N° 1061; (1016) - AU PERE GIUSEPPE SEMBIANTI
ACR,A, c. 20/25 n.2
Avril 1881
Bref billet.
N° 1062; (1017) - AU PERE GIUSEPPE SEMBIANTI
ACR, A, c. 15/19
N° 18
De la colonie agricole de Malbès,
le 1er mai 1881
Mon cher Père,
Je suis ici pour changer un peu d'air car la grande chaleur d'El-Obeïd accable tellement mon organisme que je ne peux ni manger, ni fermer les yeux.
On souffre pour Jésus et cela suffit, mais je n'arrive pas à m'occuper de toutes mes importantes affaires.
Avant tout je dois vous dire que les 1000 francs et plus envoyés, à Naples, par l'Abbé Vincenzo Marzano pour son père, ont été en partie gagnés par lui-même et en partie demandés à des bienfaiteurs, je n'ai donc aucun reproche à lui faire.
Je l'ai même trouvé mieux que ce que je croyais. Comme Curé de la paroisse il a beaucoup travaillé (il connaît bien la langue) lui revient presque tout le mérite de la construction de la nouvelle église, qui est vraiment magnifique.
Je retire donc ce que j'ai dit à son sujet dans une de mes lettres envoyée à Khartoum, et cela par devoir de conscience et pour honorer la pure vérité.
En effet j'avais dû aussi approuver l'envoi des 100 francs au père d'Angelo Composta de Negrar, car cet envoi avait été autorisé par le Supérieur, et parce que Angelo Composta a mérité, semble-t-il, d'être satisfait car il avait beaucoup travaillé et avec assiduité comme maçon pour la construction de l'église, et parce qu'il est un excellent sujet.
L'Abbé Fraccaro, le Supérieur local a aussi beaucoup travaillé et il travaille encore, bien qu'il soit souvent malade. Ces deux Missionnaires d'El-Obeïd ont beaucoup peiné, et l'Abbé n'a rien empoché de ce qui appartenait à la Mission, au contraire il y a dépensé quelques milliers de francs lui appartenant, toutefois il n'a pas su me rendre compte de son administration, et il ne peut le faire car il n'a rien enregistré. Imaginez-vous qu'il n'a même pas noté les 3000 et plus thalers que j'ai payés à sa demande à Khartoum pour El-Obeïd en février et en mars !
Il n'a pas non plus noté les 209 guinées anglaises (5.225 francs-or) qu'il a reçues de Zucchinetti, et que j'ai fait payer l'an dernier au Caire... Que dois-je faire ?
Je suis au Cordofan depuis presque un mois et chaque jour je le harcèle pour qu'il me donne ses comptes, au moins approximativement. Il m'a répondu oui, mais je n'ai rien vu jusqu'à présent et je crains de ne jamais les voir.
Mais je sais exactement ce que j'ai payé pour le Cordofan, et ici, j'ai pu trouver d'autres comptes de cette Mission.
Donc, bien que l'Abbé Losi, ce prétentieux menteur, ait écrit à Son Eminence que je n'avais même pas envoyé une piastre, de tout cela, il résulte qu'en trois ans j'ai dépensé en espèces plus de 4.000 napoléons-or, sans compter les treize expéditions de provisions.
J'ai dû avaler des couleuvres et subir de nombreuses injustices à cause des saints fous, et c'est un miracle si j'ai pu survivre. Mais mes idées sont différentes des leurs. Moi je travaille uniquement pour la gloire de Dieu et pour les pauvres âmes, le mieux que je peux, et je vais de l'avant. Je ne me soucie de rien d'autre.
Je suis certain que toutes les croix que je dois porter sont la pure volonté de Dieu, et elles me seront donc toujours chères.
L'Abbé Bortolo m'écrit en me suppliant de le laisser partir car à son avis il n'a ni la force ni la santé pour rester au Soudan; et il me prie de lui fournir des lettres de recommandation, et de l'affecter au Caire, ou bien en Europe.
J'en ressens une vive douleur, parce que j'avais imaginé que garder à mes côtés un conseiller et un confesseur rigide et injuste et un censeur acharné comme l'Abbé Bortolo, serait vraiment profitable à mon âme. Ma patience, qui est la vertu la plus nécessaire pour former un missionnaire de l'Afrique, aurait été fortifiée.
Mais d'un autre côté, je perds peu en perdant ce conseiller, parce qu'il n'a absolument aucun esprit critique, et parce qu'il ne voit pas plus loin que son nez; il ne comprend rien et il est têtu. La perte subie par le Vicariat est vraiment dérisoire. En revanche, personnellement sans ce confesseur je perds beaucoup car je n'aurai plus les remarques précises et opportunes qu'il me faisait, et je n'aurai plus cet exercice de patience (que cela reste entre nous), car ce qui pour moi était blanc, pour lui était noir, et ce qui pour moi était rouge, pour lui était jaune.
Bien que maintenant il ait des idées tout à fait différentes sur la Mission de Khartoum, et qu'il ait dit qu'il avait été mal informé, il a été toutefois remarqué par tout le monde, et même par Francesco Pimazzoni, et par les deux Allemands, qu'il ne perd jamais une occasion de dire du mal de moi et ils sont convaincus qu'il me déteste. Pourtant, je l'aime bien, parce que c'est un pauvre malheureux, bon à rien; ni pour faire le Supérieur, ni le Missionnaire, ni pour représenter la Mission. Puisqu'il m'a demandé où je voulais le destiner, j'ai consulté presque tous mes Missionnaires, et il a été convenu, d'un commun accord, qu'il serait néfaste de l'envoyer au Caire, car, sous sa responsabilité (or il reste toujours dans sa chambre, ou bien il dit du mal du Vicariat), les Missionnaires qui de Vérone arrivent au Caire courent le risque de perdre leur vocation, ce qui est déjà arrivé pour certains.
Les deux Allemands l'Abbé Ohrwalder et l'Abbé Dichtl ont déclaré plusieurs fois qu'ils avaient été sur le point d'abandonner la Mission du Caire à cause des mauvaises nouvelles que l'Abbé Bortolo leur avait données à propos du Vicariat, des Missionnaires, etc.
En revanche, ces deux Abbés disent toujours qu'ils sont heureux ici parce qu'ils ont vu que Khartoum et le Cordofan étaient vraiment différents, et ils trouvent que les Missionnaires sont excellents et pleins d'abnégation.
Ils se sont surtout convaincus que la force morale de la Mission catholique, sous ma responsabilité (j'en remercie le Seigneur, non pas pour mon mérite, parce que je n'en ai pas beaucoup, mais pour mon statut d'Evêque et de Représentant du Saint- Siège), est la première puissance de l'Afrique Centrale, et que malgré les calomnies et les intrigues infernales de mes anciens ennemis, toute l'Afrique Centrale me respecte et m'estime, bien que, je l'ai déjà dit, je ne mérite rien.
J'ai seulement la conscience d'avoir dignement, et le mieux possible, honoré ma charge, et représenté la Religion catholique. Cependant, le saint Abbé Losi (?), qui ne m'a pas vu depuis cinq ans et demi, dit toujours du mal de moi, soit en présence de nos Sœurs (ce sont elles qui me l'ont dit) soit en présence des commerçants, même les plus malhonnêtes et les plus canailles (comme notre procureur choisi par l'Abbé Carcereri). Losi par une grâce de Dieu s'en va maintenant en Egypte. L'Abbé Léon qui travaille chez les Nouba, et que j'ai vu ici, est resté avec nous pendant 20 jours, et a avoué aux nôtres qu'il avait trouvé le Vicaire Apostolique (moi) complètement différent de celui qui lui avait été décrit par l'Abbé Losi.
Ce dernier voulait que l'Abbé Rolleri soit le chef de la Mission, car il le croyait plus prudent et plus capable.
L'Abbé Léon a dit aussi que nous ne devions pas nous préoccuper, ni considérer comme vraie l'opinion de l'Abbé Losi à propos des Nouba, car elle est fausse, et contraire à la vérité...
Pourtant l'Abbé Losi est doué d'un rare esprit de sacrifice. Il n'a besoin de rien; ni de lit, ni de vêtements ni de nourriture. Il est extraordinaire! Pour le bien d'une âme il se prive de tout, et il dit vouloir mourir en Afrique.
Il est vrai qu'il fait des sottises énormes à cause de son manque de bon sens et de jugement. Par exemple pour marier un jeune homme, il a fait devenir chrétienne une jeune prostituée et deux jours après, les deux se sont quittés et sont redevenus musulmans ; cela est arrivé en 1875, alors que je lui avais formellement interdit de célébrer ce mariage...
Il est honnête et chaste, et Sœur Teresina (elle l'a vu de ses propres yeux) m'assure qu'il est capable de rester pendant une heure avec une jeune femme âgée de vingt ans, complètement nue et plus grande que lui pour marchander quatre œufs ou une poule, sans que l'ombre d'une mauvaise pensée ne vienne le troubler. La Sœur dit toujours que Dieu fait de vrais miracles pour aider le Missionnaire parmi ces Africains et ces Africaines complètement nus..., et cela est vrai, tous les Missionnaires l'ont constaté depuis 1849 jusqu'à aujourd'hui.
De plus, l'Abbé Losi a dit qu'il écrirait toujours à Propaganda Fide et au Cardinal de Vérone contre moi, chaque fois qu'en toute conscience, il le croirait opportun. Qu'il le fasse ; je lui pardonne de tout cœur.
En revanche, je profite de ses belles qualités pour le bien de la Mission.
L'autre jour j'ai reçu une autre croix. Il y a cinq mois, malgré l'ordre que j'avais donné depuis 1872 (comme font tous les Vicaires Apostoliques) de ne rien faire imprimer sans la révision du Chef de la Mission, l'Abbé Losi a envoyé, pour qu'il soit publié, un article contre le Gouvernement égyptien à propos de l'esclavage, en l'accusant d'en être responsable (l'Abbé Losi, deux fois par écrit, m'avait fait des reproches parce que, avant de venir en Afrique, je n'avais pas fait le tour des Cours d'Europe pour demander des allocations et des protections afin de réprimer la traite des esclaves chez les Nouba !!! Maintenant que l'Europe est très favorable au Catholicisme !!!).
Cet article a été publié en allemand sur le Journal de Cologne, et il est arrivé entre les mains de Blum Pacha, ministre des Finances au Caire; et en même temps, le ministre anglais s'est présenté devant le Khédive en lui disant: "Lisez ce que les Missionnaires de Monseigneur Comboni écrivent sur l'Afrique Centrale; c'est la preuve que le Gouvernement de Votre Altesse ne fait vraiment rien pour réprimer la traite". Le Khédive et tous les ministres d'Egypte se sont fâchés, et Blum Pacha a envoyé cet article du journal de Cologne au Gouverneur Général de Khartoum avec l'ordre de me l'envoyer, et de m'inviter à donner mon avis sur cet article (qui relate entre autres, que le Gouverneur du Cordofan accepte des esclaves noirs, hommes et femmes, au lieu de percevoir des impôts, ce qui n'est pas vrai depuis plusieurs années. (Evidemment, accepter de la part des contribuables des esclaves enlevés dans la région des Nouba au lieu de l'argent, c'est maintenir et favoriser l'esclavage).
Le grand Pacha m'a envoyé l'article avant-hier, et maintenant je dois répondre. Il est certain que si le Gouvernement nous accorde une grande protection comme il le fait, il ne s'attend pas à de l'ingratitude de notre part, et nous sommes ingrats si, au lieu de nous adresser à lui pour dénoncer les abus dans la région des Nouba, on les met sur la place publique en les publiant dans les journaux européens et en dénonçant avec exagération les méfaits du gouvernement.
J'espère que vous m'avez compris. En attendant, priez pour
votre affectionné
+ Daniel Evêque
N° 1063; (1018) - AU PERE GIUSEPPE SEMBIANTI
ACR, A, c. 15/120
N° 19
El-Obeïd, le 4 mai 1881
Mon cher Père,
Je suis très fatigué, parce que, malgré toutes mes infirmités et mes croix, il faut toujours réfléchir, il faut toujours rester debout, s'occuper des affaires, et pourvoir à tout.
Après mon départ du Caire, l'Abbé Giulianelli, en plus de l'argent qui lui a été laissé, a reçu 20.000 francs environ, et il pense avoir fait un grand effort en m'en envoyant 3.000. Il a acheté environ 6.000 litres de vin, et il a dépensé 3371 francs-or et 20 centimes. Il voulait, rien que ça ! m'envoyer tout de suite 3.100 litres dans le Vicariat avec un des laïques. Il n'a pas du tout pensé qu'ici nous avons besoin d'argent.
Je lui ai ordonné, en vertu du vœu d'obéissance, qu'il m'écrive pourquoi il a acheté autant de vin (il y en a pour quatre ans !), et qu'il me dise qui lui a passé cette commande ; mais lui, il ne m'a rien répondu. Ici, on dit que c'est l'Abbé Bortolo qui le lui a commandé; mais l'Abbé Bortolo m'a dit plusieurs fois qu'il ne lui a rien commandé. Aujourd'hui, je lui ordonne de ne plus acheter de vin jusqu'à nouvel ordre de ma part, et de ne plus fabriquer de bougies parce qu'il dépense beaucoup trop d'argent, car il veut des grosses bougies avec une grosse mèche et il faut trop d'argent pour régler les factures des bougies.
Au mois de février il a acheté encore 96 rouleaux de cire pour 172 francs et 50 centimes ; alors qu'il n'y a qu'un Prêtre, trois laïcs et quatre Sœurs malades... Je lui ai aussi ordonné de vous écrire pour élucider cette dépense insensée de vin, alors qu'ici nous ne buvons presque jamais de vin mais de la mérissa, et qu'il n'y a pas d'argent.
Comme je n'ai pas le temps de vous écrire, je vous envoie la même lettre de Giulianelli, pour avoir d'autres petites nouvelles.
Il est impossible que je puisse envoyer des Sœurs au Caire. Faustina y suffit comme Supérieure. Dans les adversités, elle est une vraie Missionnaire, et elle vaut deux Sœurs Campostrini. Je la connais très bien. A Vérone, où la vie est tranquille et diamétralement opposée à celle que les Sœurs ont dans une Mission, Faustina est mal à l'aise, mais ici sur le terrain, elle vaut deux de nos Sœurs.
Ayons donc confiance en Dieu. Je vous envoie la lettre de Giulianelli qui, malgré tout, m'est cher parce qu'il est très pieux, prie beaucoup, je suis content de l'avoir au Caire. Si j'avais un autre Supérieur, je vous le renverrais volontiers, parce que celui-ci ne sait pas traiter avec les Consuls et avec le Gouvernement, on se moque de lui par derrière, et cela ne me fait pas plaisir.
Venons-en à nous avec la nouvelle croix des deux lettres ci-jointes que les sœurs Peccati m'ont écrites, et que je vous envoie, en vous priant, si vous le croyez opportun, de les montrer à Son Eminence pour savoir qui est cette femme (je crois que c'est une Campostrini) qui m'écrit avec si peu de délicatesse en me traitant d'ingrat, etc. Je répondrai dès que pourrai aux Peccati, et je vous enverrai la lettre, parce que je suis vraiment dégoûté de voir qu'elles me jettent toujours à la figure le bien qu'elles ont fait à la Mission et mon ingratitude (sic), et elles disent qu'elles se repentent d'avoir fait le bien qu'elles ont fait.
Ce n'est pas l'avis de Madame Luigia, mais c'est celui de cette mauvaise moniale sans religion, sans charité ni respect pour un Evêque.
Je ne mérite pas d'être accusé d'ingratitude, et je refuserai de recevoir des aumônes, même 100.000 francs, si par la suite, à tout moment on me les jette à la figure, et si cela me coûtait autant d'amertume, de mortifications et de souffrances.
Invitez en mon nom ces Dames à vous donner la copie du document de Sembianti (c'est Squaranti ! : lapsus calami de Comboni) à propos des 10.000 lires qui, d'après ce qu'elles prétendent, seraient à elles, alors qu'elles les ont laissées pour faire célébrer de nombreuses Messes.
Je leur écrirai en outre que j'approuve complètement votre conduite, à savoir de vous être alors limité à anticiper de 15 jours le trimestre, et de m'écrire pour savoir s'il fallait ou non leur donner l'argent.
Comment ces fofolles (ou plutôt la moniale, que je considère plutôt comme une institutrice mais pas comme moniale) peuvent-elles prétendre qu'une Institution comme la nôtre qui vit d'aumônes, puisse disposer tout de suite de 500 ou même 1.000 francs, sans même avoir un délai raisonnable... etc. !
Et puis, ce qu'elles ont donné est-il toujours à elles ? Ont-elles le droit de réclamer l'argent qu'elles ont donné (et qui a été dépensé) pour dire des Messes après leur mort ? Elles affirment qu'elles ont tout donné à la Mission, et maintenant elles réclament de l'argent ? ... Je crois que cette fois ce ne sont pas les Prêtres qui sont des petits diables qui brouillent l'esprit de ces deux bonnes femmes, mais ce sont plutôt les moniales Campostrini.
Il faudrait mettre tout cela en clair pour éviter d'autres désagréments. L'homme qui pourrait nous aider est notre cher Monseigneur Bacilieri.
Je vous avoue franchement que tout en éprouvant la reconnaissance la plus vive envers les Peccati, comme je l'ai déjà dit dans une lettre récente, je commence toutefois à perdre patience, parce qu'après m'avoir demandé pardon la dernière fois pour m'avoir amené devant les tribunaux, et pour m'avoir fait dépenser plusieurs centaines de francs pour l'avocat Segala, et après m'avoir jeté dans la boue avec des injures et des insultes dans une lettre adressée à l'avocat Segala, etc., elles disent que je ne suis pas reconnaissant et elles se repentent d'avoir fait..., tout cela me fait souffrir. Ce n'est pas la façon de faire la charité.
Elles ne montrent (surtout la moniale qui écrit) ni de la Foi en Dieu, ni du respect pour un Evêque, ni de l'amour pour le prochain, ni de la vertu. Celle qui écrit cette lettre est une femme sans religion, sans Foi, sans charité. Cela suffit !
Si vous pouvez, essayez de leur donner 500 francs, et faites le possible pour leur donner encore 500 francs plus tard. Je pense que ça suffira.
Du reste, décidez pour le mieux selon les circonstances, et je vous enverrai ouverte la lettre que je leur ai écrite.
Ici, les Sœurs et surtout Sœur Teresa et Sœur Victoria me prient de faire venir Virginie dans le Vicariat. Après avoir tout considéré, j'approuve leur demande, parce que ici l'on a extrêmement besoin de Virginie, et l'envoyer dans le Vicariat c'est la solution la plus simple, la plus équitable, la plus juste et la plus pratique pour moi et pour elle. Sœur Teresa (qui est le modèle le plus parfait de la Sœur en Afrique Centrale), prend toutes les responsabilités sur ses épaules en ce qui la concerne. Demandez aussi à Son......
[il manque une feuille, recto et verso]
.......... et celles qui sont sur le terrain, et qui savent souffrir pour le Christ, sont ma force, après le Cœur de Jésus. Nous avons tous une confiance illimitée en vous, car vous nous formez de bons sujets, et soyez sûr, mon cher Père, que Dieu vous aidera, comme je suis sûr que Dieu m'aide, moi qui suis si petit et si misérable.
La petite colonie de Malbès est une pépinière de 37 âmes catholiques qui vivent comme de véritables chrétiens, vont tous à la Messe le matin, et le soir disent ensemble le chapelet et les prières, sous la direction de l'Abbé Antonio, qui les guide très bien.
Malbès deviendra un village puis une grande bourgade, habitée par des catholiques, qui seront un modèle pour les autres, et qui, au milieu d'un territoire totalement habité par des Musulmans et des idolâtres, seront comme une lumière dans les ténèbres.
La semaine prochaine je partirai pour la région des Nouba, d'où je pourrai difficilement écrire, et je ne rentrerai pas avant d'avoir fondé et mis en train le poste central à Golfan.
Il y a dix jours que j'ai commencé à écrire une lettre pour Son Eminence, sans pouvoir avancer, mais je lui écrirai.
Certaines Sœurs sont heureuses d'avoir reçu du courrier de votre part.
Ecrivez souvent. Parmi les épines qui sont les vôtres, prenez votre courage à deux mains; Jésus à été couronné d'épines, mais ensuite il est ressuscité.
Présentez mes hommages au Cardinal, au Père Vignola, à l'Abbé Luciano, à Monseigneur Bacilieri et à Casella et priez toujours pour
votre indigne
+ Daniel Evêque
N° 1064; (1019) - A UN PACHA
AFM: Arch. Freschi Ing. Giovanni, Piazza Libia, 22 - Milano
El-Obeïd, le 5 mai 1881
Mon cher Pacha,
J'ai reçu votre honorable lettre à Malbès, où je suis allé pour ma santé, avec l'article du Kölnische Zeitung: Slaveniagd und Slavenhandel in Agyptishe Sudan (Journal de Cologne : Chasse aux esclaves et marchés aux esclaves dans le Soudan égyptien).
A ma grande surprise, j'y ai trouvé le nom de l'Abbé Léon Henriot un de mes Missionnaires de la région des Nouba. Je dis "à ma grande surprise" parce qu'en 1873, j'avais donné l'ordre à mes Missionnaires de l'Afrique Centrale de ne pas envoyer de rapports ou d'articles sur nos Missions destinés à être publiés dans des journaux, mais d'envoyer, à moi ou à mon Vicaire, tous les articles et tous les rapports concernant les Missions. Mes ordres à ce propos ont toujours été parfaitement observés.
J'ai lu et relu l'article en question, j'en ai parlé avec son auteur l'Abbé Léon, qui était ici avec moi pour des raisons de santé. J'ai découvert la vérité sur cette affaire, et en toute confidence, je m'empresse de vous la faire connaître.
L'an dernier l'Abbé Léon a écrit une lettre sur l'esclavage dans la région des Nouba à l'Abbé Luigi, Supérieur de Khartoum, et l'Abbé Giovanni Losi, Supérieur de la Mission chez les Nouba, m'a écrit en Europe à propos du même sujet.
L'Abbé Luigi est allé rendre visite à l'Hoccomdar avec la lettre de l'Abbé Léon, et il a parlé de ce problème avec lui et avec Marcopolos. Puis, il m'a écrit en Europe pour m'annoncer qu'il était satisfait et content parce que Son Excellence a promis d'envoyer des ordres au Moudir du Cordofan pour remédier aux abus dans le Djebel Nouba.
J'ai été très satisfait de cela, et je n'ai jamais parlé de l'Abbé Losi, ni au Caire, ni à Khartoum. Et j'ai su que les ordres de l'Hoccomdar avaient été exécutés dans la région des Nouba.
Mais l'Abbé Léon, avait écrit, en même temps, un article au journal, et à l'Abbé Luigi à Khartoum.
Il a écrit une autre lettre au Consul Hansal, en le priant de se mettre en contact avec le Gouvernement dans le but d'en finir avec l'esclavage chez les Nouba. Monsieur Hansal répondit à l'Abbé Léon qu'il serait très heureux de lui rendre ce service. Il le pria de lui écrire à Khartoum et de continuer à le renseigner sur la situation de l'esclavage dans la région des Nouba. Il promit de contacter au Caire le Docteur Schweinfurth (auteur de l'article cité ci-dessus du Kölnische Zeitung,...), et c'est lui qui parlerait au Consul Général d'Angleterre, qui, le moment venu, en parlerait avec le Khédive.
Entre-temps, l'Abbé Léon, très satisfait de la réponse de M. Hansal, écrit une autre lettre sur la traite des esclaves dans la région des Nouba, avec la promesse de donner par la suite d'autres informations à ce sujet.
Cette lettre a été envoyée de la région des Nouba à la fin du mois de février dernier; je pense qu'elle est arrivée entre les mains du Docteur Schweinfurth, et qu'ainsi elle a été publiée dans le Kölnische Zeitung, avec les commentaires du docteur Traveler, comme cela avait déjà été fait dans le même journal.
J'ai dû faire des reproches à l'Abbé Léon pour avoir désobéi à mes ordres de 1873; il n'était pas au courant de mes dispositions, parce qu'il était arrivé dans la Mission en 1879. C'est un homme obéissant et bon, il m'a demandé pardon et m'a promis de communiquer, à moi seul, toutes les nouvelles concernant le Djebel Nouba.
Ainsi, mon cher Pacha, maintenant vous serez convaincu que les membres de la Mission catholique ne connaissent pas les publications du Kölnische Zeitung, et que l'Abbé Léon n'était pas en contact avec le Caire, mais avec les autorités locales par l'intermédiaire du Consul autrichien, afin de pourvoir, avec l'aide du Gouvernement du Soudan, à ce qui aurait été nécessaire pour le Djebel Nouba.
Vous serez aussi convaincu que le commerçant de Khartoum à qui l'Abbé Léon avait écrit de Delen était le Consul Hansal, et que la lettre arrivée du centre des Montagnes des Nouba, avait été envoyée par le Consul Hansal au Docteur Schweinfurth au Caire, qui a son tour a écrit au Consul Général anglais en Egypte, et a publié l'article sur le Kölnische Zeitung,... (traduction de l'allemand: Ainsi aujourd'hui, après un voyage de plusieurs mois, une lettre est arrivée du centre des montagnes de la région des Nouba où se trouve un Missionnaire, l'Abbé Léon Henriot, qui avait écrit à un commerçant de Khartoum, etc. etc.).
La semaine prochaine j'irai au Djebel Nouba pour visiter cette Mission et ces montagnes. Après avoir bien examiné la situation, je vous enverrai des informations détaillées sur la traite des esclaves. J'espère pouvoir vous confirmer la suppression de l'esclavage dans la région des Nouba, suppression obtenue grâce aux ordres énergiques et précis de Son Excellence Rauf Pacha.
Vous pourrez transmettre mon rapport à Son Excellence Blum Pacha au Caire, et il sera publié dans le Kölnische Zeitung... pour mettre fin et démolir les affirmations du Docteur Schweinfurth.
Les affirmations de l'Abbé Léon sont vraies. Il est vrai aussi que l'Hoccomdar, par les ordres donnés au Moudir du Cordofan, a remédié à tous ces abus au Djebel Nouba.
Je fais entièrement confiance au gouvernement du Khédive et à la fermeté de notre très estimé Gouverneur Général du Soudan, Rauf Pacha.
J'enverrai donc toujours mes Rapports et mes observations sur le problème de l'esclavage au Gouvernement et à l'Hoccomdar.
Pour moi c'est un devoir de justice et de reconnaissance.
Je suis profondément convaincu et persuadé que le Gouvernement du Khédive a de la bonne volonté et tout le pouvoir pour détruire, avec l'aide de Dieu, l'infâme traite des esclaves, et pour insuffler ainsi une grande motivation à la civilisation de l'Afrique Centrale.
Je vous prie de bien vouloir transmettre mes hommages à Son Excellence Blum Pacha au Caire, et à Rauf Pacha à Khartoum.
votre affectionné ami
+ Daniel Comboni Evêque
et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale
Texte original anglais.
N° 1065; (1020) - RAPPORT SUR BIANCA LEMUNA
"Annali del Buon Pastore" 25 (1881), pp.36-47
El-Obeïd, le 8 mai 1881
Fête du Patronage de Saint Joseph
En cette chère solennité de notre Vénérable Patriarche Saint Joseph, j'ai le plaisir de décrire une fleur exhalant un parfum exquis, et de communiquer à nos bienfaiteurs d'Europe quelques nouvelles à propos de Bianca Lemùna, une jeune fille récemment convertie à notre sainte Foi, qui est sans aucun doute la plus belle fleur du jardin de l'Eglise naissante d'Afrique Centrale.
Ici dans la Mission Catholique d'El-Obeïd, capitale du Cordofan, nous avons depuis plus de quatre ans une jeune fille âgée de 15 ans environ, de couleur blanc-rose, bien que ses parents soient noirs.
Je pense qu'il est très intéressant que je parle rapidement d'elle, autant pour le phénomène extraordinaire et pour l'anomalie de la couleur de sa peau, que pour ses qualités morales, parmi lesquelles prédominent une piété singulière, une intégrité et une pureté de mœurs vraiment admirables, et une ferveur spéciale pour notre Sainte Religion, à comparer à celle des premiers chrétiens des temps apostoliques.
Le nom originaire de cette jeune fille est Lemùna. Mais comme nous avons l'habitude de donner un nom chrétien à nos convertis, nous utilisons le nom originaire comme nom de famille, et cette jeune fille a reçu le nom de Bianca lorsqu'elle a été baptisée le 7 juin 1879 par le Révérend Abbé Battista Fraccaro, Supérieur des Missions catholiques du Cordofan; ainsi, maintenant elle s'appelle Bianca Lemùna.
Elle est née dans le village des Nambias, situé semble-t-il, dans la région occidentale du Haut-Nil, parmi les tribus anthropophages des Gnam-Gnam, très près du territoire des Bandas, et à quelques semaines de voyage à pied du Dar-Fertit. Le pays des Nambias n'est pas connu par des géographes. Or d'après ces renseignements et d'autres dont je parlerai plus loin, je crois pouvoir dire que cette région est située entre le 4ème et le 6ème degré de Latitude Nord.
En 1858, il y a donc 23 ans, alors que j'étais chez les Kichs, entre le 6ème et le 7ème degré de Latitude Nord, sur les rives occidentales du Fleuve Blanc, j'avais entendu parler par de nombreuses personnes, d'un village appelé Dor, situé beaucoup plus à l'intérieur vers l'Ouest, et entièrement entouré par des tribus noires comme l'ébène, et dans lequel habitaient des gens qui avaient la peau blanche et rouge; cette information m'a été confirmée ensuite par Angelo Castelbolognese un négociant et voyageur israélite, de Ferrare, au cours du voyage que j'avais fait avec lui en 1859 de Khartoum à Dongola, en passant par le désert de Basuda.
Il m'a dit qu'il avait visité le pays des Dor avec Jules Poncet, célèbre parmi les experts de la géographie africaine, que j'avais connu à Khartoum et sur le Fleuve Blanc. J'espère que dans nos futures explorations, nous réussirons à résoudre ces mystères.
Bianca Lemùna est une jeune fille de petite taille, robuste, souple, infatigable, et sa voix ressemble plus à celle d'un homme qu'à celle d'une femme. Dans l'ensemble elle est peu séduisante, elle a les caractéristiques de la femme africaine.
Mais la couleur de son corps est beaucoup plus blanche que celle des femmes italiennes, françaises, allemandes, anglaises. Sa peau est même plus blanche que celle des Circassiennes et ses cheveux sont parfaitement blonds, mais laineux, comme ceux de la race africaine. La peau de son visage et de tout son corps est très dure, au point qu'un jour, quand on a voulu lui faire une prise de sang, l'aiguille s'est cassée.
Les yeux sont plus proches du blanc que du bleu, et voient très peu pendant le jour, malgré cela elle accomplit bien son devoir. Elle voit beaucoup mieux la nuit; sans lumière ni bougie, dans l'obscurité totale, elle ouvre le garde-manger, elle cherche et trouve ce qu'elle veut; elle lave les assiettes, les casseroles, les cuillères, les verres et elle range tout à sa place; elle balaie et elle nettoie très bien comme je l'ai déjà dit, dans l'obscurité, au réfectoire, dans la cuisine, etc.
Son père, qui s'appelle Ninghina, est vraiment noir. Sa mère, Gen-Tidi est noire elle aussi, comme tous les Africains. Et de ses deux Sœurs (qu'elle dit avoir), l'une est parfaitement noire, et l'autre est rouge, mais sa couleur tend vers celle des abyssiniens. Son père, Ninhina est un des Giallaba, ou négriers, les plus fiers et les plus enragés qui s'est enrichi avec le sang des pauvres esclaves, en les arrachant de leur patrie, et en les vendant à d'autres négriers.
Alors qu'il était occupé à une chasse aux esclaves dans une région éloignée de la sienne, notre Bianca a été enlevée avec une de ses esclaves par une bande d'autres négriers trafiquants de chair humaine. Après un voyage éprouvant de plusieurs mois à travers des savanes interminables, peuplées de lions et d'autres bêtes féroces, elle est arrivée en marchant, et parfois à dos de buffle, à la limite de la chefferie de Schiakka, non loin du Bahr-el-Ghazal où, avec le groupe d'esclaves dont elle faisait partie, elle a été capturée par des soldats du gouvernement égyptien du Soudan, et amenée dans le Darfour, où Son Excellence Gordon Pacha, gouverneur général du Soudan l'a reçue en cadeau. Quand ce dernier est passé à El-Obeïd, il a eu la noble idée d'en faire don à notre Mission du Cordofan pour qu'elle devienne chrétienne, et pour lui assurer son avenir.
L'Itinirizandi est sa langue maternelle, et d'après les quelques mots que j'ai pu comprendre avec son aide, cette langue semble d'origine sémitique et monosyllabique, comme les langues Bari et Denka qui sont parlées entre le 3ème et le 12ème degré de Latitude Nord. Bianca comprend la langue Denka, mais elle ne la parle pas, comme j'ai pu le constater moi-même plusieurs fois.
Elle parle correctement sa langue Itinirizandi, ce qui apparaît des fréquentes conversations qu'elle a avec l'ancienne esclave, qui avait été enlevée avec elle. Bianca voudrait que cette esclave se convertisse elle aussi au catholicisme; cette dernière est maintenant au service d'un de nos catholiques d'Alep demeurant à El-Obeïd, M. Ibrahim Debbane.
Bianca affirme que dans son pays natal, la région des Nambias, il y a une végétation exubérante, de beaux fleuves, des montagnes riantes, des champs vastes, et des jardins potagers où poussent les citrons, le raisin, les bananes, les tomates, les aubergines, le blé, le sésame, le maïs, les haricots, les patates douces. Elle dit aussi que pour avoir de l'eau, même loin des fleuves, il suffit de mettre une borma (vase en terre cuite rond contenant 7 ou 8 litres) sous un rocher, et elle se remplit tout de suite. Elle dit que là-bas on connaît le plus grand des fleuves, qui s'appelle le Fleuve Blanc, et qu'elle s'y est trouvée à proximité.
Elle dit que dans son pays, on voyage sur le dos des buffles, et qu'il y a des bœufs, des moutons, des chèvres, des zèbres, des girafes, des autruches et des oiseaux de toutes les formes, de toutes les tailles et de toutes les couleurs, mais qu'il n'y a pas d'ânes, pas de mulets, pas de chevaux, pas de chameaux et pas de dromadaires.
Il y a un grand nombre d'éléphants, de lions, d'hyènes, de léopards, et des serpents de toutes sortes, et de toutes tailles.
Surtout elle affirme que beaucoup de personnes dans son pays exercent, comme son père, l'ignominieux métier de trafiquant d'esclaves, et ils chassent et s'arrachent réciproquement les membres de leurs tribus.
Dans ces régions l'on vit donc avec une grande peur, et une anxiété permanente.
Je laisse de côté d'autres informations intéressantes fournies par cette jeune fille au sujet de la langue Itinirizandi (j'ai identifié un grand nombre de mots), et au sujet des mœurs et des coutumes des Nambias, je termine ce récit en évoquant les grandes qualités morales qui enrichissent l'âme et le cœur de cette heureuse créature .
Dès qu'elle est arrivée dans notre Mission, Bianca a été initiée aux principes de notre Sainte Religion par une jeune Sœur orientale de la province de Damas en Syrie, qui s'appelle Virginie Mansur; elle a eu comme institutrice Fortunata Quasché du Djebel Nouba, qui est actuellement novice de l'Institut de nos Sœurs, où elle continue sa formation.
Depuis le jour où Bianca a connu notre Sainte Foi, elle est devenue une fervente catholique. Bien qu'elle ne montre pas beaucoup de talent ni de finesse, et qu'elle ait eu de la peine à apprendre le catéchisme en arabe (qui n'est pas sa langue), elle a parfaitement saisi les principes de notre Sainte Foi, et les a profondément gravés dans son cœur. Elle a une piété singulière, et aime beaucoup la prière.
Elle prie pendant les heures établies par le règlement, et elle assiste avec une dévotion toute particulière à la Sainte Messe, et communie avec beaucoup de ferveur et de respect. Elle a toujours été joyeuse et sereine.
Elle prie avant de travailler, elle prie en travaillant, et elle prie fréquemment pendant la journée.
Le Sacré-Cœur de Jésus, la Vierge Immaculée, et Saint Joseph sont ses trésors, elle les vénère avec une dévotion particulière, avec amour, et elle a toujours leur nom sur les lèvres.
Elle est vraiment fidèle à toutes les obligations et aux pratiques religieuses, elle observe rigoureusement tous les jeûnes prescrits par la Sainte Eglise, et la veille des fêtes de la Vierge Marie, pendant toute la journée elle ne mange rien du tout, et parfois, elle ne boit même pas une petite gorgée d'eau.
Très sobre et frugale elle n'accepte que la nourriture ordinaire de nos jeunes filles noires, c'est-à-dire une purée de dokhon, une espèce de millet, ou quelque chose de similaire. Souvent elle se prive même de cette nourriture pour la donner aux pauvres ou à d'autres jeunes filles plus souffrantes et plus malheureuses.
Elle fait tout cela par esprit de mortification et de charité.
Tenace dans l'accomplissement de ses devoirs, elle ne se laisse jamais aller à l'oisiveté, elle ne perd jamais son temps en jouant avec les autres filles bien qu'elle n'ait que 15 ans. Elle accomplit scrupuleusement les tâches qui lui sont confiées.
C'est elle qui garde la clef du garde-manger, de la cuisine et du réfectoire, comme si elle était la personne la plus digne de confiance de l'Institut. Elle garde soigneusement les provisions qui lui sont confiées, et ne se permet jamais de donner ou de distribuer à qui que ce soit la plus petite chose, sans en avoir reçu l'ordre et la permission de la représentante de la Supérieure. Elle n'a jamais essayé non plus de s'approprier, ou même de goûter au plus petit morceau de nourriture du garde-manger que les Sœurs lui ont confié.
Fortunata Quasché, son institutrice, l'a invitée plusieurs fois à manger le pain blanc des Sœurs, qui est fait avec de la farine de blé, mais dont la qualité est vraiment inférieure à celle de notre pain en Europe, mais Bianca l'a toujours refusé en disant: " Il n'est pas convenable que moi, qui suis une pauvre esclave, je mange le pain des Sœurs qui sont libres ". Et à ceux qui lui font remarquer que depuis le moment où elle a reçu le Saint Baptême, elle est devenue libre comme les Sœurs, elle répond: "C'est vrai que je suis libre maintenant, parce que j'ai eu la chance de devenir chrétienne, mais je suis née esclave; et il n'est pas convenable que je mange le pain des Sœurs qui sont nées libres et qui ont toujours été chrétiennes; il est convenable pour moi de manger le pain des Noirs, et je suis heureuse de pouvoir être toujours la servante des Sœurs".
Bianca est contente de tout, elle vit en paix avec ses compagnes, et jamais elle ne les a offensées ni gênées. Si parfois elle est contrariée, ou si une compagne brise un quelconque objet, elle s'irrite et elle s'émeut, et son irritation semble celle d'une bête féroce, mais la religion la calme tout de suite. Elle pense à Dieu, à la Vierge et à la Foi, et ces pensées la transforment en un instant, elle redevient alors douce et patiente, comme un agneau et elle continue tranquillement son travail.
La vertu la plus splendide qu'elle possède est la pureté de ses mœurs et la candeur de sa virginité angélique. Bien que dans la maison paternelle, pendant ses voyages et alors qu'elle était esclave auprès de propriétaires barbares, elle en ait vu de toutes les couleurs... toutefois Bianca est une splendide fleur de pureté, un petit ange aux mœurs sans tache. Lorsqu'elle travaille, elle est la gardienne jalouse d'elle-même, elle évite scrupuleusement tout ce qui pourrait offusquer sa vertu, elle se scandalise des plus petites choses et elle a toujours peur d'offenser le Seigneur. Elle sait comment faire pour éviter tout contact et toute discussion avec les hommes et si un garçon passe par la cour des Sœurs pour n'importe quel travail ou service, elle se retire dans la cuisine ou au réfectoire et elle se tient sérieuse et digne.
Gordon Pacha avait reçu des provinces de l'Equateur un jeune blanc (un albinos ? - ndt) de la race de Bianca, il avait alors pensé l'envoyer au Cordofan pour le lui proposer comme mari. Le jeune homme était accompagné d'officiers et de soldats du gouvernement et on a dû permettre qu'il soit présenté à Bianca, mais dès que celle-ci le vit, elle courut se cacher dans une des chambres des Sœurs. Maintes fois on lui proposa d'épouser ce jeune homme, mais en vain.
Elle refusa toujours de le voir et même d'entendre parler de lui. L'Abbé Giovanni Losi, qui a pour règle de caser nos jeunes filles non chrétiennes, en leur faisant faire des mariages chrétiens, proposa à plusieurs reprises à Bianca d'épouser un jeune Blanc qu'il avait trouvé à Schingioaken en revenant de la région des Nouba, et il l'a assurée qu'elle en serait été contente. Mais tout a été inutile, Bianca déclara qu'elle ne penserait jamais à un époux sur cette terre, mais qu'elle vivrait toujours avec les Sœurs et qu'elle serait pour toute sa vie la servante des Sœurs qui ont renoncé pour toujours au mariage.
Bianca Lemùna a choisi Jésus comme époux et en Jésus elle a trouvé son unique bien, sa paix, ses délices et sa vie.
Bianca est la créature la plus fervente et la plus édifiante que nous avons en cette Mission Catholique du Cordofan, Elle est peut-être la fleur la plus belle et la plus parfumée que cette vigne du Seigneur ait produite au sein de ces peuples d'Afrique Centrale.
Que Dieu nous la garde pendant de nombreuses années, pour qu'elle nous édifie tous et qu'elle fasse croître notre Foi dans ces régions reculées où la plus grande partie de ces peuples malheureux gémit encore sous l'empire de Satan, plongée depuis des siècles dans les ténèbres et les ombres de la mort.
+Daniel Comboni
Evêque de Claudiopolis
et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale
N° 1066; (1021) - AU DIRECTEUR DE LA REVUE
"MUSEO DELLE MISSIONI CATTOLICHE" "Museo delle Missioni Cattoliche" (1881), pp. 386-387
El-Obeïd, capitale du Cordofan,
le 11 mai 1881
Mon cher ami Abbé Giuseppe,
Je suis très heureux de voir que le Museo delle Missioni Cattoliche s'est beaucoup amélioré, et qu'il contient d'intéressants rapports de toutes les Missions de la terre; dorénavant, je me ferai un honneur d'envoyer des nouvelles importantes de l'Afrique Centrale.
Je suis content aussi de constater que le Siège Central du Museo, se trouve près de la Sainte Trinité, notre Eglise des Missions Apostoliques, sous les auspices immédiats de mon cher ami. Je vous remercie beaucoup pour avoir accepté cet héritage du cher Chanoine Ortalda, je remercie aussi le très zélé Archevêque de Turin, et tous ceux qui ont donné un nouvel élan et un nouveau souffle à la revue Museo delle Missioni Cattoliche.
Ici il y a une grande pénurie d'eau. Certains jours, il faut dépenser 50 ou 60 francs pour acheter seulement une eau boueuse et salée, pour boire et pour faire la cuisine.
Je vous enverrai un petit rapport, et je vous écrirai aussi quelques mots au sujet de Bianca Lemùna, une jeune femme dont la peau est plus blanche que celle d'une Circassienne, avec un visage parfaitement rose, les cheveux blonds, mais dont les parents sont noirs. J'ai envoyé un rapport aujourd'hui à l'Osservatore Romano.
Je vous écrirai souvent pour le Museo... Si, par le biais de cette revue vous vous mettez en campagne pour recueillir des fonds au profit des assoiffés du Cordofan cela serait bien, mais je pense qu'il vous faut des informations plus précises à ce sujet.
Puisque le Museo delle Missioni Cattoliche parle de la vie du Père Léon d'Avancher, je dois vous dire qu'il y a quelques jours, j'ai reçu une lettre de lui en français. Je vous l'envoie telle que je l'ai reçue, avec l'enveloppe.
Cette lettre a été commencée il y a plusieurs années, et elle a été terminée avant sa mort. Elle est écrite de la main même du Père Léon. Je vous l'envoie pour que, s'il vous semble bon, vous la publiiez dans le Museo delle Missioni Cattoliche ; vous pourrez, ensuite, envoyer l'original au Père Sembianti, Recteur de mon Institut Africain à Vérone.
Tous mes hommages à l'Archevêque, à tout le Chapitre de la Cathédrale, au Théologien Arpino, au Curé de Saint Salvario, aux membres du club de la Jeunesse Catholique de Turin, à votre vénérable père, etc.
Le courrier part maintenant. Vale.
Votre affectionné ami
+ Daniel Comboni Evêque
et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale
N° 1067; (1022) - AU CHANOINE CRISTOFORO MILONE
Cristoforo Milone, "Mons. D. Comboni - l'Abbé Girolamo Milone" Naples (1883), pp. 35-36
El-Obeïd, le 12 mai 1881
Mon cher ami,
Voici, quelques mots dits entre nous, confidentiellement.
Si je pouvais et si j'avais le temps, j'écrirais souvent, et même toutes les semaines pour votre journal, mais je ne peux pas.
Outre les importantes tâches de mon Vicariat, je dois aussi penser à trouver 500 francs et plus, par jour pour soutenir mes établissements. Pour cela, je dois toujours écrire comme correspondant de 15 journaux allemands, français, anglais, américains, pour qu'ils m'envoient de l'argent.
En outre, en Italie, j'ai des contacts avec presque tous les journaux catholiques, et surtout avec l'Osservatore Romano, l'Unità Cattolica, l'Osservatore Cattolico, etc. (auxquels je n'écris presque jamais), en plus de mes Annali del Buon Pastore de Vérone qui paraît tous les trimestres.
Je vous écrirai toujours des lettres, mais quand vous trouverez dans des journaux catholiques quelques-uns de mes articles, vous pouvez les faire imprimer comme s'ils vous avaient été adressés, parce que telle est mon intention, et ainsi, vous me ferez plaisir. Vous pouvez dire : "Nous sommes heureux de recevoir de Monseigneur Comboni la lettre suivante... écrite du Cordofan, etc.".
Dans quelques jours je vous enverrai une description de la plus grande église d'Afrique Centrale dédiée à Notre Dame du Sacré-Cœur, Reine de la Nigrizia; et vous devez être le premier à la publier, parce que le premier mérite de cette merveille de l'Afrique Centrale revient à un Napolitain, attaché depuis son plus jeune âge au Clergé napolitain (la belle Institution des Archevêques de Naples fondée pour cultiver de sublimes vocations, surtout à la prêtrise), et que j'ai ordonné Prêtre en Afrique. Il s'agit de l'Abbé Vincenzo Marzano.
Vous avez sûrement lu mes correspondances dans le Museo delle Missioni de Turin, dans les Missioni Cattoliche de Milan et de Lyon ; reprenez-les et publiez-les comme si elles vous étaient adressées à vous et à votre journal la Libertà Cattolica, parce que c'est ce que je souhaite.
Mon cher, puisque mes Missionnaires sont très occupés, et que je suis seul dans mon activité, sans Secrétaire, sans Vicaire Général, je dois écrire tous les jours dans plusieurs langues pour soutenir la Mission.
J'ai obtenu une superbe lettre de recommandation du Vice-Roi ou Gouverneur Général du Soudan (il gouverne un territoire cinq fois plus grand que celui de l'Italie entière), c'est un musulman et dans cette lettre il dit que Comboni est un haut dignitaire de la religion que nous devons honorer... Un haut dignitaire turc qui dit qu'il faut honorer notre Religion !! Alors que nos francs-maçons italiens libéraux persécutent cette Foi...! Vous pourrez utiliser cette lettre de recommandation et écrire un bon article, comme vous avez su si bien le faire, lors de l'arrivée de l'explorateur Bianchi Gustavo, et en d'autres occasions. Que font-ils de bien ces Messieurs par rapport à la dernière de mes Sœurs italiennes qui travaille beaucoup en Afrique Centrale et parmi les Nouba qui vivent nus comme Adam et Eve avant la chute, et qu'elle a habillés pour la première fois ?
Publiez donc la lettre de Rauf Pacha.
+ Daniel Comboni
N° 1068; (1023) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI
AP SC Afr. C., v. 9, ff. 121-123
N° 7
Cordofan, le 17 mai 1881
Eminent et Révérend Prince,
Je vous envoie le plan de la nouvelle église de Notre Dame du Sacré-Cœur construite à El-Obeïd, la capitale du Cordofan, et qui, de toute l'Afrique Centrale, est sans aucun doute le temple le plus grand et le plus majestueux, consacré au vrai Dieu.
Ce plan a été fait par un de mes habiles et laborieux Missionnaires qui a été aussi l'architecte et le chef de chantier : l'Abbé Vincenzo Marzano.
Je suis convaincu que Notre Dame du Sacré-Cœur, Reine de la Nigrizia et souveraine du Cœur de Jésus, convertira ces gens qui étaient jusqu'à présent plongés dans les ténèbres de la mort.
Ce temple sacré est une source d'étonnement et d'émerveillement pour les indigènes. Le Jeudi Saint, j'ai eu la joie d'y célébrer la Messe et d'y consacrer les Huiles Saintes ; j'y ai également célébré une Messe Pontificale le jour de la Résurrection de Jésus-Christ.
Quand je reviendrai du Djebel Nouba, j'administrerai solennellement le saint Baptême à un bon nombre de catéchumènes qui apprennent depuis longtemps les principes de notre Sainte Religion. En ce mois de mai, dédié à la Vierge Marie, nous prions tous les jours dans cette église, avec des oraisons spéciales et des litanies chantées par différentes voix accompagnées par l'harmonium, et tout cela donne une véritable idée des églises de Rome où ce saint exercice est pratiqué.
Je m'incline pour embrasser votre Pourpre Sacrée, et je me déclare, avec la déférence la plus profonde
votre humble et dévoué fils
+ Daniel Comboni Evêque
et Vicaire Apostolique
N° 1069; (1024) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI
AP SC Afr. C., v.9, ff. 131-132
Vive Jésus, Marie et Joseph !
N° 6
El-Obeïd, le 17 mai 1881
Eminent et Révérend Prince,
Mon apparition au Cordofan, Dieu merci, a terrorisé les trafiquants de chair humaine, parce qu'ils croient que je suis muni de pouvoirs extraordinaires de la part du Khédive (c'est vrai en partie), pour abolir la traite, ce qui signifie pour eux la suppression de leur principale source de revenus et de leurs richesses.
Il y a ici des millionnaires (parmi lesquels Tefaala, qui avait enlevé Daniel Sorur, élève au collège de Propaganda Fide ) qui se sont enrichis grâce au commerce des esclaves arrachés de leur patrie. Il y en a un (qu'Arthur et Daniel connaissent) qui, grâce à ses mérites de négrier, il y a sept ans, est devenu Pacha parce qu'il avait aidé le gouvernement pour la conquête du Darfour; il s'appelle Elias Pacha et il a 1.000 esclaves à son service. Il a 42 enfants (sans compter ses nombreuses femmes). Il peut doter chacune de ses filles de 2.000 borses, c'est-à-dire 10.000 guinées égyptiennes ou encore 260.000 francs-or. Pour ses fils et ses filles il peut disposer de 10.920.000 francs-or, soit presque 11 millions. Il n'exerce plus le métier de négrier. Cet ancien propriétaire de l'élève Daniel Sorur m'a offert des repas de 25 mets différents, et fait servir 30 ou 35 plats de résistance en un seul repas.
L'actuel Khédive fait de grands efforts pour abolir la traite, et il ne plaisante pas. Dans cette affaire, la Mission a des mérites, et non des moindres.
Quand je suis arrivé ici au Cordofan, j'ai entendu dire que les Baggara (il s'agit d'Arabes nomades, voleurs et assassins), ravagent le Djebel Nouba et volent, non loin de notre Mission, des garçons, des filles et de l'avoine.
Suite aux prières du grand chef des Nouba et de mes Missionnaires, j'ai demandé au Grand Pacha une petite force militaire pour surveiller les alentours des monts Nouba, et pour nous libérer des voleurs qui nous ont volé à nous aussi, beaucoup de biens. Rauf Pacha a tout de suite envoyé cent hommes, et il m'a écrit qu'il y avait encore plus de mille hommes qui étaient à ma disposition.
Hier, lorsque je me préparais à partir pour la région des Nouba avec deux Missionnaires et deux Sœurs (les autres Missionnaires je les avais envoyés auparavant et il sont arrivés depuis 15 jours), j'ai reçu la lettre suivante de Rauf Pacha, que j'ai traduite, au pied de la lettre en italien et que je transcris pour Votre Eminence :
"A Son Excellence Monseigneur Comboni Evêque et Vicaire Apostolique du Soudan à Khartoum, le 10 mai 1881.
Monseigneur,
J'ai été très content de votre heureuse arrivée au Cordofan, et aussi de l'excellent effet de votre présence dans la Province.
Le pays, me dit-on, souffrait d'une grande sécheresse; et je ne doute point que c'est grâce à vos prières (sic!) si le ciel a versé sa pluie bénéfique. Quand vous partirez pour le Djebel Nouba, que Dieu fasse que votre présence soit suivie d'heureux résultats, et que ces populations reconnaissantes vous accompagnent de leurs bénédictions.
Vous êtes déjà peut-être arrivé au Djebel-Nouba, et je vous prie, Monseigneur, de bien vouloir observer le pays et son administration, afin que nous puissions prendre les mesures nécessaires pour le bien-être de ces personnes, et pourvoir à leur prospérité.
La question de l'esclavage surtout, doit faire l'objet d'une étude approfondie. Comme vous êtes sur place, vous serez en mesure de découvrir et de bien connaître les erreurs commises, et de proposer le remède efficace à y apporter. Vous trouverez en moi, Monseigneur, l'appui le plus sûr pour l'exécution des ordres de Son Altesse le Khédive d'autant plus que, vous ne l'ignorez pas, ses ordres sont en parfait accord avec mes propres convictions.
Profondément convaincu des sentiments d'humanité qui vous animent, je ne doute pas, Monseigneur, que vous prendrez sérieusement en considération la demande que je vous adresse, et que malgré l'ennui que cela pourrait vous apporter, vous ne manquerez pas de m'aider de vos lumières et de vos sages conseils, dans une affaire d'un si grande importance.
Vous serez sûrement heureux, Monseigneur, de savoir que j'ai nommé un officier avec cent soldats pour la surveillance du Djebel Nouba. Cette décision, je n'en doute nullement, sera bien accueillie dans la région, et surtout dans la Mission.
Je vous prie d'agréer, Monseigneur, l'expression, etc.".
Le Gouverneur Général du Soudan
Rauf Pacha"
(L.S.)
J'embrasse votre Pourpre Sacrée...
+ Daniel Comboni Evêque
N° 1070; (1025) - AU CHANOINE CRISTOFORO MILONE
"La libertà Cattolica" XV (1881), p. 601
El-Obeïd, le 17 mai 1881
Bref billet.