N° 1081; (1036) - NOTE DE CHRONIQUE
ACR, A, c. 20/49
Mai 1881
N° 1082; (1037) - A STANISLAS LAVERRIERE
"Les Missions Catholiques" 643 (1881), pp. 458-459
El-Obeïd, mai 1881
Sur le point de partir pour le Djebel Nouba, je me hâte de vous envoyer un dessin représentant l'intérieur de l'église de Notre Dame du Sacré-Cœur, Reine de la Nigrizia, église que nous venons de construire dans cette capitale.
C'est le plus grand temple qui ait été élevé en l'honneur de Dieu et de sa Mère divine en Afrique Centrale. Il nous a coûté d'énormes fatigues, car on ne trouve pas dans ce pays les matériaux nécessaires pour une construction normale européenne.
Mais nous avons évité bien des dépenses car, pour élever ce monument de la Foi et de la civilisation chrétienne, nous n'avons eu à rétribuer qu'un seul ouvrier indigène; tout est l'œuvre de nos Missionnaires, de nos Catéchistes, de nos Frères laïques et de nos élèves originaires de plusieurs tribus de l'Equateur. Le Curé de la paroisse l'Abbé Vincenzo Marzano, que j'ai dernièrement ordonné Prêtre à Khartoum, en a été l'architecte.
Je vous donnerai des détails sur mes Missions après mon retour du Djebel Nouba.
Depuis son élévation au trône des Pharaons, Son Altesse le Khédive d'Egypte a pris sérieusement à cœur le grand problème de l'abolition de l'esclavage, et il fait tous les efforts possibles, et même les plus grands sacrifices, pour combattre cette plaie séculaire qui a ravagé les trois quarts des populations noires.
L'humanité devra lui être reconnaissante s'il continue, comme je l'espère, dans cette voie. Puisque vous ai déjà décrit les horreurs de l'esclavage qui existait dans cette capitale lorsque j'ai fondé ici la Mission catholique, je me vous tiendrai au courant de la remarquable diminution de cette plaie.
Après Son Excellence Gordon Pacha, Rauf Pacha, l'actuel Gouverneur Général consacre tout son talent à cette grande entreprise humanitaire dont Sa Majesté Léopold II, roi des Belges aura le principal mérite.
Je me limite aujourd'hui à transcrire une lettre que le Gouverneur Général du Soudan, un territoire cinq fois plus grand que la France, vient de m'écrire de Khartoum. Cette lettre fera savoir à nos chers bienfaiteurs de la Propagation de la Foi à quel point le catholicisme et les Missions catholiques sont protégés par les Turcs et les Musulmans.
[suit la lettre de Rauf Pacha; cf. N.1069, §§ 6731-33]
Cette année, nous avons une bonne pluie; la première a duré une demi-heure et elle a précédé d'un mois celle des années précédentes. Pendant trois jours, nous n'avons acheté que très peu d'eau. Mais nous dépensons actuellement plus de 60 francs par jour pour avoir une eau boueuse et jaunâtre; et sur les 87 personnes qui composent la Mission, il arrive que le soir, beaucoup n'aient pas encore bu.
+ Daniel Comboni
Texte original français corrigé.
N° 1083; (1038) - AU CHANOINE GIOVANNI C. MITTERRUTZNER
ACR, A, c. 15/84
depuis Nama, les montagnes de Golfan,
Djebel Nouba, le 4 juin 1881
Très cher ami,
Je suis en exploration avec les Abbés Bonomi, Henriot, Marzano, des Missionnaires incomparables et avec l'excellent laïc Giuseppe Regnotto, pour visiter les populations de la région des Nouba décimées par l'esclavage depuis de nombreuses années (neuf personnes sur dix) ; sur 500.000 personnes, il n'en reste que 50 ou 60.000. Les Arabes nomades Bagarra les ont presque tous supprimés, soutenus par les précédents Gouverneurs du Cordofan.
Mais comme j'ai exposé clairement la vérité au Gouvernement, le Gouverneur Général Rauf Pacha, qui soutient les nobles intentions de l'actuel Khédive d'Egypte, m'a chargé d'étudier sur place les problèmes et les abus existants, et de proposer le moyen le plus efficace pour abolir totalement la traite sur ces montagnes.
Ici, tous les hommes et les femmes sont nus comme chez les Kichs, mais plus vigoureux et plus ouverts pour accueillir, avec le temps, la civilisation grâce à l'Evangile.
Après cette exploration, je retourne à Delen, la première Mission, et nous prendrons la voie pour explorer Carco et Fanda, la patrie de Bachit Minscalchi ; puis nous irons au Petit Golfan en passant par les Gnoumas.
Ce sont des collines comme celle de la Toscane ; où ces Africains se sont retranchés ; ils y cultivent la terre, et se défendent des Baggara. J'ai déjà un projet à proposer au Gouvernement.
Je suis accompagné par six gardes à cheval, et je monte le cheval du Pacha du Cordofan, qui a voulu me fournir une escorte d'honneur et de défense.
Je vous donnerai d'autres nouvelles plus tranquillement, parce que maintenant je manque de souffle. Nous n'avons pas de sel, ici il n'y en a pas. On mange une pâte fade, et pour nous faire fête, le Cogiour a tué un coq pour nous; en dix minutes, il a été plumé et mis sur les braises sans sel, et quand il a été mis devant nous pour qu'on le mange, nous l'avons dévoré en un instant.
Ici, nous fonderons un poste de Mission.
Maintenant, je veux vous dire que grâce au labeur de l'Abbé Giovanni Losi (moi j'y avais travaillé avant et l'Abbé Bonomi encore plus), a été composé un dictionnaire de la langue des Nouba, avec plus de 3.000 mots et les principales prières de l'Eglise. Comme nous avons expérimenté combien il est difficile et laborieux d'apprendre une des langues des tribus de l'Afrique Centrale, nous nous sommes posé la question si oui ou non cela est nécessaire (se utrum nec ne necessarium sit), alors que nous connaissons bien les langues Denka et Bari, grâce aux travaux de nos anciens Missionnaires, que vous avez providentiellement recueillis, et s'il ne serait pas mieux d'implanter des Missions aux meilleurs endroits, où les habitants parlent le Denka et le Bari; la réponse unanime de tous et surtout de l'Abbé Losi a été affirmative, afin d'utiliser de la meilleure façon possible vos précieux travaux.
Vous êtes le seul jusqu'à présent à qui je fais connaître notre ferme décision, et je vous prie donc de ne pas la publier tant que je ne vous aurai pas écrit de Khartoum, lorsque je serai là-bas pour partir ensuite chez les Denka et chez les Bari ; ce sera après le Kharif, en octobre ou novembre prochains.
Alors, il me sera plus facile de pouvoir surveiller et diriger les Missions parmi les Denka et les Bari, ayant à Khartoum à ma disposition l'aide du Gouvernement avec ses bateaux à vapeur. Gondocoro et la Sainte Croix sont des Missions complètement détruites, mais nous trouverons de meilleurs endroits que ces Missions. Avec les trois nouvelles langues, des Nouba, des Denka et des Bari, nous pouvons étendre notre action apostolique très loin.
L'église construite ici est très belle, et je la dédierai à Saint Joseph ; mais celle de Notre Dame du Sacré-Cœur à El-Obeïd, entièrement recouverte de plaques en fer galvanisé et de zinc, est la plus grande et la plus belle d'Afrique Centrale. Il paraît que nous en ferons une encore plus grande à Khartoum.
Priez, aidez le plus possible l'Abbé Sembianti, et rappelez-vous que vous êtes la colonne la plus solide de l'Afrique Centrale.
Le buste en marbre de Knoblecher que j'ai fait faire à Rome est arrivé à Berber. Mes hommages à l'Evêque, et aux chers bienfaiteurs.
Bien à vous
+ Daniel Evêque
et Vicaire Apostolique
P.S Je vous prie de donner de mes nouvelles à l'Abbé Sembianti à Vérone. Dichtl et Ohrwalder sont comme deux Überbacher et Lanz. Dieu merci !
N° 1084; (1039) - AU PERE GIUSEPPE SEMBIANTI
ACR, A, c. 15/124
Vive Jésus, Marie et Joseph !
Delen, le 24 juin 1881
Mon cher Recteur,
L'autre jour j'ai reçu le courrier, et il m'a apporté un très grand chagrin et une grande douleur qui ont dépassé de loin toutes les afflictions que Dieu m'a envoyées depuis 1878, et qui m'ont jeté au lit pendant trois jours, qui sait quand je pourrai reprendre mon souffle.
Les missionnaires croient que j'ai mal au dos, en effet je suis aussi réellement fatigué à cause des explorations que j'ai faites à cheval ; mais la vraie cause n'est connue que de Dieu et de moi, c'est une profonde et terrible douleur qui dépasse toutes les humiliations, toutes les afflictions subies et toutes les injustices et les malheurs endurés, et même toutes mes peines pour Virginie quand son frère est parti à son insu... Tout cela n'est rien !
La cause de mon angoisse est l'énorme imprudence de la Supérieure de Vérone (à qui jamais je ne le dirai pour ne pas la chagriner) qui a stupidement pensé (et je m'imagine déjà ce qu'elle vise) d'écrire à mon père une lettre (que je vous enverrai, cher Père, d'El-Obeïd) dans laquelle elle décrit les manières maternelles qu'elle a vis-à-vis de Virginie. Elle dit qu'elle fait l'impossible pour elle (Virginie m'a toujours dit et écrit du bien de la Supérieure,...), et elle demande à mon père comment elle doit faire, etc. De plus, la Supérieure a conseillé à Virginie de demander à mon père ce qu'elle doit faire, et cette stupide Virginie a écrit à mon père dans ce sens.
Mon père est un saint homme, droit et tout ce que vous voulez. Durant les 19 jours où il est resté chez moi à Limone quand j'y suis allé pour consacrer l'église en 1871, il a toujours vécu avec Virginie, et il disait qu'elle était une sainte, et ma cousine Teresa disait la même chose, je peux le jurer.
Mais quand mon père vint à Vérone, ce Giacomo stupide et médisant, suborné par Grieff ou par sa petite tête, a raconté secrètement à mon père un grave mensonge, selon lequel Virginie serait la cause de nombre de mes chagrins en Afrique, et que la Supérieure serait tombée gravement malade (sic) à cause de l'énorme chagrin qu'elle avait parce que j'appelais toujours Virginie quand je prenais mon petit déjeuner au couvent...
Mon père en éprouva une immense douleur et il pleurait comme un enfant.
Il m'a secrètement confié tout ce que le stupide Giacomo lui avait confié en secret, et il a bien fait parce que c'est un père vraiment chrétien (et je vous dis tout cela, non pas en secret, et si vous voulez, dites-le aussi à Giacomo, parce que la vérité, c'est la vérité).
Le fait est qu'après avoir eu cette information de Giacomo, après avoir entendu Virginie se plaindre à cause de sa situation terrible et anormale à Vérone, et surtout après l'avoir vue à Sestri parler souvent avec Alessandro (qui était devenu presque fou et menaçait de se jeter à la mer si elle ne l'épousait pas, mais Virginie a toujours refusé, malgré les conseils idiots de mon père qui voulait la convaincre de l'épouser...), suite à tout cela, mon père n'avait plus d'estime pour Virginie. Il me répétait toujours ce que Giacomo lui avait dit mensongèrement... Ce dernier avait accompagné Virginie de Khartoum au Caire, il m'a écrit à Khartoum (je le jure), et il m'a dit au Caire qu'il était très touché par Virginie, et qu'il était au contraire scandalisé par une Sœur de Malte qui insultait toujours Virginie, etc.
Mon père est très affligé, il écrira sûrement à Virginie et il lui donnera le conseil immoral (même s'il a 78 ans le 6 décembre) de se marier avec un homme qui maintenant la déteste à cause de son refus réitéré, car elle n'a jamais envisagé de se marier; ainsi à cause aussi de Giorgio et de ses parents fous hérétiques je ne permettrai jamais que Virginie retourne en Syrie.
Mais je suis trop malheureux. Jésus m'aidera certainement, la Vierge Immaculée et Saint Joseph m'aideront. Je remercie Jésus pour les croix qu'il m'a données, mais ma vie est un océan de douleurs procurées par quelqu'un qui est bon et qui m'aime bien.
Mon Dieu! Mon cher paradis, dit Sœur Victoria, et elle a raison. Mais j'ai le cœur pétrifié. Cependant l'Afrique sera convertie, vive Noé, et Jésus aidera à porter la croix. Puis Dieu bénira Virginie qui à cause des souffrances endurées pour l'Afrique et pour la justice, sera mise sur le bon chemin par Lui afin d'accomplir sa véritable vocation de Sœur et de Missionnaire, etc. ...
Par devoir de conscience, je l'aiderai et je la soutiendrai jusqu'à la mort.
Mais nous sommes prêts à porter les croix. Mon plus grand souci est mon père, qui a toujours eu des consolations de ma part, et qui à cause de la méchanceté d'autrui, peut-être mourra de chagrin, angoissé pour son fils.
Tout cela est une espèce de folie pour moi qui suis entièrement consacré à la gloire de Dieu et prêt à mourir pour le Christ.
Priez donc pour moi, je suis l'homme le plus affligé et le plus découragé du monde, et priez aussi pour mon père. Vive Jésus.
Mais je n'arrive pas à me reposer, je suis assez réconforté en voyant mon cher Abbé Losi qui prie et que je trouve à l'église à 3 heures, à 5 heures du matin et qui est, bien que têtu... un saint et véritable Missionnaire, possédant beaucoup de zèle pour les âmes. Il a rédigé un dictionnaire (il avait commencé avec l'Abbé Luigi, et il m'avait supplié de laissé ici l'Abbé Luigi comme Supérieur pour développer et dynamiser la Mission, il m'a assuré que pendant les trois années durant lesquelles il est resté avec lui, il a été très touché par sa délicatesse et par sa conduite, etc.). Mais ça suffit.
Il est 4 heures du matin, le chameau de l'inspecteur est prêt pour porter le courrier. Je vous recommande, dans le Cœur de Jésus, mon père et Virginie. Saluez l'Eminent Cardinal, le Père Vignola, Tarabelli, Luciano, etc.
Ne vous tourmentez et ne vous affligez pas pour moi, ne vous apitoyez pas sur moi ; tout est voulu par Dieu.
+ Daniel Evêque
N° 1085; (1040) - A ZENO, ROSA ET MARIA ANDREIS
APMR, F/2/175
Delen (Dar Nouba), le 29 juin 1881
Bref billet.
N° 1086; (1239) - AU PERE BERNARDINO DA PORTOGRUARO
AGOFM: Saeculares
Vive Jésus, Marie et Joseph !
Djebel Delen (Dar Nouba), le 29 juin 1881
Révérend Père Général,
J'ai bien reçu votre lettre du 20 avril dernier, par laquelle j'ai appris votre décision prudente et sage, au sujet du Père Bonaventura de Khartoum.
Je ne peux qu'approuver fermement votre détermination qui manifeste vraiment une grande charité envers ce pauvre Père africain, et je suis persuadé qu'étant donné son passé et surtout son état actuel, qui ne donne pas encore des preuves de sagesse sûres et certaines, votre refus est très prudent et providentiel.
Pour le tranquilliser et pour qu'il se soumette sans tristesse à votre refus charitable et sage, je lui écrirai de Khartoum que nous ferons tout pour aider spirituellement son père, son frère et sa sœur qui sont des coptes hérétiques. J'aiderai spirituellement aussi sa mère musulmane et je lui donnerai des aumônes parce qu'elle est très pauvre (elle a toujours été séparée de son mari, dont elle n'était que la concubine, son épouse légitime faisant partie de sa secte).
Il faut que le Père Bonaventura devienne un bon Religieux dans son couvent grâce à l'obéissance, et à l'observance de la sainte Règle Séraphique.
J'ai su que l'excellent rédacteur de la Libertà Cattolica, chez qui j'ai rencontré le Père Bonaventura en 1879, a écrit dans une excellente intention à l'Eminent Cardinal Préfet de Propaganda Fide, peut-être prié par le Père lui-même. Formé par l'expérience, mon principe est d'avancer toujours sur le droit chemin quand je traite les affaires de ce monde. Je n'ai jamais chargé quelqu'un, ni suggéré de recourir à Propaganda Fide pour cette affaire qui ne doit dépendre que de votre volonté et de votre prudence.
Je vous demande maintenant de m'accorder une grâce, que par négligence je ne vous ai pas demandée en Europe, bien qu'elle me soit vraiment nécessaire.
Dans le Vicariat d'Afrique Centrale, j'ai érigé quatre maisons de Sœurs que j'ai appelées Pieuses Mères de la Nigrizia, une à Khartoum, une à El-Obeïd, capitale du Cordofan, une à Malbès, et une ici au Djebel Delen; et j'en érigerai bientôt une parmi ces Africains qui suivent la mode d'Adam et Eve avant la chute.
J'espère pouvoir récolter ici une moisson abondante. J'ai une autre maison de ces Sœurs au Caire, et j'ai moi-même fondé leur Maison Mère, à Vérone à Sainte Marie in Organis, où j'ai acheté l'ancien couvent des Olivétains en 1872 qui appartenait aux Bénédictines Astori.
Les Sœur observent la Règle que je leur ai donnée. Cette œuvre a progressé avec la bénédiction de Dieu; ces Sœurs qui se trouvent en Afrique viennent presque toutes de la Vénétie.
Or, avant de venir en Afrique Centrale, elles s'acclimatent toujours pendant un an dans ma maison du Caire, où elles ont comme confesseurs des Franciscains très pieux qui, pour ma joie et le réconfort de mes Sœurs, les inscrivent au Tiers Ordre de Saint François.
En ce moment, j'ai neuf Sœurs, dont sept de Vérone, qui ont été reçues par les Franciscains comme novices du Tiers Ordre, et maintenant elles devraient faire leur profession, qu'elles m'ont d'ailleurs demandé avec insistance.
En outre, j'ai aussi une Sœur africaine de la Congrégation des Pieuses Mères de la Nigrizia, et quelques autres, avec plusieurs Frères laïques qui souhaiteraient appartenir au Tiers Ordre.
Je supplie donc humblement votre immense charité de bien vouloir m'accorder la faculté de recevoir les novices des deux sexes, et de recevoir leur profession à la fin de leur noviciat d'après les Règles du Tiers Ordre.
J'ai moi aussi l'honneur et la consolation d'appartenir depuis longtemps au Tiers-Ordre de Saint François. Le Père Venanzio de San Venanzio m'a reçu comme novice quand j'habitais au Caire, alors qu'il était Préfet de la Haute-Egypte, et le Révérend Père Angelo de Sainte Agathe, Préfet de Tripoli, a reçu ma Profession en 1872 à Negade en Haute-Egypte, quand il avait cette fonction dans la Préfecture Apostolique de la Haute-Egypte.
J'espère que cela m'aidera pour obtenir la grâce que je demande.
Dans le cas affirmatif, je vous prie de bien vouloir m'envoyer la faculté implorée à Khartoum, ma résidence ordinaire.
Je vous remercie infiniment des très précieux souhaits que vous m'avez fait parvenir pour mon apostolat difficile et laborieux; je dis "très précieux", parce qu'ils viennent d'une personnalité que je vénère depuis de nombreuses années, pour les grands talents qu'elle a reçus de Dieu, et qui font d'elle une des colonnes les plus solides de l'Eglise de Dieu, non seulement en tant que Général de l'Ordre le plus grand du monde, mais aussi en tant qu'homme aux appréciables conseils, prudent, qui mériterait d'être élevé, comme cela devait se passer en 1877, et comme cela arrivera bientôt, je l'espère, à la Pourpre Cardinalice, pour prendre part activement et directement, en plus de la présidence du célèbre Ordre Séraphique, à la direction des affaires les plus importantes de l'Eglise dans les Congrégations les plus importantes de Rome. Le grand Léon XIII est trop sage et trop sublime pour ne pas en arriver là.
Excusez-moi mon Père ; je vous envoie une petite image à mettre dans le Bréviaire, et une pour le Révérend Père Maurizio de Venise.
J'embrasse vos saintes mains, je me recommande à vos efficaces prières, et je serai toujours dans Jésus Christ
votre dévoué et véritable serviteur
+ Daniel Comboni
Evêque de Claudiopoli
et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale
N° 1087; (1041) - A L'ABBE LORENZO MAINARDI
ACR, A, c. 15/55
Delen (Dar Nouba), le 30 juin 1881
Mon cher Abbé Mainardi,
Ici, parmi ces peuples qui suivent encore la mode de nos premiers parents Adam et Eve, en ce qui concerne l'habit mais pour ce qui concerne les mœurs sont plus vertueux et plus corrects que dans certains pays civilisés, j'ai trouvé votre photographie, qui m'a reproché et rappelé que depuis longtemps, je ne vous ai pas écrit une ligne et cela après tout le bien que vous avez fait pour moi et à mes Instituts Africains de Vérone, surtout quand j'étais sans Recteur en 1879...
Mais vous me pardonnerez, car vous savez bien que mon silence n'est pas coupable, car sans Secrétaire, je devais, et je dois diriger l'Œuvre difficile que Dieu m'a confiée pour la Rédemption de la Nigrizia. Vous savez que je ne vous ai jamais oublié, et que je ne vous oublierai jamais dans mes prières.
Lors de l'importante exploration que je viens d'accomplir dans cette tribu intéressante, qui baissera la tête devant la Croix, et qu'aucun Européen n'avait visitée auparavant, comme je viens de le faire avec l'incomparable Supérieur l'Abbé Luigi Bonomi, avec l'Abbé Losi (qui est un véritable saint de Plaisance), l'Abbé Vincenzo et l'Abbé Léon. Nous nous sommes souvenus de vous, et nous avons beaucoup parlé de vous avec plaisir. Mais je désire que vous m'envoyiez à moi aussi votre photographie, joignez-y une photo du saint et vénérable ange du diocèse de Parme, Monseigneur Villa, auquel vous transmettrez mes salutations les plus respectueuses et les plus affectueuses, parce que je le porte toujours dans mon cœur, depuis les années où il dégageait une bonne odeur de sainteté, de sagesse et de charité dans sa chère ville de Bassano, où il a fait un digne et complet Noviciat de sa vie Episcopale. Vous lui donnerez aussi l'image ci-jointe du Sacré-Cœur de Jésus, Patron de l'Afrique Centrale.
Vous m'enverrez les photographies à Khartoum, ma résidence ordinaire, où je compte être pour la fête de l'Assomption.
Donnez-moi de vos nouvelles, et faites prier pour moi - humilis et inutilis servus Afrorum - (car je suis l'humble et inutile serviteur des Africains), pour la Nigrizia, pour mes Missionnaires, et pour mes admirables Sœurs, qui affrontent la mort comme s'il s'agissait de boire un verre d'eau pour accomplir leur ministère.
Saluez Sœur Orsolina, correspondante de l'Eminent Cardinal di Canossa, qui m'a dit en 1861 qu'il serait Cardinal étant donné sa noblesse...
Je bénis les Frères des Ecoles Chrétiennes, que j'aime bien pour leur grand esprit religieux, leur prodigieuse propagation, l'exactitude de leur observance, etc.
Ils ont toujours été, et ils sont toujours mes meilleurs amis.
Mon cher économe Joseph est toujours raisonnable ; c'est un bon administrateur, et il a un bon esprit, un bon cœur, et une conscience droite. Dernièrement, je lui ai imposé une taxe de 100.000 francs, et il ferait une piètre figure s'il ne me les envoyait pas ; ce serait la première fois qu'il manquerait à son devoir.
Mais il ne manquera jamais à son devoir, sinon je le rappelle à l'ordre, en ayant recours à son Epouse, qui l'a fait respecter et devenir important sur terre et au ciel. J'ai récemment imposé à saint Joseph une autre taxe de 60.000 francs (je vous le dis en confidence) pour le 31 août de cette année.
Quatre Missionnaires, un négociant de Khartoum originaire de Venise, et le Consul italien Callisto Legnali se sont déjà engagés. A cette heure-ci la somme a déjà été dépassée. Mais l'Afrique dévore tout. Les difficultés des transports, les nombreux établissements... et l'argent ne suffit jamais. Je suis, et je serai toujours
votre affectionné
+ Daniel Evêque
et Vicaire Apostolique
N° 1088; (1042) - AU PERE GIUSEPPE SEMBIANTI
ACR, A, c. 15/125
N° 26
El-Obeïd, le 9 juillet 1881
Mon cher Père,
Je suis arrivé hier à El-Obeïd après avoir, dans une même journée, enduré de grandes chaleurs et une pluie battante. Pendant les derniers jours de mon séjour à Delen, j'ai eu deux fois la fièvre et même maintenant je ne me sens pas tout à fait bien.
Je suis opprimé par de terribles croix, dont la dernière est une lettre de l'Eminent Cardinal Evêque de Vérone dans laquelle il fait état de questions où je ne suis pas concerné. Il dit que j'ai établi des contrats importants sans lui en parler, comme par exemple celui de la maison de Sestri (je n'ai fait aucun contrat avec Tagliaferro, sauf celui que j'ai signé avec vous après que vous l'ayez examiné et recopié, et, s'il n'a aucune valeur comme l'affirment les avocats, l'article selon lequel celui qui se retire doit payer 20.000 francs a encore moins de valeur).
Il écrit qu'il faut en finir avec cette histoire et que nous devons sortir de cette fausse situation, qu'il souhaite s'occuper seulement de son diocèse, et que moi je m'occupe du mien, et que je fasse tout ce que bon me semble (sic !), lui dorénavant ne pensera qu'à ses affaires, qu'il en a assez et qu'il ne veut pas être mêlé à des affaires, qui ensuite seront critiquées, condamnées ou désapprouvées, etc. et que Tagliaferro n'est pas content de la situation actuelle...
"Mais... - écrit encore notre cher Eminent - ...est-il vrai que si vous mettez fin à l'œuvre et que vous retirez les Sœurs de Sestri, vous (moi) êtes obligé de lui donner 20.000 francs?... Mon Dieu ! Quel genre de contrat est-ce donc ? Non, je ne veux pas concourir à dilapider et gaspiller (sic) l'argent donné à la Mission..."
Je n'ai jamais dilapidé un centime, et bien qu'étant Evêque, je vis comme les autres Missionnaires, et avec eux, comme n'importe quel Religieux ; en revanche, je travaille jour et nuit pour aider la Mission pendant que tous les autres dorment tranquillement. Je veille, travaillant à mon bureau par amour pour Jésus-Christ... et pour les pauvres Noirs, alors que je pourrais vivre confortablement en Europe si j'avais accepté d'importantes charges diplomatiques au service de l'Eglise.
Mais cela n'est encore rien. Ce qui m'a fait le plus souffrir c'est ce qui suit, voici littéralement les paroles de notre cher Eminent Cardinal : "Qui vous a poussé, pour des buts secrets, à réaliser cette malheureuse affaire de Sestri ?... Laissez-moi vous le dire : c'est Virginie (sic !), etc." ; et ici il peint une image de cette pauvre malheureuse qui n'a rien à voir avec la vérité, complètement différente des informations que la Supérieure me donne !
Je ne sais plus du tout dans quel monde on vit aujourd'hui.
Ici, je suis exposé à la mort pour servir mon Jésus au milieu des peines et des croix, heureux de mourir pour sauver les pauvres Noirs et pour être fidèle à ma vocation ardue, difficile et sainte ; et je me laisserais guider par des fins indignes d'un apôtre de la Nigrizia pour acheter le couvent de Sestri?
Je n'ai plus de force pour écrire, et je suis déconcerté de me voir traité ainsi, et de savoir qu'à Vérone mon premier bienfaiteur a cette opinion de Monseigneur Comboni. Non, ce n'est pas Jésus qui suggère à l'Eminent Cardinal ces sentiments envers moi; maintenant Son Eminence n'est plus comme avant.
Bien que je sois sûr de succomber bientôt à cause de tant de croix qu'en toute conscience il me semble ne pas mériter, que mon Jésus soit toujours béni, car il est le véritable vengeur de l'innocence, et le protecteur des affligés.
La Nigrizia se convertira; et si dans le monde, je n'ai pas de consolation, je l'aurai au ciel. Il y a Jésus, Marie, et Joseph et si les hommes m'abandonnent, Dieu, lui, ne m'abandonnera jamais, et il sauvera la Nigrizia, et la pauvre Virginie, qui est une âme rachetée par le sang de Jésus-Christ. Vive Jésus !
Votre affectionné
+ Daniel Evêque
N° 1089; (1043) - AU PERE GIUSEPPE SEMBIANTI
ACR, A, c. 15/126
N° 27
El-Obeïd, le 11 juillet 1881
Mon cher Père,
Depuis mon retour de la région des Nouba, je n'ai pu fermer les yeux même pas un moment, à cause des grands chagrins et des croix que le Seigneur lui-même m'envoie, sans jamais lui avoir donné des raisons de le faire, comme me l'assure ma conscience.
C'est le cas avec la dernière lettre de Son Eminence notre Cardinal Evêque de Vérone, qui est uniquement poussé par la charité et par l'amour envers moi et pour l'Œuvre sainte, qui, sans lui, n'aurait même pas existé. Aujourd'hui, je suis accablé par d'incroyables difficultés dont, en Europe et même à Propaganda Fide, on n'est pas au courant, mais que nous connaissons bien ici, surtout Sœur Teresa Grigolini, qui a reçu de Dieu de grandes lumières et les grâces pour cette Œuvre qui est la plus ardue et peut-être la plus importante de l'Afrique.
Après ma mort et peut-être avant, Propaganda Fide, et ceux qui en Europe s'occupent sérieusement de l'Afrique, s'en rendront compte, car actuellement il est difficile, en Europe, de s'en faire une idée exacte.
Je garde la plus vive reconnaissance pour Son Eminence, non seulement pour le grand bien que le Cardinal a fait à l'Afrique, mais aussi pour les reproches qu'il me fait, parce que c'est un honnête homme.
Mais comme, cette fois-ci, je suis convaincu que je ne mérite pas tout cela et que me taire et ne pas me défendre serait vraiment néfaste pour l'Œuvre, parce que si l'estime et la confiance envers le Chef diminuent, l'Œuvre aussi en subit les conséquences.
Peut-être me résoudrai-je à lui écrire, pour me défendre et me justifier, je ne me tairai pas comme je me suis tu tant de fois, ou je ne me suis pas défendu, en confiant tout à Dieu, qui est le protecteur de l'innocence et le vengeur de la justice. Que Son Eminence ne veuille pas être mêlé à mes prétendues erreurs et folies, qu'il veuille s'occuper uniquement de son diocèse de Vérone, et que moi je m'occupe, comme unique responsable, du mien en Afrique, il a mille fois raison.
Le Saint-Siège a toujours voulu que je sois l'unique responsable du Vicariat de l'Afrique Centrale, bien que, par mesure de prudence, il ait parfois demandé l'avis autorisé de l'Evêque de Vérone, puisque il était nécessairement le mieux informé au sujet de l'Afrique grâce aux Missionnaires de son diocèse de Vérone.
Mais il y a deux Instituts Africains à Vérone, et le Droit Canon de l'Eglise donne à l'Ordinaire non seulement le droit d'y "fourrer son nez", de les surveiller, de les diriger pour leur bien, mais lui en impose aussi le devoir, car ils sont sous sa juridiction, d'autant plus que l'Eminent Cardinal a eu une grande part dans leur création et dans les sages mesures récemment prises.
Mais que Jésus et sa Sainte Croix soient toujours bénis. L'Eminent Prince, cette année le jour de Pâques dans la cathédrale, en a si bien expliqué les mystères et les trésors inestimables dans sa splendide homélie sur la Transfiguration, homélie que j'ai lue dans le journal Verona Fedele, et dont je souhaiterais avoir une autre copie (envoyez-moi les lettres, les colis et les journaux non plus à El-Obeïd, mais à Khartoum, où j'irai dans quelques semaines).
Que la Sainte Croix soit bénie ! "Ici, nous travaillons, nous souffrons - me disait hier Sœur Teresina Grigolini - et il est impossible, même si nous écrivons beaucoup, que les gens en Europe puissent se faire une idée des vertus, qu'avec l'aide de Dieu, les Missionnaires et les Sœurs doivent exercer au milieu de tant de souffrances ; comme il est impossible - disait la Sœur - qu'à Vérone ils puissent connaître Virginie, ni combien elle a souffert et les mérites qu'elle a eu en Afrique... Mais nous avons la grâce de la Foi, unique réconfort qui nous soutient; courage Monseigneur ! - me disait Sœur Teresina - nous subissons des contradictions et des moments de désespoir qu'aucune Mission, ni en Chine, ni aux Indes, ni dans aucune autre partie du monde, ne peut imaginer ; même Propaganda Fide ne peut pas en avoir idée.
Ici, nous avons à faire à des gens farouches, mais le bien se fait, courage Monseigneur ! - continuait Sœur Teresina - ce sont des miracles qui se réalisent en Afrique sans que le monde, ni nos vénérables Supérieurs y fassent attention, mais ils sont connus de Dieu, de Jésus, et cela suffit, parce que Jésus est celui qui nous paye ; soyez content Monseigneur, etc." Ainsi m'a parlé hier Sœur Teresina Grigolini.
C'est à peu près ce que Virginie Mansur me disait toujours pour me réconforter, quand, en 1875, elle voyait que j'étais opprimé par le poids des afflictions causées par les Camilliens et leurs acolytes.
Virginie a toujours été respectée et vénérée par moi, et malgré ses défauts qui sont le résultat du poids de la persécution, elle a une Foi inébranlable, une fermeté à toute épreuve (il faut l'avoir vue sur le champ de bataille, bien que les Arabes soient tous inconstants). Dans son travail de catéchiste, de Missionnaire, et dans toutes les tâches les plus pénibles, elle est docile et obéissante avec ses Supérieures, elle est plus habile que toutes nos Sœurs d'Afrique à l'exception de Sœur Grigolini, Sœur Victoria et Sœur Giuseppa Scandola (une véritable sainte).
Les vertus et le talent de Virginie, et le Seigneur l'a voulu ainsi selon ses desseins, ne sont pas connus à Vérone, qui n'est pas son vrai champ de travail. Mais dans les desseins de la Providence, je pense que tout ce qu'elle a souffert à Vérone et à Sestri a été positif pour sa vie spirituelle. Elle aussi vieillit, et quand elle sera stable à la place que Dieu lui accordera, elle comprendra tous les trésors de la charité de Dieu envers elle, et elle fera connaître à vous et à notre Supérieure de Vérone ce qu'elle ressentira dans son cœur, c'est-à-dire une bonne opinion et une grande estime de vous, et pour votre véritable charité, parce que vous, Monsieur le recteur, vous avez toujours voulu son bien, et vous seriez certainement heureux si Virginie devenait petit à petit une sainte.
La grâce de Dieu peut aider Virginie, et elle peut y correspondre si elle est à la place qui lui convient, mais qui n'est pas Vérone, étant donné ce qui s'est passé auparavant et que Dieu a permis.
Vive la Croix ! Elle sera toujours la précieuse compagne des Apôtres et des Missionnaires d'Afrique, et de ceux qui doivent sauver des âmes. Je suis fier de ce que j'ai fait pour Virginie, et j'espère que Dieu me récompensera largement.
Encore quelques mots à propos de ce que notre Eminent Père a daigné m'écrire au sujet de Sestri, et après je termine cette lettre.
L'Eminent Prince m'a écrit que j'ai commis l'erreur de Sestri (sic) poussé par Virginie, etc. Si j'étais maintenant sur le point de mourir, je jurerais sur l'Evangile que Virginie n'a strictement rien à voir, de près ou de loin, avec cette affaire ; je ne pensais même pas à elle à ce moment-là.
De plus, dans l'affaire de Sestri, avec l'aide de Dieu, j'ai usé de toute la prudence et la pondération, qui conviennent à un Evêque. Quand l'Abbé Properzi m'a écrit à propos de Sestri, je l'ai prié de dire à Tagliaferro de m'écrire, et il m'a écrit le 19 août 1879, alors que Virginie était en Syrie.
Je suis allé trois fois à Sestri pour tout examiner, et à chaque fois, je me suis fait conseiller (avant de proposer l'affaire à l'Eminent Cardinal) par le Marquis Negrotto de Gênes, par le frère de Monseigneur Negrotto (que l'Eminent connaît, car il est resté aux côtés de Pie IX pendant 14 ans), qui est ingénieur et connaît les bâtiments de Sestri. Outre ces deux Marquis qui passent leurs vacances dans cette localité, j'ai consulté le maire de la ville, l'Archiprêtre, et un riche propriétaire, parent de la Supérieure des Sœurs de la Présentation à Sestri, et tous m'ont dit que c'était une magnifique affaire, mais qu'ils ne croyaient pas Tagliaferro assez généreux pour la réaliser.
Pas encore satisfait, avant de déranger Son Eminence avec des projets flous, j'ai voulu faire un essai pour voir si la réalisation d'un Institut de Sœurs à Sestri était possible; je m'y suis résolu aussi pour une importante raison : la maladie de Sœur Matilde, qui ne pouvait plus vivre à Vérone, comme me le disait le Docteur Baschera, mais au Caire, oui.
Je connais le Caire plus que le Docteur Baschera, et j'ai jugé nécessaire de la préparer graduellement à vivre dans cette ville en l'envoyant à Sestri.
J'aurai fait ainsi d'une pierre deux coups, en vérifiant donc la possibilité de créer un Institut à Sestri, et en prenant soin de la santé de Sœur Matilde.
La Providence a même fait d'une pierre trois coups, en conduisant Virginie et sa sœur loin de la dépendance du couvent où elle souffrait le martyre, non seulement à cause de l'isolement qui lui pesait, alors qu'elle avait toujours été dans un couvent depuis l'âge de 5 ans, mais surtout en l'éloignant de son cousin Alessandro, qu'elle ne pouvait pas supporter car elle avait une grande droiture morale.
En effet Alessandro, qui habitait lui aussi dans la dépendance du couvent, lui avait fait des propositions de mariage, qu'elle a toujours rejetées, même quand elle était en Syrie. La présence d'Alessandro a été son principal tourment dans la funeste dépendance où elle habitait.
Mon cher Recteur, vous m'objecterez ce qui s'est passé à Sestri avec Alessandro ; mais je peux jurer en toute connaissance de cause (ce sont toujours des choses délicates), qu'en ce qui concerne ce qui s'est passé, après en avoir été prié par Virginie, j'ai appelé Alessandro à Rome pour l'envoyer en Orient, et tout cela n'a tourné qu'à l'avantage des grandes vertus de Virginie. Bien qu'elle fût poussée par mon père à épouser Alessandro, elle ne voulait pas en entendre parler, parce qu'elle a consacré sa virginité à Dieu, et dans ce choix elle a été et elle demeure plus ferme que les Cèdres du Liban.
Après avoir expérimenté positivement la possibilité d'avoir un Institut à Sestri, je n'ai pas du tout voulu me compromettre sans vous avoir préalablement donné la possibilité d'examiner de près l'affaire, ainsi qu'à la Supérieure Générale des Pieuses Mères de la Nigrizia ; c'est pour cela que je vous ai prié, ainsi que la Supérieure, d'aller à Sestri, après vous avoir soumis les propositions écrites de Tagliaferro à Vérone. Vous connaissez la suite de l'histoire, la Supérieure et vous-même, êtes venus avec moi à Sestri, et nous avons tout examiné ensemble, nous avons discuté, débattu, nous nous sommes conseillés,… et finalement, nous avons signé la Convention que vous avez copiée plusieurs fois, et que vous avez examinée, analysée, etc. Ce document est le seul que j'aie signé, je n'en ai pas signé d'autres. L'Abbé Tagliaferro m'a souvent dit et écrit des propos ampoulés, et j'ai parlé et écrit de la même façon, c'est-à-dire que s'il agit sérieusement, moi aussi je ferai de même; mais tout cela n'implique pas d'obligation, ni devant la loi, ni pour la conscience.
Le document que j'ai signé en votre présence, mon cher Recteur, ou bien est légal, comme le dit l'Abbé Angelo, ou bien ne l'est pas, comme le dit notre fort instruit Comte Teodoro Ravignani.
S'il est vraiment légal, c'est une bonne affaire, et vous l'aviez reconnu vous aussi. La loi ne peut pas nous obliger à faire plus que ce qui a été fait jusqu'à présent, c'est-à-dire, trois Sœurs résidentes, quelques cours de catéchisme, quelques classes, et rien de plus, tant que nous ne sommes pas en mesure de faire davantage. Ou bien le document n'a aucune valeur légale, et alors, nous sommes libres de retirer les Sœurs, de tout annuler, et d'envoyer promener Tagliaferro.
Je ne vois aucune bêtise de ma part, mais plutôt une démarche sérieuse et un désir d'aider la Mission, surtout pour avoir davantage de vocations, et dans la perspective d'avoir de grandes ressources lors de mes visites à Gênes, parce que dans cette ville, il y a des gens riches à millions et très charitables...
Je visais de saints objectifs, et il faut encore prouver que cette affaire n'aura pas de grands résultats à l'avenir.
En outre, le but que j'avais visé concernait la santé de la Supérieure de Vérone et de tous nos malades d'Europe et d'Afrique. Et vous, ne dites-vous rien au sujet de la santé de Sœur Matilde ? Si elle était partie au Caire l'an dernier, elle serait morte.
Et puis, aucune dépense n'a été faite, parce que ce que j'ai dépensé à Sestri, je l'aurais dépensé ailleurs pour les mêmes personnes.
Bre f! Vive la Croix, vive Jésus, vive le Cardinal di Canossa !
Oh ! la joie complète ne régnera qu'au Paradis, et j'espère que nous irons tous. Portez-vous bien, Je vous salue.
+ Daniel Evêque
P.-S. Si notre Evêque l'Eminent Cardinal pense retirer les Sœurs de Sestri, qu'il les retire. J'écrirai moi aussi à l'Abbé Angelo.
N° 1090; (1044) - AU PERE GIUSEPPE SEMBIANTI
ACR, A, c. 15/127
Vive Jésus, Marie et Joseph !
N° 28
El-Obeïd, le 13 juillet 1881
Mon cher Père,
Bien que je doive répondre à plus d'une centaine de nouvelles lettres, bien que j'aie eu une forte fièvre hier, bien que je continue à souffrir d'inappétence, et que je n'arrive pas à dormir (parce maintenant, je suis moins capable de supporter les croix, après avoir tant combattu pour la gloire de Dieu et pour le bien de l'Afrique), je veux pourtant vous écrire pour vous donner des nouvelles de la Mission, et pour répondre à vos lettres car vous êtes l'ami le plus vrai, le plus positif et le plus solide de l'Afrique, sans trop de cérémonies, mais avec l'éloquence des faits. De plus, vous êtes le promoteur le plus efficace de la gloire de Dieu et du salut de l'Afrique Centrale car dans dix ans, et dix ans passent vite, l'Afrique Centrale aura de vrais apôtres des deux sexes.
Formez donc des Missionnaires, à votre façon, suivant vos principes, et les conseils du Supérieur des Stigmates, et allez de l'avant...
Au Djebel Nouba, avec mes compagnons, j'ai fait un travail magnifique, non seulement dans la Mission, mais aussi pour l'abolition de la traite des esclaves. La Mission sauvera les Nouba, et tous les Chefs et Cogiours des 40 collines les plus visitées sont pleins d'espoir. Vous vous rendrez compte de tout cela dans nos Rapports que nous vous enverrons pour les Annali del Buon Pasteur, et d'après la carte géographique que nous avons tracée, et envoyée à Rome et à toutes les Sociétés Géographiques du monde. Je l'ai déjà expédiée aussi à Rauf Pacha.
Avant de dire deux mots sur les Nouba, je veux vous parler de Domenico Polinari qui, bien qu'il soit un bon chrétien avec de bonnes mœurs et un grand travailleur, est déséquilibré. Il ne veut pas obéir aux Supérieurs locaux, il travaille et agit à sa façon, ce qui profite très peu à la Mission. Il a fait souffrir l'Abbé Luigi à Khartoum, parce qu'en agissant par caprice il a renvoyé tous nos chrétiens qui travaillaient dans le jardin, même ceux qui étaient là depuis 20 ans et il les a remplacés par des musulmans, qu'il payait bien avec les bénéfices du jardin dont il n'a jamais voulu rendre compte à l'Abbé Luigi. Il portait dans notre cuisine le rebut de la production. A sa guise il gaspillait l'argent pour le jardin; il a coupé des arbres très grands, etc.
Polinari était aussi l'espion du Consul, qui l'écoutait et donnait tort à l'Abbé Luigi... Quand je suis arrivé à Khartoum, je l'ai appelé en présence de l'Abbé Bortolo, et je lui ai intimé d'obéir en tout au Supérieur local, et de ne pas faire de dépenses sans l'autorisation du Supérieur, ou alors de s'en aller.
Il était d'accord, mais il a fini par me prier avec insistance pour la centième fois de l'envoyer en Europe avant de prendre le chemin du cimetière.
Je lui ai dit aussi que s'il avait l'intention de rester soumis aux Supérieurs des Missions où il serait envoyé, il pourrait revenir, autrement, qu'il reste à Vérone, à Sestri, ou dans la dépendance de la maison de Vérone, ou bien chez lui.
Je pense qu'il faut qu'il revienne car nous le remettrons au pas même par la force, puisque c'est un grand travailleur dont la moralité est sûre et éprouvée, même parmi les femmes Nouba complètement nues et j'espère, comme cela arrive à tous, qu'en Europe, il perdra ses illusions, parce qu'il est davantage à son aise en Afrique.
Cependant Sœur Teresina pense qu'il vaut mieux qu'il ne revienne plus; car - me dit la Sœur - il a contribué à maintenir l'inimitié entre le Consul et l'Abbé Luigi. A table, l'Abbé Luigi, qui est un grand farceur, se moquait du Consul autrichien à cause de ses fautes de vocabulaire (il est allemand); par exemple, il m'a écrit : "je prie, Votre Monseigneurie, de m'envoyer telle chose etc."; il a écrit à l'Abbé Luigi: "je vous prie d'héberger les deux pauvres susnommés autrichiens, et vous ferez un grand acte de carestia (disette en français, - N. du T.) il voulait dire "de carità "(charité en français, - N. du T.). Le consul disait: "tout mon cœur, toute ma vie sont pour mon fil au lieu de dire "fils " (il a une concubine, mais l'Abbé Luigi et moi, en dépit de nos efforts, n'avons pas réussi à la faire partir).
Eh bien, le soir, Domenico allait tout raconter au Consul ; et l'inimitié grandissait à tel point que le Consul dénonça l'Abbé au Ministère de Vienne et à Propaganda Fide ce qui entraîna un grave préjudice pécuniaire et moral.
Ainsi (et suite aussi à ce que notre Eminent Evêque avait écrit à Rome), l'Eminent Cardinal Simeoni m'a ordonné de nommer un nouveau Vicaire Général (tout cela avait été insinué par l'Abbé Losi), et de destituer l'Abbé Bonomi de ses fonctions de Vicaire Général.
De toute façon, si Domenico retourne en Afrique, je le mettrai au pas.
L'Abbé Bortolo est parti à la grande satisfaction de tout le monde, parce que c'est un bon à rien, incapable même de faire le catéchisme, et encore moins d'être Supérieur. Il est seulement capable de semer la discorde et la zizanie.
Il ne mérite pas toutes les attentions que j'ai eues envers lui. Quand il m'a écrit clairement qu'il acceptait de venir en Afrique uniquement parce qu'il était persuadé de devenir Vicaire Général et maître absolu (car il avait la prétention de croire qu'il s'occuperait de tout), et qu'en mon absence, il m'imposait la condition d'avoir à ses côtés l'Abbé Losi comme assistant,... j'ai alors ouvert les yeux, et nous nous sommes tous rendu compte qu'il était déséquilibré.
C'est lui qui m'a prié de vive voix et par écrit de le laisser partir en Europe, car il craignait de mourir; comme il a vu qu'il se portait bien, il m'a demandé de rester, mais seulement à la condition d'avoir tout sous son contrôle, et voyant que je ne répondais pas, parce que c'est un individu tout à fait incapable, et que personne n'a confiance en lui, il m'a alors écrit que s'il part, ce ne sera pas à cause d'une maladie, mais parce qu'il voit que la Mission va mal, alors qu'à Khartoum, avant de tomber malade, il disait qu'il avait été dupé par les Camilliens, et que la situation allait mieux par rapport à ce qu'il croyait.
Je pourrais écrire mille pages sur l'Abbé Bortolo ; il est connu à Khartoum. Eh bien ! Que le Seigneur le bénisse, et qu'il aille où il veut, mais pas au Caire, ni dans le Vicariat, vu que c'est un incapable, et qu'il ne gagnerait le cœur de personne. Qu'il ne revienne jamais tant que je suis le Vicaire Apostolique.
Entre autres vertus, il lui manque l'humilité et la charité, et je le lui ai fait remarquer dans une lettre (mais comme il est orgueilleux, il a toujours méprisé mes admonestations), et je lui ai transmis (mais il sera déjà parti) une copie de deux extraits de la Vie de Sainte Angela Merici, écrite par Girelli en 1871.
Je vous prie, Monsieur le Recteur, de lire cette biographie car elle est utile pour moi, pour vous, et pour tous les Missionnaires, et j'en ai donné une copie aussi aux Sœurs d'ici. Faites-vous donner par la Supérieure la Vie de Sainte Angela de 1871, et lisez la page 41, sur la douceur et la Miséricorde : "On a dit à juste raison que pour avoir une grande influence sur les cœurs, la sainteté seule ne suffit pas, mais il faut, d'après les sages leçons de l'apôtre, se revêtir de miséricorde, de bonté, d'humilité, de modestie et de patience... Sainte Angela a tout mis en œuvre pour infuser ces vertus dans le cœur de ses Vierges, et elle voulait qu'elles soient presque comme des aimants célestes qui attireraient les âmes vers Dieu...
Loin de nous les manières sévères et méprisantes (de l'Abbé Bortolo) qui ne savent pas justifier les faiblesses du prochain, et qui s'élèvent comme censeur de ses vertus mêmes.
Loin le zèle importun qui ne considère jamais assez parfaites les œuvres d'autrui, et qui cherche le bien avec orgueil et colère. Honorons tous avec la... et quand il faudra que nous exhortions, et corrigions... faisons-le avec la tendresse et la douceur dont Sainte Angela nous a toujours donné l'exemple, pendant sa vie".
Lisez aussi (j'en ai copié de nombreux passages lorsque j'étais chez les Nouba) cet autre extrait page 48, lequel m'a aussi étonné, et je reconnais que je suis nul en matière de charité ; le voici: "Quand Jésus Christ demeure dans un cœur, il lui inspire des sentiments d'amour semblables aux siens, et ce cœur devient, d'après la belle expression de Saint François de Sales, une fontaine publique où tout le monde a le droit de puiser de l'aide et du réconfort. Les pauvres, les enfants, les affligés, les pécheurs allaient chez Angela, et tous cherchaient auprès d'elle une aide ou un... et elle puisait toujours au trésor de sa charité pour combler chaque personne... Avec son amour maternel, écrit Cozzano, elle embrassait toutes les créatures; et celui qui était davantage pécheur, était le plus caressé; si elle ne pouvait pas le convertir (réfléchissez M. le Recteur, personnellement je n'ai jamais pensé à cela), elle lui recommandait cependant par des paroles pleines d'amour de faire un peu de bien, ou de faire moins de mal, afin qu'avec ce peu de bien, il puisse recevoir un peu de soulagement à l'article de la mort, et moins de tourments en enfer "...
Certains Prêtres de Vérone, dont la vue est bien courte et le cœur bien étroit, qui ne sont capables de rien, et qui critiquent toujours les autres, devraient lire la Vie de Sainte Angela... car la charité et l'humilité font souvent défaut.
Vous connaissez l'opinion de l'Abbé Squaranti sur l'Abbé Bortolo.
Il a écrit que l'Abbé Bortolo voit la réalité plus sombre qu'elle ne l'est en enfer, il a son mot à dire à propos de tout et de tous, il rêve de catastrophes, et il a conclu en disant que l'Abbé Bortolo a été celui qui a fait le plus de mal à la Mission, et qu'il était si têtu, que même le Supérieur n'arrivait pas à le faire changer d'avis.
Je ne lui souhaite que du bien, mais il vaut mieux qu'il ne voie plus l'Afrique. Envers lui j'ai eu les intentions les plus pures et les plus saintes, mais ici tout le monde pense que tant qu'il ne changera pas, ce sera une bénédiction s'il ne voit plus jamais l'Afrique.
Vous pouvez faire la cure des eaux de Pejo tout en restant chez vous, mais pour celles de Recoaro il vaut mieux que vous alliez à la source.
La Mission, malgré ses immenses difficultés, marche assez bien. J'ai passé des jours heureux avec l'Abbé Losi ; il est têtu comme l'Abbé Bortolo, mais il reconnaît qu'il n'a pas les qualités pour gouverner. C'est un Missionnaire très précieux quand il travaille, et c'est le meilleur sujet que nous avons.
Tout le monde pense que s'il restait seul pendant dix jours avec l'Abbé Bortolo, ils se disputeraient tout de suite. Il m'a conjuré et m'a prié chaque jour de nommer l'Abbé Luigi Bonomi Supérieur de la Mission chez les Nouba, parce qu'il est le seul capable de lui donner un grand élan, et parce qu'il connaît un peu la langue locale. Il m'a répété plusieurs fois que pendant les trois années passées sous ses ordres et avec lui chez les Nouba, il avait été touché par son abnégation, par son esprit, et surtout par sa pureté et sa pudeur à propos de la moralité, et aussi par son comportement dans cette région où les hommes et les femmes sont complètement nus.
En 1878, l'Abbé Bortolo m'avait écrit plusieurs fois de chasser Bonomi car il était un coureur de filles et que sa conduite était scandaleuse (il avait écrit les mêmes accusations contre d'autres, notamment contre l'Abbé Gennaro...).
Je n'osais pas dire à l'Abbé Luigi de rester chez les Nouba, parce que j'étais d'accord avec lui pour le prendre avec moi comme compagnon de toutes mes expéditions sur le Fleuve Blanc et en Nubie Orientale.
L'Abbé Losi, sans que je le sache, l'a prié de rester chez les Nouba. L'Abbé Luigi Bonomi est alors venu me voir, et il m'a dit : "Ne vous inquiétez pas, je reste chez les Nouba, ou alors je viens avec vous, comme vous voulez. Je ne connais que la voix de l'obéissance, et c'est mon unique devoir ; je resterai aussi volontiers ici sous la direction de l'Abbé Losi ....".
Je l'ai nommé Supérieur de la Mission chez les Nouba, à la grande satisfaction de l'Abbé Losi, et à la déception de l'Abbé Rosignoli qui, cependant, travaille assez bien.
L'abbé Losi est admirable ! Il ne vit que pour Dieu et pour les âmes, le zèle qu'il déploie pour sauver des âmes est émouvant. Il est toujours disponible quand il s'agit de prier, de parler avec Dieu, d'adorer le Très Saint-Sacrement, ou de passer des nuits entières agenouillé à l'église. Je lui ai ordonné de conserver le Très Saint-Sacrement (c'est une belle et grande église que j'ai dédiée à Saint Joseph), parce que jusqu'à présent il n'y avait pas d'huile pour la lampe, et il trouvait ses délices devant l'autel, et moi (je dors peu ou pas du tout) je l'ai espionné, et à l'exception d'une heure ou deux de sommeil, il était à l'église jour et nuit. Quand il récitait seul son Bréviaire, il était toujours agenouillé, et on voyait sur son visage une joie attachante.
Je lui ai parlé de Jésus, de ce que j'ai vu, des prodiges que j'ai constatés dans de nombreuses âmes vouées à la prière et à la charité, et il en était très heureux.
Il ne ressent pas les besoins du corps, ni le besoin de manger ou de boire, pour lui, c'est la même chose de manger l'horrible nourriture locale ou un bon plat de macaronis. Il ne mange jamais de viande, ou rarement, mais quand il y en a il mange volontiers de la soupe, du lait et des légumes. Même s'il a la fièvre ou s'il est à l'article de la mort, il ne renonce jamais au jeûne du vendredi, et jamais il ne boirait du bouillon de viande ce jour-là, même s'il n'y avait rien d'autre.
Il dormait toujours sur la dure, mais après mes menaces réitérées, il y a plusieurs années de cela, il dort depuis sur un dur angareb (lit) ou au plus sur une natte, qu'il finit toujours par donner à quelqu'un qui en a besoin. Je l'ai vu une fois couché par terre alors qu'il avait une fièvre de cheval, et je l'ai prié in visceribus Christi d'accepter mon coussin, parce qu'il n'avait rien, et il ne voulait rien sous la tête, qui était donc plus bas que ses pieds. Je l'ai l'ai alors menacé de le lui imposer en vertu de la sainte obéissance mais, souriant, et grelottant à cause de la fièvre, il me répondit que ces choses sont inutiles, et que nous sommes des Missionnaires...
Le matin, avec ou sans la fièvre, il était le premier à célébrer la Messe, et toujours prêt pour la prière; il aime beaucoup l'oraison. Il veut écrire à mon père qu'il aime beaucoup, parce qu'ils allaient prier ensemble à Vérone.
L'Abbé Losi a la ferveur du cénobite le plus parfait lors de son noviciat, et il suffit de parler de Dieu, du Cœur de Jésus, des Saints, des Jésuites, de prier, pour le rendre juvénile et joyeux. Il a rédigé un dictionnaire de plus de 3.000 mots de la langue des Nouba, et actuellement il révise ce travail avec l'Abbé Luigi avant de me l'envoyer, parce que je veux l'imprimer au profit des Missionnaires.
Il a été très content quand je lui ai ordonné de racheter des filles et des garçons atteints de maladies chroniques (parfois, on peut en avoir un pour 2, 3 ou 5 thalers), car je lui avais aussi permis de dépenser des centaines de thalers, et j'aurais ensuite tout payé. L'Abbé Losi est capable de rester en tête à tête, (comme vous pourriez le faire avec l'un de vos élèves), avec des femmes complètement nues, et même avec une seule, pendant une heure ou deux, pour l'inciter à devenir chrétienne, à s'habiller, et à ne pas commettre de péchés. Et tout cela avec la même sérénité que le Père Vignola affiche quand il vous reçoit dans son salon pour causer en toute familiarité, et de nombreuses femmes ici sont loin d'être laides !
Mais le Missionnaire et la Missionnaire d'Afrique Centrale doivent être ainsi, et ils le sont avec la grâce de Dieu. Les hommes sont plus laids que les femmes.
Mais je suis trop long. Vous pourrez lire le Rapport Général, que j'enverrai de Khartoum dans quelques mois pour Propaganda Fide, des nouvelles sur cette Mission qui donne de grands espoirs, et vous aurez des renseignements à propos des magnifiques explorations que nous avons faites, de l'influence exercée dans cette visite pastorale auprès de tous les chefs qui me considèrent comme le sauveur des Nouba, car je leur ai assuré que la traite finira, que les Baggara seront maîtrisés, etc.
Je commence (car je ne sais pas pourquoi je suis si long et si bavard) à répondre à vos lettres. Nous supprimerons la maison de Sestri selon la volonté de l'Eminent Cardinal, et nous ferons partir Virginie de Vérone, parce que l'Eminent dit que c'est un fléau ! , mais je n'en suis pas du tout persuadé.
Saint Joseph, dans les mains duquel j'ai tout remis, remédiera à tout. Sœur Teresina et moi nous en sommes convaincus. Nous sommes faits pour sauver des âmes ; que les gens disent ce qu'ils veulent. Dieu nous récompensera, parce que Dieu est amour.
Je me fiche de moi-même quand il s'agit de la charité, je ne me préoccupe pas de l'opinion que l'on peut avoir. J'écoute seulement ma conscience quand il s'agit du risque de la perte d'une âme, et avec la grâce de Dieu, j'obéis parfaitement à ce grand principe : "aime être ignoré et n'être compté pour rien" (ama nesciri, et pro nihilo reputari). Dans le monde j'en ai vu de toutes les couleurs, et j'ai appris, avec l'expérience, qu'il faut avoir avant tout un grand amour pour Dieu, qui engendre l'amour pour le prochain, parce que cette loi est universelle (quod universa lex est) ; j'ai aussi appris la sagesse de la vérité prêchée par l'Apôtre : "Je désire être anathème pour mes frères" (Rom. 9, 3).
Monseigneur Mermillod écrit à peu près de cette façon dans son oraison funèbre pour l'Archevêque de Cambrai, nommé Cardinal avec notre Eminent Evêque, que j'ai toujours aimé et vénéré comme un honnête homme et premier bienfaiteur de l'Afrique Centrale.
Excusez-moi si j'ai oublié une chose sur l'Abbé Losi à propos de la phrase "ama nesciri et pro nihilo reputari". L'Abbé Losi, si vertueux, saint et admirable, comme je l'ai dit, a reçu de l'Abbé Bortolo (qui a toujours semé la zizanie) la nouvelle que je lui avais donnée, et en cela j'ai suivi le commun des Confesseurs et non pas celui des Pontifes; il s'agissait de la nouvelle que l'Abbé Fraccaro avait écrite à Son Eminence à Vérone: à savoir que ce qu'a écrit l'Abbé Losi n'est pas vrai, c'est-à-dire prétendre que je n'ai même pas envoyé une piastre depuis trois ans, entre le 21 octobre 1877 et le 21 octobre 1880, et que les Missionnaires d'El-Obeïd lui ont confirmé cela (pendant ces trois ans, j'ai dépensé 5.000 napoléons en or environ pour le Cordofan et pour la Mission parmi les Nouba).
J'ai donc trouvé l'Abbé Losi très perturbé ; il ne m'a pas parlé à moi, mais il a ouvert son cœur en se plaignant auprès de l'Abbé Vincenzo Marzano.
Je suis alors allé le voir pour le tranquilliser. Le pauvre Abbé Losi était très désolé, et il m'a dit : "ceux d'El-Obeïd m'ont dit que depuis trois ans je n'ai pas envoyé une seule piastre ; et l'Abbé Fraccaro ayant réfuté cela dans une lettre à Son Eminence - me disait l'abbé Losi - je perds ainsi ma réputation auprès de Son Eminence et il ne me croira plus ". "Mon fils - lui ai-je dit - même si tu perds ta réputation, pourquoi ne pas être content, et mettre en pratique l'adage 'aime être ignoré et à être compté pour rien' ?(ama nesciri et pro nihilo reputari") .
"Non ! - m'a-t-il répondu - ils ont dit cela et je dois me justifier auprès de Son Eminence, et je dois lui écrire que j'ai dit la vérité ", et il est resté ainsi troublé pendant plus d'une semaine. Il a écrit et réécrit la lettre à Son Eminence, et il l'a soumise à mon jugement. Je lui ai alors dit : "Mon cher fils, ou ceux d'El-Obeïd te l'ont dit, ou bien ils ne te l'ont pas dit. S'ils te l'ont dit, et ils croient que non, écris à Son Eminence que tu es persuadé qu'ils te l'ont dit, mais que tu sais que tu as écrit quelque chose qui n'était pas vrai contre moi, parce que pendant ces trois ans, tu as vécu et tu as mangé uniquement avec l'argent que j'ai envoyé.
Ou bien ils ne te l'ont pas dit, alors demande pardon à Son Eminence d'avoir écrit trop facilement une chose que maintenant, tu sais être fausse et sois humble...".
Mais tout a été inutile, il voulait écrire à Son Eminence que ceux d'El-Obeïd lui avaient dit cela avec certitude, et qu'il en était sûr, etc.
J'ai alors conclu : "Mon fils, écris ce que tu veux contre moi à Son Eminence, écris aussi à Rome à Propaganda Fide et au Pape, que je suis une canaille, digne d'être pendu... Je te pardonnerai toujours, j'aurai toujours de l'affection pour toi.
Il suffit que tu restes toujours en Mission, que tu convertisses et que tu sauves mes chers Nouba, tu seras toujours mon fils bien-aimé, et je te bénirai jusqu'à ma mort." Il a alors répondu : "N'en doutez pas, je mourrai en Afrique, et j'irai là où vous m'enverrez travailler pour les Africains". Alors je l'ai embrassé, et je lui ai dit : "que nous mourrons pour l'Afrique" ("Moriamur pro Nigritia" ).
Maintenant, mon cher Père, je suis confus, et je ne comprends plus rien. Comment expliquez-vous ce phénomène, c'est à dire cette faiblesse d'amour-propre chez l'Abbé Losi, qui est si pieux, si dévot, si mortifié, si grand, qui méprise le monde et ses propres commodités, qui aime tant Dieu, qui se sacrifie pour sa gloire, et qui, quand il est uni à Dieu pendant l'oraison, ne ressent plus ni la fièvre, ni les faiblesses du corps, ni la faim, ni la soif, etc.?...
Mon cher Père, l'Eminent Cardinal Barnabò me disait : "Tant que nous mangeons et... nous sommes toujours faibles, et des hommes ; quand nous n'aurons plus de bouche pour manger, nous serons alors libérés des misères".
Quoi qu'il en soit, vive l'Abbé Losi ! Il est une de mes joies.
J'ai baptisé 8 adultes à Delen, le registre des baptisés (bien que, à cause des intrigues de mes adversaires, nous ayons été contraints de l'abandonner pendant deux ans) a plus de 70 inscrits ; mais n'oubliez pas que l'on ne connaît pas encore la langue locale. Quand on la connaîtra il y aura vraiment du travail... Il y a beaucoup de gens à baptiser ici, mais j'y vais doucement.
Le temps est passé ; c'est l'heure du départ du courrier, et je suis à bout de souffle... Je n'écris encore à personne, bien que je doive répondre à trois lettres de Propaganda Fide ; et puis la fièvre se fait sentir.
Ecrivez quelques mots à mon père pour le saluer. Saluez aussi l'Abbé Luciano, le Révérend Père Supérieur, l'Eminent Cardinal, Monseigneur le Recteur, Ravignani, Peccati, etc.
Je bénis les deux Instituts, ceux de Sestri, et le Docteur Baschera. Rendez une visite spéciale pour moi à la Supérieure et à Virginie, et dites-leur que je les bénis. Dites aussi à Virginie que je ne reçois plus de lettres, de sa part, depuis longtemps (deux mois). Vive Jésus ! Vive Marie ! Vive Joseph ! Ici, les Sœurs et tout le monde se portent bien, sauf moi et l'Abbé Fraccaro. Mais il y a le Paradis. Priez pour
votre affectionné dans le Seigneur
+ Daniel Evêque