N° 553 (522) - AU DIRECTEUR DE LA REVUE "LETTERE AFRICANE"
AP SC Afr. C., v. 8, f. 262
Khartoum, le 10 avril 1874
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"....Dans ma vaste Mission, j'ai un prêtre, l'Abbé Salvatore Mauro, Supérieur et Curé de la Mission du Cordofan, (à présent la Mission la plus à l'intérieur et la plus centrale de toute l'Afrique) lequel est fou de dévotion pour Saint Jude Thaddée. Il a réussi à enflammer tout le monde, et surtout la communauté chrétienne naissante pour la dévotion àce grand Apôtre, et on ne demande pas de grâces sans invoquer ce Saint.
Comme j'ai l'impression qu'il ne s'agit pas d'une blague, j'ai décidé, si Dieu me donne vie, de consacrer à Saint Jude Thaddée une statue, un autel et une église dans quelque localité chez les Nouba, région que je viens de faire explorer au centre de l'Afrique inconnue, que je visiterai moi-même après la saison des pluies, pour y fonder une nouvelle Mission, et en y introduisant aussi les Sœurs de Saint Joseph qui, selon mon avis et mon expérience, sont le modèle de la vraie Missionnaire catholique. Ces Sœurs ont fait jusqu'à présent un grand bien dans mon Vicariat difficile et laborieux, et avec la simplicité de leurs manières et leur politesse, elles se font respecter par les Pachas, admirer par les Turcs et aimer par les Africains.
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Si je n'avais pas trop d'occupations, je vous aurais écrit quelques mots concernant l'Apostolat de ces Sœurs, véritables images des anciennes femmes de l'Evangile.
Elles affrontent l'Afrique Centrale avec la même facilité avec laquelle elles enseignent en Europe le b-a-ba à l'orpheline malheureuse ; ainsi elles voyagent pendant plusieurs mois sous une température de 60 degrés Réaumur en traversant les déserts à dos de chameau ou de cheval ; elles dorment à la belle étoile sous un arbre ou dans le coin d'une vieille barque arabe ; elles menacent le bédouin armé, reprochent le vice de l'homme immoral, exhortent la concubine à faire pénitence, assistent le soldat dans l'hôpital, réclament justice auprès des tribunaux turcs et auprès des Pachas pour défendre le malheureux et l'opprimé.
Elles n'ont pas peur des hyènes ou des lions, elles endurent toutes les fatigues, les voyages difficiles, la mort pour gagner des âmes à l'Eglise, et pour se conformer ainsi, avec leurs forces, leur miraculeuse faiblesse et leur propre vie, à ce Cœur qui ignem venit mittere in terram.
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Je désire aussi vous donner des nouvelles des activités de ma grande Mission, la plus vaste et la plus peuplée du monde. Je le ferai dès que j'en aurai le temps. Alors qu'ici je me donne corps et âme à l'Apostolat de l'Afrique Centrale, je ne peux pas dissimuler la souffrance qu'éprouve mon âme en voyant les tribulations que doivent supporter Notre Saint-Père et l'Eglise. Et je pense à ce qui reste à souffrir encore pour le Pape, pour Rome et pour l'Eglise.
Il est vrai que l'Eglise triomphera de tout, et que les Rois et toutes les institutions qui la persécutent s'écrouleront et disparaîtront de la surface de la terre, comme des tours sans fondement, en se détruisant par elles-même ; c'est ce qui adviendra à Bismarck, l'Heliogabale des temps modernes. Mais entre temps, le Pape souffrira, il nous reste toutefois l'ancre de la prière et le refuge du Sacré-Cœur".
(Daniel Comboni)