laissez pas mener par le bout du nez et que tôt ou tard vous connaîtriez de vous-même la vérité. Que Dieu veuille que je me trompe ! Mais Dieu est vérité et je ne veux tromper personne ; à vous je dois dire ce que je ressens au fond de mon âme.
[1229]
Le Père Lodovico est un homme de grande charité, un véritable fils de Saint François dans l'application des Règles de son Ordre, il est un modèle de l'observance religieuse. Mais sa tête n'est pas en égal rapport avec son cœur, et il n'est pas clair et droit dans sa façon d'œuvrer. Le Père Samuel de Negadeh, ancien missionnaire de la Haute-Egypte, Franciscain réformé qui nous a accompagné à Scellal, a défini le Père Lodovico comme un mélange d'ignorance, de charité, de piété, d'hypocrisie, de fausseté et de vertu. De vive voix, je vous apporterai plus tard un grand nombre de preuves et de faits ; pour le moment je me borne à ne vous dire que cela.
Le Supérieur de Scellal, le Père Bonaventura da Casanova, Giuseppe Habaschy et tous les Franciscains missionnaires napolitains que j'ai vus en Egypte, disent que le Père Lodovico est un saint à sa façon. Le Supérieur de Scellal et notre Habaschy m'ont bien expliqué la substance réelle de son Institution. J'ai confronté cela avec tout ce que m'a dit le Père Lodovico lui-même et avec une lettre qu'il avait écrite aux frères Bigi et que moi-même j'ai traduite en latin. Cette lettre devait être lue une fois par semaine en communauté. Tout cela, uni à ce que j'ai vu chez le Père Lodovico, m'amène à exprimer le jugement suivant : "L'Institution du Père Lodovico ne peut rien faire pour l'Afrique si elle n'est pas dirigée et gouvernée par le premier Ordre Franciscain". Probatur. (J'en suis convaincu).
[1230]
Les frères Bigi sont un ramassis de séculiers de tout genre et profession, qui se montrent enclins à la piété et que le Père Lodovico a habillés en franciscains pour diriger et instruire dans les métiers la jeunesse.
Pourvu qu'ils donnent preuve de piété, qu'ils disent des chapelets et fassent des génuflexions, il leur donne l'habit et il leur confie la responsabilité des Œuvres. Avec la même facilité il leur enlève l'habit et les jette à la rue. Parfois il reçoit et habille six laïcs, et il en part sept qui redeviendront des séculiers.
Le Père Provincial de Naples et tous les religieux de la communauté sont opposés au Père Lodovico qui fait de pareils gâchis en politique et en communauté au point de compromettre publiquement l'Ordre Franciscain. L'Institution du Père Lodovico peut avoir des prêtres tertiaires, mais jusqu'à présent elle n'en a pas formé un seul. Pour cela il a besoin de Franciscains du Premier Ordre, sans lesquels l'Institution ne peut pas marcher. Beaucoup d'entre eux se sont succédé, mais aucun n'a réussi à entrer dans sa vision des choses. Le père Lodovico veut que sa seule institution dirige les œuvres avec le nom "franciscain".
[1231]
Le problème est qu'il a actuellement 42 artisans entre l'Europe et l'Afrique et qu'il veut conduire les œuvres de Naples et de l'Afrique, sans dépendre du Premier Ordre.
Je ne vous dis rien de l'instruction et de la formation qui sont inconnues à la Palma. Le Père Bonaventura de Karthoum, qui pour autant est un des membres les plus instruits de l'Institution du Père Lodovico, m'a confessé ne savoir qu'un tout petit peu plus que ce qu'il a appris à Vérone. Il ne connaît rien ni à la dogmatique, ni à la morale. Le Père Lodovico, après quelques petites épreuves, confie à ses sujets la responsabilité des œuvres et des missions, les mettant ainsi en danger de se damner l'âme.
Mais venons-en maintenant à l'Afrique. Le Père Lodovico a envoyé, par le passé, en Afrique 12 individus. Deux sont morts, un autre...vous le savez...allume le gaz dans les voies publiques de Naples ; tous les autres ont fait défection. Deux d'entre eux qui sont ici au Caire, ont assuré les Franciscains que jamais ils ne retourneraient avec le Père Lodovico.
Mais venons à notre expédition. Nous avons laissé à Scellal
Le Père Bonaventura da Casanova en tant que Supérieur ;
le Père Bonaventura de Khartoum ;
le Frère Pietro, charpentier Procureur ;
le Frère Innocenzo, infirmier ;
le Frère Giovanni, Africain et
le Frère Lodovico, qui sont des artisans qu'à Trieste nous avons habillés en séculiers.
[1232]
Le Supérieur qui appartient au Premier Ordre et qui n'a aucun rapport avec l'Institution du Père Lodovico, est un bon religieux, mais il n'est persuadé ni des idées du Père Lodovico ni de ses œuvres ; c'est tout le bien qu'il puisse dire du Père Lodovico.
[1233]
Le Frère Pietro a été 7 ans dans l'armée et a combattu contre Garibaldi en 1860 ; après, puisqu'il était charpentier, il devint le Directeur des ateliers de Capodimonte dans l'Institut du Père Lodovico, il est un des meilleurs sujets de la Palma.
Le Frère Innocenzo est vraiment bon. C'est le meilleur sujet à Scellal. Il sait bien soigner les malades et il fait de son mieux pour les saigner et il leur donne des médicaments.
Les autres vous les avez vus à Brixen.
[1234]
Ici à Scellal le Père Lodovico a ordonné de garder le même style de vie qu'à la Palma : Chœur, silence, solitude etc. (les prêtres sont seulement deux).
Il a interdit au Supérieur de communiquer soit avec Propaganda Fide soit avec le Général, et le Provincial, sous peine d'être abandonné et qu'il lui coupe les vivres. Eh bien ! écoutez.... le 15 de ce mois j'ai vu apparaître devant moi ici au Caire, à ma grande surprise, le Frère Pietro, procureur de Scellal. J'en suis resté étourdi.
Il m'a juré qu'il ne reverrait jamais plus Scellal. Il a eu la vocation seulement 28 jours ! et ensuite il l'a perdue. En d'autres mots, il y a une terrible division entre les deux religieux prêtres. Le Supérieur ne connaît pas un mot d'arabe. C'est Giuseppe Habaschy qui traite les affaires alors qu'il n'est que subalterne.
Or en écoutant le Frère Pietro, il semble que Habaschy, enorgueilli par l'accueil et l'amitié qu'ont pour lui ceux de Scellal, cherche à se faire soutenir par les gens afin de chasser le Supérieur et prendre sa place à Scellal. Il n'est jamais allé au Chœur ; il a pris en location des terrains sans en souffler mot au Supérieur et il m'a écrit pour avoir de l'argent. Il ouvre les lettres du Supérieur, et il possède de l'argent emprunté contre la décision du Père Lodovico qui lui avait interdit de toucher à l'argent ; bref à Scellal il y a une Babylone !
[1235]
Pour ce qui me concerne, quand j'ai vu la situation, j'avais prévu qu'avant six mois les deux religieux seraient brouillés. De son côté le Père Samuel prévoyait seulement deux mois de cohabitation avant la rupture. Au contraire ils ne sont pas restés en paix même 15 jours. J'ai tout de suite écrit une lettre au Supérieur en lui conseillant de ne rien faire et de rester bien à sa place selon l'ordre du Père Lodovico et j'ai écrit une lettre terrible au Père Bonaventura de Khartoum en lui parlant comme à un vrai Père. J'espère qu'elle fera de l'effet.
En expédiant la lettre du Supérieur à Naples j'ai joint une lettre vraiment amicale au Père Lodovico en lui répétant les conseils que je lui avais donnés, lors du voyage sur le Nil, de ne pas trop se précipiter pour ordonner prêtres les Africains et de ne pas engager son Institution dans de grandes entreprises sans mettre longuement à l'épreuve la vocation des individus. D'ici peu, dit le Frère Pietro, les deux petits Africains aussi se déroberont. C'est inutile ! sans le Premier Ordre Franciscain, l'Institution du Père Lodovico ne pourra rien faire. Le Père Provincial de Naples, qui connaissait bien la situation avait dit au Père Lodovico : "Si vous voulez des Missionnaires pour diriger la Mission de Scellal, je vous donnerai les meilleurs sujets de la Province".
[1236]
Le Père Lodovico refusa. Et savez-vous pourquoi ? Il l'a dit lui-même, parce qu'il veut présenter un ou deux faits positifs à la Sacrée Congrégation des Evêques et des Réguliers, afin qu'elle approuve son Institut, le Roi de Naples en étant le Protecteur. Or ni la Congrégation, ni le Conseil des Franciscains, ni le Provincial de Naples n'acceptent cet Institut. Et moi, avec beaucoup d'autres, je dis que cet homme ne cherche pas le bien de l'Afrique, il cherche la gloire de son Institut.
En Afrique nous pourrions avoir de très bons missionnaires franciscains mais le Père Lodovico l'empêche. Son Institution qui ne compte pas encore un Prêtre est loin d'être prête ; c'est un miracle si elle arrive à pourvoir à Scellal, parce qu'elle n'a pas de personnel, sauf des artisans sans vocation.
Assez de cela ! mais voici une autre chose qui vous surprendra.
[1237]
L'ennemi capital de mon Plan c'est le Père Lodovico. Mais il y a plus.
Il est absolument contre l'idée que Propaganda Fide confie une partie de l'Afrique à l'Institut Mazza. En outre je suis bien renseigné et Giuseppe Hibaschy en est témoin auriculaire : le Père Lodovico a fait tout son possible à Rome, auprès de Propaganda Fide, pour empêcher la division du Vicariat. Il a même prié le Cardinal Barnabò de m'empêcher de le suivre en Afrique. Le Cardinal Barnabò a répondu : "Non ! je veux que Comboni vienne avec vous, je vous le commande et je veux la division du Vicariat." A Naples le Père Lodovico m'avait dit "Moi et la Palma nous voulons être tes serviteurs et coopérer à ton Plan". Il est venu à Vérone et il a présenté la décision de Propaganda Fide à l'Abbé Tomba en disant vouloir aider l'Institut etc. Vous pouvez vous renseigner à Vérone ; il est venu à Brixen et là vous savez comment il vous a parlé.
[1238]
Quand nous sommes allés à Vienne, pendant mon absence de deux jours à Prague chez Son Excellence l'Archevêque Schwartzenber, le Père Lodovico présenta votre très beau projet de division au Père Matzek et il le pria d'influencer le Comité pour qu'il s'oppose au projet de division et il ajouta : "Si nous pouvons bien faire au Caire et à Khartoum, pourquoi céder aux autres les tribus du Fleuve Blanc ? Il vaut mieux pour le moment refuser une partie de l'Afrique à l'Institut Mazza". Ainsi a-t-il décidé en effet. Cela m'a été répété à la lettre par Giuseppe de Khartoum, témoin auriculaire. Je ne voulais pas y croire, mais les faits qui ont suivi m'ont convaincu qu'il en était ainsi.
[1239]
Dès notre départ par le bateau à vapeur de Trieste, il m'a dit : "Mon fils, je crois qu'il est prudent en Egypte de ne pas parler de division avec l'Evêque, ni avec les Franciscains, ni avec d'autres personnes, parce que tout le monde se moquerait de nous. Allons d'abord à Scellal et à notre retour nous parlerons avec l'Evêque". Alors j'ai ajouté : "Comment justifier vis-à-vis des Franciscains ma présence auprès de vous ? Les Franciscains ont-ils besoin d'Abbés pour leurs Missions ?" Il me répondit : "Je dirai que tu es venu avec moi en tant qu'ami et connaisseur des œuvres de la Palma, et aussi pour me prêter assistance puisque tu connais bien l'Afrique". J'ai consenti à condition de nous arrêter, après notre retour de Scellal, quelque temps chez l'Evêque selon les indications de Propaganda Fide.
[1240]
Je me tais à propos de sa manière de mettre de douter de la valeur de mon Plan en disant : "le Plan de Comboni est beau en théorie mais impossible dans la pratique". Il a dit cela aux personnes les plus en vue.
Je me tais sur le fait que lui, qui est très introduit auprès de Consuls et de hauts personnages ici en Egypte, ne m'a jamais présenté comme un ami, bien que je le lui aie demandé formellement dans un cas. Tandis que moi partout, à Vienne, à Vérone et à Trieste je l'ai présenté à tous les bienfaiteurs de la Mission et à mes connaissances.
Je ne vous dis rien sur d'autres nombreux manques de politesse envers moi que j'ai même honte de citer. Peut-être de vive voix vous en raconterai-je quelques-uns pour vous faire sourire.
De même je ne dis rien à propos de son langage vis-à-vis des anciens Missionnaires de l'Afrique Centrale. L'éloge le plus grand qu'il réservait à Knoblecher était : "Oh ! il était un homme plein d'argent...il faut bâtir les missions avec l'humilité et non avec l'argent" etc. Mais revenons à Scellal.
[1241]
Le jour de l'Epiphanie, nous avons ouvert la mission de Scellal.
En profitant de la venue du Prince Antonio Hohenzollern Sigmatingen, le Père Lodovico obtint pour le soir du 8 une place gratuite sur le bateau à vapeur jusqu'au Caire. Le départ étant prévu pour le lendemain matin, le soir-même j'ai appelé le Père Samuel de Negadeh qui nous avait accompagnés à Scellal, et avec l'Abbé Francesco, neveu du Père Lodovico, nous sommes entrés dans la chambre du Père Lodovico et je lui ai parlé ainsi : "La raison pour laquelle Propaganda Fide a voulu que je vienne en Egypte et à Scellal avec vous, était de convenir ensemble d'une division du Vicariat Apostolique de l'Afrique Centrale, et de négocier avec Mgr. le Délégué Apostolique en Egypte. Vous partez demain, puis avec le premier bateau à vapeur vous vous en allez en Europe et nous ne pourrons plus discuter ensemble de cette affaire très importante de la division". "De quelle affaire parlez-vous" répondit-il - "je n'en sais rien." Alors je lui répliquai "Mais que nous a dit le Cardinal Barnabò à tous les deux ? Que vous a-t-il dit quand vous êtes passé à Rome pour aller à Vérone ? Ne nous a-t-il pas ordonné de partir tous les deux pour l'Afrique etc. ?" "Je n'en sais rien," - répondit-il - "Comment voulez-vous que deux personnes misérables comme nous, qui ont leurs Supérieurs, puissent décider à propos d'une affaire si importante ? Que le fassent les Supérieurs, je n'en sais rien ; où sont vos papiers et documents qui parlent de cette autorisation de faire ces divisions comme vous le dites ?. Je n'en sais rien"... Pour en finir, mon cher, il a tout nié ; il m'a couvert de bavardages hypocrites, en faisant l'éloge des Missionnaires de l'Abbé Mazza, mais que, hélas ! il n'y a pas d'argent, etc.
[1242]
Lorsque je lui ai montré votre lettre dans laquelle avec sagesse vous avez proposé la division entre Sud et Nord etc., alors il dit : "Eh bien, si Propaganda Fide me le demande, je présenterai ce projet". Il me promit de m'attendre au Caire pour parler tout de suite avec l'Evêque, et pour éviter ainsi que Propaganda, si on ne parle pas avec le Délégué Apostolique, ne nous oblige à venir exprès en Egypte une autre fois.
Mais le fait est qu'une fois arrivé au Caire il n'a jamais parlé avec l'Evêque et il est parti pour Naples. Il dit qu'en Afrique il faut l'humilité et la pauvreté de Saint François. Ses théories sont belles et bonnes, mais sa pratique est très différente. C'est l'ecclésiastique le plus égoïste que j'aie jamais rencontré dans ma vie ; c'est lui qui me donnera le plus de fil à retordre quand il s'agira d'introduire en Afrique d'autres Instituts.
Lui qui n'a même pas un seul sujet ad litteram (sauf quelques artisans qui sont entrés déjà formés dans son Institut), prétend qu'aucun d'entre eux n'aille en Afrique. Et, patience, s'il empêchait seulement l'Institut Mazza d'aller en Afrique ! mais il a conclu un accord avec le Général pour qu'aucun autre Franciscain, qui ne soit de la Palma, n'y aille non plus.
Mon cher, cela n'est qu'un dixième de ce que j'ai vu et de ce que je vous dirai concernant le Père Lodovico. Seulement je veux ajouter quelques mots sur l'article mensonger qui est apparu dans les journaux catholiques, qui a pour titre "Un nuovo indirizzo ..." (Une nouvelle orientation). Mon cher, ou bien j'ai été le jouet du Cardinal Barnabò, du Pape et du Général qui tous trois m'ont promis une Mission pour l'Institut et qui pour cela m'ont envoyé en Afrique, ou bien alors le Père Lodovico est un imposteur. Réfléchissez sur cette "Nouvelle orientation" donnée aux Missions Africaines et jugez-en.
[1243]
Malgré tous ces chagrins, j'ai passé avec le Père Lodovico, du 26 octobre au 8 janvier, des jours très paisibles, sans jamais avoir l'ombre d'un problème, comme il arrive entre un fils affectueux et son père. Malgré son comportement envers moi et envers ceux qui travaillent pour l'Afrique, je lui ferai toujours le bien qui me sera possible. Seulement je demanderai, pour le bien de l'Afrique, un long entretien avec le Père Général des Franciscains. Avec vous je parle comme je le ressens, car je ne veux pas que vous ayez été trompé comme moi toutes les fois que je suis allé à Naples.
Maintenant j'ai connu l'homme, j'ai vu le positif qu'il y a en lui, entendu ce que m'ont raconté les bons Franciscains napolitains et maintenant seulement, avec une grande douleur, j'ai ouvert les yeux. Je serais heureux de me tromper, car l'Afrique aurait dans ce cas une grande aide de la part du Père Lodovico, mais au contraire je crains que l'Afrique ne tire que peu de profit de cet homme. Je l'ai connu à fond et cela me suffit. Revenons à Khartoum.
[1244]
J'ai parlé avec une dizaine de commerçants de Khartoum et tous, d'une seule voix, jasent sur la conduite morale du Père Fabiano. Il a 22 femmes esclaves échappées aux musulmans. Certains patrons ont protesté contre lui par l'intermédiaire du Consul Autrichien pour récupérer leurs esclaves, mais lui rien, il se fiche des gens. Il se soûle d'eau-de-vie du matin au soir et vit avec ses esclaves comme un musulman. Voilà les racontars des commerçants sur le compte du Père Fabiano. Moi je n'y crois pas et je présume innocent le Père Fabiano. Cependant ce qui est certain c'est que le Consul Hansal a fait un rapport très dur au Consul Général de l'Egypte, ce dernier me l'a montré, avec inclus la piètre autodéfense du Père.
Maintenant le Consul Général va envoyer un rapport au Ministère de Vienne contre ce Missionnaire. J'ai su par le Consul que dans la Mission, c'est-à-dire dans les maisonnettes placées dans le jardin, là où il y a les esclaves, sont venus au monde trois enfants métis. Toute la ville de Khartoum croit...... Le Père Fabiano a écrit au Consul Général en disant que certaines esclaves sont nécessaires à la mission pour faire le pain. Il s'agit d'un prêtre tout seul, exposé à ces calomnies, sans qu'il puisse se confesser pendant longtemps, etc. Je Vous écris tout cela en tant que Père de la Mission, afin que si vous pouviez trouver un remède, vérifier les bruits et faire du bien au Père Fabiano, vous puissiez le faire. J'ai supplié le Consul de ne pas écrire à Vienne, mais plutôt d'informer l'Evêque d'Egypte.
[1245]
La voie ferrée qui relie le Caire et Assouan est déjà commencée, et dans quelques années sera aussi terminée la partie entre Assouan et Khartoum.
Une autre voie ferrée entre Souakim et Berber reliera le Nil à la Mer Rouge.
De Khartoum au Caire par la voie de Souakim il faut un mois.
Trois mille autres soldats sont partis pour le Soudan, et se formeront trois grandes provinces égyptiennes sur le Fleuve Blanc.
A Khartoum l'école protestante prussienne a commencé son activité ; elle est fréquentée par la Colonie européenne davantage que l'école catholique. A Siut il y a une autre école anglicane. Quelle conséquence apportent à la Foi ces faits ? J'ai écrit à ce sujet un petit rapport au Cardinal Barnabò.
[1246]
Je suis convaincu, et avec moi tous les Missionnaires d'Egypte, que l'application du Plan pour la Régénération de l'Afrique en Haute-Egypte, est un des moyens les plus opportuns pour être utiles à l'Afrique Centrale.
Du moment que l'histoire de la division du Vicariat traînera encore longtemps (et certainement elle sera réalisée en suivant votre idée, qui est la plus juste et la plus sage), je crois faire une chose utile en fondant deux petits Instituts, un pour les filles à Negadeh, et l'autre pour les garçons à Kenne, avec le double but d'être profitable à la jeunesse copte de l'Egypte et en même temps de préparer du personnel pour les Africains.
[1247]
A cet égard j'ai visité diligemment tous les endroits de la Haute-Egypte où il y a des Missions Catholiques. Arrivé au Caire, j'ai présenté un petit projet au Préfet Apostolique de la Haute-Egypte, dans lequel j'ai proposé de renforcer ces Missions en y appliquant mon Plan pour la régénération de l'Afrique. Le Préfet sollicité par tous ses Missionnaires a accepté ma proposition et l'a soumise au Cardinal Barnabò. Il a écrit une belle lettre au Cardinal, et entre autres choses il a demandé l'autorisation pour que je puisse fonder un petit Institut à Negadeh en y plaçant des Sœurs agréées par Son Eminence.
Je formerai un autre petit groupe de fillettes africaines ici au Caire sous la direction des Sœurs qui sont ici. Mais sur ce point je vous écrirai plus en détail dans le prochain courrier.
[1248]
Je vous enverrai aussi un petit rapport de notre voyage à Scellal et de la remarquable et intéressante conversation que j'ai eue avec Lesseps, qui m'a donné de sages conseils sur la façon d'appliquer le Plan, etc.
Le Père Lodovico est arrivé à Naples le 27 janvier. Il ouvrira une maison d'arts et métiers au Vieux-Caire qui sera dirigée par son neveu prêtre, cela agace les Franciscains qui sont au Caire. On lui a donné une maison à côté du cimetière avec l'obligation d'une seule Messe par semaine. Le Préfet des études sera Morsal, un Africain que moi même j'avais conduit à Naples en 1862. A ce propos je vous donnerai davantage d'explications.
[1249]
Le Père Supérieur de Scellal m'a prié de lui envoyer de l'argent. Le Père Lodovico l'avait laissé seulement avec 5 Napoléons or. Du Caire le Père Francesco lui a envoyé encore 30 thalers. Une des raisons pour lesquelles ce Supérieur restera à son poste, c'est l'espoir qu'il ne lui manquera pas le nécessaire. Donc, lui fournir de l'aide est très important pour la Mission. S'il est aidé, il restera à son poste même tout seul. Si vous pouvez faites en sorte de l'aider le plus vite possible.
Mais il vaut mieux le faire directement par le truchement du Consul et de Fathalla, parce qu'à Naples l'argent risque de rester bloqué, comme cela est arrivé en automne dernier. Le Supérieur m'a dit qu'à Naples on a distribué quelques centaines de copies de l'article à propos de ces "Nouvelles orientations..." et plusieurs prédications ont été faites par Habaschy et par lui-même dans les églises. 500 écus ont été récoltés, qui sont allés se confondre, me dirent les deux Pères de Scellal, avec l'argent des œuvres du Père Lodovico. C'était aussi le petit défaut de notre cher Supérieur de Vérone. Donc le Supérieur m'a recommandé : "Si vous pouvez me donner des subsides, envoyez-les moi directement et je vous en rendrai compte".
[1250]
Je reste au Caire jusqu'à la mi-carême et ensuite j'arriverai à Vérone en passant par Rome où je dois conférer avec Propaganda Fide. A Vérone je prendrai avec moi les fillettes africaines pour les ramener en Egypte. Je vous recommande notre petit africain Locwis que je voudrais emmener, ainsi que Caciual, avec moi en Egypte. Mais d'abord je dois verser dans votre cœur tout ce que j'ai dans le mien et agir en suivant vos conseils.
[1251]
Je ne veux pas perdre mon temps. Je veux peiner et vivre seulement pour l'Afrique et pour la conversion des Africains. J'espère que Dieu m'assistera en me donnant de grandes grâces et que vous serez toujours mon Père, mon conseiller, mon ami, mon maître, mon tout.
Je n'ai peur de rien, j'ai confiance en Dieu. Beaucoup de salutations de ma part à l'Evêque et à ses secrétaires, au jeune Africain et à son maître.
Tuissimus in corde et opere
Abbé Daniel Comboni