Comboni, en ce jour

Comboni projette (1878) la fondation de une mission en Ouganda.
A la Société de Colonia, 1871
La vie du missionnaire, qui a rompu de façon absolue et péremptoire toutes ses relations avec le monde et avec tout ce qui lui est humainement le plus cher, doit être une vie toute vécue dans l’Esprit et dans la fidélité à Dieu.
Le Missionnaire, pour le salut des âmes, doit travailler avec un intense esprit de Foi en Dieu et de charité envers les hommes. Pour atteindre un tel but, il est nécessaire qu’en plus d'un fidèle dévouement au devoir et d'un zèle ardent, il ait aussi un grand amour et une grande crainte de Dieu. Il est nécessaire aussi qu'il ait une bonne maîtrise de ses propres passions ; sa vie doit s'ouvrir à la ferveur pour les réalités spirituelles, et il doit se distinguer par un grand amour pour l’étude et par un grand désir de perfection et de vie intérieure.

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N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
101
Abbé Pietro Grana
0
Vérone
12. 6.1863

N° 101 (98) - A L'ABBE PIETRO GRANA

ACR, A, c. 15/48

Vérone, le 12 juin 1863

Mon cher Abbé Pietro !


 

[733]
Hier l'Archevêque m'a écrit qu'il avait reçu le fameux paquet qui a failli nous faire tous devenir fous et moi en particulier. J'ai découvert le pourquoi du retard. Je sais qui a envoyé le pli à Turin, et comme ce fut en partie par malice et en partie par bêtise, j'ai vu que la personne était sincère, donc je lui pardonne tout et qu'on n'en parle plus. A vrai dire je dois seulement souligner que les Messageries Mazzoldi ont été correctes, comme toujours, en effectuant régulièrement l'envoi. Donc si vous avez fait une réclamation, comme je vous le demandais, arrêtez tout car tout est arrivé à destination. C'est vrai que la première fois l'Archevêque a refusé le paquet. Mais compte tenu des circonstances dans lesquelles il se trouvait :..."ne sachant pas, (ce sont ses mots), que je devais recevoir un paquet provenant de chez vous, et ne sachant pas ce qu'il contenait, je n'ai pas cru à ce qu'il y avait écrit sur la feuille d'envoi, comme quoi il contenait des Agnus Dei, je craignais une surprise ou une escroquerie, et je l'ai refusé net." Puis c'est moi qui me suis trompé, car j'aurais dû prévenir par une lettre l'Archevêque de l'arrivée du paquet, tandis que j'ai écrit à un ami à Florence qu'il avertisse l'Archevêque. Ce con ne l'a pas fait ! En plus moi j'avais mis une note à l'intérieur du paquet.

Fiat. Tout est fini !


[734]
Dites à l'Abbé Bortolo que tout est rentré dans l'ordre. De mon côté, jusque au mois de mars inclus j'ai donné à sa protégée 1 florin. Puis deux pièces de monnaie chaque mois. Je lui écrirai mais je n'en ai pas le temps, vous êtes plus près de la poste. Donnez-lui cette image pieuse et dites-lui de prier pour moi. Remerciez mille fois Elisa pour son admirable gentillesse lorsqu'elle m'a donné les renseignements demandés. Si tous mes correspondants étaient comme elle, je pourrais me retirer dans la vallée de Teseul, où je vis le jour, et y mener une vie solitaire d'anachorète, car je n'aurais plus rien à faire dans le monde.

Souvenez-vous de votre



très sincère ami

Abbé Daniel






102
Abbé Turrini Agostino
1
Vérone
13. 6.1863

N° 102 (1193) - A L'ABBE TURRINI AGOSTINO

ACL

le 13 juin 1863

Un autographe sur une image pieuse.



 

103
Compte Guido di Carpegna
0
Vérone
11. 7.1863

N° 103 (99) - AU COMTE GUIDO DI CARPEGNA

AFC, Pesaro

Vérone, le 11 juillet 1863

Mon très cher Guido !


 

[735]
Oh, quelle joie a inondé mon cœur en recevant tout à l'heure ta lettre de Carpegna ! Toi, mon cher Guido, bientôt dans mes bras ? Et cela est vrai ? Ô rêves dorés !... mais non, c'est la réalité ? une joyeuse réalité ? Ah, ne me laisse pas, Guido, les mains vides. Je crois que tu viendras. Non, ce n'est pas un rêve, non ! Je te renseigne immédiatement sur le parcours entre Bologne et Vérone. Si tu prends par Ferrare, Rovigo, Padoue et Vérone, c'est la route plus courte. Et un peu plus économique, mais pas beaucoup. Par Milan elle est plus chère, mais plus confortable et plus longue. Par courte et longue j'entends la distance mais au point de vue du temps c'est la même chose. Donc tu fais comme tu veux. Moi je te conseillerais celle de Milan, car c'est toujours par chemin de fer, tandis que via le Po - Rovigo - et Padoue c'est en carrosse. Viens mon Guido, viens.

Si tu reçois mon billet de Rome, déchire-le. Je te l'avais envoyé suite à ta lettre où tu me disais que tu serais venu à Vérone après ton retour de Belgique.


[736]
Donc je t'attends. Si je pouvais connaître le train par lequel tu arrives, je viendrais t'accueillir à la gare de Porta Nuova si tu viens de Milan, de Porta Vescovo si tu viens de Padoue. Non je ne te reproche pas ton long silence, car ta venue à Vérone guérit toutes les blessures et anéantit toute récrimination. Donc veni dilecte mi veni sponsa mea amica mea, surge et veni.

Salue pour moi Gabriello, le Curé, l'Abbé Antonio, Ducci et omnes etc. je reste



Tuissimus in corde

Abbé Daniel






104
Comtesse Ludmilla di Carpegna
0
?
8.1863

N° 104 (100) - A LA COMTESSE LUDMILLA DI CARPEGNA

AFVG

Août ? 1863

Ma bonne et vénérable Comtesse !


 

[737]
Bien que Guido ait dû déjà vous écrire, car je lui ai donné dans ma petite chambre, plume, papier et encrier,(moins la poudre si vous ne l'aimez pas et à juste titre), néanmoins, ayant reçu votre lettre du 7 dernier et ayant terminé ce soir mes prédications, je m'empresse de vous donner de ses nouvelles. Je me mords les doigts de ne pas vous avoir écrit, comme je le voulais, à mon retour de la gare où j'ai accompagné mon bon ami. Je dois vous dire que je n'ai jamais vu Guido aussi gros, rubicond et en bonne santé, ni à Rome, ni à Carpegna, ni en Egypte ou à Trieste. Comme je m'en étonnais, le petit coquin m'a dit : "T'as vu mon cher que sans tes médicaments je suis bien et je grossis ?" "C'est bien, lui ai-je répondu, je veux que tous mes mauvais pronostics sur toi réussissent comme ça". Et c'est vrai que le petit filou est en pleine forme, d'une humeur très aimable ; il a laissé parmi nous un souvenir plein d'admiration et qui, chez les collégiens, ne s'effacera plus jamais. Je l'ai présenté à mon Supérieur l'Abbé Mazza, saint homme, cultivé, et doté d'une grande intuition qui lui permet de comprendre quelqu'un du premier coup d'œil. Il a dit de lui qu'il a un fond de religion catholique très pur, une intelligence extraordinaire, une faculté de jugement des choses et du monde supérieure à son âge, qu'il est raisonnable et mûr et qu'il a un bel avenir dans la société.


[738]
L'Abbé Mazza ne s'est jamais trompé dans ses jugements. Et pourtant, alors que je n'étais pas présent, c'est ce qu'il a dit aux autres prêtres. L'Abbé Mazza est un saint homme plein de charité et de patience. Il est un grand défenseur du pouvoir temporel et je ne comprends pas comment Guido a pu être mal jugé par certains sacrés Romains. J'aimerais bien que ces gens tombent sur moi, je leur apprendrais à mieux juger, et je leur donnerais de bonnes leçons d'Evangile, de charité chrétienne et d'humilité. Je l'ai ensuite présenté à mes camarades, dont je ne suis pas digne de nouer les lacets des chaussures. Ils sont experts en littérature et en sciences divines, professeurs au séminaire et dans les Lycées, et ils sont restés émerveillés des connaissances de ce jeune homme, surtout dans la littérature classique. Certains d'entre eux, que j'avais embêtés en décrivant Guido comme un lettré doué de bonnes qualités, m'ont dit, après quelques heures passées avec lui, "non seulement il connaît la littérature, mais c'est déjà un bon auteur ; tu nous l'as décrit comme quelqu'un de grand, mais nous le trouvons supérieur à tes louanges, et tu nous en avais dit beaucoup moins par rapport à la réalité".

Bref ils aiment Guido et en sont étonnés, et maintenant il ne parlent que de lui. Certains, comme Martinati, Angeloni, etc. m'ont reproché de ne pas les avoir avertis de l'arrivée de Guido, car sous prétexte de venir me rendre visite, ils auraient pu voir ce noble romain admirable qui est venu me rendre hommage et nous faire, à nous tous, tant de bien par sa présence. Ils ont aussi apprécié sa façon de nous traiter, nous gens du peuple, alors que lui-même a été présenté comme le premier né de l'illustre famille des Comtes Carpegna, princes de Scavolino. Lorsque j'ai reçu, de Carpegna, la lettre de Guido, j'ai mis à sa disposition ma chambre, qui est la plus convenable de ma pauvre résidence, grâce à l'autorisation de l'Abbé Mazza. Mais l'Abbé Beltrame, directeur des prêtres, qui est allé à Rome chez les Carpegna, en a eu connaissance. Il en a parlé aux autres en disant qu'il s'agissait d'un grand personnage, d'un noble romain, et que cela était honteux de le faire loger dans une maison aussi pauvre.


[739]
Connaissant Guido, sa bonté et sa simplicité, je me suis révolté, en disant qu'il était allé en Orient, et chez les Franciscains, (bien que, comparés à nous, ils soient très riches), mais tout fut inutile. Ils ont décidé que c'était offenser un si grand personnage que de lui imposer tant de misère et un logement aussi pauvre que nos vilaines maisons.

En fait, à force de palissades, notre institut est devenu un ensemble de petits chemins et de couloirs. C'est pourquoi vous pouvez bien imaginer, chère Comtesse, mon humiliation quand j'ai dû l'amener dans un des meilleurs hôtels de Vérone, où il a été piqué par les moustiques, mais où il n'a passé que deux nuits. Vous pouvez imaginer ma peine après les attentions que j'avais reçues dans la Maison Carpegna de la part de tous et du Comte Luigi et qui sont toujours présentes dans mon cœur. Toutefois, à part une très courte nuit et une heure et demie lors d'une prédication, je me suis toujours réjoui de la présence de votre Guido, et je lui ai montré tout ce qu'il y a d'intéressant à Vérone, ainsi que mes Instituts.


[740]
Oh ! ma bonne Comtesse, le départ de Guido a laissé un grand vide dans mon cœur, comme celui que j'ai connu lorsque j'ai quitté Carpegna, l'année dernière. Et cela dure toujours, car j'ai souffert plus que quand j'ai quitté mes chers parents pour me rendre en Afrique. Mais assez comme ça, car je crains que l'enfant que vous portez dans votre sein ne se plaigne.

Dites à mon cher et vénérable Comte Luigi qu'il peut être heureux et fier d'avoir un fils qui lui fasse honneur, et soit la gloire de sa maison, et qui deviendra une gloire pour Rome et pour l'Italie si Dieu, comme je l'espère, lui donne une bonne santé. Dites-lui beaucoup de belles choses de ma part, que j'ai reçu sa lettre, et que je regrette énormément qu'il n'aille pas bien. Saluez-le de tout cœur. Bien que cette lettre lui soit aussi destinée, dites-lui que je l'aime comme un père et que dès que j'aurai un peu de temps je lui écrirai. Oh, que le ciel le bénisse ainsi que son fils !

Je vous prie, madame la Comtesse, de ne plus m'écrire avant l'accouchement, mais seulement après, quand vous serez rétablie et que vous le pourrez sans fatigue. En attendant je serais plus qu'heureux d'avoir de vos nouvelles autrement. Ne pouvant vous aider pour le moment que par la prière, je vous assure que, bien que je sois un grand pécheur, je prierai pour vous. Je dirai beaucoup de Messes jusqu'à ce que j'aie de bonnes nouvelles de l'accouchement.


[741]
Maintenant j'arrête car je veux écrire au Comte. Des salutations à Mazzoni et à Mannucci. Courage durant l'absence de Guido. Son Ange gardien l'accompagne avec amour. J'ai la joie de vous présenter mes respects et de vous saluer de tout mon cœur en restant éternellement



votre très affectueux

Abbé Daniel



P.S. Mon Supérieur vous présente ses hommages, de même que mes camarades missionnaires.






105
Président Société de Cologne
0
Vérone
4.10.1863

N° 105 (101) -AU PRESIDENT DE LA SOCIETE

DE COLOGNE

"Jahresbericht..." 11 (1863), pp. 59-76

Vérone, le 4 octobre 1863


 

[742]
J'espère que vous avez reçu ma lettre du 29 septembre, dans laquelle je vous promettais de vous communiquer les progrès de nos jeunes Africains ainsi que nos efforts pour leur éducation. Je m'empresse d'exprimer mes sentiments de gratitude aux Membres de la "Société d'aide aux pauvres noirs".

Je vais d'abord vous donner des renseignements sur l'Institut des garçons et puis sur celui des filles.


[743]
L'Institut pour garçons accueille actuellement 11 enfants, soit :

Giovanni Faragiallah, d'environ 13 ans, né à Malamoh chez les Gallas.

Salvatore Badassa, 12 ans, né à Oromoh, chez les Gallas.

Pietro Bulloh, 11 ans, né à Goraghi, chez les Gallas.

Battista Olmbar, 13 ans, né à Kafa (Gallas)

Antonio Dobale,11 ans, né à Marago (Gallas).

Gaetano Baratola,13 ans, né à Maggia (Gallas).

Francesco Amano, 12 ans, né à Kafa (Gallas).

Giuseppe Ejamza, 9 ans, né à Maggia (Gallas)

Michele Ladoh, 16 ans, né à Gondokoro parmi les Bari,4°40' Latitude Nord sur le Fleuve Blanc.

Ferdinando Said, 17 ans, né à Tegali (11° Latitude Nord) sur le Fleuve Blanc.

Francesco Schubbe, 14 ans, né à Gondocoro chez les Bari.


[744]
J'ai ramené à Vérone des Indes (Orientales) les huit enfants gallas en 1861. Michele Ladoh est arrivé l'année dernière avec l'Abbé Giovanni Beltrame. Ferdinando Saïd est venu en 1853, avec le Père Geremia da Livorno, missionnaire franciscain en Egypte. Francesco Schubbe est arrivé d'Afrique Centrale seulement le mois dernier avec Monsieur Francesco Morlang, missionnaire apostolique. Je ne puis rien vous dire à son sujet car nous n'avons pas encore commencé son éducation. Pour être précis, il se trouve encore chez Monsieur Morlang à Brixen, qui devrait l'amener à Vérone vers la fin de ce mois-ci.


[745]
Je peux vous dire à propos de Ferdinando Said qu'après lui avoir enseigné la religion, l'histoire de l'Eglise, l'arithmétique, la langue italienne et l'arabe, on l'emploie dans les champs ainsi que comme cordonnier, et qu'il partira avec la prochaine expédition en Afrique. Malheureusement je ne peux pas vous dire grand chose non plus sur un autre enfant : Luigi Maraghi, 12 ans, de Marago, fils d'un des plus terribles chefs Galla, qui à l'intelligence et à la pureté du cœur joignait une rare beauté et une grande abnégation. Je l'avais emmené avec moi d'Aden, où il était esclave chez un marchand de Goa. En un an il avait bien appris l'arabe, l'hindou et assez bien l'italien, il était le premier de la classe. Puis, en juillet dernier, il est mort après quatre mois de maladie. Je n'ai jamais trouvé une âme qui désire autant souffrir et surtout connaître les souffrances du Sauveur. Il est mort comme un ange, après avoir exhorté ses frères à prier Dieu pour la conversion de l'Afrique.


[746]
Le Fondateur de nos Instituts, l'Abbé Nicola Mazza, a créé à Vérone en 1837 une œuvre pour enfants, dans laquelle il accueille tous les enfants pauvres qui, par manque de moyens, ne peuvent recevoir une éducation complète. Ceux-ci doivent être absolument pauvres, avoir une belle intelligence, du jugement, de bons sentiments et de bonnes mœurs. Il donne à ces enfants une formation complète selon leur vocation qu'ils doivent déterminer librement eux-mêmes. Il les entretient et les éduque jusqu'au moment où ils entreront dans la société pour y travailler comme prêtres, médecins, avocats, ingénieurs, peintres, sculpteurs, etc. Nous avons ainsi déjà eu des centaines de prêtres, de professeurs, de juristes, d'ingénieurs, etc. qui travaillent pour eux-mêmes, pour leurs familles, pour l'Etat ou pour l'Eglise. Certains ont demandé à être envoyés comme missionnaires en Afrique Centrale.


[747]
L'Abbé Mazza à fondé un peu plus tard un Institut pour les jeunes filles pauvres qui courent le danger de perdre leur innocence. Elles sont éduquées pour devenir de bonnes ménagères. Celles qui montrent des capacités particulières sont formées pour des travaux féminins, comme la préparation artistique des fleurs, la broderie, mais aussi à la peinture, aux mathématiques et aux langues étrangères. Nos travaux en soie et nos broderies, en 1855, ont reçu la médaille de première classe à l'exposition de Paris. Les parements pour la Messe que l'Empereur et l'Impératrice d'Autriche ont offert, l'année dernière, au Saint-Père, furent préparés, sur demande de l'Impératrice, dans notre Institut. Ils sont ornés de 14 tableaux de Raphaël et autres maîtres de la peinture classique et sont reliés, entre eux, de façon parfaite, avec de la soie de Nadelin. Les revues La Civiltà Cattolica et l'Armonia ont évalué ces parements, à 36.000 thalers. Les jeune filles africaines aussi ont montré leurs capacités dans cette œuvre d'habileté artistique.

L'Institut compte actuellement 184 garçons et 32 clercs, qui sont ceux qui ont déjà reçu un ordre ecclésiastique.

L'Institut féminin est constitué de 412 jeunes filles. Tous ces enfants sont entretenus grâce à la générosité des fidèles dont bénéficie notre fondateur, au jour le jour. Autrement nous n'avons rien, ni terrains, ni capitaux, pour maintenir en vie nos Instituts.


[748]
De ces deux Instituts de l'Abbé Mazza, naquit un troisième : celui pour la Mission en Afrique Centrale. Il avait envoyé beaucoup de prêtres de son Institut en Afrique Centrale. Mais il a vite compris que les missionnaires qui supportaient mal ce climat devaient se faire aider par les indigènes, et qu'il fallait fonder en Europe deux Instituts pour jeunes Africains, un pour les garçons et l'autre pour les filles. Il mit en œuvre ce projet en en confiant la responsabilité respectivement aux deux directions des Instituts, celle des garçons et celle des filles.

Ces enfants noirs doivent être formés à la religion, aux arts, à l'agriculture et surtout à tout ce qui est nécessaire à la vie. Quand ils sont bien préparés, ils sont envoyés en Afrique Centrale où ils aideront les missionnaires dans la propagation de la foi.


[749]
Quant aux Africains qui ont une vocation religieuse, ils reçoivent une instruction qui en fera des bons prêtres. Mais ils ne sont ordonnés qu'après 7 ou 8 ans passés en Afrique.

Après ces préliminaires je vais maintenant vous parler des progrès faits par les enfants africains.


[750]
Les huit enfants Gallas, qui connaissaient leur langue ainsi que l'abyssin et un peu d'hindou appris lors de leur séjour en Inde et à Aden, ont dû apprendre une autre langue dans notre Institut. Par conséquent dès leur arrivée à Vérone j'ai dû essayer de leur enseigner l'arabe. Ainsi nous avons passé l'année dernière à leur donner une instruction religieuse en langue galla, abyssin ou hindi selon ce que les enfants et nous-mêmes pouvions comprendre.

Même chose pour l'enseignement de l'arabe, la langue courante telle qu'on la parle là bas dans les régions du Nil, ainsi que l'arabe écrit. Ils avaient chaque jour cinq heures de cours et cinq heures d'étude. Dix heures d'étude cinq jours par semaine. Le jeudi, ils n'avaient que leurs devoirs et le dimanche trois heures.


[751]
Cette année l'enseignement a été donné régulièrement. Les matières sont les suivantes :

- Religion : Le Catéchisme du Cardinal Bellarmino est expliqué à fond (publié en arabe par la Congrégation pour la Propagation de la Foi de Rome). On a parlé des principaux mystères, du signe de la Croix, et du Credo.

- Langue arabe : Ecriture, exercices de lecture, règles grammaticales sur la formation des verbes réguliers de trois lettres, tableaux sur les six classes régulières à trois lettres.

- Langue italienne : Ecriture, la petite grammaire du Soave, exercices progressifs d'analyse, réalisation de tableaux et de petits contes.

- Arithmétique : Principaux exercices avec tous les nombres, mais surtout avec les ordinaux et les fractions.

- Histoire de l'Ancien Testament : De la création jusqu'à la captivité de Babylone.

Tout cela a été enseigné aux enfants africains en arabe. Durant les heures de récréation et les vacances d'automne on fait des exercices pratiques d'agriculture.


[752]
Michele Ladoh, qui est arrivé l'année dernière de chez les Bari (Noirs) et qui avait appris l'arabe des Dongolais marchands du Fleuve Blanc, a reçu pendant quatre mois des cours particuliers, ensuite il a été mis dans la même classe que les Galla. En 1862-63 se sont distingués surtout :

Giovanni Faragiallah, qui a reçu le premier prix

Michele Ladoh, qui a eu le second, et

Salvatore Badassa, qui a reçu le troisième.


[753]
Les cinq premiers enfants, y compris Michele Ladoh, ont beaucoup de talent et une bonne prédisposition pour la peinture et les sciences spéculatives. Nous espérons beaucoup de leur part. Tous ont un extraordinaire esprit de sacrifice, un caractère doux et sont obéissants. Les deux préfets, qui avaient été chargés de leur surveillance, et qui avaient été préfets des Italiens dans mon Institut, me disent qu'ils préféreraient s'occuper de cent Africains plutôt que de dix Italiens. J'espère donc qu'ils deviendront eux aussi des instruments dociles pour aider la malheureuse Mission d'Afrique Centrale, dont le climat nous enlève presque tous nos missionnaires et dont le seul espoir repose dans les Africains qui sont éduqués en Europe.


[754]
Dans notre Institut féminin il y a 13 jeunes filles africaines :

Rosa Fedelkarim, 15 ans, née chez les Humus, à l'est du Fleuve Blanc.

Annetta Scibacca, 16 ans, née à Teghali, à l'ouest de la tribu des Scelluk, 11° de Lat. N.

Domitilla Bakhita,15 ans, née à Mady chez les Denka, c'est à dire à Ahien, à l'Est du Fleuve Blanc, entre le 10° et le 11° de Lat. Nord.

Fortunata Quascè, 18 ans, née à Tongojo près de Djebel Nouba, sous le 10° de Lat.Nord.

Elisabetta Haua, 19 ans, née dans la tribu des Fertiti, à Est du Fleuve Blanc.

Giustina Bahar-el-Nil, 13 ans, née à Libi près du Djebel Nouba.

Luisa Mitherah, 14 ans, née dans la partie occidentale du royaume du Darfur.

Elisabetta Kalthumach, 16 ans, née dans le Darfur.

Maria Zereah, 16 ans, née à Tekem à l'ouest du Fleuve Blanc.

Regina Zafira, 15 ans, née parmi les Giangseh, 9° de Lat. Nord, à l'Ouest du Fleuve Blanc, où il reçoit l'affluent Ghazal.

Francesca Bakhita, 12 ans, née à Colongo dans le Djebel Nouba.

Caterina Zenab, 12 ans, née à Ajel, dans la tribu des Hogh à l'ouest du Fleuve Blanc, 7° Lat. Nord.

Maddalena Zenab, 16 ans, née à Bellagross, dans la tribu des Barta, 10° Lat. Nord à l'Est du Fleuve Blanc.


[755]
Les 11 premières, ainsi que la dernière, furent amenées à Vérone en 1853 par le Père Geremia da Livorno, qui les avait rachetées au Caire. Caterina Zenab, que j'ai connue toute petite chez les Kich, 7° Lat. Nord, après mon retour en Europe, fut conduite par mes confrères au Caire et je l'ai moi-même amenée à Vérone, lors de mon passage au Caire de retour de l'Inde. Elle a beaucoup de talents, connaît bien l'arabe et le Denka et elle nous à aidés énormément sur le Fleuve Blanc lors de la préparation d'un dictionnaire, d'une grammaire et d'un catéchisme en langue denka, langue la plus parlée à l'est de l'Afrique Centrale.

Dans l'Institut féminin, l'enseignement est donné en langue arabe, que 18 élèves italiennes de mon Institut connaissent assez bien. La formation des Africaines comprend aussi bien des études que des travaux manuels féminins. Cette année, nous avons partagé les jeunes filles en trois classes, qui correspondent aux primaires en Europe. Maddalena Zenab est en 1ère ; Caterina Zenab, qui a eu un premier prix, Francesca Bakhita et Regina Zarifa sont en 2ème.


[756]
Toutes les autres sont en troisième, parmi celles-ci, certaines ont reçu un prix : Rosa Fedelkarim, le 1er prix, Annetta Scibacca le 2ème, Domitilla Bakhita le 3ème. En première classe on enseigne les matières suivantes : Les grandes lignes du Catéchisme de Bellarmino, lire et écrire en arabe et en italien, savoir faire les quatre opérations.


[757]
Les matières de la deuxième année sont :

Lire et écrire en arabe et en italien, petite grammaire de ces deux langues. Mathématiques : les quatre opérations plus en détail.

Catéchisme de Bellarmino plus approfondi.

Petits contes et fables dans les deux langues.

Histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament.

La troisième classe s'occupe des principes fondamentaux de la littérature arabe, de l'histoire du Nouveau Testament, de l'histoire de l'Eglise, surtout en Afrique.

Géographie : notions générales, géographie de l'Afrique.

Arithmétique : règle de trois, nombres positifs et négatifs, simples et composés, ordinaux et cardinaux.

Religion : Le Credo, la prière en général, le Pater et l'Ave Maria, expliqué, en arabe, d'après le Bellarmino.

Notions générales de pharmacie et de médecine.


[758]
Les travaux féminins sont divisés en quatre classes. La première s'occupe de la préparation des chaussettes, costumes, chemises, reprises et travaux ordinaires. La deuxième des broderies en blanc ; la troisième des broderies en différentes couleurs ; la quatrième des broderies en soie et en or. A la première classe appartient, pour le moment, seulement Maddalena Zenab, à la deuxième Caterina Zenab, Regina Zarifa et Giustina Bahar-el-Nil ; à la quatrième toutes les autres. Rosa Fedelkarim sait broder aussi des images, ce qui nous donne des portraits intéressants. Celles qui ont reçu des prix cette année, sont : en première Maddalena Zenab, en seconde Caterina Zenab, en troisième Elisabetta Kalthuma, en quatrième Rosa Fedelkarim, Annetta Scibacca et Domitilla Bakhita.

Les six premières ont atteint une telle adresse, que chacune d'elles peut diriger, toute seule, une école en Afrique. Elles sont toutes passionnées par la religion et ne désirent qu'une chose : retourner en Afrique pour y convertir leurs compatriotes à la foi catholique. Avec celles qui manifestent une vocation religieuse, il faut de la prudence et une longue période de probation. Elles doivent faire un noviciat d'au moins dix ans.


[759]
Nos Africaines adultes, même si elles restent très bonnes et pieuses, ne possèdent plus cette docilité qu'elles montraient étant jeunes. Il faut les diriger avec plus de perspicacité et laisser passer quelques fautes. Pour le moment nous sommes contents de leurs progrès. Voilà tout ce que je puis vous dire pour le moment de nos jeunes Africains garçons et filles.

Je voudrais aussi vous raconter, brièvement, la conversion d'une musulmane que j'ai formée à Vérone, et qui fut baptisée il y a un an.

Je voudrais vous parler également du baptême que Michele Ladoh a reçu de l'Evêque de Vérone, et de la fête pour la Confirmation de nos jeunes Africains.

La musulmane noire dont je vous parle, et à laquelle nous avons donné le nom de Maria, devait être, à mon avis (elle-même n'en sait rien), de la région entre le royaume des Darfur et du Cordofan, où elle appartenait à un négrier qui l'avait amenée encore jeune enfant à Alexandrie. Là elle a vécu sept ans comme esclave d'un musulman dont elle a embrassé par la suite la religion. Elle a changé souvent de maître, jusqu'au moment où elle est arrivée à Constantinople et puis à Salonique où elle est entrée au service de la maison du Consul espagnol. Celui-ci la confia à sa fille, mariée avec le Comte Conti di Vicenza, commerçant à Salonique. La brave dame qui désirait faire à cette fille, de 28 ans déjà, le plus grand don, celui de la foi chrétienne, l'envoya pour cela chez les Sœurs de la Charité de Salonique. Mais elle dû constater, non sans amertume, qu'elle était tout-à-fait contraire à l'idée de devenir chrétienne et restait ferme dans sa fidélité à la fausse religion.


[760]
On traita Maria avec beaucoup de douceur et elle répondait aux sollicitudes de sa jeune maîtresse. Le Comte appelé par la Providence en Italie pour ses affaires, et sa jeune femme, accompagnés de l'Africaine, arrivèrent à Venise. Ici la comtesse apprit qu'il y avait à Vérone un Institut Africain avec des Missionnaires qui connaissaient les langues orientales. Ainsi elle vint à Vérone et me pria d'accepter la pauvre Noire. Maria rencontra les Africaines de l'Institut, parla avec elles, vit leurs broderies et leurs progrès dans les études et voulut apprendre à son tour tout cela.

Mais comment réussir quand on n'a pas de talents ni de prédispositions naturelles ? Bref, le comte me demanda de l'instruire et il me fallut deux mois et demi pour l'initier aux mystères de la foi. Après quoi, elle demanda elle-même le baptême. Mais j'ai voulu la mettre à l'épreuve encore deux mois, et seulement après je l'ai autorisée à recevoir le Saint Baptême. Ainsi elle a été baptisée au mois d'août de l'année dernière dans notre église du Saint Sauveur par le curé de Sainte Eufemia, l'Abbé Ferrari. Ensuite elle reçut la confirmation de Monseigneur l'Evêque. Maintenant elle est très contente et sereine et je reçois toujours de bonnes nouvelles de Salonique, où elle habite à nouveau chez le Consul espagnol.


[761]
La conversion de Michele Ladoh, est digne d'attention ; je veux maintenant vous en raconter le déroulement. En lui la grâce du Christ a fait des prodiges. A dix ans Ladoh a perdu ses parents ; il a encore un frère et deux sœurs. Il a un tempérament très doux et on ne peut pas le mettre en colère. Il est déjà d'une taille supérieure de six doigts par rapport à la taille moyenne d'un homme ; il est noir comme du charbon, il est bien proportionné, fort et imposant. Chez les Noirs Bari, il avait connu le Père Angelo Vinco de mon Institut. Il avait écouté, en même temps, la prédication de l'Evangile de la bouche des missionnaires ainsi que les enseignements des musulmans nubiens qui parcouraient le Fleuve Blanc pour échanger de l'ivoire ou autre chose. "Mais pourquoi n'as-tu pas suivi la doctrine musulmane ?" lui demandais-je un jour. "Parce que - me répondit-il - lorsque la parole d'un missionnaire catholique rentra dans mon oreille et dans mon cœur, il était impossible d'en accueillir une autre. La prédication du Catholicisme est plus forte, plus puissante que toutes les langues des mortels, et on ne peut pas ne pas être convaincu par le sermon d'un prêtre catholique, de la vérité de la Foi en Jésus Christ."


[762]
Vous vous souvenez que, l'année dernière, la mission dans la tribu Bari dut être provisoirement abandonnée en partie car il était impossible d'y propager la religion, et aussi par manque de missionnaires. Mais afin d'empêcher des ennuis prévisibles, les Abbés Beltrame et Morlang abandonnèrent la station en cachette. Seulement un mois plus tard Ladoh se rendit compte que les missionnaires ne reviendraient plus dans son pays. Il décida donc de partir à leur recherche. Dès qu'il apprit que le berbère Soliman, agent de Monsieur Lafarque, sur le Fleuve Blanc, allait partir pour Khartoum avec un chargement de défenses d'éléphant, il demanda à voyager avec eux comme mousse.

Soliman ne fit aucune difficulté pour l'accueillir car il voyait en lui un marin fort et adroit. Après deux mois de navigation sur le Fleuve Blanc, il parvint à Khartoum où nous avons notre station centrale pour l'Afrique. N'ayant trouvé aucun des missionnaires qu'il avait connus chez lui, il se rendit à Berber, où il demanda à Monsieur Lafarque de pouvoir partir pour le Caire avec ses hommes. Lafarque refusa. Alors il partit tout seul de Berber à Abou-Hammed, où il demanda à l'agent de M. Lafarque de l'admettre parmi ses hommes. L'agent avait perdu un de ses cuisiniers et l'accepta comme aide-cuisinier, et de cette façon il arriva au Caire où, sans demander aucune récompense, il alla tout droit à l'église catholique.

Il y trouva les Abbés Beltrame et Dalbosco et demanda d'être admis dans l'Eglise. L'Abbé Beltrame pensa qu'il ne pourrait le lui accorder car il était sur le point de rentrer en Europe. Mais il ne put résister aux prières du jeune Africain et il l'emmena avec lui. Ainsi, Ladoh, par Jérusalem et Constantinople arriva à Vérone le 8 mai, fête de l'apparition de Saint Michel, dont il prit le nom lors de son Baptême.


[763]
Les missionnaires Beltrame et Dalbosco l'avaient déjà instruit durant le voyage. Mais bien que je le trouvais parfaitement préparé, j'ai voulu refaire sa formation pour voir s'il restait ferme dans ses sentiments. Ainsi le 27 juin, fête du Sacré-Cœur, il était tout-à-fait prêt à recevoir le baptême et la Confirmation. Celle-ci fut également donnée aux huit enfants galla et à Caterina Zenab.

Je ne puis vous décrire la joie que nous a procurée cette fête. On choisit les aristocrates de la ville comme parrains des Africains. Le comte Antonio Pompei comme parrain de Ladoh, et sa femme, la comtesse Adelaide, comme marraine de Caterina Zaneb. Il y avait foule à l'église de Sainte Eufemia, et l'Evêque de Vérone, Luigi Marquis de Canossa, administra le Baptême.

L'église était décorée avec les plus beaux parements en soie et en or, et les mélodies d'un grand orchestre répondaient aux saintes et significatives cérémonies du Baptême des adultes. Ladoh, habillé d'abord en noir et puis en blanc, avec son séduisant maintien et son visage de la couleur du charbon faisait l'objet de l'admiration générale.


[764]
L'Evêque, l'assemblée et surtout Monsieur le Comte très religieux et fervent, pleuraient à la vue de la dévotion, de la modestie et du recueillement du jeune Africain. Les cérémonies du Baptême et de la Confirmation terminées, les dix reçurent la Sainte Communion.

L'Evêque fit un discours émouvant sur l'appel à la foi catholique et conclut la fête en donnant la bénédiction apostolique. Ladoh est encore maintenant comme au moment de son Baptême. Il a d'excellentes qualités et il est admiré par tous ceux qui le connaissent pour son tempérament doux et pour son esprit de sacrifice, et il est un modèle pour nos jeunes. Il n'a plus de volonté propre et il est prêt à tout. Il me dit toujours que depuis qu'il a reçu la grâce du Baptême il n'a plus d'intérêt pour le monde, et qu'il est disposé à mourir, à tout moment, pour pouvoir s'unir à son Sauveur.


[765]
Tout cela s'est déroulé à notre Institut de Vérone.

En ce qui concerne le Père Lodovico da Casoria, à Naples, il est lui-même un miracle vivant de charité. J'ai souvent visité ses Instituts africains et je crois pouvoir assurer qu'ils ne peuvent pas être mieux dirigés. Il a vu la nécessité de fonder cet Institut en Europe ; il l'a donc créé et pourvu d'excellents maîtres et maîtresses et a atteint de façon admirable ses projets et ses buts.


[766]
L'œuvre de l'Abbé Olivieri a apporté de grands avantages à la religion et lui en apportera encore. Il n'y a pas un catholique qui ne lui doive de l'admiration, compte tenu du grand nombre d'âmes que le saint homme a sauvées.

Son Œuvre a subi de graves préjudices à cause du traité de Paris, par lequel, durant la guerre en Orient, on a aboli la traite des Noirs. A cause de cette loi, le gouvernement égyptien n'autorise plus le transfert de Noirs d'Alexandrie vers l'Europe. Toutefois en 1859, durant mon séjour au Caire, on a pu faire sortir beaucoup d'enfants. Cette année le Père Olivieri, par l'intermédiaire de l'Abbé Biagio Verri, digne héritier de sa pensée, et avec la collaboration des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition, a pu conduire en Europe quelques jeunes Africaines. Il continuera à sauver des âmes et à soutenir l'activité du Père Lodovico, puisqu'il lui procure des élèves pour son Institut de Naples.



Abbé Daniel Comboni



(Texte original en allemand)






106
Card. Alessandro Barnabò
0
Vérone
2. 2.1864

N° 106 (102) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SC Afr. C., v.7, ff. 454-455v

Vérone, le 2 février 1864

Très éminent Prince !


 

[767]
J'ai recours, plein de confiance, au vrai Père des Missionnaires pour être aidé dans une petite mais rude Mission que je viens d'entreprendre. Il s'agit de sauver une âme des mains des Protestants de la Saxe, suite au conseil et aux ordres de Son Eminence le Cardinal de Reisach, de l'Abbé Mazza et de l'Evêque de Vérone.


[768]
L'année dernière, Emilie Julien, Supérieure Générale de l'Institut de Saint Joseph, m'envoyait à Vérone, Maria Kessler, convertie depuis trois ans à Albano du protestantisme luthérien à notre sainte Foi, afin que je puisse la placer.

Je la fis accueillir dans mon Institut féminin où, bien qu'elle fût très contente de l'Etablissement, elle était aussi très affligée. En effet elle n'avait pas les moyens d'aller en Saxe pour arracher des mains des protestants son fils, (qu'elle avait eu dix ans auparavant quand elle était dans la fausse religion de Luther), ainsi que le lui demandait Son Eminence.

Etant donné qu'en présence de la Mère Générale Emilie Julien, le Cardinal Reisach avait promis de l'aider en lui payant tout, Maria Kessler lui avait écrit trois lettres en implorant son secours. Elle avait fait la même démarche auprès du Baron Carbonelli, Ministre du Roi de Naples, qui l'avait plusieurs fois aidée. Mais ni le Cardinal, ni le Ministre n'ont répondu, bien que je sois sûr qu'ils aient tous deux reçu et lu les lettres.


[769]
C'est toujours le Cardinal Reisach, qui lors de son passage à Trente, m'avait encouragé à envoyer rapidement la nouvelle convertie en Saxe pour chercher l'enfant. En effet s'il dépassait l'âge de dix ans il deviendrait impossible de le sauver.

Donc, conseillé par mon Supérieur l'Abbé Mazza, en octobre dernier, je suis parti pour Dresde. Là je devais apprendre, non sans surprise, que l'Evêque Vicaire Apostolique chargé par le Cardinal, avait depuis six mois tenté par tous les moyens de libérer le garçon sans y parvenir.

La cause de tout cela fut le fait qu'un certain Will, chargé par l'Evêque de récupérer l'enfant à Meissen auprès de la famille qui l'hébergeait, afin de la convaincre de céder, sans payer les frais de pension, dit que le Pape et Rome voulaient le garçon, ce qui me fut répété par la personne auprès de laquelle se trouvait l'enfant. Ceci fut la cause de tous les ennuis que j'ai eus.


[770]
Cette affaire concernant aussi les Missions, je supplie Votre Eminence de lire la lettre ci-jointe, adressée au Cardinal Reisach. Dans celle-ci vous verrez les difficultés que j'ai eues pour sauver l'enfant qui trois fois m'a été enlevé par les ministres Protestants, qui craignaient que je vienne en Saxe pour y faire des adeptes. Vous verrez aussi que, grâce à Dieu et à la Vierge Marie j'ai réussi à le faire sortir et il est actuellement avec moi à Vérone.

Après avoir lu la lettre en question et l'avoir scellée, quand il vous conviendra, vous la remettrez entre les mains de Son Eminence.


[771]
C'est moi qui ai couvert tous les frais en me faisant prêter de l'argent, dans l'espoir que le Cardinal m'aiderait, ainsi que d'autres bienfaiteurs.

Quand je suis rentré, le 25 janvier dernier, j'ai trouvé une lettre de Mère Emilie, qui disait ceci : "J'ai remis les lettres de Maria Kessler à Son Eminence le Cardinal de Reisach. Je crois toutefois qu'il ne fera rien, parce qu'il m'avait promis à moi-même plusieurs fois de payer pour elle la dot, le trousseau et la pension et qu'il n'a jamais en fait tenu sa promesse". La Kessler me disait la même chose mais je n'y croyais pas. Maintenant je commence à douter.

Toutefois, comme il ne faut jamais désespérer du bien, j'ai demandé à la Kessler d'écrire une lettre respectueuse au Cardinal en allemand, et je ferai de même, dans lesquelles nous sollicitons l'aide de son bon cœur. Evidemment, je ne puis rien répéter au Cardinal. Mais comme Mère Emilie, au nom de ce dernier, m'avait recommandée la Kessler, j'étais devant le choix, ou de me débarrasser d'elle en la renvoyant à Rome, ou de décider de l'aider moi-même. Dans le but de sauver une âme, avec le soutien de l'Evêque de Vérone et de l'Abbé Mazza, j'ai opté pour la deuxième solution, et je suis parti en Saxe. Mais je gardais toujours l'espoir que le Cardinal nous aiderait dans cette affaire. Le Cardinal Reisach et la Mère Emilie sont au courant de tout cela.


[772]
Pardonnez-moi donc, Eminence, si je me permets de m'adresser à Vous en Vous priant de bien vouloir lire cette lettre, et de la remettre quand il vous conviendra, entre les mains du Cardinal Reisach. Et si l'opportunité se présente, d'y ajouter une bonne parole en ma faveur, afin qu'il finance une bonne partie des 500 thalers dépensés. J'espère que le cœur vraiment saint et charitable de cet Eminent Cardinal, voudra aider un pauvre prêtre qui, indignement bien sûr, durant ce voyage, a cependant exercé son ministère. Il est certain qu'au milieu de tant d'obstacles mis par les très astucieux protestants, Dieu a béni mon initiative, car outre que j'ai sauvé cette âme, j'espère en avoir capturé encore cinq pour le Christ ; deux que j'attends à Vérone, et deux autres que je recommanderai aux bons soins de Mgr. le Vicaire Apostolique en Saxe.

Pour le moment je ne parlerai pas de ce qui se prépare pour l'Afrique, et que nous soumettrons à Votre Eminence. Je me limite à vous présenter les hommages de l'Abbé Mazza et de Kirchner, que j'ai vu à Bamberg, et ceux très profonds de



l'humble et dévoué fils

Abbé Daniel Comboni

ex-Missionnaire Apostolique de l'Afrique Centrale






107
Abbé Nicola Olivieri
0
Vérone
20. 5.1864

N° 107 (103) - A L'ABBE NICOLA OLIVIERI

AISM Savona

Institut Mazza, Vérone, le 20 mai 1864

Très Révérend Père !


 

[773]
Monseigneur Ortalda, Chanoine de la Cathédrale de Turin, me demande de vous écrire, Père bien-aimé, car Mgr. Massaia, Evêque des Gallas, désire vous rencontrer pour discuter de points qui concernent sa Mission. L'évêque est actuellement à Rome mais il se rendra sous peu à Turin. Mgr. Ortalda, promoteur et protecteur des Missions souhaiterait la même chose. Je vous prie, donc, de me faire savoir, à moi ou à Ortalda lui-même, quand vous auriez l'occasion de passer par Turin. Si vous voulez écrire à Mgr. Giuseppe Ortalda, il vous suffit d'adresser la lettre à Turin, Via Seminario. Si par contre, vous êtes actuellement à Rome, ayez la bonté de vous rendre à la Concezione, chez Mgr. Massaia.


[774]
Lorsque j'ai été envoyé en Allemagne pour arracher des mains des Protestants un jeune homme et deux jeunes filles, je me suis rendu à Cologne pour y rencontrer notre ami Sticker II et les membres de la Société. J'ai été surpris du fait que vous, Révérend Père, n'ayez jamais rendu visite à cette Société. Je suis sûr que cela augmenterait le zèle de ses membres pour promouvoir le bien en Afrique et vous y seriez accueilli avec beaucoup de vénération. Le Père Lodovico aussi est allé à Cologne.


[775]
Je sais que vous, Père, avec mon cher Abbé Biagio, êtes passés par Vérone et avez visité diverses maisons sans venir chez nous. Pourquoi, mon bon père, ne vous souvenez-vous plus des pauvres Missionnaires d'Afrique Centrale ? Nous travaillons tous pour la même cause, le salut de nos chers Africains. Pourquoi ne devrait-il pas y avoir entre nous une heureuse collaboration ? A vrai dire, je ne me suis pas résigné au fait que ni vous ni l'Abbé Biagio ne soyez venus me trouver, ou du moins que vous ne m'ayez pas fait savoir où vous étiez. Sera-t-il si difficile de relier avec la vôtre l'Œuvre des Missions d'Afrique que nous allons entreprendre ? Cela n'a pas d'importance si, dans le passé, les idées de l'Abbé Mazza, pour des détails, ne se sont pas accordées avec les vôtres. Je crois que l'œuvre de Dieu nous réunira. Mais assez sur l'argument, j'espère qu'une prochaine fois vous viendrez me trouver, car moi aussi je désire m'entretenir avec vous sur certains points.

En attendant je demande au Dieu des Armées et à la Reine de la Nigrizia que vous puissiez sauver beaucoup d'âmes, et que vous conserviez longtemps votre précieuse vie ainsi que celle de l'Abbé Biagio Verri, auquel j'envoie mes salutations, et je souhaite que vous sauviez beaucoup d'âmes. Recevez les salutations de mon Supérieur.


[776]
Dans l'espoir d'avoir bientôt des nouvelles de votre vaste activité, je me recommande à vos prières et à celles de l'Abbé Biagio, vrai héritier de votre esprit. En embrassant respectueusement vos mains et en implorant votre bénédiction, je reste, dans les Cœurs très Saints de Jésus et de Marie



votre très humble serviteur

Abbé Daniel Comboni

Missionnaire Apostolique






108
Abbé Felice Perlato
1
Montebello
4. 7.1864

N° 108 (104) - A L'ABBE FELICE PERLATO

BCV, sez. Carteggi, b.131 (Netti Perlato)

Montebello, le 4 juillet 1864

Un bref billet.




 

109
Comtesse Ludmilla di Carpegna
0
Turin
25. 7.1864

N° 109 (105) - A LA COMTESSE LUDMILLA DI CARPEGNA

AFC, Pesaro

Turin, le 25 juillet 1864

Ma chère Comtesse !


 

[777]
J'aurais voulu vous écrire hier soir à 11 heures, à peine arrivé de Pinerolo. Mais j'étais trop excité par la magnifique journée passée avec notre cher et aimable Pippo. Aujourd'hui je me mets derrière ma table et j'écris à ma chère Lulù, pour parler de notre Pippo. A Venise j'avais reçu, depuis Turin, une lettre d'un ami, dans laquelle il me disait que Pippo avait été légèrement souffrant. De retour de Vienne j'ai liquidé mes affaires et je suis parti aussitôt pour Turin, et hier j'arrivai à Pinerolo. Que voulez-vous ? Je suis resté surpris par sa forme.


[778]
Il a été pendant quelques jours à l'infirmerie, donc obligé de ne pas sortir. Mais je l'ai vu si svelte, robuste, gai, heureux, que je fus tout à fait rassuré. Il suffit que je vous dise que du matin au soir, nous étions au soleil. A part les deux heures pour le déjeuner et un quart d'heure pour prendre un café, nous avons traversé la campagne de Pinerolo, les collines, les plaines, le Manège sur le champ de Mars, et il est resté avec moi jusqu'à 9 heures. L'infatigable Pippo m'a vu au bout de mes forces et lui inébranlable. Cela a dû être une maladie pour rire. Le Capitaine Sapelli, le lieutenant De Carlini, et le Colonel m'ont en plus donné de très bons renseignements sur son obéissance, sa soumission, sa bonté et sa discipline.

Vous pouvez imaginer, avec combien d'amour et par quels moyens je me suis recommandé auprès d'eux pour qu'il aient des égards pour lui, compte tenu du fait qu'étant habitué aux belles manières d'une famille distinguée, il a su se soumettre à la rude discipline militaire. Je me suis rendu compte qu'il est très aimé, qu'ils ont pour lui des attentions particulières et qu'ils ferment les yeux lorsque parfois les études l'embêtent. Le Capitaine, qui est son supérieur direct, m'a promis et assuré qu'il fera attention à lui et qu'il le traitera comme un fils. Pippo est content et gai, et l'idée qu'à la mi-septembre l'année sera terminée et qu'il pourra, aux environs de Rome, revoir sa Marie, maman, papa et Guido, cela l'a rendu extrêmement heureux.

Que voulez-vous Comtesse ! J'ai passé une journée paradisiaque, et durant la semaine de mon séjour ici, j'irai encore le voir. Puis, comme il convient, je l'ai tenu sur la sellette, et bien examiné, on peut dire qu'il s'est confessé à moi : il regrette de n'être pas dans les grâces de son père.


[779]
Je lui ai fait toutes les recommandations, comme un père, un frère, un ami, et je l'ai trouvé très docile. Sans discuter sur l'opportunité du passage qu'il a fait de la Belgique à Pinerolo, il est certain que Pippo est content et heureux. Par contre je vous prierais de ne jamais oublier de lui écrire, comme une vraie mère, sans jamais vous en lasser, car cela lui fera un grand bien. Pippo est trop paresseux pour écrire, mais il aime et respecte sa chère maman. Je dirai la même chose à Guido, qu'il écrive souvent à Pippo en lui faisant des recommandations, car Pippo a beaucoup de considération pour lui et aime et respecte son frère. Tout cela est normal, car malgré le tempérament doux de Pippo, il est certain que le collège militaire, même s'il y a la discipline, n'est pas toujours une école de moralité et de religiosité, et il pourrait en venir à faire ce qu'il n'a encore jamais fait.

J'ai été rassuré de voir qu'il est aimé de ses Supérieurs. Parmi ceux-ci, il y en a qui m'ont dit que l'allocation familiale est insuffisante. Pippo ne s'en plaint pas, mais il me dit la même chose. Je voudrais avoir des millions pour pouvoir les lui donner. Toutefois je suis au courant du chèque de son Père, et des grands sacrifices que vous faites, je me dis que cela est suffisant pour qu'il puisse s'en tirer discrètement et ne pas prendre de vices. Vous savez à qui ressemble Pippo : il faut toujours le brider, autrement il ferait comme beaucoup d'autres, car si on lui envoyait 20.000 francs par an, il dépenserait tout.


[780]
Que cela reste entre moi et Lulù : je parle avec mon cœur mais aussi avec ma tête. Et moi je suis assez bien placé pour connaître le moindre soupir de Pippo. Donc, même si actuellement il se conduit bien, et se fait vraiment aimer par ses supérieurs pour sa bonté et sa docilité, nous devons toutefois toujours être derrière lui, car il est certainement moins surveillé que lorsqu'il était à Rome Par conséquent, vous, Guido, moi, l'Abbé Luigi pour lequel Pippo a de la gratitude, la Comtesse Adelaide Baldini, nous devons, comme il convient, chacun selon sa position et les rapports qu'il a avec lui, être derrière Pippo, ne jamais le perdre de vue, et faire son bien. Je vous dirai qu'il est fort, rubicond, sincère, ouvert avec qui sait comment le prendre, robuste, élancé, et content. Certes, il ne sera jamais un grand cavalier, mais il apprend ce qu'il lui faut pour sa carrière future. Le capitaine m'a assuré qu'il passerait sans problèmes ses examens. Mais moi je connais Pippo, je sais qu'il a perdu quatre mois, puisqu'il est arrivé alors que l'année était déjà commencée, puis il a été malade, j'ai donc quelques doutes. Toutefois espérons, prions toujours pour lui, et ayons confiance en Dieu qui écoute toujours nos prières. A Pinerolo il a un très bon ami en la personne de Monsieur Da Vico, Major de la Garde Nationale, homme excellent, gentilhomme et qui est très attentif à Pippo.


[781]
Il est curieux que j'aie promis à Pippo de vous écrire au sujet de l'augmentation du chèque. Mais après mûre réflexion, je pense que j'ai eu tort à propos de ce que je vous ai dit plus haut. Enfin , moi je suis content d'avoir vu et embrassé Pippo, c'est comme si j'avais gagné au loto, et même plus que cela, et jeudi j'en ferai autant.

Pour le reste, dimanche je rentrerai à Vérone et je travaillerai pour votre Polonais. Il ne se passe pas un instant que je n'aie présente dans mon cœur ma chère famille Carpegna. Je voudrais connaître cette Comtesse Baldini, j'irai donc la voir demain. En parlant avec elle j'aurai l'impression d'être à Rome. Je voudrais parfois écrire à Monsieur le Comte, mais je crois qu'il vaut mieux ne pas lui parler de Pippo. En tout cas, conseillez-moi, car je crois que cela serait pire, donnez-moi votre avis.

Pippo m'a dit avoir écrit au Comte pour le jour de sa fête. Bien que j'aie des doutes, il est toutefois possible que la lettre ait été perdue. Imaginez que la personne qui devait porter la lettre chez le marchand de tabac ait dépensé l'argent pour le timbre (chose probable), la lettre n'arrivera pas à destination. En effet les lettres pour Rome doivent être affranchies jusqu'à la frontière, autrement elles ne partent pas, c'est une loi récente. Sur ce point aussi j'ai fait une recommandation à Pippo.


[782]
Saluez de tout mon cœur Monsieur le Comte. Ecrivez-moi longuement à Vérone, et embrassez Guido et la petite Maria que j'aime tant, et parlez-moi d'Annetta qui sera peut-être à Rome. Demain, c'est comme si je la voyais, elle sera en extase pour la fête de la Sainte Mère de Marie.

Priez-la pour moi, et moi je le ferai comme je l'ai toujours fait pour vous, ma chère Comtesse Ludmilla, et dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie je suis



Votre très fidèle et affectueux ami

Abbé Daniel






110
Comtesse Ludmilla di Carpegna
0
Genes
9.8.1864

N° 110 (106) - A LA COMTESSE LUDMILLA DI CARPEGNA

AFC, Pesaro

Gênes, le 9 août 1864

Très noble Comtesse !


 

[783]
Si je n'avais pas d'affection pour vous et pour la famille Carpegna, je me tairais. Je n'entrerais pas dans le domaine sacré des problèmes les plus délicats. Mais cela pourrait causer davantage de souffrance de ne pas avoir averti à temps des conséquences graves qui peuvent en découler. Ma très chère Ludmilla, si on y réfléchit bien, ces choses qui se présentent à nous comme importantes au premier coup d'œil, sont, sur la grande scène du monde, minuscules, des points mathématiques. La jeunesse connaît des crises inévitables, on ne doit pas s'en étonner. Le temps de la maturation arrive et les choses rentrent dans l'ordre. Ceci n'est peut-être pas un langage digne d'un ministre de Dieu, mais il est sûrement celui de quelqu'un qui connaît le monde. D'un autre côté, garder le silence pourrait causer davantage d'ennuis et empêcherait de prévenir les dégâts. Ma chère Ludmilla, si vous saviez avec quels efforts et quel travail intérieur je vous écris ; mais j'aurais peur de ne pas être un vrai et loyal ami, si j'avais des secrets pour Ludmilla. Après ces préambules, vous devez imaginer que j'ai quelque chose d'important à vous révéler. Et pourtant, si on y pense bien, c'est vraiment une petite chose, si on considère notre époque et la nature de l'homme. Mais nous, par amour et par devoir, devons éviter même les petites choses. Si en vous racontant, ce que je vais vous dire, je ne le fais pas de la manière qu'il faudrait, ou si j'ai tort de le faire, je vous prie de me passer un savon, qui me sera cher car venant de vous.


[784]
Quand je suis rentré de Pinerolo, je vous ai parlé de l'aspect physique de notre cher Pippo ; à savoir, sa parfaite santé et l'affection que lui portent ses Supérieurs. J'ai dit la vérité, cela est vraiment ainsi. Dans cette lettre je vous promettais de vous écrire de Vérone. Mais les affaires, l'aller et retour, et cette réticence naturelle à devoir parler de choses peu agréables, m'ont amené à retarder ma lettre jusqu'à aujourd'hui. De Vérone je voulais vous parler de l'aspect moral de Pippo, qui n'est pas très satisfaisant par rapport à notre sensibilité. Il est certain que, depuis que Pippo est resté à Gènes avec le fils du Marquis...Préfet... il est un peu débridé, et boite un peu pour ce qui est de la religion. Je ne suis pas très satisfait de ses sentiments religieux, même s'il garde intacts les principes de base. Même sa moralité a laissé un peu à désirer. Vous êtes bien trop avertie, et avez trop d'intuition pour ne pas vous être rendu compte que la maladie de Pippo n'était pas due à une quelconque petite escapade. Je l'ai examiné de très près, et j'ai été rassuré de voir qu'il était sincère: il m'a avoué tout par le menu, des trois ou quatre fois où il est allé à Turin et à Pinerolo et il a dérapé. Il le regrette beaucoup, il sait que c'est mal et qu'il cause tant de douleur à sa mère. Il serait prêt à tout vous dire, mais il sait que si on peut cacher de pareilles actions, on le fait volontiers. Moi, qui connais l'armée, bien que dans le Collège de Pinerolo il y ait une discipline sévère, et que chaque semaine les jeunes passent une visite, je suis content de savoir qu'il n'y a eu que deux, trois peut-être quatre occasions, durant lesquelles il a contracté l'infection, et il est guéri depuis longtemps. Voilà tout.


[785]
Mon aimable Comtesse, je vous dis cela dans le secret absolu. Je veux que personne, ni Pippo, ni Guido, ni le Comte ne sachent que j'ai écrit. Pauvre de moi si on devait l'apprendre. J'ai des renseignements sûrs de Pippo, par un Prélat, né à Pinerolo, qui a été chargé par moi de recueillir, toutes les semaines ou 15 jours, des informations par l'intermédiaire d'un prêtre de Pinerolo qui sait tout. J'espère que cela sera pour le bien de Pippo. Mais pour le redresser et éviter des désordres plus grands il faut que vous sachiez tout, afin d'employer les moyens appropriés pour lui éviter des ennuis. Si je mérite des reproches, dites-le moi. Le Comte ne doit rien savoir pour ne pas lui donner davantage de raisons de se fâcher contre son fils.

Selon moi, vous devez continuer à multiplier les lettres et les recommandations : elles ont de l'influence sur le cœur de Pippo, j'en parle avec certitude. Ensuite j'exigerais davantage de contrôle sur l'argent que Pippo dépense mal. Si vous lui donnez mille écus en une année, il en aura autant de dettes. Là aussi je dis à regret la vérité. Il faudrait donc obliger Pippo à rendre compte du moindre sou, et ne pas lui faire confiance à lui, mais aux papiers : aux notes des frais, etc... et donc d'exiger des reçus.


[786]
Je ne le sais pas, mais peut-être pensez-vous qu'au Collège tout a été payé. Je crois, moi, qu'il faut encore donner 450 francs.

Troisièmement, étant donné que Guido peut tout sur le cœur de son frère, il faut qu'il soit pour lui son Père, son tuteur, son maître, tout. Je voudrais m'entretenir avec lui avant qu'il n'aille à Pinerolo. Je reste deux jours à Gênes et puis j'irai à Turin pour deux semaines. Je serais très heureux de pouvoir l'avertir de tout ! J'en parlerai avec la Comtesse Adelaide Baldini et on s'organisera. Guido sera informé de tout.

Toutefois ne croyez pas que je donne trop d'importance à cette affaire. Cela est inévitable, chère Comtesse, la jeunesse en cela est fragile. Il faut nous attendre à quelques faux pas. Si nous discutons de cela entre nous, nous nous rendons compte qu'il faut fermer un œil. Nous devons y faire attention pour prévenir le mal à l'avenir, et peut-être un mal plus grand. Nous savons que le monde ne finit pas pour autant. Et ce serait prétendre au miracle que le fils... d'un Romain reste irréprochable. Mais en présence de Pippo nous devons nous en faire, et être toujours à côté de lui pour l'amener à arrêter ce vice, après avoir commis l'erreur de passer si vite de la Belgique à l'Italie.


[787]
Je vous demande de ne pas trop vous en faire pour cela. Tout le mal qu'il y avait, je vous l'ai raconté. S'il y avait plus je vous le dirais, car de Pippo je sais tout, et je tiens une correspondance spéciale pour tout savoir, pour intervenir, et pour satisfaire aux devoirs de l'amour, de l'amitié et de mon ministère. Voilà, ma chère Ludmilla, ce que j'avais à vous dire.

Pour l'amour de Dieu que personne ne sache ce que je vous écris au sujet de Pippo, et Pippo moins que tous. Parce qu'autrement à l'avenir je serais obligé de me taire, et de ne pas faire ce que me dicte le grand amour que j'ai pour vous, pour Pippo et pour les Carpegna. Avec Pippo il ne faut ni exagérer ni le menacer. Il faudra le prendre du côté du cœur. Il se moquera de moi et de ses amis, mais croyez-moi, la mère et Guido peuvent encore beaucoup sur son cœur.

Je suis presque sûr de pouvoir venir à Rome en automne. Alors nous discuterons et réfléchirons longuement sur tout cela. Soyez assurée que dans le futur je vous tiendrai au courant des éventuelles escapades de Pippo. Je vous en informerai si je suis à mon tour informé avec certitude.


[788]
A Pinerolo, il est quasiment impossible de faire ce genre de choses. C'est quand il vient à Turin qu'un jeune juif l'amène dans une maison de passe. Ici, à Turin, il faudrait qu'il reste toujours avec des gens sûrs, comme la famille Baldini, etc.

Excusez-moi, chère Comtesse, écrivez-moi tout de suite à Turin à l'hôtel du Bue Rosso, où je descends d'habitude. Je dois rester là-bas 15 jours. Dimanche ou lundi je vais à Pinerolo. Je ne sais pas si Pippo vous a écrit à ce propos. Il est certain qu'il y a 15 jours il était tiraillé, parce qu'il n'a pas cessé d'avoir confiance en vous et de vous aimer.

Je vous prie de rester sereine, de me donner de vos nouvelles ainsi que de toute la famille. Embrassez Maria de la part de



votre très affectueux et fidèle ami

Abbé Daniel