N° 1121; (1075) - A SŒUR MATILDE CORSI
APMR / F / 1 /2812
Khartoum, le 13 septembre 1881
J'ai reçu tes chères lettres de Sestri et de Vérone, et j'ai ressenti ton chagrin concernant le retrait de Sestri. Mais c'est la volonté de Dieu, et le Recteur ne pouvait pas faire autrement face à ce vil usurier, qui a méprisé, peut-être la dernière et la plus puissante grâce que Dieu lui avait offerte pour se réconcilier avec Lui, et pour retrouver l'honneur à la face du monde en faisant un don généreux à la Nigrizia.
Il m'a écrit que le couvent est toujours là à ma disposition. Mais je lui ai répondu en lui reprochant de m'avoir trompé, et d'avoir voulu tromper aussi le monde. Je ne sais pas concilier une avarice si dégoûtante avec un quelconque trait de générosité, dont tu as aussi été témoin.
S'il ne me donne pas tout, le couvent et le jardin, légalement, sans aucune charge financière, et sans demander à être administrateur, je n'entretiendrai aucune relation avec lui. Courage ! Nous aurons la possibilité de fonder d'autres Instituts.
Pour le moment, aide la Supérieure. La Mère Teresina Grigolini partira en Europe au printemps prochain Elle apportera un peu de vie dans l'Institut. Tu en seras contente. C'est une vraie perle de l'Afrique Centrale, mon plus valeureux grenadier pour convertir la femme africaine. Sœur Victoria est aussi une femme éminente.
En général, je suis content de toutes et de chacune des Sœurs, qui méprisent la mort, foulent aux pieds le monde, et qui vont de l'avant.
Fortifie-toi bien. Tu diras à Sœur Costanza que je veux qu'elle m'écrive pour avoir de ses nouvelles et de celles de son frère. Je bénis tout le monde.
Salue de ma part la Supérieure et Virginie.
Ton affectionné
+ Daniel Evêque
N° 1122; (1076) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI
AP SC Afr. C., v. 9, ff. 203-203v ; 208-208v
N° 18
Khartoum, le 17 septembre 1881
Eminent et Révérend Prince,
Hier, j'ai reçu une lettre du Père Sembianti, et vous la trouverez ci-jointe (annexe V). Il résulte de cette lettre que le Père Sembianti me justifie auprès de l'Eminent Cardinal di Canossa à propos des fausses affirmations écrites par le Cardinal lui-même sur une note qu'il m'avait attribuée au sujet de Sestri.
De plus, du Cordofan, j'avais recopié pour le Père Sembianti un extrait de la lettre que l'Eminent Cardinal m'avait adressée (annexe III) au sujet de Virginie. Dans cette lettre il exposait son jugement très négatif et faux à son propos.
J'ai recopié ces mots à partir de la deuxième page : " Passion. Oui, laissez-moi parler franchement... Qui vous a poussé vers des buts secrets... Virginie... c'est un fléau pour la Mission, etc.", jusqu'aux mots de la troisième page de la lettre : "que de peines a causées la partialité de saint Jacob pour Joseph son saint fils !".
Le Père Sembianti, à qui j'ai envoyé cet extrait qui dénigre tellement Virginie, m'a répondu qu'il n'a jamais insinué ces tristes sentiments au sujet de Virginie à l'Eminent Cardinal. Au contraire, en lisant ces quelques lignes de la lettre à propos de Virginie, il a éprouvé une grande indignation.
Donc Sembianti souffre lui aussi à cause de cette situation, je suis réconforté de porter avec lui, la croix qui nous amènera tous les deux au ciel, et je suis motivé pour persévérer dans la sainte Œuvre.
Comme Votre Eminence aura des difficultés à lire la mauvaise écriture du Père Sembianti, je recopie ici la lettre qu'il m'avait adressée, pour qu'elle soit plus facile à lire.
"N° 39
Vérone, le 17 août 1881
Excellence Révérendissime,
Votre dernière lettre d'El-Obeïd datée du 9 juin m'a causé une grande douleur. Oh ! Que de souffrances dans ce monde ! Combien d'afflictions naissent, s'accroissent et oppriment souvent à cause d'un malentendu sans que personne ne soit coupable !
C'est ce que me disait aussi l'Avocat Brasca, la vie de l'homme est parsemée de difficultés, d'amertume, et bien qu'on essaie de les éviter, on les rencontre sans les vouloir et sans le savoir. Tout ceci n'est que la Croix, cette chère Croix, comme l'a écrit plusieurs fois Votre Excellence, que nous devons porter pour suivre Jésus. Mais venons-en à nous.
Votre douleur causée par la lettre de Son Eminence di Canossa est aussi la mienne, et ce dernier, sans le vouloir, nous a fait souffrir à cause d'un malentendu. En effet, je me trouvais dans l'évêché de Son Eminence quand il m'a demandé : "Est-il vrai qu'en retirant les Sœurs de Sestri, Monseigneur Comboni doit payer 20.000 lires ?" Et en me posant cette question, il était plutôt agité. En voyant cette agitation, et sachant que tout était faux, j'ai alors répondu avec étonnement et fermeté : " Mais non ! Eminence, il ne doit rien payer car on a écrit clairement : Monseigneur Comboni payera cette somme (20.000 lires) s'il se sert du bâtiment donné pour des activités qui n'auraient pas de rapport avec l'Œuvre qu'il préside". Il s'est alors calmé, mais il ne m'a pas dit qui lui avait raconté ce mensonge des 20.000 lires à payer (c'est Tagliaferro qui a été l'imposteur, et c'est d'après ses propos que l'Eminent Cardinal di Canossa a formulé, comme il l'écrit lui-même dans l'annexe III, son jugement très négatif et sinistre au sujet de la pauvre Virginie), et il n'a pas dit non plus qu'il avait écrit cela à Votre Excellence.
Votre Excellence dans sa dernière lettre rend responsables d'autres personnes de la mauvaise humeur et de la colère que Son Eminence vous à manifestées en vous écrivant, je ne saurais deviner qui vous visez (j'avais pensé au Père Sembianti, mais je serais très heureux si je me trompais). Je vous dirai seulement que je n'ai pas manifesté à l'Eminent Cardinal de Canossa les sentiments que j'exprime à Votre Excellence à votre sujet et au sujet de Virginie. Pour vous parler franchement, en lisant ce qui a été transcrit, comme Votre Excellence le fait, j'ai même été indigné par ces sentiments. Le Père Luciano pourra vous le confirmer, car je n'ai pu m'empêcher de lui lire toute la lettre.
Ah ! que d'afflictions sans que personne ne soit coupable ! (mais dans cette affaire, c'est l'Eminent Cardinal di Canossa qui est coupable, car il écrit sans réfléchir et inconsidérément). Que de souffrances dans ce monde !
Courage, Monseigneur ! Portons la Croix ensemble, et celle-ci nous portera au ciel. Vous dites que vous succomberez, mais ce n'est pas vrai ; pour vous il y a encore d'autres projets, d'autres Œuvres, et d'autres couronnes encore plus précieuses.
Votre dévoué G. Sembianti "
J'embrasse votre Pourpre Sacrée.
Votre indigne fils
+ Daniel Comboni Evêque
et Vicaire Apostolique
Annexe V
Lettre autographe du Père Sembianti, dans laquelle il me justifie auprès de l'Eminent de Canossa au sujet de la prétendue malheureuse affaire de Sestri.
Sembianti déclare aussi avoir été très indigné par le jugement donné par ce même Eminent Cardinal au sujet de Virginie ; et, bien qu'affligé et indigné, il m'encourage à porter avec lui la croix qui nous emmènera tous les deux au ciel, et il m'incite à persévérer dans l'Œuvre.
N° 1123; (1077) - AU PERE GIUSEPPE SEMBIANTI
ACVV, XVII, 5, B
Vive Jésus, Marie et Joseph !
N° 39
Khartoum, le 17 septembre 1881
Mon cher Recteur,
Je commence à être tranquille pour l'Abbé Francesco, je lui ai fait appliquer un cataplasme sinapisè, maintenant il respire, il dort, et il est de bonne humeur. Bien qu'il soit plein de vertus, nous nous sommes tous rendu compte qu'il n'était pas habitué à souffrir, à souffrir pour Jésus-Christ, et à ne pas avoir peur de la mort.
Au jour du Jugement Universel, les Missionnaires d'Afrique Centrale, qui ne sont pas très connus de Propaganda Fide, car nous n'écrivons pas souvent et qui sont si méprisés par certains, comme l'Abbé Bortolo (ce serait une folie de prendre en compte certains de ses jugements), s'en sortiront très bien, parce qu'avec la grâce de Dieu ils ont su souffrir pour le Christ. Je parle de ceux qui ont résisté en Afrique Centrale pendant trois ans. On ne peut encore rien dire des autres avec certitude, bien qu'il y ait de bonnes raisons d'espérer. J'espère que tous ceux que vous formerez correspondront à cette très haute vocation.
Je suis très content de mon camérier Giuseppe Fortini. Je n'ai jamais rien eu à dire, alors que vous savez que je criais souvent après l'Américain Domenico à cause de l'impudence de ses mensonges, et parce qu'il était sans cervelle.
Par contre Giuseppe travaille toujours pour la maison, il obéit à tout le monde, il a de l'initiative, il est content, il dit qu'il a finalement atteint son but et ce qu'il désirait.
Je suis très satisfait de l'Abbé Giulianelli. Je l'ai mis à l'éprouve de toutes les manières possibles, je l'ai tenté, menacé, et j'ai limité ses pouvoirs. C'est un saint.
Je l'ai donc nommé Administrateur Général, il gère, en effet, tout l'argent et le redistribue lui-même.
C'est un problème que de savoir où doit résider l'Administrateur Général, et j'y pense depuis trois ans. Pour le moment je veux essayer de le mettre provisoirement au Caire. En temps opportun je ferai faire à Giulianelli une grande tournée dans tout le Vicariat pour qu'il connaisse tous les besoins de chaque Mission, et ensuite il retournera au Caire.
La vie d'un administrateur n'est pas sûre à Khartoum, et je dois employer tous les Missionnaires disponibles dans le ministère pastoral.
J'ai déjà envoyé à Giulianelli tout ce qui a été encaissé dans le Vicariat...
Mais continuez à tout m'envoyer, parce que Propaganda Fide, en me suggérant d'avoir un administrateur de confiance choisi par moi-même, m'a dit que tout reste sous ma responsabilité, ce qui est normal.
S'il en est ainsi pour tous les Vicaires Apostoliques, à plus forte raison il en est ainsi pour moi, qui trouve personnellement plus de ressources que tous les autres.
Je vous recommande l'Abbé Bortolo ; après être allé aux eaux à Recoaro, il pourrait boire les eaux Acidule Catuliane chez lui.
Dans le futur il faudra l'envoyer à Recoaro au début du mois de juillet, et il devra y rester jusqu'à la fin du mois d'août, je vous en reparlerai.
Je bénis tout le monde.
+ Daniel Evêque
P.S. Deux mots pour vous dire qu'à mon humble avis, la guérison de Sœur Victoria est un vrai miracle ou alors une grâce éclatante de Notre Dame du Sacré- Cœur, épouse de mon Joseph.
Ici aussi, l'air est comme celui de Montebaldo. On dépense 3 thalers par jour pour l'eau. Hier et aujourd'hui, j'ai dépensé 4 thalers par jour, et il faudra dépenser davantage encore. Mais c'est Joseph qui paye.
Je salue mon cher Abbé Luciano, je le bénis depuis le Cordofan, ainsi que sa famille et sa sœur Angelina à qui j'écrirai.
Ton affectionné
+ Daniel Evêque
N° 1124; (1078) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI
AP SC Afr. C., v. 9, ff. 209-209v ;
220-223v ; 229-241v ; 85-90v
N° 19
Khartoum, le 24 septembre 1881
Fête de Notre Dame de la Merci
Eminent et Révérend Prince,
Sous les auspices de Notre Dame de la Merci, j'espère que Dieu m'accordera la grâce de plaider dignement la cause de la Nigrizia, et d'en avoir des mérites auprès de Dieu, en défendant la sacro-sainte cause de Virginie, qui est injustement, et contre toutes les règles de la charité, méprisée à Vérone ; et j'espère y réussir avec l'aide de Notre Dame, soit parce que cette affaire est traitée à Propaganda Fide, au tribunal de la justice et de la charité, soit parce que je suis profondément convaincu que, comme moi-même agis par devoir de conscience et pour le saint but d'obtenir un double avantage : le bien de ma Mission et la sanctification de la bonne et malheureuse Virginie, l'Eminent Cardinal de Canossa et mon cher Père Sembianti agissent aussi dans de nobles intentions.
Nous avons des points de vue diamétralement opposés, et cela n'est la faute de personne. Peut-être y a t'il eu la maladresse involontaire du digne Père Sembianti, lequel, et Dieu en a ainsi disposé selon ses aimables desseins, a quitté son couvent sans avoir jamais connu le monde et est venu dans mon Institut ou malheureusement il a été prévenu par le perfide Grieff et par Giacomo le paysan, de se méfier de Virginie, qui est devenue depuis lors une victime innocente.
Je continue la narration.
Virginie, malgré toutes les tracasseries déjà citées, surtout celle d'avoir été éloignée de la communauté religieuse pour être reléguée dans une des dépendances du couvent, alors qu'elle était habituée à vivre dans une communauté religieuse depuis l'âge de six ans, et cela pendant vingt ans, Virginie, donc, s'est comportée en véritable chrétienne et avec une résignation exemplaire, autant à Vérone qu'à Sestri, comme il ressort clairement des deux premières lettres en Annexe des Supérieures de Vérone et de Sestri, que j'ai envoyées à Votre Eminence le 3 septembre avec la lettre N° 15.
Maintenant il faut voir comment elle s'est comportée en tant que postulante à Vérone depuis l'époque où elle est rentrée dans mon Institut, c'est-à-dire depuis novembre dernier jusqu'au mois de mai de cette année, époque pendant laquelle l'Eminent Cardinal de Canossa a déclaré qu'elle n'avait pas la vocation religieuse, et pendant laquelle elle n'a plus été appelée avec ses Consœurs afin de suivre les activités du Postulat ; et depuis lors ?
Les Supérieures, et surtout la Mère Générale, ont exulté de joie quand Virginie a été admise au Postulat. Il n'en a pas été de même pour le Père Sembianti qui m'a déclaré, sans l'avoir jamais vue au travail, qu'il ne croyait pas qu'elle pouvait réussir ; et Giacomo le paysan qui a une grande influence, a dit la veille de mon départ pour l'Afrique : "Maintenant que Monseigneur part en Afrique, nous nous débarrasserons rapidement des Arabes, le frère et la sœur".
Virginie m'a ensuite dit : "Je reste ici pour être Religieuse, et je suis même prête à mourir ; mais vous verrez, Monseigneur, quand vous serez dans votre Mission, vous aurez le chagrin d'apprendre que j'aurai été renvoyée, parce que ni Son Eminence, ni le Père Sembianti ne veulent entendre parler de moi.
Mais par amour de Dieu, et pour votre chère Mission, je ferai aussi cette tentative. Vous n'aurez pas à vous plaindre de moi, et je ferai mon devoir avec l'aide de Dieu".
Après mon départ, on a imposé à Virginie de ne jamais parler en arabe avec son frère qui se présentait de temps en temps pour la voir. Elle, en suivant la Règle, ne le recevait pas souvent et ne se présentait jamais au parloir sans la Supérieure. Les lettres en arabe qui lui étaient envoyées de Beyrouth par sa mère et sa famille, étaient expédiées au Caire pour être traduites (le Supérieur des Jésuites me les a montrées au Caire), et elles étaient ensuite remises à Virginie.
Cependant, elle m'écrivait en Afrique que la Supérieure était très bonne avec elle, que toutes les autres aussi étaient très aimables ; mais elle se rendait parfaitement compte que le Père Sembianti et Son Eminence ne l'avaient jamais acceptée, parce qu'elle n'était pas admise aux réunions du Postulat comme les autres ; je fais remarquer que la Supérieure ne lui a jamais fait de reproches.
Elle s'est présentée chez la Supérieure au moins huit fois pour pouvoir endosser l'habit ; la Supérieure lui disait qu'elle était contente d'elle, mais que la prise d'habit dépendait du Père Recteur.
Ce dernier répondait toujours qu'il ne la connaissait pas assez, et qu'il fallait qu'il en parle avec Son Eminence. C'est ainsi que Virginie, qui est très perspicace et connaît bien les choses, m'écrivait qu'elle était malheureuse, la plus malheureuse des créatures, parce qu'elle voyait clairement que ni l'Eminent Cardinal, ni le Recteur ne voulaient qu'elle soit Religieuse.
Cela était à peu près conforme à ce que m'écrivait le Père Sembianti, qui disait qu'il ne connaissait encore pas assez bien Virginie, et qu'il n'était pas convaincu de sa vocation. Mais il ne m'a jamais donné une seule raison pour justifier son jugement sans fondement avéré.
Une seule fois, le Père Sembianti m'a donné un avis circonstancié au sujet de Virginie, en laissant tomber ses vagues expressions habituelles : "...elle n'a pas l'esprit religieux... elle n'a pas la vocation".
Ce fut quand le 26 février de l'année courante il m'a écrit avoir informé Virginie qu'il avait embarqué son frère à Trieste à bord d'un bateau pour la Syrie.
Il m'a écrit le 9 février à Khartoum pour me dire que Giorgio le frère de Virginie avait une mauvaise conduite, (remarquez que le Père Sembianti avait demandé à l'Eminent Cardinal de faire abjurer Giorgio car il était fermement convaincu de notre Foi, et qu'il avait une conduite édifiante), et que, conseillé par Son Eminence, il l'avait conduit à Trieste. Là, il lui a dit qu'il devait immédiatement partir sur la Lloyd pour Beyrouth. Giorgio refusait de partir parce qu'avant il voulait au moins saluer sa sœur. Mais il est finalement parti de force.
Sembianti m'a ensuite écrit que par mesure de prudence et pour le bien de l'Institut, il a cru bon de ne rien dire à sa sœur, qui croyait que son frère était à Vérone.
Il a conclu la lettre en me disant que quand, de retour de Trieste, il serait à Vérone, il informerait Virginie, et qu'il me tiendrait au courant de sa réaction.
En effet le 16 février, il m'a écrit que le 13, en présence de la Supérieure, il a expliqué à Virginie que son frère n'était plus à Vérone, mais qu'il avait fallu l'envoyer en Syrie, sans avoir pu lui permettre de la saluer, selon les ordres de Son Eminence. "J'ai raconté à Virginie - écrit le Père Sembianti - le départ de Giorgio avec tous les détails. Elle a écouté tout le récit sans donner de signes de surprise, puis elle m'a dit sur un ton impérieux et en larmes qu'on lui remette la dot de Votre Excellence (quand elle était dans la dépendance du couvent, séparée de la communauté, elle me disait en larmes qu'elle ne pouvait se présenter dans aucun Institut parce qu'elle n'avait pas de dot... et je lui ai dit que si Dieu l'appelait dans un autre Institut, je me sentirais dans l'obligation de lui procurer une dot grâce à mes nombreux bienfaiteurs, et le Père Sembianti m'avait écrit que cela était juste). Elle disait qu'elle voulait aller chez certaines religieuses de Belgique parce qu'elles vont aussi en Afrique (Virginie a toujours voulu aller en Afrique, et je serais vraiment fou si je la laissais partir ailleurs en connaissant ses qualités et ses grandes vertus).
La Mère Supérieure et moi avons essayé de la calmer, et je lui ai conseillé de se donner un peu de temps (après lui avoir donné un coup mortel, il prétend qu'elle revienne à elle !), parce qu'une décision prise dans un tel état pourrait ne pas être la bonne. Elle m'a répondu qu'elle avait pris cette décision depuis longtemps, et elle a ajouté : - "ou bien vous me donnez la dot pour entrer chez les Sœurs belges, ou bien vous me donnez l'habit religieux pour partir le plus vite possible en Afrique"-. Le 15 (deux jours après), elle a fait la même proposition : ou la dot, ou bien être envoyée le plus tôt possible en Afrique, parce qu'en toute conscience elle ne pouvait plus rester ici. Elle a dit qu'elle voulait aller voir le Cardinal, pour lui répéter la même chose. Mais comme Son Eminence ces jours-là, était en voyage, elle a été contrainte de retarder sa visite. Ce qui l'a fait le plus souffrir, c'est le fait que Giorgio ait été éloigné sans qu'elle soit mise au courant (et elle a raison, elle a mille fois raison !) ; car elle dit qu'elle l'aurait corrigé, et qu'elle aurait trouvé un bon prétexte pour le renvoyer chez lui. (et ici Virginie a encore parfaitement raison).
Je lui ai répondu que j'avais aussi pensé à cela, et que si on ne lui avait pas laissé Giorgio pour qu'elle le corrige, c'était par peur que, suite à cette correction, il puisse comprendre qu'il avait été découvert et qu'il réagisse mal ; ce qui aurait été une erreur pire que la première.
Toutes les personnes auprès desquelles j'ai pris conseil, avaient de l'estime pour elle. Pour ce qui concerne la prise d'habit et son départ en Afrique, je lui ai fait comprendre qu'il fallait qu'elle reste ici pendant une période convenable (Virginie a demandé huit fois à la Supérieure et au Père Sembianti de pouvoir prendre l'habit, et elle disait : "Si vous voulez que je fasse autre chose, dites-le-moi, je suis prête à tout ; si vous ne voulez pas que j'écrive à Monseigneur, je n'écrirai plus, mais dites quelque chose !") Elle demanda : "Combien de temps dois-je rester ici" (et le Père Sembianti répondait : "mais... il faut voir", et il faut considérer les angoisses de son cœur ce jour-là, c'est-à-dire le 15 février, deux jours après que le Père Sembianti lui avait annoncé le départ de son frère... sans le voir... et de telle façon !). "Je suis ici - disait-elle - depuis deux ans (voici le propos criminel qui a induit le Père Sembianti à penser que Virginie n'avait pas la moindre vocation), et même si j'y restais 30 ans, je serais toujours la même, je ne changerais pas" (pendant un an, Virginie a été comme l'avaient décrite les deux Supérieures de Vérone et de Sestri, et si elle ne change pas, pourquoi ne peut-on pas en être content ? Ces Supérieures et Son Eminence le Cardinal de Canossa m'ont écrit et ont écrit aussi à Votre Eminence au mois d'août de l'an dernier, que Virginie était apte et digne d'être admise dans mon Institut).
Je suis de l'avis que si Virginie pour une fois a dit une chose vraie et juste c'est c'est justement celle-ci : "je ne changerai pas". A son âge le changement n'est pas possible (elle a 27 ans environ), et elle sera toujours telle qu'elle est aujourd'hui, c'est elle-même qui l'avoue ; de plus lorsque Virginie dit qu'elle ne changera pas, elle est convaincue d'avoir fait son devoir, comme le dit justement la Supérieure. Celle qui a fait pendant 20 ans son devoir chez les Sœurs de Saint Joseph, peut dire, qu'elle le fera toujours, et qu'elle ne changera pas ; mais le Père Sembianti force la pensée de Virginie en partant du faux principe qu'elle, dans le passé n'avait jamais eu une vocation religieuse (cela fait du tort à la Congrégation de Saint Joseph qui a gardé Virginie pendant 20 ans) qu'elle ne l'a pas actuellement (c'est à voir !) et qu'elle ne l'aura jamais (ça c'est trop ! car, ni le Père Sembianti, ni le Cardinal de Canossa ne peuvent mesurer la Grâce divine qui seule est capable de faire des saints).
Et Virginie comme elle est aujourd'hui (le 16 février, trois jours après le terrible coup du départ de son frère, sans avoir pu lui dire adieu) restera toujours la même. C'est ce qu'elle affirme.
"Elle n'est pas apte à vivre avec nos Sœurs et j'ajouterai ni avec n'importe quelles Sœurs d'une autre Congrégation (sic) qui soient de véritables Sœurs " (donc pour le Père Sembianti, les Sœurs de Saint Joseph approuvées par l'Eglise et qui servent très bien les Missions, et dont Votre Eminence est le Cardinal Protecteur, ne sont pas de véritables Sœurs, elles sont des Sœurs qui n'ont pas d'esprit religieux ! C'est une injure à la Sainte Eglise qui a approuvé la Congrégation de Saint Joseph, dans laquelle Virginie a vécu vertueusement pendant 20 ans ; et c'est aussi une injure vis-à-vis de Propaganda Fide qui a sous sa vigilance plus de trente maisons de cette Congrégation, et Sembianti fait tort aussi à Votre Eminence, le Cardinal Protecteur de cet Institut).
"Virginie n'est apte à vivre avec aucune Sœur qui soit véritablement religieuse" (les Pieuses Mères de la Nigrizia, que j'ai fondées sont très valables, et toutes, sans aucune exception, travaillent très bien ici en Afrique ; mais je serais très heureux et orgueilleux de fonder une Congrégation, approuvée par l'Eglise, comme celle de Saint Joseph de l'Apparition. Hélas ! je suis encore loin d'en être capable).
"Virginie a des défauts (selon le Père Sembianti) qui, pour mieux dire, sont comme une seconde nature (il faut remarquer que le Père Sembianti, est son Recteur depuis trois mois seulement, c'est-à-dire depuis le 15 novembre 1880 au 16 février 1881, date où il écrit cette lettre), ne me laissent pas beaucoup d'espoirs, et me font prévoir un sombre avenir".
"Elle est pétulante (sic), double (sic.), mensongère, elle interprète négativement la moindre chose, et elle voit du mal même dans les faits les plus insignifiants ". (mais, le Père Sembianti devrait me prouver cela, à moi qui suis le Fondateur, l'Evêque et le Supérieur Général de mes Instituts, par des faits et non pas par des racontars. Tout son raisonnement repose sur la conversation susdite lorsqu'il a dit à Virginie qu'il avait chassé son frère sans l'informer. Je fais remarquer qu'il ne l'a pas chassé de Rome pour qu'il aille à Frascati, mais de Vérone pour qu'il aille à Beyrouth ! Il l'a donc renvoyé chez les schismatiques au risque de perdre son âme pour l'éternité.
A part ça, il ne m'a rien dit à propos d'autres faits). Il dit aussi. "Elle est inquiète et turbulente. On voit que lui font défaut la franchise (sic, sic, sic ! in omnibus et quoad omnia) et la sincérité qui chez les autres Sœurs permettent de voir jusqu'au fond de leur cœur. Elle est dépourvue de simplicité et de droiture d'âme, de docilité et d'abandon dans les mains des Supérieurs". (Or, comment est-il possible pour Virginie de s'abandonner dans les mains d'un homme comme le Père Sembianti, qui n'a pas voulu assumer la tâche de Recteur dans mon Institut avant que Virginie ne soit éloignée de la communauté, alors que cette fille avait passé 20 ans dans une communauté religieuse ; de plus Sembianti l'a toujours regardée de travers - les femmes sont sensibles et elles s'en aperçoivent facilement -.
Dans toutes les réunions avec les Postulantes il montrait clairement qu'il ne voulait même pas entendre parler d'elle. Virginie n'a-t-elle donc pas toutes les raisons pour se méfier et - bien que pendant longtemps elle l'ait fait - de ne pas s'abandonner dans les mains du Père Sembianti ? La confiance fait suite à la confiance).
"En ce qui concerne les dispositions de la Règle (elle les a toujours observées toutes de bon gré) qui sont si nécessaires à une Sœur pour être heureuse et pour ne pas gêner et faire obstacle aux autres, Virginie manque du jugement (sic), qui donne sa juste valeur aux choses et qui permet de parler et d'agir sagement (au contraire, c'est le Père Sembianti, me semble-t-il, qui ne donne pas leur juste valeur aux choses car il n'a pas considéré le moment critique que Virginie pouvait vivre suite au brusque départ de son frère qui lui a coûté beaucoup de larmes). C'est une femme inconstante (or, je me demande si Virginie peut être inconstante après avoir enduré tant d'épreuves pour être Religieuse, au point que pour suivre sa vocation, à l'âge de 15 ans, elle s'enfuit de sa famille qui lui avait déjà trouvé un époux... et qui après de telles épreuves insiste encore et insistera jusqu'à sa mort pour être Religieuse Missionnaire ).
Bref, je la considère inapte à vivre avec nos Sœurs, que dis-je, même pas dans aucune communauté religieuse bien organisée.
Père Giuseppe Sembianti".
Ce terrible jugement émis sur Virginie m'a été écrit par le Père Sembianti trois jours après avoir raconté à Virginie qu'il avait chassé son frère de l'Institut et l'avait renvoyé en Syrie parmi les schismatiques où il risque de perdre son âme pour l'éternité.
Le Père Sembianti a prononcé ce jugement au moment où Virginie était dans la situation la plus critique dans laquelle peut se trouver une Sœur, une Missionnaire, une Vierge chrétienne qui n'a pensé qu'au salut des âmes, c'était dans une circonstance très douloureuse...
Je suis déconcerté par cette manière injuste et contradictoire d'agir de la part des saints... qui sont encore ici-bas comme le Père Sembianti, qui manque totalement de charité, la reine des vertus, sans laquelle, selon le langage des Ecritures, la vie, le prophétie, les miracles, les bonnes œuvres ne valent rien.
Or, Eminent Prince, je ne veux pas débattre ici des raisons pour lesquelles l'Eminent Cardinal de Canossa et le Père Sembianti ont chassé et renvoyé le frère de Virginie en Syrie, sans en informer sa sœur (je ne vois absolument pas de charité dans cet acte, car, à cause de l'Eminent Cardinal et du Père Sembianti, Giorgio est certainement exposé au risque de perdre son âme pour l'éternité) ;
je peux admettre qu'ils aient eu des raisons très justes et qu'ils aient bien agi.
J'ai répondu au Père Sembianti (j'avais reçu la nouvelle à midi et je lui ai écrit à trois heures de l'après-midi le même jour) qu'ils avaient bien agi, et que je les en remerciais de tout mon cœur. J'ai écrit cela non pas par conviction mais in verba magistri car, à ce moment là j'étais aveuglé par l'autorité de l'Eminent Cardinal et par mon estime envers le Père Sembianti, et les deux conseillers.
Mais prétendre que Virginie écoute de pied ferme la nouvelle si douloureuse et inattendue de l'expulsion et de la possible damnation éternelle d'un frère qui lui avait coûté tant de larmes et de sacrifices, prétendre aussi qu'elle ne dise rien et qu'au contraire elle en soit heureuse et qu'elle remercie les auteurs d'une décision si étrange, bien que juste, et de surcroît déduire de l'émotion et de l'ébranlement de Virginie, causés par ce grand malheur, qu'elle n'a pas d'esprit religieux et qu'elle n'a jamais eu dans le passé, qu'elle n'a pas actuellement et que dans le futur elle n'aura jamais la vocation, ça c'est trop ! C'est inacceptable ! Non ! le jugement de l'Eminent Cardinal de Canossa et du Père Sembianti sur le compte de Virginie est un jugement arbitraire et contraire à la justice et à la charité.
Depuis le 16 février, le Père Sembianti m'a toujours écrit de la même façon sans jamais fonder son jugement sur des faits et des raisons valables, mais il a seulement prononcé son jugement irrévocable.
Depuis ce jour, (après trois mois de Postulat) sans que quelqu'un lui en explique les raisons, Virginie n'a plus été admise aux exercices et aux pratiques de piété des Postulantes, et elle a été laissée toute seule, elle ne fait que pleurer, et elle m'a écrit qu'elle désirait la mort plutôt que de rester dans cette situation douloureuse et difficile.
Votre Eminence a entendu le jugement de l'Eminent Cardinal di Canossa et du Père Sembianti à propos de Virginie.
Quelle est l'opinion de la Mère Maria Bollezzoli, Supérieure Générale des Pieuses Mères de la Nigrizia et Supérieure locale de la Maison Mère de Vérone au sujet de Virginie ?
L'Eminent Cardinal de Canossa m'avait assuré (dans l'Annexe III) ne pas avoir entendu ou consulté la Mère Bollezzoli...
La Supérieure Générale, depuis le mois de novembre dernier, alors qu'elle avait accueilli Virginie dans son Postulat de Vérone, jusqu'à présent m'a écrit 16 lettres et dans neuf d'entre elles, elle cite ou me parle de Virginie.
Dans ces neuf lettres, la Supérieure ne se perd pas du tout en éloges envers Virginie, elle est plutôt modérée et réservée, car elle sait bien ce que pensent l'Eminent Cardinal de Canossa et le Père Sembianti à ce propos.
La Supérieure est une femme de piété, elle a un bon jugement, elle est perspicace mais timide, très humble, se méfiant beaucoup d'elle-même, extrêmement respectueuse envers ses Supérieurs immédiats, particulièrement envers le Cardinal Evêque, au point de dénier, en plusieurs occasions, son propre jugement pour se conformer à celui de ses Supérieurs.
Eh bien, à partir de ces quelques lettres assez courtes de la Mère Supérieure Générale, que j'expédie en Annexe de ma lettre à Votre Eminence, vous allez vous convaincre que le jugement de la Supérieure Générale à propos de Virginie est diamétralement opposé à celui du Cardinal de Canossa et du Père Sembianti.
Je vous en cite seulement quelques courts extraits pour ne pas trop vous ennuyer.
Le 16 décembre 1880, la Mère Supérieure m'écrivait ainsi (Annexe VII) :
"Vos bonnes filles sont toutes valables, saines, joyeuses, y compris Virginie qui raconte des petites histoires drôles. Toutes prient de tout leur cœur pour la santé de leur excellent Père, et elles sont impatientes de se joindre à leurs Sœurs qui travaillent déjà sur le terrain ".
De cette lettre il résulte clairement que Virginie est valable, qu'elle prie avec les autres et qu'elle est impatiente de s'unir à ses Sœurs de l'Afrique qui sont déjà sur le champs de bataille.
Le 25 janvier de cette année, la Mère Supérieure m'a écrit (Annexe VIII) :
" Virginie se montre joyeuse, elle parle aimablement aussi avec le Père Recteur, et cela me fait plaisir. Depuis le 3 dernier, ont commencé les cours de langue arabe ; il y a sept étudiantes, elles sont toutes bien formées ; j'espère donc qu'elles feront honneur à l'Institutrice ".
Dans l'Annexe IX, il y a la lettre dans laquelle la Supérieure me raconte le moment où le Recteur a annoncé à Virginie le départ de son frère Giorgio pour la Syrie sans qu'il ait eu la permission de voir sa sœur.
Dans cette lettre on trouve la première et l'unique plainte que la Supérieure m'ait adressée au sujet de Virginie depuis qu'elle était en Italie.
Quelle est cette plainte ? La Supérieure dit que, dans cette terrible circonstance, Virginie ne s'est pas bien comportée avec le Recteur en lui donnant quelques réponses peu respectueuses et en montrant aussi de la méfiance envers lui. En secret, elle m'a dit que Virginie est têtue, même envers elle qui a essayé de lui faire oublier certains sombres préjugés qu'elle avait vis-à-vis du Recteur (il est impossible que Virginie puisse éloigner ses sinistres préjugés envers le Père Sembianti qui depuis le premier jour qu'il l'a vue, s'est toujours montré opposé à elle, par les paroles et l'éloquence des faits, comme je vous l'ai raconté plus haut). Toutefois la Supérieure montre le plus grand intérêt pour Virginie, et elle m'a prié de lui écrire pour l'aider, par mes lettres, à la détromper. Voici la lettre :
"Vérone, le 16 février 1881.
Je vous écris cette lettre à contrecœur, parce que je dois être messagère de mauvaises nouvelles, mais mon devoir me l'impose, et je dois obéir.
Ces derniers jours, Virginie s'est mal comportée avec le Recteur, elle lui a donné quelques réponses peu respectueuses, en montrant envers lui de la méfiance. (Mon Dieu ! Comment peut-elle faire confiance au Père Sembianti ?) et, je vous le dit en secret, elle se montre un peu têtue avec moi aussi, parce que j'essaye de la persuader d'oublier certains sombres préjugés qu'elle nourrit envers le Recteur dont elle parle peu favorablement. Personne n'est au courant de cela, mais j'ai cru opportun d'écrire à Votre Excellence afin qu'avec votre profonde charité, vous puissiez détromper Virginie.
Je ne manque pas de l'exhorter à s'humilier, mais...elle ne se plie pas beaucoup (vous verrez dans l'Annexe, qu'au contraire, Virginie s'est humiliée et pliée bien plus que ce qu'il fallait, et elle a demandé pardon quelques jours après).
Veuillez bien, Excellence, faire prier pour cette affaire ; moi ici je ne manque pas de le faire. Je termine en mettant toute ma confiance dans vos ferventes prières.
Les croix ne manquent pas, mais l'assistance divine non plus.
Votre humble servante
Maria Bollezzoli ".
Le 14 mars, la Mère Supérieure m'a écrit (Annexe X), en me disant que Virginie, bien qu'affectée par le départ de son frère pour la Syrie, s'est humiliée et, à genoux, a demandé pardon au Recteur, cela a fait grand plaisir à la Supérieure qui montre le plus grand intérêt et a une profonde affection pour Virginie.
"Ces derniers jours, Virginie m'a demandé à voir le Recteur, ce dernier de bon gré est allé lui rendre visite. Virginie l'a bien accueilli ; elle demanda à le voir une deuxième fois et alors elle lui demanda pardon de tout ; et le Recteur en fut content. Je vous avoue que cette humiliation m'a fait grand plaisir, parce qu'elle peut se révéler de grande utilité pour Virginie. Maintenant, elle est de bonne humeur, et elle est joyeuse avec tout le monde".
Le 19 avril Mère Supérieure même m'a écrit (Annexe XI) :
" J'ai attendu quelques jours avant d'écrire cette lettre car j'espérais pouvoir donner à Votre Excellence quelque nouvelle réconfortante. Je ne me suis pas trompée, car le Bon Dieu a écouté mon humble prière.
Hier, Virginie et moi nous nous sommes entretenues brièvement avec le Père Recteur, il a parlé à Virginie avec une affabilité vraiment paternelle, et Virginie lui a répondu avec intelligence et gentillesse ; j'en ai éprouvé beaucoup de satisfaction, car je souffrais de voir Virginie un peu rude.
J'espère, et je suis même certaine, qu'elle continuera à être ainsi dans l'avenir, et elle en sera toujours contente. Soyez tranquille, Excellence, et veuillez bien l'encourager à persévérer dans sa jovialité car elle n'en tirera que du bien.
Je ne peux pas faire grand-chose, mais je ferai tout ce qui m'est possible.
Virginie est encore jeune, et elle peut encore faire beaucoup pour la vigne du Seigneur ; pour cela son bien-être me tient à cœur, plus que le mien ".
D'après ce très beau témoignage Votre Eminence peut conclure que si la Supérieure (qui est très réservée et réfléchie) arrive à dire que le bien-être de Virginie lui tient davantage à cœur que le sien, parce que Virginie peut encore travailler beaucoup dans la vigne du Seigneur, c'est le signe évident qu'elle a une opinion très élevée et une grande estime de Virginie.
Ainsi le jugement de la Supérieure Générale concernant Virginie est-il diamétralement opposé à celui de l'Eminent Cardinal de Canossa et du Père Sembianti. C'est justement pour l'intérêt et au profit de l'Afrique Centrale que je plaide la cause de cet excellent sujet qui peut encore travailler beaucoup dans la vigne du Seigneur.
Il me semble que serait une bêtise si je faisais autrement, parce que Virginie possède de belles qualités, est docile, a une bonne santé, et elle a le sens de l'abnégation et le courage héroïque de mourir pour le Christ et pour l'Afrique, comme j'ai pu le constater de mes propres yeux pendant les six ans qu'elle a vécus en Afrique sous ma juridiction.
Lorsque le Père Sembianti dans sa lettre du 16 février (Annexe VI) m'a parlé de la conversation qu'il avait eue avec Virginie à propos du départ imprévu de Giorgio pour la Syrie, et qu'il m'a fait part du sombre et horrible jugement qu'il a conçu, en affirmant que Virginie n'a la vocation pour aucune communauté religieuse de bon esprit et bien organisée (rappelez-vous que Virginie est restée pendant 20 ans dans la Congrégation des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition à la plus grande satisfaction de toutes ses Supérieures, à savoir : Générale, Provinciale et locale), j'ai écrit à Virginie qu'elle se tienne prête à partir de Vérone car, là-bas, sous le poids de si sinistres jugements de la part de l'Eminent Cardinal de Canossa et du Père Sembianti, elle ne pouvait pas rester tranquille (je ne lui ai pas dit cela, bien sûr !), et que je lui indiquerais dans une prochaine lettre l'endroit où entre-temps elle pourrait aller.
Le jour où il y eut une occasion pour le courrier j'ai voulu lui écrire à propos de ce que je lui avais promis, mais j'ai éprouvé un grand embarras pour trouver un endroit pour elle.
Si je l'envoie à Beyrouth dans sa famille schismatique je crains qu'elle ne risque de se perdre, car sa famille la requiert continuellement, et son frère, chassé de Vérone d'une telle manière et si brusquement n'aura certainement pas parlé en bien de la charité des catholiques de Vérone.
Si je l'envoie dans un autre Institut, avec quel cœur pourrais-je, depuis l'Afrique, la recommander, après qu'elle a été rejetée de Vérone, et qu'elle avait été membre d'une autre Congrégation religieuse?
Si je l'envoie dans un pensionnat pour jeunes filles, comme le souhaiterait le Père Sembianti, elle risque de mourir de mélancolie car je ne crois pas que ce soit là sa vocation...
Je vous avoue, Eminent Prince, que j'ai passé des journées de purgatoire.
Et je ne savais pas quoi faire. Je me suis confié alors à ma Supérieure Principale, la Provinciale de l'Afrique Centrale, Mère Teresa Grigolini, un femme éminente sous tous les points de vue. Même si elle n'a jamais vu Virginie, elle en a connu les vertus, les qualités et les souffrances endurées, le courage et l'abnégation.
Elle sait que les Supérieures avaient une grande estime pour Virginie et appréciaient surtout sa grande bonté, Mère Teresa m'a donc dit : "Calmez-vous, Monseigneur, toutes ces contradictions sont voulues par Dieu pour le bien de cette grande âme qui a beaucoup souffert en Afrique et à Vérone et aussi pour l'avantage de notre Mission, qui pourra bientôt avoir Virginie.
J'écrirai moi-même à Son Eminence l'Evêque et au Père Recteur pour qu'ils envoient sans aucune crainte Virginie dans le Vicariat ; j'assume moi-même la responsabilité de Virginie, de sa conduite, de son Noviciat, de tout.
Pour mieux faire je demanderai à Sœur Victoria d'écrire à Son Eminence et au Recteur (Sœur Victoria Paganini, est la Supérieure de la maison de Khartoum, c'est une femme d'éminentes vertus, de talent ; c'est une véritable Missionnaire et une Supérieure très habile). Elle désire beaucoup avoir Virginie auprès d'elle.
Je suis certaine que Virginie sera une bonne religieuse parce qu'ici elle est dans son élément, et qu'elle peut y déployer sa grande activité.
Si par hasard, il arrive que ce projet ne se réalise pas, parce qu'à cause de si nombreuses contrariétés, ou pour d'autres raisons, elle a perdu courage, je lui parlerai franchement, et je demanderai à Votre Excellence de l'envoyer ailleurs, hors de notre Mission. Parfois, le poids de nombreuses croix et des souffrances, surtout quand il n'y a pas un ange, comme pourrait l'être Votre Excellence, qui réconforte et qui encourage celui qui souffre beaucoup, fait que l'on perd facilement le nord et la première ferveur, et alors on s'affaiblit et on se démoralise ; mais j'espère que cela n'est pas arrivé à Virginie. Prions et ayons confiance dans le Cœur de Jésus, dans la Vierge et Saint Joseph qui ne nous ont jamais abandonnés".
Un tel langage m'a beaucoup réconforté, car c'est vraiment la solution la plus pratique et conforme à la vocation de Virginie. J'ai manifesté ma satisfaction et je leur ai dit d'écrire les lettres ; et moi aussi j'ai écrit à l'Eminent Cardinal.
Les réponses de Son Eminence et du Père Sembianti, extrêmement négatives, ont persuadé mes deux principales Supérieures qu'à Vérone l'on agit contre Virginie avec une haine farouche et que, qu'elle soit bonne ou méchante, on veut la chasser de la Mission et de l'Œuvre. Et maintenant, elles sont plus que jamais convaincues que si on ne libère pas vite Virginie de sa situation critique à Vérone, et si on ne la fait pas venir le plus vite possible dans le Vicariat pour la mettre à l'épreuve sous leur responsabilité, Virginie risque de devenir folle et d'être malheureuse jusqu'à la fin de ses jours, sans aucun profit ni pour elle, ni pour les autres.
Mes Supérieures d'Afrique ont lu et bien examiné toutes les lettres qui concernent Virginie, écrites par Son Eminence, par le Père Sembianti et celles de Virginie elle-même.
La Supérieure de Khartoum, Sœur Victoria Paganini, en lisant quelques lettres de Virginie, m'a dit : "Virginie doit être une grande âme, franche et sincère ; on voit bien que son seul désir est l'Afrique, et ce serait une cruauté et une erreur de l'abandonner, mais il faut faire vite pour trouver une solution ".
La solution que proposent mes deux Supérieures de l'Afrique et spécialement la Provinciale Mère Teresa Grigolini est la même que celle que moi-même, prosterné aux pieds de Votre Eminence, les larmes aux yeux, je vous propose à la fin de ce Rapport, au nom de la justice et de la charité.
Que Dieu exauce cette humble prière ! Je ne fais pas ici l'éloge de ma Supérieure Principale de l'Afrique Centrale, Mère Teresa Grigolini (qui est maintenant au Cordofan). Je préfère laisser la parole à ma Supérieure Générale de Vérone qui vient de m'écrire (Annexe XII).
Dans une lettre depuis Vérone du 21 mai, ma Supérieure Générale m'écrivait :
"Votre lettre du 13 avril dernier m'a beaucoup réconfortée, surtout en ce qui concerne l'attitude de Sœur Teresa Grigolini. Oui, Excellence ! Sœur Teresa est une âme vraiment grande, affinée par la grâce divine et qui comprend bien la grandeur de sa vocation. Je vous confesse la vérité, dès le premier instant où je l'ai vue, elle m'a inspiré un sentiment de vénération, au point que j'aurais volontiers voulu être sa servante plutôt que... Maintenant qu'elle se trouve sur le terrain de l'Apostolat qui lui a été confié par la Providence et qu'elle peut y déployer tout son zèle, j'imagine ce qu'elle est devenue. Oh ! quelle âme généreuse ! Si je pouvais l'imiter, même de loin ! Mais le temps s'est désormais écoulé, et il ne me reste qu'un repentir stérile ". Ma Supérieure qui parle ainsi n'a que 54 ans !
Dès que Mère Teresa Grigolini, au mois de novembre sera rentrée à Khartoum, après sa visite au Cordofan, et au Djebel Nouba, elle partira pour le Caire pour bien organiser la maison que nous avons là-bas, selon les projets et les désirs du nouveau Délégué Apostolique d'Egypte Monseigneur Anacleto, et pour avoir un entretien avec lui.
Ensuite, elle partira pour Vérone pour régler certaines affaires, et pour ramener avec elle au Caire la Supérieure Matilde Corsi, destinée à travailler dans cette capitale, qu'on l'avait retenue à Vérone pendant quelques temps pour aider la Mère Générale dans son travail.
Si tout se passe bien, je la ferai passer par Rome afin qu'elle ait la consolation d'embrasser les pieds du Saint-Père, et de s'entretenir avec Votre Eminence à propos du difficile mais très important, voire nécessaire, apport des Sœurs dans l'Apostolat de l'Afrique Centrale, et aussi pour donner à ma Supérieure la possibilité d'entendre les sages conseils et les instructions de Votre Eminence sur la façon de se comporter dans les différentes situations.
D'ailleurs, Votre Eminence pourra donner à ma Supérieure Provinciale toutes les dispositions que vous retiendrez comme opportunes en ce qui concerne Virginie.
A Vérone, certaines personnes sont de plus en plus scandalisées parce que je montre un tel intérêt pour Virginie. Mais j'aurais le même intérêt pour n'importe quelle autre Sœur, même moins importante, si elle était contrariée et persécutée injustement comme Virginie, car c'est mon devoir d'être juste et charitable.
Je m'aperçois que j'ai fait une longue digression, mais revenons à nos moutons.
Je vous disais donc que, suite à l'entretien du Père Sembianti avec Virginie lorsqu'il lui annonça le départ de son frère pour la Syrie, et suite à la sentence irrévocable du Père Sembianti selon laquelle Virginie ne peut pas rester dans une communauté religieuse bien organisée (sic), j'ai écrit à Virginie en lui disant de se tenir prête à partir de Vérone.
En même temps que la lettre du 16 février (Annexe VI), Virginie m'avait écrit qu'elle était malheureuse et désolée parce que l'Eminent Cardinal et le Père Sembianti ne veulent pas qu'elle soit Religieuse dans notre Institut, et qu'elle pleurait nuit et jour. J'avais donc informé la Supérieure Générale de tout cela. Cette dernière, consternée par cette nouvelle, m'a écrit ainsi le 26 avril dernier dans la lettre (Annexe XIII) ci-jointe.
"Votre lettre du 15 mars m'a surprise et consternée car elle me fait connaître vos soucis pour Virginie, et votre décision.
Il est vrai que Virginie a énormément souffert à cause du départ de son frère, et que j'ai tout fait pour la tranquilliser (à présent ça va mieux, mais entre-temps, son frère risque de se damner pour l'éternité, et Virginie a raison de pleurer) ; et comme vous l'avez su dans une autre lettre que je vous ai écrite, Virginie a parlé avec le Recteur en se montrant sereine et affable, et elle l'est encore à présent.
Hier, elle a eu un entretien d'une heure avec le Recteur, et quand elle est sortie, je l'ai vue heureuse (sic), (le Recteur fait ceci pour faire plaisir à la Supérieure, mais en accord avec l'Eminent Cardinal, il a déjà définitivement condamné Virginie). Je vous prie donc de vous consoler, car le cas n'est pas comme vous l'imaginez. (La Supérieure et Virginie ont tout de même été dupées, car l'Eminent Cardinal de Canossa avait écrit à Votre Eminence ce que nous savons bien ; et en ce qui les concerne, Virginie est perdue. Mais, je ne supporterai jamais, moi, ces injustices et ces cruautés, même si il y va de ma vie ! Le Cœur de Jésus aidera cette victime malheureuse et innocente, qui ne mérite pas ces sévices !).
La Mère Générale dans sa lettre ajoute : "Ici, tout le monde la respecte, et je ferai tout mon possible pour... Le Recteur m'a demandé d'aller dans quelques jours à Trente, et il désire que je prenne Virginie avec moi ; je la prends bien volontiers. Réconfortez-la donc, Monseigneur, en lui écrivant quelques lettres, et dites-lui qu'ici tout le monde l'aime bien ".
Tout cela est bien, mais comment Virginie sera respectée et aimée lorsque les Sœurs verront que celles qui sont arrivées après elle auront l'autorisation de prendre l'habit religieux, et qu'elle ne pourra pas en faire autant, parce que le Recteur et Son Eminence ne le veulent pas ?
La Supérieure est consternée parce que j'ai écrit à Virginie de se préparer à quitter Vérone ; elle a alors écrit aussi une lettre à mon père (c'est sans doute une manœuvre du Père Sembianti dans le but d'aggraver la situation, et pour avoir davantage d'arguments pour soutenir que Virginie n'a pas la vocation), où elle lui fait savoir aussi que je lui ait écrit une lettre en disant que Virginie est malheureuse et pleure nuit et jour. Voici la lettre écrite le 25 avril (Annexe XIV).
"Très digne Monsieur,
Je ne sais pas ce que Virginie a écrit à Monseigneur pour qu'il soit aussi consterné. Il m'a écrit qu'elle pleure nuit et jour, qu'elle est malheureuse, que tout le monde la remarque (certainement parce qu'elle n'est pas admise à participer aux réunions avec les autres, et lorsque tout le monde saura qu'elle n'est pas admise à la prise d'habit, elle sera remarquée davantage) ; c'est pour cela, qu'il a décidé de faire partir Virginie de Vérone.
Virginie a été malheureuse à cause du départ de son frère, mais j'ai fait de mon mieux pour la tranquilliser. Et, en effet, quelques jours après, elle s'est montrée apaisée et heureuse, et elle l'est jusqu'à aujourd'hui.
Tout le monde la respecte (Virginie m'a écrit qu'elle était contente de la Supérieure et des autres Sœurs, et que toutes la considéraient comme leur sœur ; mais si l'Eminent Cardinal et le Recteur ne veulent pas qu'elle soit Religieuse ou Missionnaire, n'a-t-elle donc pas raison de pleurer ?).
Hier, en la voyant consternée par la lettre de Monseigneur, votre fils, dans laquelle il l'invite à quitter Vérone (Virginie ne sait pas du tout où je lui écrirai d'aller), j'ai insisté pour qu'elle vous écrive afin de vous demander des conseils, et j'ai cru opportun d'ajouter moi aussi deux mots, en vous priant de dire à Virginie le plus vite possible tout ce que votre charité et votre prudence vous ont suggéré, car je tiens à...etc.".
Puisque le Recteur sait très bien que mon père, dupé comme j'ai déjà dit, par les mensonges de Giacomo le paysan ou par ce que inimicus homo lui a fait croire, est au courant que lui (le Recteur ) ne souhaite pas que Virginie vienne en Afrique, et puisqu'il sait aussi que mon père considère la Supérieure et le Père Sembianti comme deux saints (ce qui est vrai !), il (le Recteur) sait donc que la réponse et le conseil de mon père à Virginie seront celui de rester toute sa vie à Vérone pour se sanctifier sous la direction des ces deux saints : la Supérieure et le Père Sembianti.
Mais moi je n'ai pas fondé l'Institut pour que les Sœurs restent à Vérone, surtout pas celles qui ont du courage, du zèle, une bonne santé, et qui connaissent bien les langues comme Virginie. J'ai fondé l'Institut pour que les Sœurs viennent en Afrique afin de convertir ces pauvres infidèles qui ne connaissent pas Dieu.
J'aimerais bien vous dire ici que soit mon père, auquel le Père Sembianti avait écrit, soit le Père Sembianti lui-même m'ont écrit que l'Eminent Cardinal et le Père Recteur avaient demandé à Virginie si elle était disposée à rester pour toujours et pour toute sa vie dans l'Institut de Vérone, et que Virginie avait répondu : non ! Mon père en a été scandalisé, et le Père Sembianti a confirmé son avis : que Virginie n'a pas de vocation.
Mais si Virginie est un fléau, si elle est turbulente et méfiante..., pourquoi lui proposer de rester pour toujours à Vérone dans la Maison Mère, alors que c'est une maison qui doit être un modèle où ne doivent pas résider des fléaux turbulents ou méfiants... ? Virginie a bien fait de répondre par un non catégorique.
Comment prétendre qu'elle serait heureuse sous la responsabilité du Père Sembianti alors que depuis le début, il n'est pas entré dans mon Institut en tant que Recteur, avant que Virginie ne soit éloignée de la Communauté, et alors qu'il s'est toujours opposé à elle et à sa vocation religieuse ?
Eminence, j'ai encore quatre lettres récentes dans lesquelles la Supérieure me dit que Virginie est bonne, joyeuse, respectée et aimée de tout le monde.
Elle me dit aussi qu'elle a beaucoup d'estime et d'affection pour Virginie, qu'elle tient beaucoup plus à elle qu'à soi-même, et que Virginie peut faire encore beaucoup de bien et travailler dans la vigne du Seigneur, qu'elle prend soin de Virginie, etc. ... Mais j'ai peur d'ennuyer encore Votre Eminence comme je l'ai fait jusqu'à présent.
Je ne vous ai pas encore expédié, mais je le ferai, le résumé de ma réponse à l'Eminent Cardinal de Canossa suite à sa lettre du 26 mai, Annexe III, que je vous ai expédiée.
Je suis prêt à répondre à n'importe quelle remarque que Votre Eminence, croira opportun de me faire à propos de ce cas, ou à celles de l'Eminent Cardinal et du Père Sembianti.
Toutefois il me semble qu'avec cette lettre je vous ai dit, bien fondé sur des preuves, ce qui est suffisant et nécessaire pour que Votre Eminence puisse être bien informée au sujet de l'affaire Virginie.
Maintenant, je mets un point final et je termine cette lettre.
Le jugement de l'Eminent Cardinal de Canossa et du Père Sembianti sur Virginie (qui est totalement différent de celui de ma Supérieure Générale de Vérone, et diamétralement opposé au mien) n'est pas fondé sur la vérité des faits, mais il a été conçu et émis sans les preuves nécessaires, qu'ils auraient dû me présenter, et sans motifs raisonnables.
Par exemple, l'Eminent Cardinal et le Père Sembianti disent que Virginie est louche. Qu'a-t-elle fait pour être jugée ainsi ? A-t-elle perturbé l'Institut, la Communauté ou la tranquillité des autres Sœurs?
Au contraire la Supérieure Générale dit que Virginie est contente, respectée et aimée de toutes.
Le Cardinal et le Recteur disent que Virginie est inconstante. Mais l'histoire de sa vie, que je vous ai brièvement racontée, montre bien que, quand on l'a fait sortir du couvent de Saïda, elle est restée pendant 6 mois dans sa famille qui lui avait choisi comme mari un jeune homme qui venait la voir tous les jours, puis elle s'est échappée pendant la nuit pour se faire religieuse, et elle a persévéré dans ce propos depuis l'âge de 14 ans jusqu'à aujourd'hui. Elle est malheureuse justement parce qu'on l'empêche de réaliser sa vocation.
Le Père Sembianti dit que c'est une menteuse, mais il ne dit pas quels sont ses mensonges, ni quand elle a menti, ni dans quelles circonstances.
Il dit qu'elle est méfiante. Oui, mais seulement envers lui car il lui a donné dès le début toutes les raisons d'être non seulement méfiante ; mais aussi la certitude qu'il lui était hostile et qu'il ne la veut, ni dans l'Institut ni en Mission en allant ainsi contre le désir et l'aspiration capitale de sa vie.
Le Père Sembianti dit encore que Virginie ne manifeste pas un plein abandon entre les mains des Supérieurs. C'est entre ses mains que Virginie ne peut pas s'abandonner. Elle sait bien que son destin ne dépend pas de la Supérieure, entre les mains de laquelle elle est prête à s'abandonner totalement, mais qu'il dépend du Père Sembianti. Or, elle n'a aucune raison de s'abandonner entre ses mains, parce que, bien avant de la voir, il était hostile à ses désirs et aux ferventes aspirations de son cœur, c'est-à-dire de se consacrer à Dieu dans les Missions de la Nigrizia.
Le Père Sembianti dit aussi que Virginie est double.
Quand j'ai lu tout cela à mes Missionnaires qui connaissent bien Virginie, ils se sont mis à rire en disant que Virginie a peut-être ses défauts mais sûrement pas celui de l'hypocrisie, et le Père que j'avais fait venir du Cordofan où il avait été Supérieur lorsque Virginie était là elle aussi, m'a dit dans son dialecte de Padoue : "Sembianti a la berlue". Il s'agit du Père Giovanni Batta Fraccaro, homme de conscience, mûr, et expérimenté dans le ministère pastoral, que j'ai amené avec moi du Cordofan à Khartoum pour qu'il soit mon Vicaire Général.
Sembianti a dit que Virginie est inquiète et turbulente. Il dit cela lorsque Virginie, en larmes, vient d'apprendre de sa bouche, qu'il a chassé son frère de la manière que nous savons. Mais la Supérieure dit exactement le contraire ; et elle dit la vérité, sinon ses compagnes du couvent ne la respecteraient pas et n'auraient pas de l'affection pour elle, comme le témoigne maintes fois la Supérieure Générale dans les Annexes que je vous ai expédiées
L'Eminent Cardinal de Canossa dit que Virginie est un fléau pour la Mission ; et il le dit à Vérone, sans en fournir la moindre preuve.
Mes Supérieures d'Afrique, qui sont sur place et qui connaissent l'héroïsme dont Virginie a fait preuve dans les circonstances les plus critiques, en temps de mort, de maladies et de famine..., disent au contraire que Virginie est une véritable bénédiction pour la Mission. C'est pour cela qu'elles ont écrit plusieurs fois a à Son Eminence et au Père Sembianti pour qu'ils envoient Virginie en Afrique et qu'elles en assumeraient elles-mêmes l'entière responsabilité. Sœur Grigolini serait-elle une femme à qui on pourrait refuser avec mépris de lui envoyer Virginie, comme l'ont fait le Cardinal et le Père Sembianti ?
Ces Supérieures voulaient adresser aussi à Votre Eminence leur demande d'avoir Virginie, je leur ai dit de ne pas faire cette démarche, mais de prier et de laisser faire Dieu, et Rome qui possède la lumière du Saint Esprit.
On peut dire de même pour toutes les autres accusations inventées par l'imagination du Père Sembianti, c'est un homme suspicieux par nature comme j'ai eu plusieurs fois l'occasion de remarquer, pessimiste (voir Annexe VI) et qui tire des conclusions contradictoires... Il se comporte ainsi bien qu'il soit un Prêtre menant une vie sainte et travaillant pour les Instituts avec un zèle et une diligence qui me touchent et me réconfortent.
L'affaire Virginie est le seul point sur lequel nous ne serons jamais d'accord.
Pour accepter son jugement à propos de ce cas, je devrais nier ma conscience et dire que le noir est blanc, que le mensonge est la vérité, et que la vertu est un péché. D'ailleurs moi, je suis un juge plus compétent que lui.
Devons-nous ruiner l'avenir de Virginie à cause de l'entêtement du Père Sembianti ? Non ! Jamais de la vie !
J'ai toujours sauvé les âmes, et je n'en ai jamais perdu une seule. Virginie doit se faire sainte dans sa vocation en sauvant encore de nombreuses âmes.
Il est donc nécessaire d'éloigner Virginie de la juridiction du Père Sembianti, et de lui donner une autre possibilité ailleurs, sans le Père Sembianti, pour discerner sa vocation.
Enfin, l'Eminent Cardinal de Canossa, comme on peut le déduire de sa lettre (Annexe III), après avoir déclaré n'avoir jamais parlé avec le Père Sembianti (sic, c'est un pur mensonge), ni avec la Mère Supérieure avant d'émettre son sombre et sinistre jugement sur Virginie (énoncé dans l'Annexe III), déclare qu'il a lui-même (l'Eminent) formulé le jugement, et lui seul, d'après ce qu'il a observé.
Eh bien, sur quelles raisons, et sur quelles bases, Son Eminence fonde-t-il son étrange et sinistre jugement ? Que Votre Eminence ouvre sa lettre (Annexe III), et en vérifie le contenu. L'Eminent Cardinal de Canossa fonde tout son jugement sur deux points, c'est-à-dire à partir :
1°. de demi-mots prononcés par d'autres personnes, ici et là ;
2°. de ce que dit l'Abbé Tagliaferro. Son Eminence dit qu'il n'est pas très Révérend et qu'il ne voyait pas d'un bon œil Virginie parce qu'elle l'a exhorté (poliment et en vraie Missionnaire) à s'habiller comme un prêtre, et non pas comme un paysan, et à aller à l'église comme les autres Prêtres, sinon il ne pourrait plus y aller car il avait déjà 74 ans.
Et c'est avec ces deux arguments que l'Eminent Cardinal de Canossa, avec une légèreté inconcevable, écrit, à moi qui suis Evêque, âgé de 50 ans et qui connais le monde et qui de surcroît, ai vu Virginie en Afrique Centrale pendant six ans (et croyez moi, six ans d'apostolat en Afrique Centrale, pour une jeune Sœur qui exerce un des apostolats les plus difficiles, parmi les maladies, en souffrant de la faim et de la soif..., c'est un véritable prodige ! Pour rester ici six ans, et pour travailler dans une vigne aussi difficile, il faut une vertu plus grande que celle qui est nécessaire pour être Missionnaire en Orient, en Egypte ou en Europe pendant 20 ans ). C'est avec ces deux arguments très fragiles que l'Eminent de Canossa fonde son sombre jugement sur Virginie, et il a l'audace de m'écrire cela, alors que pour faire, avec la grâce de Dieu, ce que j'ai pu faire, je ne dois pas être un imbécile. Cela fait deux mois, Eminent Prince, que je pense à cette étrange manière de procéder, de la part de l'Eminent Cardinal de Canossa, au grand détriment d'une âme qui a coûté le sang du Christ, l'âme d'une Vierge chrétienne qui a beaucoup...
[ il y a quatre lignes effacées à cet endroit]
... mérites envers l'Afrique Centrale où, pour rester six ans au milieu des épidémies et de la famine, il ne suffit pas d'avoir une vertu ordinaire, mais il faut aussi l'héroïsme de la vertu. Des vocations aussi solides et généreuses sont vraiment rares. Je suis surpris et confus de voir la façon d'agir de l'Eminent Cardinal de Canossa. Ce n'est pas la première fois qu'il agit ainsi. Mais ça suffit !
Suite à tout cela, il y a deux ans, après avoir beaucoup prié et avoir pris conseil auprès d'un sage religieux qui était aussi Evêque (en tant que Religieux, il défend les intérêts de l'Ordre ou de sa Congrégation, et en tant qu'Evêque, il défend les droits de l'Eglise et les intérêts des âmes), j'ai donc accepté Virginie dans ma Mission en Afrique Centrale, et quand j'ai mis la Supérieure au courant, elle a exulté. J'ai fait cela en toute conscience et dans une sainte intention.
J'avais le droit et le pouvoir de le faire, car je suis Vicaire Apostolique de cette Mission, et aussi parce que je suis Fondateur et Chef suprême des Instituts qui sont au service de l'Afrique Centrale.
Virginie a été accueillie dans la Mission qu'elle connaissait bien, elle s'est préparée pour s'y consacrer de toute son âme, sous la direction de mes Sœurs d'Afrique dont elle avait entendu parler en bien par les Sœurs de Saint Joseph qui les avaient bien connues, ayant habité avec elles au Caire pendant trois mois et à Khartoum pendant un mois. C'est n'est que per accidens que Virginie est venue provisoirement à Vérone pour y enseigner l'arabe, en attendant que je trouve des Institutrices stables pour l'Institut.
En effet, Virginie devait faire son Noviciat non pas à Vérone, car elle était désormais grillée par le brûlant soleil africain, mais à Khartoum ou au Cordofan, sous la direction de mes bonnes Supérieures, Teresa Grigolini et Victoria Paganini ; et pendant qu'elle se formait à l'Esprit de ma Congrégation, elle pouvait, en tant qu'experte en langue arabe, être très utile à la Mission.
Maintenant, Eminent Prince, dois-je renoncer à mes droits et à mes devoirs de Vicaire Apostolique et de Fondateur de mes Instituts ?
Devrais-je manquer aux promesses faites à celle qui, ayant entièrement confiance en moi et dans mon Œuvre, s'y était consacrée de toute son âme ?
Dois-je céder face à un Père Sembianti qui, bien avant de voir Virginie, bien avant d'en examiner les vertus, et avant d'accepter la charge de Recteur de mes Instituts a voulu à tout prix que Virginie soit éloignée de la communauté de mes Sœurs, et qui a pris ses fonctions 17 jours après que Virginie ait été placée dans une dépendance de la maison hors de la communauté ?
Dois-je renoncer à mes droits et devoirs sacrés à cause de l'entêtement d'un homme qui n'aurait pas approuvé la vocation de Virginie, même pas s'il l'avait vue faire des miracles ?
Non ! je ne céderai jamais, car il ne faut pas céder devant de telles injustices qui nuisent aux âmes. Je choisis plutôt la mort ! Il n'y aura que l'obéissance qui pourra me faire céder. J'obéirai certainement, mais au prix de ma vie, car l'Eminent Cardinal de Canossa et le Père Sembianti ont vraiment méprisé ma dignité d'Evêque et de Vicaire Apostolique, et aussi de Chef de mes Instituts de Vérone. Je n'ai rien fait pour mériter cela, et j'espère au contraire que Dieu me récompensera pour tout ce que j'ai fait pour Virginie, qu'il me donnera la même récompense ou davantage que celle que je peux mériter pour avoir travaillé toute ma vie et être mort pour sauver la Nigrizia.
Je ne vis et je n'ai vécu que pour sauver les âmes, et non pas pour les perdre comme peut-être ils l'ont fait en chassant d'une telle manière de Vérone le frère de Virginie, en le mettant ainsi en danger de se damner pour l'éternité.
De plus, si je cède aux injustes revendications de ceux de Vérone, Virginie aura le droit de me reprocher de l'avoir trahie (en croyant que je suis d'accord avec le Père Sembianti ou plutôt que c'est moi qui ai donné l'ordre de ne pas l'admettre comme Sœur), comme elle me l'a déjà écrit.
Sachant quelle confiance Virginie a en moi, en tant qu'Evêque, Fondateur et Père, je ne peux et je ne dois pas la trahir. Comme elle n'a pas réussi à devenir Religieuse à Vérone à cause du refus catégorique du Père Sembianti, j'ai le devoir et le droit de la soumettre aux épreuves nécessaires pour discerner sa vocation, ici au Vicariat, sous la responsabilité de personnes en qui j'ai confiance et qui ne lui sont pas préalablement hostiles comme le Père Sembianti, qui connaissent bien la Mission, et qui sont des juges compétents comme la Mère Teresa Grigolini, Victoria Paganini et le Révérend Giovanni Batta Fraccaro, Supérieur, mon futur Vicaire Général, homme de grande piété et de prudence, juste, droit, comme il en a fait preuve pendant les quatre années où il était Supérieur au Cordofan, et comme je sais qu'il l'a toujours été, soit à Vérone où il a été deux fois remplaçant du Recteur, soit dans son Diocèse de Padoue pendant sept ans comme Vicaire paroissial, et comme le montrent les renseignements que l'Evêque de Padoue nous a donnés.
Si Virginie, après une année au moins de mise à l'épreuve sous la susdite Sœur, ne s'en sort pas bien selon l'esprit de ma Congrégation (mais je suis sûr et certain qu'elle réussira parfaitement), soit à cause des énormes souffrances et des afflictions qui lui ont fait perdre son bon esprit missionnaire, soit pour d'autres raisons, car parfois les contrastes et les croix font perdre le nord, en ce cas, puisque personne plus que moi, en tant que Fondateur, n'est davantage intéressé a la bonne marche de l'Institut, ce sera alors mon devoir d'envoyer Virginie ailleurs, hors du Vicariat et de l'Œuvre.
C'est seulement alors, après la juste expérience en Mission qui n'aurait pas donné de bons résultats, que cessera toute obligation de ma part envers Virginie, et c'est seulement à titre de charité que je pourrai l'aider à trouver un endroit où elle pourra assurer son salut éternel.
Je dois moi-même actuellement défendre ses droits, non seulement par un devoir de conscience mais aussi pour une dette de reconnaissance pour les nombreux services qu'elle a rendus pendant six ans ininterrompus en Afrique Centrale. Dans les circonstances les plus difficiles et les plus dures où il y avait des épidémies, la faim, la soif, la maladie et le risque de mourir, dans ces circonstances elle a exercé des actes héroïques de charité et de constance, bien au-dessus de son âge et de sa condition de femme, et a été trois fois au bord de la tombe.
J'implore donc les larmes aux yeux, à genoux aux pieds de Votre Eminence, la grâce que vous donniez à Vérone le plus rapidement possible l'ordre que Virginie soit mise à la disposition de ma Supérieure Principale de l'Afrique Centrale, Mère Teresa Grigolini et de moi-même, et que cet ordre soit communiqué tout de suite à Virginie pour la tranquilliser et la soulager de l'affliction et de l'incertitude dont elle est actuellement opprimée. Cette affliction, qui actuellement est à son comble, pourrait avoir de tristes et déplorables conséquences. Dites-lui que ma Supérieure et moi-même, nous ferons tout le nécessaire pour qu'avant d'aller en Afrique, elle soit d'abord accompagnée à Beyrouth pour revoir sa mère et sa famille, et pour assurer le salut éternel des siens, spécialement de son frère Abdalla, comme elle le souhaitait.
J'adresse cette humble et fervente prière à Votre Eminence alors que je me trouve ici sur le champ de bataille, prêt à perdre à tout moment la vie pour le Christ et pour les infidèles, au moment même où je suis opprimé et immergé dans un océan de tribulations et de calamités qui me déchirent l'âme.
Avant-hier nous avons célébré l'Office et une Messe de Requiem pour le repos de l'âme du pieux Père Mattia Moron, que j'avais ordonné Titulo Missionis ; et qui est décédé des suites d'une pneumonie contractée au Caire.
Nous n'avons pas eu le temps d'enlever le catafalque, mais nous avons déjà reçu une autre triste nouvelle : la mort du Père Antonio Dobale, élève du Collège Urbanien de Propagande, frappé à El-Obeïd par une fièvre typhoïde foudroyante. Hier matin, nous avons célébré l'Office et une Messe de Requiem pour lui.
Au milieu de la matinée, alors que le catafalque était encore sur place une dépêche télégraphique provenant du Cordofan m'a annoncé la mort édifiante et enviable à Malbès de Sœur Maria Colpo, des Pieuses Mère de la Nigrizia ; la fièvre typhoïde et la dysenterie l'ont arrachée à ses nombreuses filles africaines qu'elle éduquait à la piété et à la ferveur chrétienne. Ce matin, nous avons célébré l'habituel Office funèbre pour son âme, et j'ai donné l'ordre de ne pas démonter le catafalque mais de le laisser au milieu de l'église.
Ici, nous avons un Frère laïque très adroit qui travaille comme forgeron, et enseigne ce métier aux jeunes africains. Il est actuellement attaqué par le typhus, et n'est pas encore hors de danger.
En cette année c'est la première fois, de mémoire d'homme, que l'on ne voit pas une seule goutte d'eau dans les puits après trois mois de pluies. Jusqu'à l'année prochaine nous dépenserons donc, comme nous le faisons depuis dix mois, 8 ou 10 écus par jour pour acheter de l'eau pour boire et pour faire la cuisine.
Depuis deux ans, je constate aussi que le climat du Cordofan devient accablant, je suis donc très préoccupé pour pourvoir à tout ce qui est nécessaire en de telles circonstances.
Bref, c'est la très lourde croix qu'il faut porter. C'est un réconfort pour nous que de savoir que les lourdes croix sont le véritable soutien et le renforcement des Œuvres de Dieu. De plus, je dois avouer que je n'ai jamais eu un si grand nombre de véritables et expérimentés Missionnaires et Sœurs que maintenant.
Ils sont tous fermes et inébranlables dans les épreuves. Nous avons besoin d'une bénédiction spéciale du Saint-Père et de Votre Eminence.
J'embrasse votre Pourpre Sacrée
votre dévoué fils
+ Daniel Comboni Evêque et Vicaire Apostolique
Suivent les diverses annexes (cfr. Scritti, vol. VIII, pp.. 3155 et suivantes).
N° 1125; (1079) - AUX SOEURS GIRELLI
ACR, A, c. 14/136 n. 1
Khartoum, le 26 septembre 1881
Vénérables sœurs,
Je vous prie de me faire savoir où se trouve actuellement Delfina Vercellino, qui a été postulante dans mon Institut des Pieuses Mères de la Nigrizia à Vérone, qui est ensuite partie à Brescia, il me semble en 1876 et que j'avais recommandée à votre charité.
Ma Supérieure de Khartoum vous prie de transmettre la lettre ci-jointe à Delfina. Je vous serai très reconnaissant de cette faveur, parce que ma Supérieure désire ardemment avoir de ses nouvelles.
Je voudrais écrire beaucoup de choses à Madame Bettina à propos de vos livres sur Saint Joseph, le Sacré-Cœur et la Vie de Jésus-Christ ; chaque jour mes Missionnaires et mes Sœurs de l'Afrique Centrale les lisent et les méditent.
Mais je n'ai pas le temps maintenant, et je souffre beaucoup, parce que Jésus qui, comme on dit à Vérone a fait le pétiole des cerises, veut qu'il en soit ainsi.
Avant-hier, nous avons célébré l'Office et la Messe de Requiem pour l'Abbé polonais, Mattia Moron, un des mes pieux Missionnaires que j'avais moi-même ordonné Prêtre et qui vient de mourir.
Avant même d'enlever le catafalque, j'ai appris la nouvelle de la mort d'un autre Missionnaire, l'Abbé Antonio Dobale, élève de Propaganda Fide, que j'avais racheté aux Indes Orientales en 1861, et conduit à Vérone. Il est mort à El-Obeïd, capitale du Cordofan à cause de la fièvre typhoïde. Hier matin, nous avons célébré pour lui l'Office et la Messe de Requiem.
Tout de suite après la cérémonie, j'ai reçu une dépêche m'annonçant la mort de Sœur Maria Colpo de mon Institut, à Malbès, au-delà du Cordofan.
Elle est morte comme une sainte et une héroïne, plus heureuse que deux jeunes mariés le jour de leurs noces. Elle a été enterrée près d'un baobab (Adansonio Digitata), dont le tronc mesure entre 27 et 30 mètres de diamètre. Que faire ?
Ce matin, j'ai célébré les Offices funèbres de cette heureuse Sœur de Vicence, et j'ai donné l'ordre de ne pas toucher le catafalque, parce que je m'attends à recevoir d'autres baisers de la main aimante de Jésus, qui a montré plus de talent (sous un certain aspect, et pour ainsi dire) en créant la Croix qu'en créant les cieux.
Cela fait dix mois que je dépense 40 à 50 francs par jour pour acheter de l'eau sale au Cordofan, pour ne pas mourir de soif. Et cette année, la première de mémoire d'homme, après trois mois de pluies, il n'y a pas encore une seule goutte d'eau dans les puits. Ah, mon Jésus ! Quelle croix pour un Evêque Missionnaire !
Mais mon cher Jésus, nous avons l'esprit borné, et nous ne voyons pas plus loin que le bout de notre nez. Si nous voyions plus loin, et si nous pouvions voir pourquoi Dieu agit ainsi, nous devrions le louer et le bénir, parce que c'est bien ainsi, à tout point de vue.
Quand j'étais dans les tribus des Nouba où les gens sont nus comme Adam et Eve avant la chute. J'ai lu, médité, et vraiment apprécié la biographie de Sainte Angela, qui avait été imprimée en 1871, et je l'ai fait lire à mes Sœurs de cette Mission. Je n'ai jamais autant apprécié la vie de notre grande Sainte. Quelle charité généreuse, sublime ! Et l'auteur sait si bien la mettre en relief. Sainte Angela Merici est un sublime exemple de charité pour les Evêques missionnaires, pour les Missionnaires, et pour les Sœurs de charité. Et je voudrais que tous les Vicaires Apostoliques, toutes les Missions aient ce livre, pour apprendre à se laisser pénétrer par le feu sacré, qui brûlait dans le cœur de Sainte Angela.
Oh ! Que de mérites vous avez obtenus avec cette biographie de Sainte Angela. De grâce accordez-m'en en quelques-uns, et priez pour moi et pour ma Mission difficile ! Tous mes hommages aux Evêques, au Secrétaire Carmin, à Capretti, au Père Rodolfo, et au saint Père Chiarini. Je vous bénis et je me recommande à vous.
+ Daniel Evêque
et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale
N° 1126; (1080) - A L'ABBE FRANCESCO GIULIANELLI
ACR, A, c. 15/33
Khartoum, le 27 septembre 1881
Mon cher Giulianelli,
Jésus nous donne des coups de bâtons et nous offre la croix. Ces deniers jours, le catafalque a été utilisé trois fois, et nous ne l'avons pas changé de place pour l'Office et la Messe de Requiem.
Avant-hier, c'était pour l'Abbé Mattia Moron, hier, pour l'Abbé Antonio Dobale, aujourd'hui pour Sœur Maria Colpo. Que Jésus soit toujours béni. Nous fondons solidement notre sainte Œuvre sur la Croix. N'envoyez aucune Sœur, et encore moins des laïcs récemment arrivés (Domenico Polinari excepté), mais uniquement Battista Felici.
Transmettez ces nouvelles en mon nom à l'Abbé Vincenzo Marzano à Naples, parce que je n'en ai pas le temps, et saluez-le de tout cœur de ma part.
Priez toujours Jésus et son Sacré-Cœur pour moi, qui suis crucifié, afin que j'aime vraiment toujours plus la Croix et les épines, qui convertiront la Nigrizia.
Mes hommages au Père Pietro, au Père Germano, aux Frères et aux Jésuites.
votre affectionné
+ Daniel Evêque.
N° 1127; (1081) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI
AP SC, Afr. C., v.9, ff. 91-95v
N° 20
Khartoum, le 29 septembre 1881
Eminent et Révérend Prince,
Vous trouverez ci-joint les trois dernières feuilles, avec lesquelles je termine le récit de l'affaire Virginie, où je formule une humble demande.
J'ai mis un point final à ce récit pour ne pas trop lasser Votre Eminence, qui a déjà été assez ennuyée, et parce qu'il me semble avoir donné une idée suffisante de cette affaire pour que Votre Eminence puisse émettre son jugement autorisé et prendre sa décision. J'aurais encore à dire à ce sujet, mais j'en suis trop fatigué et écœuré. Cependant, si Votre Eminence désire me poser n'importe quelle question, je suis près à vous répondre par retour du courrier.
Je vous ferai parvenir plus tard le résumé de la réponse que j'ai donnée à l'Eminent Cardinal de Canossa suite à sa lettre des 26 et 27 mai, que vous trouverez dans l'annexe III, mais je dois attendre quelques jours parce que je suis faible, et que je dois examiner 16 adultes qui ont été préparés par mes Missionnaires et mes Sœurs pour le Baptême, et que je baptiserai solennellement le jour du Saint Rosaire. Jusqu'à présent, j'en ai approuvé 13, peut-être 14, dont une jeune musulmane fervente qui est avec nos Sœurs depuis deux ans, c'est la fille de l'épouse d'un miralài (commandant ou général d'armée qui est mort il y a deux ans), elle a été placée chez nous par sa mère pour être éduquée, mais avec l'interdiction d'en faire une catholique.
La jeune fille, de 13 ans environ, a vu la manière de vivre des Sœurs, et bien qu'elle refuse de vivre avec les Noires qui ici sont toujours considérées comme des esclaves, elle s'est tellement passionnée pour notre sainte Foi qu'au bout de plusieurs mois, elle a déclaré à sa mère qu'elle voulait devenir chrétienne.
Sa mère refusa, d'autant plus qu'elle craint le gouvernement, dont elle reçoit une pension. Bref, non seulement cette jeune fille voulait devenir chrétienne, mais elle voulait aussi être Religieuse comme nos Sœurs (nous verrons), et elle a tellement harcelé sa mère, que cette dernière lui a finalement donné l'autorisation, et la jeune fille était folle de joie. Je n'ai pas peur du gouvernement Turc, et je suis prêt à engager une bataille, même avec le Grand Sultan ; mais par précaution, et aussi pour réclamer au gouvernement (qui est Turc, donc voleur) une importante somme d'argent que le défunt père avait laissée à sa fille, et qui n'a pas encore été payée, j'ai appelé le Consul austro-hongrois dans mon salon avec la mère, la fille et la Supérieure, et je lui ai fait faire un acte légal devant six témoins, dans lequel il est déclaré que la fille, de sa propre volonté, après deux ans de réflexion, veut devenir catholique, que la mère est d'accord et autorise sa fille à le devenir.
La mère et la fille ont signé, et la mère musulmane (qui ne semble pas loin de devenir catholique) a signé en faisant une croix.
Ici, au Soudan, avec un tel document, nous pouvons non seulement faire valoir nos droits, mais aussi prouver que cette jeune fille, en devenant catholique, en plus d'être protégée par la Mission (qui est la première et la plus forte puissance morale du Soudan), est aussi protégée par l'Autriche.
Les Vicaires Apostoliques d'Egypte n'ont encore jamais osé baptiser ouvertement un musulman dans une église publique, parce que la peine de mort contre le musulman qui devient chrétien et contre celui qui administre le Baptême, n'a pas encore été supprimée, ni abrogée.
C'est pour cela que les Frères des Ecoles chrétiennes du Caire m'ont déjà envoyé à Khartoum cinq jeunes musulmans qui étaient à leur service, et qu'ils avaient convertis. Je les ai tous baptisés à Khartoum. Le Curé Franciscain et les Jésuites du Caire m'ont envoyé l'an dernier à Vérone un jeune d'Alep de 22 ans de bonne famille, qui s'était réfugié en Egypte pour le Baptême.
Il s'agit de Beschir. Quand il est arrivé à Vérone, Giacomo le paysan, Stefano et d'autres avaient dit qu'il n'avait pas même pas l'idée de devenir chrétien, et j'ai été contraint de l'envoyer avec Alessandro, le cousin de Virginie à Rome, en les recommandant au Père Dionisio Sauaya, résidant 17 rue Frattina.
Il a été placé dans l'établissement des Catéchumènes et baptisé un mois après.
Il a été conduit ensuite en audience chez le Saint-Père Léon XIII. Actuellement, il est ici à Khartoum, et c'est un excellent et très pieux catéchiste de la Mission.
La jeune fille dont je viens de parler est très fervente, et je crois qu'avec la grâce de Dieu, elle deviendra comme Bianca Lemuna que j'ai dans la Mission d'El-Obeïd, qui est parfaitement blanche-rose bien que ses parents soient noirs, et que j'ai décrite récemment dans un article dans le Buon Pastore de Vérone et dans l'Osservatore Romano.
Biana est certainement la plus belle fleur de vertu, de Foi et de chasteté que nous avons dans tout le Vicariat, elle a été convertie, instruite et préparée au saint Baptême à El-Obeïd par Virginie Mansur le fléau de la Mission, pétulante, menteuse, fausse, capricieuse et turbulente, que l'Eminent Cardinal de Canossa et le Père Sembianti ont jugée comme n'ayant aucune vocation religieuse, et ne pouvant jamais vivre dans une communauté bien organisée et ayant un esprit religieux.
Je termine cette lettre en vous envoyant une carte de visite de l'Eminent Cardinal de Canossa, par laquelle vous vous rendrez compte encore une fois comment le dit Cardinal traite les affaires. Je la mets dans l'annexe XV.
Votre Eminence se souvient que l'an dernier, en août, vous avez daigné me donner l'ordre de m'adresser à l'Eminent Cardinal de Canossa pour avoir un Vicaire Général qui m'aide dans la direction de mon Vicariat. Et je sais aussi que vous, dans votre grande charité, vous êtes aussi adressé à l'Eminent Evêque de Vérone pour qu'il m'aide dans cette Œuvre.
Bref, on a trouvé le Vicaire Général en la personne de l'Abbé Grego Francesco, Archiprêtre de Montorio, l'Eminent Cardinal de Canossa et moi, nous étions pleinement satisfaits de lui. Le Cardinal et moi-même, vous avons informé que cette affaire était réglée.
Mais pendant les trois mois qui se sont écoulés entre le rapport que j'ai fait avec l'Eminent Cardinal pour Votre Eminence et mon départ pour l'Afrique, certains de mes amis Prêtres m'ont confié que cet Abbé Grego était mal à l'aise dans sa paroisse, qu'il avait des problèmes avec les autorités, et même avec l'Eminent Evêque, qui envisageait de mettre un autre Archiprêtre à Montorio à la place de l'Abbé Grego.
C'est à ce moment que s'était posé le problème de trouver un Vicaire Général pour mon Vicariat, et c'est ainsi que l'Eminent Cardinal me le céda bien volontiers.
Je ne savais rien de ces affaires secrètes, mais quand je suis allé dire à l'Abbé Grego qu'il se prépare à partir trois semaines plus tard, il m'a posé une condition.
En effet, pour pouvoir quitter sa mère, sa sœur et son oncle, je devais m'engager à leur payer pour toute leur vie 3 lires par jour, et je devais leur fournir aussi une maison. Après avoir entendu cela et aussi à cause de ce que j'ai dit plus haut, j'ai décidé de ne pas l'accepter, et j'ai écrit au Cardinal, en lui disant que je ne voyais pas clair dans la vocation pour l'Afrique de l'Abbé Grego, et que je ne voulais pas payer 3 lires par jour à sa mère, à sa sœur et à son oncle...
L'Eminent Cardinal m'a répondu (annexe XV) de la façon suivante :
"Ne vous ai-je pas toujours dit (sauf quand il a écrit à Votre Eminence) que l'Abbé Grego n'avait pas une véritable vocation ? C'était une rêverie. Qu'il reste ici.
Je perdrais peu de chose s'il partait, et j'y gagne peu s'il reste.
Cardinal de Canossa,
Evêque de Vérone".
Je laisse le commentaire à Votre Eminence. Ainsi, le cher Cardinal de Canossa rendait service avec gentillesse, répondait à la confiance de Votre Eminence, et à mon humble requête en concédant à l'Afrique Centrale pour Vicaire Général un Curé de Vérone. En le perdant pour son diocèse, il disait perdre peu, et en le récupérant, il gagnait peu. Sic itur ad astra.
J'embrasse votre Pourpre Sacrée.
Votre humble et obéissant fils
Daniel Comboni Evêque
et Vicaire Apostolique
Annexe XV
Autographe important de l'Eminent Cardinal de Canossa dont l'explication se trouve à la page 27.
"Ne vous ai-je pas toujours dit que l'Abbé Grego n'avait pas la vocation ? C'était une rêverie. Qu'il reste ici. Je perdrais peu de choses s'il partait, et je gagne peu s'il reste. Dimanche prochain, le 14 octobre, si Dieu le veut, je serai à Vérone, et j'aurai ainsi le plaisir de vous voir et de vous parler.
Je vous adresse tous mes hommages, et je vous transmets les hommages de tous les miens, qui restent pour fermer la maison.
Hier, j'ai baptisé solennellement, confirmé et donné la Communion à une protestante de 40 ans environ dans la grande église de Valeggio, qui était pleine...
Grezzano, 9 octobre 1880".
Post-Scriptum.
Comment se fait-il que l'Eminent Cardinal de Canossa et le Père Sembianti (qui, je le répète, agissent, je crois, dans de bonnes intentions ) se soient autant acharnés contre Virginie ? J'y ai réfléchi, et j'en ai trouvé la vraie raison.
Il faut remarquer que quand les Sœurs de Saint Joseph ont été rappelées d'Afrique, les premières à partir ont été Sœur Anna, c'est-à-dire Virginie Mansur, et Sœur Maria Giuseppa Azzapardi de Malte, ennemie acharnée de Virginie.
En accord avec les quatre autres Sœurs qui restaient à Khartoum, j'ai confié ces deux Sœurs au Frère laïque Giacomo, qui était déjà malade à Khartoum, et que j'envoyais à cause de cela au Caire.
Pendant le voyage qui a duré deux mois, Sœur Azzapardi insultait et maltraitait à tout moment Virginie qui faisait la cuisine, et servait tout le monde pendant le voyage. Virginie, fatiguée, lui rendait la pareille, et un jour elle a dit que si elle avait pu trouver une autre caravane, elle les aurait quittés parce que sa consœur était insupportable. C'est ce que m'a écrit et raconté Giacomo, qui affirmait que Virginie avait une patience d'ange.
Mais en même temps, Sœur M. G. Azzapardi racontait à Giacomo tellement de choses contre Virginie que lui-même, alors qu'il accordait en partie une certaine dose de vérité aux dires de Sœur Azzapardi, était scandalisée par les deux Sœurs, et qu'il a ensuite dit que Virginie était le fléau des Sœurs de Saint Joseph, qu'elles se querellaient tout le temps, qu'il n'y avait entre elles ni concorde, ni de paix, comme il avait pu le voir chez les Sœurs de Khartoum. C'est en partie vrai pour ce qui concerne les anciennes Sœurs de Khartoum.
Giacomo avait eu une très mauvaise impression des Sœurs de Saint Joseph en général, et en particulier de ces deux-là. Il est allé à Vérone et quand il a vu que Virginie y était arrivée avec les Arabes, il a tout raconté aux membres de l'Institut, puis au Père Sembianti..., en disant que là où il y avait une Sœur de Saint Joseph, il n'y avait plus de paix, et il raconta toutes les calomnies que Sœur Maria G. Azzapardi lui avait dites.
C'est pour cela que le Père Sembianti ne voulait pas être Recteur de mes Instituts tant que Virginie ne serait pas éloignée de la communauté.
Mais, au juste, quelle est la vérité ? Virginie et Sœur Azzapardi sont restées deux mois ensemble au Caire sous l'autorité de la Supérieure, Sœur Veronica Pettinati d'Empoli, elle-même au Caire depuis dix ans Cette dernière a été témoin tous les jours des injures et des insultes lancées contre Virginie par Maria Giuseppa, avec laquelle elle avait vécu pendant deux ans au Cordofan.
Voilà ce que cette Supérieure m'a déclaré au Caire. Je l'affirme sous serment ; et vous pouvez le vérifier parce que Sœur Veronica Pettinati, qui est une femme remarquable, se trouve en Italie. " Monseigneur - m'a-t-elle dit - il y a deux mois que je suis ici, avec Sœur Anna (Virginie) sous ma responsabilité. Je l'ai observée, et je trouve que c'est une excellente Sœur. J'ai entendu les insultes et les injures qu'elle reçoit à tout moment de la part de Sœur Maria Giuseppa ; j'affirme que c'est un vrai miracle que Virginie ait pu rester deux ans avec cette Sœur. Moi je n'y serais pas restée même cinq minutes".
N° 1128; (1082) - A MONSEIGNEUR HENRI TETU
Mgr. Henri Têtu, "Le R. P. Bouchard", Québec 1897, pp. 66-68
Khartoum, le 30 Septembre 1881
J'aurais bien des choses à écrire sur cette Mission d'Afrique Centrale, mais je n'en ai pas le temps, et je passe maintenant par de bien cruelles épreuves.
Il y a quelques jours, nous avons célébré la Messe et l'Office funèbre pour un de mes Missionnaires, Mathieu Moron, un Polonais, que j'avais moi-même ordonné Prêtre. Le catafalque n'était pas encore enlevé que j'apprenais la mort d'un autre de mes Missionnaires, Antonio Dobale, que j'avais racheté en Orient en 1861, et qui avait été formé au collège de Propaganda Fide. Il a succombé aux fièvres typhoïdes dans la capitale du Cordofan. Hier matin, nous avons célébré l'Office et la Messe de Requiem, quand une dépêche est arrivée pour nous annoncer la mort, un peu au delà du Cordofan, de Sœur Maria Colpo de Malte, membre de mon Institut.
Elle est morte comme une sainte et comme une héroïne, en s'en allant dans la joie et le bonheur aux noces de l'Agneau. Qu'allons-nous devenir ?
Et bien, ce matin j'ai ordonné de laisser le catafalque dans l'église car je m'attends à ce qu'il y ait d'autres baisers venant de la main aimante de Jésus, lequel montre une plus grande sagesse en nous envoyant des croix, qu'en créant les cieux.
Au Cordofan, pendant dix mois, j'ai dû dépenser entre 40 et 50 francs par jour pour acheter de l'eau sale, et pour empêcher les gens de mourir de soif.
Cette année, pour la première fois depuis la création du monde, après trois mois de pluie, il n'y a pas une seule goutte d'eau dans les puits.
Oh mon Jésus ! Quelle croix pour un Evêque Missionnaire ! Mon doux Jésus, nous n'avons pas assez de sagesse pour comprendre ces choses. Si nous pouvions savoir pourquoi Dieu agit ainsi avec nous ! Mais nous devons le bénir et le louer parce que ce qu'il fait est véritablement bon.
Parmi les tribus de Nubie, qui ne connaissent pas d'autre mode que celle de nos ancêtres Adam et Eve, j'ai lu et médité avec une grande joie la biographie de sainte Angela, publiée en 1871, et je l'ai fait lire, et relire à mes religieuses qui sont dans cette Mission. Jamais la biographie d'une sainte ne m'a si heureusement impressionné. Quelle généreuse et sublime charité ! L'auteur fait très bien ressortir cette charité : Sainte Angela Merici est un sublime exemple de charité pour les Sœurs. Je voudrais que tous les Vicaires Apostoliques et que tous les Missionnaires puissent lire cette biographie admirable afin d'apprendre à remplir leur cœur du feu sacré qui brûlait le cœur de Sainte Angela Merici...
+ Daniel Comboni Evêque
et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale
Texte original français corrigé.
[N.B. : Dans le livre, la date inscrite est celle du 30 août 1881, mais ce ne peut pas être la bonne date, parce que l'annonce de la mort de Sœur Maria Colpo est arrivée à Khartoum le 27 septembre].
N° 1129; (1083) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI
AP SC Afr. C., v. 9, ff. 156-159 ; 193-202
N° 17
Khartoum, septembre 1881
Eminent et Révérend Prince,
Pour cause de maladie je n'ai pas pu écrire, comme je vous l'avais promis dans ma dernière lettre (N° 16), afin de continuer à vous raconter l'histoire de Virginie, postulante dans mon Institut de Vérone.
Maintenant, comme je vais un peu mieux, je reprends le travail, non sans une grande souffrance, car je me vois contraint de vous déranger à cause de cette affaire, alors que vous êtes déjà occupé dans des affaires de bien plus grande importance. Mais je suis réconforté à l'idée qu'il s'agit de la justice et de la charité envers une âme consacrée à Dieu, que certains voudraient, sans aucune raison valable, détourner de sa vocation en prenant le risque qu'elle se perde pour l'éternité.
Votre Eminence connaît bien le sublime témoignage que le zèle et la charité du grand Pie IX, ont donné au monde entier quand ce Pape a eu le courage en 1864 de refuser au très puissant Empereur Napoléon III de rendre à son père juif un pauvre fils cordonnier de 11 ans environ qui était devenu catholique, et que j'avais moi-même accompagné de l'Hospice des catéchumènes (dont Monseigneur Jacobini, aujourd'hui Cardinal Secrétaire d'Etat, était Président) à l'audience pontificale. Ce témoignage poussera, j'en suis sûr, l'immense charité de Votre Eminence à s'engager pour sauvegarder la vocation d'une Vierge chrétienne qui, à mon humble avis, en est digne à tous les points de vue.
J'ai cherché pendant de nombreuses années, par l'intermédiaire de Monseigneur Darauni à Rome, du Patriarche des Maronites, et de certains Evêques et Supérieurs Orientaux auxquels je m'étais recommandé, à pourvoir mes deux Instituts Africains de Vérone d'un Instituteur et d'une Institutrice pour enseigner la langue arabe. Tous me faisaient des promesses ; mais sans dépenser au moins 15 francs par jour, tout compris, je n'ai rien pu faire. Une telle dépense était trop importante pour moi.
Quand j'ai répondu à Virginie à Beyrouth, comme je vous l'ai écrit dans ma lettre N° 15, que je l'acceptais comme Sœur dans mon Œuvre, et que j'acceptais aussi son frère Giorgio, sa sœur Khatum, et son cousin Alessandro dans un de mes établissements pour qu'ils y soient instruits dans la Foi et qu'ils se préparent à abjurer l'hérésie grecque, je lui ai demandé de me trouver deux professeurs d'arabe, un homme et une femme, pour mes Instituts de Vérone. Mais elle n'en a pas trouvé, et elle m'a répondu que si j'allais moi-même en Syrie (les Jésuites du Caire, qui venaient tous de Syrie, m'ont assuré la même chose) je trouverais non seulement des professeurs hommes et femmes, mais aussi des vocations de Sœurs arabes, et elle a ajouté : "En attendant que Votre Excellence puisse faire un voyage en Syrie dans ce but, vous pouvez prendre mon cousin Alessandro comme professeur d'arabe, il connaît bien cette langue. Je viendrai provisoirement à Vérone, avec mon frère et ma sœur pour les préparer à abjurer. Ils pourront ainsi mieux s'imprégner des principes de notre sainte Foi, beaucoup mieux que dans vos établissements du Caire. Ainsi Votre Excellence aura seulement à couvrir les frais pour la subsistance du professeur ".
Après de nombreuses années de recherches inutiles, j'avais peine à croire que je pouvais finalement résoudre le problème et pourvoir mes Instituts de Vérone de deux professeurs, un homme et une femme, et préparer trois schismatiques à abjurer. J'en ai remercié Dieu en pleurant de joie, et j'ai ordonné à Virginie de partir pour Vérone avec son frère et sa sœur. Elle y est arrivée en septembre 1879.
La Supérieure et l'Institut féminin exultaient de joie à l'idée d'avoir Virginie avec sa sœur qui voulait se convertir à notre Foi.
Toutefois il n'en a pas été de même pour le Vice-Recteur de l'Institut masculin l'Abbé Grieff du Luxembourg (le Père Sembianti par la suite m'a prié de le mettre à la porte ; actuellement, il est en Amérique), ni pour le Frère laïque Giacomo Cavallini (un homme de bonnes mœurs, mais peu intelligent), lesquels, après être revenus d'Afrique, avaient fait croire qu'ils connaissaient l'arabe ; mais avec l'arrivée du professeur Alessandro dans l'Institut, tout le monde s'est rendu compte que les deux ne connaissaient pas du tout l'arabe. Ils ont accueilli les Arabes avec le plus grand mépris, et ils les ont si mal traités, que s'ils n'avaient pas été inébranlables (grâce à Virginie qui les a convaincus de la vérité de la Foi) dans leur volonté d'embrasser le catholicisme, ils seraient repartis en Syrie en restant hérétiques.
L'Abbé Mainardi, le Recteur âgé de 70 ans, qui avait été Jésuite pendant 17 ans, a cherché, en vain, à les mettre au pas. Dans l'ombre Grieff et Domenico avaient déjà établi un plan pour faire chasser les Arabes. Comme j'étais le seul à connaître leur langue, je me trouvais souvent en leur compagnie, et j'allais tous les jours bavarder dans l'Institut féminin, j'appelais les femmes arabes dans le jardin (cependant toujours avec la Supérieure, jamais sans elle, bien que je fusse le Fondateur de cet Institut et le Supérieur Général). Ainsi tous deux, sans que je puisse m'en rendre compte, se sont mis d'accord avec un certain Stefano un paysan qui était domestique dans le couvent des Sœurs, et ils m'ont accusé auprès du Cardinal Evêque de n'avoir d'égards que pour les Arabes, que dans l'Institut féminin (moi qui suis le Fondateur et le responsable de cet Institut) je fréquentais excessivement Virginie et que je montrais des préférences envers elle...
L'Eminent Cardinal a écouté, mais il ne m'a jamais rien dit.
Le laïque Giacomo en est même arrivé à attrister mon vieux père, homme de 78 ans, craignant Dieu, qui n'a jamais manqué dans sa vie, même pas une seule fois, de se confesser toutes les semaines, et de communier plusieurs fois par semaine.
En secret (sans m'avoir jamais rien dit), Giacomo lui a dit que j'avais trop de familiarité avec Virginie, et que cela pourrait me faire du mal.
Mon père, homme véritablement saint, lorsque Virginie était restée 17 jours chez lui à Limone avec ma très pieuse cousine, était arrivé, avec cette dernière, à considérer Virginie comme une vraie sainte, et cela jusqu'au mois de mars 1880, quand Giacomo lui a parlé très mal d'elle.
Depuis lors, mon père me conseille de m'en défaire, en me citant Saint Ilarione, et l'Abbé Saint Antoine, les saints et les Saintes Ecritures, pour me dire qu'il faut prendre beaucoup de précautions avec les femmes (il a raison en cela, et j'ai toujours usé de la plus grande prudence, mais pour cela je n'ai jamais cessé d'amener le plus de femmes possibles à la Foi et la piété, des protestantes, des infidèles, des chrétiennes, etc. et j'en suis très content car j'ai accompli ma vocation de Missionnaire à Vérone, à Vienne, à Dresde, à Berlin, à Paris, à Londres, à Saint-Pétersbourg, à Rome, en Egypte et en Afrique Centrale.
A Rome il y aussi deux protestantes qui vivent comme deux saintes catholiques, que Dieu a gagnées à la vraie Foi par mon intermédiaire, il s'agit de Maria Kessler et d'Ernestina Talkenberg, deux Saxonnes).
Mais il y a encore plus. L'Abbé Grieff (que l'on croyait un saint, mais qui était hypocrite et rusé) aspirait à être Recteur de mes Instituts ; le Père Sembianti s'en est aperçu et alors il m'a prié de le laisser quitter l'Institut.
Grieff (que j'ai moi-même décrit au Père Sembianti comme étant une très bonne personne, d'après l'avis d'un pieux Père de la Congrégation de Saint Philippe à Vérone, qui était son confesseur), avait su que je traitais avec le Supérieur Général des Bertoniens, pour avoir le Père Sembianti comme Recteur de mes instituts.
Il a alors essayé de le décourager, et de le convaincre de refuser la charge.
Dans ce but, il est allé en secret avec les deux laïques, Giacomo et Stefano, chez le Général et chez le Père Sembianti, et ils leur ont peint un sombre tableau des Arabes, et surtout parlé de mes prétendues préférences envers Virginie.
Les Bertoniens ont alors demandé des conseils à l'Eminent Cardinal de Canossa (qui n'a jamais daigné me consulter ou entendre mon opinion, moi qui suis Evêque, Fondateur et Chef des Instituts, mais il a daigné, d'après ce qu'on m'a dit, entendre l'avis de deux paysans laïques : Giacomo et Stefano) ; il a donc décidé (sans avoir consulté la Supérieure qui, elle me l'a dit, en a beaucoup souffert pour Virginie et pour moi, et qui de celle manière subissait une grande humiliation) que le Père Sembianti devait accepter d'être Recteur, à condition d'envoyer Virginie, sa sœur, son frère et son cousin hors de la communauté ; et c'est précisément ce que les deux paysans voulaient obtenir.
J'étais à Rome quand j'ai été informé avec certitude de cette décision.
Pour être sûr d'avoir le Père Sembianti comme Recteur stable de mes Institut, et aussi pour le bien de l'Œuvre, j'ai fait ce grand sacrifice pour le Seigneur, et j'ai accepté la grande humiliation de voir mon opinion méprisée... Et, bien que je susse combien cela serait douloureux et humiliant pour les Arabes, et surtout pour la malheureuse Virginie, j'ai ordonné de Rome aux quatre de quitter l'Institut, et d'habiter dans une de mes dépendances proches mais séparées du couvent des Sœurs, en installant les deux garçons au rez-de-chaussée et les filles au premier étage, en espérant, plus tard trouver une solution plus charitable pour ces quatre malheureux.
Virginie a été extrêmement désolée par cette mesure. Habituée depuis presque vingt ans à vivre dans une communauté Religieuse avec des Sœurs, et elle-même Sœur depuis dix ans, et dans des communautés joyeuses comme celles des Sœurs de Saint Joseph en Orient, elle se voyait, tout à coup, confinée dans une pièce avec sa sœur, ne voyant la Supérieure qu'une seule fois par jour.
Elle pleurait nuit et jour, mais elle était résignée et avait confiance en Dieu, sa seule consolation avec la Vierge Marie et Saint Joseph, auxquels elle est et à été toujours dévouée.
Depuis Rome, j'ai prié l'Archiprêtre de Saint Luc, Doyen des Prêtres de Vérone, prêtre depuis 37 ans, qui est l'oncle de mon ancien Vicaire Général l'Abbé Bonomi, actuellement Supérieur de la Mission du Dar-Nouba, d'aller rendre visite à Virginie pour la consoler, et d'y envoyer ses trois nièces, les sœurs de l'Abbé Bonomi.
Il y est allé, et les trois sœurs aussi pendant quatre mois. Le vieux Curé m'a dit que Virginie est une femme aux grandes vertus, possédant un bon jugement, et un esprit perspicace, une vraie sainte.
Il a très souvent et longuement parlé avec Virginie, alors que l'Eminent Cardinal di Canossa ne lui a parlé que brièvement quatre fois. Mais Son Eminence a écouté deux paysans avec attention, et il n'a jamais interpellé ce vénérable Prêtre, qui a dans sa paroisse, depuis trente ans, deux couvents de moniales, dont il est le directeur spirituel et qui est peut-être le meilleur prédicateur de Vérone, qui prêche Jésus-Christ crucifié.
Après 40 jours, je suis retourné à Vérone, j'ai trouvé ces quatre Arabes affligés qui ne parlaient avec personne, et comme je parle leur langue, je suis allé les voir souvent pour les consoler, les instruire et pour confirmer leur volonté de se convertir. Et pour cela j'ai été accusé, comme auparavant, auprès du Cardinal.
En effet j'avais toujours été espionné par les deux paysans, peut-être mandatés par le Père Sembianti et par Son Eminence (c'est inouï !). On m'a accusé d'être trop familier et partial avec les Arabes, surtout avec Virginie, lesquels d'ailleurs, se réjouissaient et reprenaient un peu de vie quand ils me voyaient, de la même façon que mes Missionnaires, mes Sœurs et mes convertis en Afrique, qui exultent de joie quand ils me voient, ce qui est normal, parce qu'ils savent que je suis leur père, et que je me sacrifie pour leur bien.
Quand de Rome je suis arrivé à Vérone, j'ai rendu visite à Virginie qui subissait un vrai purgatoire à cause du terrible éloignement de la communauté, où elle n'allait que 5 heures par semaine pour enseigner l'arabe.
Elle m'a tenu le discours suivant, qui est la pure expression de la vérité, et auquel je n'ai rien pu répondre, si ce n'est qu'elle ait confiance en Dieu, vengeur de l'innocence et de la justice :
"Monseigneur - me dit-elle - vous m'avez reçue dans votre chère Mission de l'Afrique Centrale, que j'aime beaucoup, au point d'abandonner pour elle ma chère Congrégation de Saint Joseph et en vous faisant confiance car vous qui êtes le Chef et le Fondateur de l'Institut des Pieuses Mères de la Nigrizia, j'ai enduré tous les sacrifices pour être religieuse de l'Afrique Centrale, afin d'œuvrer, dans les limites des mes possibilités pour le salut de ces pauvres âmes qui sont les plus malheureuses et les plus délaissées du monde.
Vous m'avez acceptée, vous m'avez appelée à Vérone pour enseigner l'arabe, et j'ai obéi. Mais ici, on m'a chassée de la communauté, et on ne veut pas de moi.
Je croyais que vous étiez Supérieur et Fondateur de votre Institut, et que vous aviez l'autorité de commander.
Mais je vois que c'est le contraire, Monseigneur, ou bien vous n'avez aucune autorité sur l'Institut, ou alors vous ne voulez pas que je reste dans votre Institut et dans votre Œuvre. Si j'ai fait du mal, qu'on me le dise, je suis prête à faire pénitence. Si je n'ai fait aucun mal, pourquoi alors m'éloigner de l'Institut ?
De toute façon, je suis la femme la plus malheureuse du monde, et vous m'avez trahie. Je vous prenais pour un véritable Père, et je croyais que vous m'aviez vraiment acceptée dans votre sainte Œuvre. Mais peu importe, le Seigneur m'aidera, comme il m'a toujours aidée. J'irai servir, et souffrir pour toute la vie, mais j'espère sauver mon âme.
Et je ne suis pas la seule à être détestée ici, il y a aussi mon frère, ma sœur, et mon cousin, que ni le Recteur, ni le Cardinal, ni Giacomo, ni Stefano ne peuvent supporter, et auxquels on refuse même de dire bonjour.
Je vous prie donc de nous aider, pour que nous puissions retourner tous les quatre à Beyrouth ; Dieu et Marie seront aussi avec nous".
Pour répondre à un tel discours, dans lequel Virginie dit la vérité, j'ai dit que je n'étais pas d'accord pour qu'ils retournent en Syrie avant que les trois schismatiques aient abjuré, parce qu'ils ne pourraient peut-être pas abjurer en Syrie, parmi les schismatiques. Virginie a alors ressenti un autre chagrin dans son cœur, mais j'ai décidé d'envoyer son frère et son cousin à Rome, et Virginie et sa sœur à Sestri, où j'avais l'intention d'envoyer les trois Sœurs qui étaient destinées à l'Afrique, bien avant que le Père Sembianti devienne Recteur. J'aurais pensé par la suite à ce qu'il fallait faire.
Il est naturel, Eminent Prince, que Virginie ait ressenti une certaine antipathie, et qu'elle ait regardé le Père Sembianti de travers, elle avait su et elle était convaincue qu'il avait été le responsable de son éloignement de l'Institut.
Et Virginie avait bien raison de le considérer ainsi, bien que le Père Sembianti soit un digne Religieux, et que je sois toujours heureux de l'avoir à la tête de mes Instituts, parce que c'est un homme de Dieu, un honnête homme.
Et bien qu'il ne soit pas encore expérimenté et qu'il soit têtu comme le sont tous les saints qui sont encore ici-bas, bien qu'il soit timide et qu'il ait encore peu de confiance en lui-même, je suis certain qu'il formera de bons Missionnaires pour l'Afrique centrale, qui auront un excellent esprit et qui feront beaucoup de bien à la Mission.
Mais dès le début, le Père Sembianti a été influencé négativement vis-à-vis de Virginie, par l'esprit diabolique de Grieff aidé par deux paysans bons mais stupides. Et Votre Eminence sait bien combien les premières mauvaises impressions ont un grand effet même sur de bonnes âmes. Parfois j'ai vu des exemples déplorables à ce propos chez des Religieux, et même chez d'excellents Prélats Romains, parce que je connais le monde et l'anatomie de l'esprit humain. Le Père Sembianti œuvre selon sa conscience, et Virginie n'a pas tort si elle regarde et si elle a toujours regardé de travers le Père Sembianti, comme je le démontrerai plus loin.
Je suis allé chez l'Eminent Cardinal de Canossa pour voir si on pouvait améliorer la triste condition des Arabes, et c'est alors que j'ai tissé les louanges de Virginie, dont j'ai été l'Ordinaire et le Directeur pendant six ans, et que j'ai donc très bien connue. Mais il m'a répondu que si j'avais donné l'ordre d'accueillir à nouveau les Arabes dans l'Institut, le Père Sembianti se serait retiré.
En Italie du Nord, me dit-il, il y a de pieuses Institutrices qui vivent dans les dépendances des communautés religieuses et des Instituts religieux, et Virginie pouvait y rester, sa Supérieure ayant toujours déclaré qu'elle était contente de sa modestie, de son humilité et de sa charité qui faisaient d'elle la servante de toutes les autres Sœurs.
J'aimerai et je vénérerai toujours l'Eminent Cardinal de Canossa, parce qu'il m'a beaucoup aidé moralement pour implanter mon Œuvre.
Mais depuis vingt mois il m'a fait subir tellement d'humiliations, qu'elles suffiraient pour tuer un honnête homme, bien que je n'en sois pas trop affecté car je suis disposé ad plura et maiora tolleranda pour l'amour du Christ et de l'Afrique. L'annexe III que je vous envoie maintenant, est pleine de fausses affirmations complètement éloignées de la vérité, comme je le démontrerai dans la réponse que j'ai donnée au Cardinal de Canossa (a cette lettre horrible. Cfr. Annexe III) afin que Votre Eminence soit au courant de tout, même de ce que l'Eminent Cardinal ne vous aura pas écrit. La vérité se fera jour et Votre Eminence pourra juger en connaissance de cause.
Mais l'Eminent Cardinal de Canossa m'a terriblement humilié en m'écrivant qu'il se repent d'avoir dépensé 600 lires pour faire le voyage à Rome pour me faire nommer Evêque (voir l'annexe IV, jointe à l'annexe III, par souci de brièveté et pour ne pas ennuyer davantage Votre Eminence).
C'est l'Eminent Cardinal lui-même qui a écrit cela, et pour être délicat, je chercherai le moyen de lui rembourser les 600 lires qu'il dit avoir dépensées pour me faire nommer Evêque (mon Dieu !), sans doute il en sera satisfait.
Il n'a jamais donné un seul centime pour l'Afrique, comme il ne donne rien à personne, parce qu'il a laissé son riche patrimoine à sa noble famille depuis qu'il est entré chez les Jésuites.
Aujourd'hui, il vit avec la mense épiscopale, et il distribue équitablement aux pauvres ou aux Œuvres du diocèse de Vérone l'argent qui reste après s'être nourri et vêtu. Mais il n'a jamais donné un seul centime pour l'Afrique (Pie IX et quelques Cardinaux ont cru pendant un certain temps que l'Eminent Cardinal destinait beaucoup d'argent à l'Afrique), et de plus, toutes les lettres qu'il avait écrites pour moi à Rome, au profit de l'Œuvre, ou pour quelques bienfaiteurs importants (qui par égard envers Son Eminence m'ont donné des milliers de francs), ont toujours été payées par moi ou par mes représentants, même celles écrites à Votre Eminence contre Virginie et contre moi.
Et pour finir, il y a un mois, l'Evêque de Plaisance (suite à mes lettres du Cordofan à une bienfaitrice de Plaisance), a envoyé pour moi 2.240 lires à l'Eminent Cardinal de Canossa ; et le Père Sembianti m'a écrit que l'Eminent Cardinal lui avait remis 2.239 lires et 80 centimes, car il avait gardé 20 centimes pour le timbre de la lettre de remerciement à l'Evêque de Plaisance.
Je rougis d'écrire ces choses, mais je me sens très offensé de voir que l'Eminent Cardinal de Canossa a récemment pris des décisions dans mon Institut, sans écouter mon avis, alors que j'ai moi-même donné la Règle à l'Institut, et que je subviens à tous ses besoins avec des milliers d'écus chaque année, en faisant beaucoup de sacrifices et en travaillant énormément.
Mais j'offre tout au Seigneur, parce que tout est voulu par Dieu pour le bien de l'Œuvre, et pour notre perfection.
Trois mois après l'installation de Virginie dans la dépendance du couvent et sa séparation d'avec la communauté religieuse, j'ai remarqué que sa santé dépérissait sensiblement chaque jour. Le médecin de l'Institut m'a alors conseillé de l'éloigner de la lugubre atmosphère qui l'entourait, et je l'ai donc envoyée à Sestri Levante où se trouvaient déjà mes Sœurs.
Je ne parlerai pas des vertus héroïques et de la patience de Virginie vis-à-vis de sa sœur Khatoum (qu'elle a convertie et instruite dans les fondements du Catholicisme) qui passait des moments difficiles :
1°. parce qu'elle était encore choquée d'avoir vu, comme Virginie, de ses propres yeux, son père et son frère aîné égorgés en 1860.
2°. Parce qu'à l'âge de 8 ans, elle est tombée du troisième étage à Khartoum, et qu'elle a subi un grave traumatisme crânien. C'est pour cela que, parfois, Khatoum voyant la porte ouverte, sortait du couvent, et que Virginie était contrainte de courir après elle dans les rues publiques. Parfois, elle allait dans le jardin potager de l'Abbé Tagliaferro et, sans raison, elle cueillait une pêche, une figue, ou un autre fruit, et l'Abbé Tagliaferro reprochait à Virginie de ne pas bien surveiller sa sœur...
Il est certain que Virginie s'est bien comportée à Sestri, comme le prouve le témoignage de la Supérieure (Annexe II), que j'ai envoyé à Votre Eminence. Mais cela n'avait aucune valeur pour mon têtu et cher Père Sembianti, qui était venu avec moi à Sestri pour rédiger la Convention et pour prendre des décisions au sujet de cette affaire.
Il restait toujours avec les Sœurs auxquelles il offrait des souvenirs, mais n'adressait jamais la parole à Virginie, comme je l'ai moi-même constaté.
C'est pour cela que Virginie m'a dit : " Vous verrez, Monseigneur, que quand j'irai à Vérone et que vous serez en Afrique, votre cher ami (j'avais dit à Virginie que le Père Sembianti est mon véritable ami, pas seulement par des mots, mais aussi en fait car il s'est consacré avec beaucoup de zèle et d'amour à sa charge de Recteur de mes Instituts) me chassera, parce qu'il ne peut me supporter, car pour lui je suis antipathique. Vous êtes trop bon, mais moi, je suis convaincue de cela. Je vais à Vérone, et j'y mourrai".
Comme l'Eminent Cardinal l'a écrit l'an dernier à Votre Eminence, Virginie a demandé et obtenu d'entrer dans l'Institut des Pieuses Mères de la Nigrizia à Vérone. Et au mois de novembre de l'année dernière, quelques jours avant mon départ pour l'Afrique, elle est allée de Sestri à Vérone où elle est entrée dans l'Institut comme postulante.
Je vous raconterai dans ma prochaine lettre ce qui s'est passé là-bas, et comment Virginie s'est comportée.
En attendant, j'embrasse votre Pourpre Sacrée, et je déclare être
votre indigne et crucifié fils
+ Daniel Comboni Evêque
et Vicaire Apostolique
Annexe III
Lettre autographe de l'Eminent Cardinal di Canossa, dans laquelle il lance des accusations injustifiées contre Monseigneur Comboni (il a répondu à toutes ces accusations, et il en enverra un résumé au Cardinal Préfet ).
Il décrit Virginie avec les couleurs les plus sombres, et puis il déclare avoir émis son sinistre jugement, sans avoir consulté ou entendu le Recteur, et pas même la Mère Supérieure de l'Institut. Il s'est forgé cette opinion lui-même :
1°. avec des demi-mots entendus ici et là.
2°. avec le témoignage de l'Abbé Tagliaferro (Prêtre de 74 ans, ex-religieux), qui ne se confesse plus depuis 30 ans, que Virginie avait incité à s'habiller et à vivre comme un Prêtre, par respect aussi envers Monseigneur Comboni qui a aidé le couvent pour y installer les Sœurs.
Annexe IV
Ecrit autographe de l'Eminent Cardinal di Canossa, qui déclare à Monseigneur Comboni se repentir d'avoir dépensé 600 lires pour aller à Rome pour le faire nommer Evêque (mon bon Jésus !). Monseigneur Comboni sera toujours reconnaissant des bienfaits reçus de la part de l'Eminent Cardinal de Vérone.
[N.B. : La lettre N° 15 au Cardinal Simeoni est du 3//9/1881 (N. 1114). La lettre N°.16 n'a pas été retrouvée ; la lettre N° 18 est du 17/9/1881 (N. 1122). On peut donc supposer que cette lettre N° 17 a été écrite entre le 3 et le 17 septembre 1881].
N° 1130; (1176) - A STONE PACHA
Bulletin de la Société Khédiviale de Géographie
Série II, n.6, février 1885, pp. 287-288
Khartoum, septembre 1881
Excellence,
Je me permets d'offrir à Votre Excellence une petite carte du Dar-Nouba que je viens de tracer après une exploration que j'ai faite dans ces montagnes avec mes Missionnaires. Notre but était d'y étudier, à la demande de Son Excellence Rauf Pacha, le digne Gouverneur Général du Soudan la très importante question de l'esclavage, et de lui proposer des remèdes pratiques et efficaces, et j'ai fait tout cela à la plus grande satisfaction de Son Excellence.
Le Dar-Nouba deviendra une région très importante pour le Gouvernement égyptien, et deviendra en même temps un endroit stratégique qui facilitera l'introduction de la civilisation dans d'autres vastes terres d'Afrique Centrale.
Cette carte a été tracée très soigneusement, après avoir visité, pas à pas, plus de cinquante collines habitées par un des peuples les plus intéressants et les plus aimables de l'Afrique Centrale. En outre, nous avons composé un dictionnaire de 3.500 mots de la langue des Nouba.
Il existe un peuple, près des Nouba, qui vit sur neuf collines, qui s'appelle Ghouma, et dont la langue est complètement différente de la langue nubienne.
Ce peuple, resté jusqu'à présent inaccessible au Gouvernement égyptien, nous reçoit toujours les bras ouverts, car les Missionnaires - disent les Ghouma - ne font rien de mal, mais toujours du bien. Mais quand les Nouba auront découvert les bienfaits du Gouvernement qui les délivrera des brigands Baggaras, je suis sûr que les Ghouma ouvriront eux aussi leurs portes jusqu'alors fermées, à Son Altesse le Khédive...
[+ Daniel Comboni]
Texte original français corrigé.