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Je vous prie de m'accorder votre pardon, chère Madame, pour le silence de ma plume. J'ai été frappé par une multitude de croix, de maladies, de trahisons, d'immenses fatigues, pour lesquelles il me faudrait 50 pages afin de vous en donner une petite idée. Cependant, même parmi toutes mes croix, je n'ai pas oublié de penser à vous, ni de prier pour vous et pour Auguste. Oh ! quel bonheur, Madame, Mère Emilie Julien m'a donné la nouvelle du mariage d'Auguste avec Mademoiselle de Tanquerelle des Planches, qui est bien digne de vous ! Je peux vous dire que cet événement m'a fait oublier mes croix.
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Madame, je suis témoin des vœux que vous avez faits pour cela ; je connais très bien votre cœur et parfaitement votre âme ; vous avez vraiment mérité cette grâce, Madame, le Bon Dieu devait vous l'accorder et Auguste, pour son dévouement envers sa mère, a été béni. J'ai beaucoup remercié le bon Dieu, chère Madame, pour cette grâce. Maintenant il faut prier pour qu'il ait des enfants et Dieu les lui accordera.
Dès que je recevrai la très belle chasuble que vous m'avez envoyée (c'est la seule qui ait été sauvée, m'a-t-on dit, du naufrage aux cataractes), avec ce parement je chanterai la Sainte Messe pour vous et pour vos enfants.
Malgré les malheurs et les pertes immenses que j'ai subis, le Bon Dieu m'a accordé beaucoup de grâces, dont le miracle qui a sauvé de la mort tous les Missionnaires et trois Sœurs de Saint Joseph alors que l'un de mes Missionnaires, au lieu de faire débarquer tout le monde à Assouan, avec beaucoup d'imprudence, a fait entrer les barques dans les cataractes, et que l'une d'elles a sombré en perdant tout sur les écueils.
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Aussi les Sœurs et les Missionnaires auraient dû disparaître avec les provisions et les objets de culte. Par la grâce de Dieu, seul un agriculteur de Vérone est mort noyé.
Cette caravane est partie du Caire le 24 octobre et elle n'est pas encore arrivée tout entière à Khartoum ; cela a été un vrai malheur pour tout mon Vicariat.
Cette histoire m'a beaucoup affecté et a entraîné une perte considérable, outre le retard des affaires. Tout cela à cause de l'imprudence et de l'obstination d'un seul homme. Mais fiat !
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Que le Bon Dieu soit loué ! j'ai eu une perte de plus de 30.000 francs. Mais parmi ces grandes croix et d'autres encore plus terribles, le Bon Dieu bénit cet immense Vicariat qui est la Mission la plus grande et la plus difficile de la terre, plus grande que l'Europe entière, peuplée par plus de 100 millions d'infidèles.
J'ai pu construire une superbe maison à Khartoum pour les Sœurs de Saint Joseph et une autre au Cordofan, puis j'ai ouvert et érigé canoniquement la nouvelle Mission de Berber et j'ai commencé la fondation de la Mission parmi les Nouba au Sud du Cordofan et du Darfour.
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Notre Mère Générale Emilie a encore contribué à consolider les maisons de ses Sœurs dans mon Vicariat. Elle m'a donné une Supérieure Provinciale que j'avais demandée avec insistance et qui doit aller dans ma résidence épiscopale ; il s'agit de Sœur Emilienne Naubonnet, de Pau, qui a été pendant 30 ans Supérieure en Orient. C'est une brave femme, le modèle même de la femme missionnaire, courageuse et dévouée. Elle est arrivée il y a trois semaines ici à Khartoum, où j'ai pu bien faire sa connaissance et j'en suis heureux.
Mère Emilie ne pouvait mieux exaucer ma prière en m'envoyant Sœur Emilienne. Elle a formé et éduqué en Syrie presque toutes les Sœurs arabes, et j'en ai moi aussi trois dans la Mission. Ce sont de véritables soldats qui conquièrent beaucoup d'âmes, qui se font respecter et craindre par les Turcs et les Africains.
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Une de ces braves Sœurs, après avoir remarqué que je ne réussissais pas à convertir un concubin ici à Khartoum, est allée discrètement à la maison du concubin, elle a arraché la concubine et l'a conduite dans notre maison. Elle l'a convertie, instruite, et moi je l'ai baptisée. Pour le moment c'est une bonne chrétienne qui vient se confesser tous les dimanches. Le concubin est venu me voir plusieurs fois pour réclamer sa maîtresse ; je lui ai répondu que ce n'était pas mon affaire et qu'il devait aller voir les Sœurs ; il y est allé plusieurs fois, mais inutilement parce qu'au bout d'un mois, la concubine convertie lui a fait dire par la Sœur arabe qu'elle ne voulait plus rester avec lui, car elle est chrétienne. Ce sont des Sœurs bien utiles dans les Missions ! Je vous écrirai bientôt.
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Je vous dis en toute confidence que la Sacrée-Congrégation de Propaganda Fide m'a élevé à la charge épiscopale lors de la séance du 14 août dernier, mais avant de venir à Rome pour le Sacre, il faut que je fonde et que je démarre la nouvelle Mission parmi les Nouba. Je dois entreprendre un long voyage.
Je pense que l'année prochaine je pourrai être à Rome. Inutile de vous dire que, que ce soit à Rome, en France ou au bout du monde, dès que je serai sacré Evêque, je veux vous voir, venir chez vous et passer quelques jours avec vous, avec Auguste et son épouse et j'espère qu'il y aura aussi Madame Maria.
Je vous parlerai alors de ma Mission la plus laborieuse et la plus grande de l'univers entier.
Je voudrais avoir la photographie de votre belle-fille et je l'ai demandée à Auguste. Donnez-moi des renseignements sur sa famille, sur son éducation et les circonstances humaines qui ont déterminé cet événement. J'espère que cette fille partagera votre vie. Et j'espère aussi qu'elle sera heureuse d'être avec vous et Auguste
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Je vous souhaite ce bonheur. Vous et Auguste vous avez mérité cet ange. Présentez mes hommages à Madame Maria et à tous ceux que je connais dans votre famille. Sœur Emilienne, Supérieure Provinciale de l'Afrique Centrale, à qui j'ai bien parlé de vous, prend la liberté de vous saluer respectueusement.
Je vous prie de me donner des nouvelles d'Urbansky, en espérant vous lire bientôt, je me signe dans les Cœurs de Jésus et de Marie
votre dévoué
Daniel Comboni
Texte original français corrigé.