Comboni, en ce jour

Dans une lettre au card. Barnabò (1871) de Verone l’on lit:
J'ai vivement sollicité, auprès d’un grand nombre d’Evêques et de Congrégations, les plus respectables des cinq parties du monde, de quotidiennes et ferventes prières pour la conversion de la Nigrizia.

Écrits

Recherche
Recherche avancée – cliquez ici pour affiner la recherche
N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
501
Père Stanislao Carcereri
1
Khartoum
22. 5.1873
N° 501 (470)- AU PERE STANISLAO CARCERERI

APCV, 1458/314



Khartoum, le 22 mai 1873



Sa nomination en tant que Vicaire Général du Vicariat de l'Afrique Centrale.





502
Abbé Stefano Vanni
1
Khartoum
25. 5.1873
N° 502 (471) - A L'ABBE STEFANO VANNI

AVAE, c.31



Khartoum, le 25 mai 1873

Lettre dimissoriale





503
Mère Emilie Julien
0
Khartoum
4. 6.1873
N° 503 (473)- A MERE EMILIE JULIEN

ASSGM, Afrique Centrale Dossier



Vive Jésus, Marie et Joseph !

Khartoum, le 4 juin 1873

Ma très Révérende Mère,



[3172]
Je viens de recevoir votre chère lettre du 24 avril, qui m'a fait grand plaisir. Lorsque j'ai remis à nos trois Sœurs vos lettres, elles les ont baisées et se sont mis à pleurer de joie ; telle est la puissance maternelle. Vous ne pourriez vivre en aucun lieu de la terre aussi pleinement qu'en Afrique Centrale. Ces trois filles sont incomparables.

Je vous remercie infiniment pour les quatre Sœurs que vous m'avez envoyées et qui sont déjà au Caire et je vous remercie également pour celles que vous m'enverrez en septembre prochain. Il faut que je vous dise que pour bien s'implanter, la Mission de Khartoum a besoin d'au moins 6 Sœurs.


[3173]
Par conséquent, pour l'amour de Dieu, faites que l'expédition de septembre soit d'au moins 7 Sœurs. Pour celles qui sont au Caire, je suis en train de leur donner l'ordre de quitter tout de suite l'Egypte pour Scellal, dans la Nubie Inférieure, afin qu'au mois d'août, période la plus fraîche, elles puissent traverser le désert. Celles qui arriveront au Caire en septembre, partiront pour Khartoum au mois d'octobre. Sœur Joséphine me dit que parmi les quatre arrivées au Caire certaines peuvent être Supérieures. Ici, si une Supérieure meurt, la maison peut rester sans Supérieure pour une longue période à cause de l'immense distance. Cela est dû au désert qui nous sépare de l'Europe plus que l'Australie du Japon. Une lettre peut arriver à Marseille en 40 jours de cette capitale du Soudan.

Nous avons mis 99 jours du Caire à Khartoum.


[3174]
Je vous prie de m'autoriser à affecter les Sœurs soit à Khartoum, soit au Cordofan, selon ce que je crois opportun pour le bien de ces deux maisons, et ceci avec l'accord de leurs Supérieures. En effet nous sommes les seuls ici à pouvoir juger des besoins des Missions. M'avez vous compris ?

Ainsi, dans vos lettres d'obédience ne mettez pas que telle Religieuse est affectée à Khartoum ou au Cordofan, mais mettez plutôt : au Soudan. Ainsi, le Pro-Vicaire Apostolique et la Supérieure provinciale du Soudan se mettront d'accord pour l'affectation des Religieuses, car nous devons prendre soin de la santé de nos Sœurs. Si à Khartoum l'une est fatiguée pour cause de fièvre ou par le travail, nous la faisons passer au Cordofan et vice versa, etc. etc. Par ailleurs, il est difficile de trouver des Sœurs aussi bonnes, aussi généreuses, aussi héroïques que ces trois-ci.


[3175]
En ce qui concerne les Africaines que l'Abbé Biagio vous a offertes, je ne les accepte pas ! Sœur Joséphine et moi-même, de même que tous nos Missionnaires et nos Sœurs avons décidé de ne plus accepter d'Africaines qui aient été formées en Europe. Elles sont la ruine des Missions et la mort des Sœurs. Le voyage du Caire à Khartoum m'a coûté 22.000 francs et nous étions 28. Chaque Africaine, pour ce voyage, me coûte 800 francs ; avec cette somme nous en rachetons six. Ensuite l'alimentation, l'habillement, etc. d'une Africaine au Caire nous coûte beaucoup et nous n'en n'avons aucun profit.

Et puis ces Africaines venues de l'Europe ne pensent qu'à se marier et nous font perdre le temps et les ressources que nous devons consacrer à la Mission.


[3176]
Et puis jamais je n'accepterai une Africaine présentée par l'Abbé Biagio, car ce saint homme a toujours interdit aux bonnes Africaines qui sont dans les monastères d'Europe de venir chez nous au Caire ; celles-ci ont la vocation d'être religieuses. Il les adresse toutes chez les Clarisses du Caire et il a même eu le courage de m'écrire d'envoyer chez les Clarisses, celles qui, parmi nos Africaines, veulent devenir religieuses. Il nous envoie toujours, au contraire, celles que les Clarisses refusent et qui ne peuvent pas rester dans d'autres couvents d'Europe. Donc que Dieu bénisse l'Abbé Biagio, mais jamais je n'accepterai aucune de ses Africaines qui ont été toujours le martyre de nos Sœurs et la calamité de nos maisons. De la même façon je n'accepterai jamais des Africains du Père Lodovico de Naples, ils sont la lie et la boue de la Nigrizia, car ce saint homme manque de bons formateurs.


[3177]
Venons-en à Khartoum. L'enthousiasme avec lequel les Religieuses ont été accueillies à Khartoum est impossible à décrire. Le Consul est venu en grande pompe pour nous recevoir au bateau, et au nom de l'Empereur d'Autriche, du Pacha du Soudan et de la colonie européenne, il m'a remercié d'avoir, en premier, conduit les Sœurs au Soudan. Le Pacha du Soudan est venu dans ma belle résidence pour me remercier d'avoir amené les Sœurs et m'a répété la même chose au cours d'un grand dîner qu'il avait donné en mon honneur. De même, chose remarquable, le grand Mufti, ou chef de la religion musulmane du Soudan, m'a félicité au cours d'un toast, d'avoir mené les Sœurs jusqu'ici. Pour la colonie européenne les Sœurs sont le bras droit de mon apostolat. Ici, seulement deux familles catholiques vivent chrétiennement ; toutes les autres vivent en concubinage. En ce moment, c'est-à-dire un mois après notre arrivée à Khartoum, les concubines sont instruites par les Sœurs et en peu de temps nous régulariserons de nombreux mariages.


[3178]
Sœur Joséphine est un apôtre et un prédicateur futé ; elle s'est déjà introduite dans de nombreuses familles, elle parle aux maris, aux femmes, aux concubines, à tous. Elle explique la morale et la religion catholique, et notre confessionnal fonctionne. En un mot nous avons une grande mission à accomplir à Khartoum ; les Sœurs feront des miracles, mais encore faut-il des Sœurs !

Vous lirez dans les Annales tout ce que je n'ai pas le temps de vous raconter ici, parce que dans deux jours je pars pour le Cordofan. Je suis venu à Khartoum avec un Firman du Sultan de Constantinople que l'Empereur d'Autriche a obtenu pour moi. Le Grand Pacha du Soudan est devenu mon ami et protecteur ; il m'a offert son bateau à vapeur pour naviguer sur le Fleuve Blanc. Pour atteindre le point le plus proche du Cordofan, avec ce bateau à vapeur il me faudra cinq jours seulement jusqu'à Abou Gherab. Ici au Soudan, je suis en une situation favorable. Nulle part au monde les Prêtres et les Sœurs ne sont autant respectés qu'en Afrique Centrale.


[3179]
J'ai choisi le Père Stanislao Carcereri comme mon Vicaire Général, il a beaucoup œuvré en Afrique Centrale.

J'ai donné aux Sœurs pour confesseur le chanoine Pasquale Fiore, un saint homme qui dirigera les Sœurs dans la voie de la perfection. Sœur Madeleine et la bonne Domitille sont les seules qui dans le terrible voyage du désert et durant le voyage de 99 jours du Caire à Khartoum n'ont jamais eu le moindre mal, ni le moindre mal de tête ; mais je vous dirai ce que tout le monde dit : " le doigt de Dieu est là". J'en suis confus et je vois que Dieu se sert toujours des plus faibles pour les entreprises les plus difficiles.

La Canossa a fait un grand miracle. Nous avons toujours chevauché 18 heures par jour à dos de chameaux dans le désert, sous 50 degrés de chaleur, pendant la saison la plus redoutée. Sœur Joséphine et nos autres Sœurs (moi j'avais toujours dans la poche les Saintes Huiles pour l'Onction des malades) ont traversé le désert mieux que moi et les Missionnaires. Enfin, après 13 jours, nous sommes descendus à Berber au terme du désert, à la période la plus critique. Nous nous acquitterons de nos obligations envers la Canossa. Elle nous a conduits miraculeusement à Khartoum en parfaite santé.


[3180]
Juste un mot sur nos maisons. Ma résidence est un bâtiment bien plus long que celui de Propaganda Fide à Rome et il y a un jardin qui fait travailler chaque jour 20 hommes et qui borde les rives du Nil Bleu. J'avais décidé de diviser ce bâtiment en deux, dont une partie pour les Sœurs avec un mur de séparation.

Mais le Père Carcereri a acquis pour les Sœurs un bâtiment voisin avec un beau jardin. C'est une des constructions les plus solides de Khartoum, proche de ma résidence qui est la construction la plus imposante, non seulement de Khartoum mais de tout le Soudan. Elle a coûté plus d'un million de francs à mon prédécesseur Monseigneur Knoblecher. Mais la résidence acquise par le Père Carcereri ne plaît pas trop à Sœur Joséphine ; pour cela nous sommes en train d'aménager la répartition de la mienne. Entre-temps, j'ai décidé de construire une église trois fois plus grande que la petite que nous avons, qui n'est plus suffisamment grande pour nos fidèles.

Pour ce qui concerne l'alimentation, ici c'est bon marché ; avec peu je pourrai traiter les Sœurs comme des comtesses.. Mais les provisions ne sont faites que pour les autres Missions, pour nous tout est produit dans notre maison, c'est le fruit de nos terres.


[3181]
Je regrette beaucoup d'avoir refusé à Rome Sœur Geneviève, ancienne Supérieure du Caire, lorsque vous me l'avez offerte. Si elle désire venir, envoyez-la moi tout de suite au Caire pour aller à Khartoum avec les quatre Sœurs déjà prêtes pour le départ. J'ai demandé au Père Stanislao de vous écrire à ce propos. Sœur Geneviève, dont je connais l'habileté, ferait des miracles ici à Khartoum. Dans cette ville de 50.000 habitants, nous sommes surtout des enseignants, elle ferait sûrement beaucoup de bien.


[3182]
Laissez-moi vous dire une chose : dans cinq ans le Vicariat de l'Afrique Centrale sera des plus florissants, à condition de m'envoyer autant que possible, au cours de ces 5 années, au moins 50 Sœurs et des Sœurs arabes autant que vous pouvez. Il est nécessaire que vous établissiez une Province et que vous me donniez pour Mère Provinciale une bonne et sainte femme. Sœur Joséphine a toutes les qualités, sauf la santé. Elle travaille jour et nuit, même avec la fièvre et il n'y a pas une force sur terre qui puisse la détourner ; ceci ne peut pas durer, c'est un miracle si elle reste en vie. C'est pour cela que, la voyant toujours au travail, je crains qu'elle ne meure. Dieu veut que nous prenions soin de nous-mêmes et non pas que nous nous tuions. Le miracle de la Canossa est extraordinaire, mais si la personne qui a été guérie miraculeusement veut se tuer, c'est de sa propre faute si elle meurt.


[3183]
S'il y avait ici une Supérieure Provinciale qui par obéissance la rappelait à l'ordre, la Supérieure Sœur Joséphine vivrait bien plus longtemps pour le salut des âmes, car, en tant que Missionnaire, Sœur Joséphine est incomparable ; c'est sûr que vous n'en avez pas une autre semblable dans toute votre Congrégation et moi je serais bien malheureux si je la perdais. Elle continue à boire du lait d'ânesse, mais ayant appris que le lait de chamelle est meilleur, je ferai acheter une chamelle pour Sœur Joséphine, qu'elle gardera dans son jardin. Obligez-la à prendre soin de sa santé.

N'oubliez pas de m'envoyer les Sœurs pour septembre. Pensez que l'envoi retardé des lettres d'obédience au cours du mois de janvier passé, m'a coûté plus de 12.000 francs et toutes les peines d'un voyage de 99 jours. Je vous l'avais écrit bien avant mais vous ne m'avez pas cru. Les Sœurs qui partiront du Caire au mois d'août, arriveront sans encombre à Khartoum en 50 jours. Vous aurez déjà reçu de Lyon 5.000 francs et je vais tout de suite écrire à Cologne pour vous...

(feuillet incomplet)


[3184]
Monseigneur Ciurcia, sous la pression des Franciscains, nous a interdit d'administrer des baptêmes au Caire ; puis j'ai été dénoncé à Rome au sujet de l'Africaine de l'Abbé Biagio qui s'était échappée de chez nos Sœurs. Que cette Africaine (envoyée chez moi avec Sœur Germaine) se soit échappée de chez nous est considéré comme un grand crime, par contre qu'elle se soit échappée 20 jours plus tard de chez les Clarisses a été jugé avec une extrême indulgence. Bref, à part le Père Pietro et quelques autres religieux, les Franciscains ne sont pas nos amis au Caire.

Au Caire je tiens les maisons ouvertes, pour garder le droit de faire plus tard ce que j'ai dans mon esprit ; mais pour le moment il est nécessaire de concentrer le meilleur de nos forces dans le Vicariat, où nous avons une mission prioritaire : convertir ces peuples.

Si nous ne pouvons pas baptiser au Caire, à qui pourrons-nous destiner les 25.000 francs par an ? C'est pour cela que pour le moment je réduirai nos œuvres au Caire au rang de Procure pour l'Afrique Centrale, puisque les besoins les plus urgents sont dans le Vicariat...

(Feuillet incomplet)


[3185]
La maison de Khartoum va me coûter plus de 100.000 francs. La façade est plus longue que celle du bâtiment de Propaganda Fide, de la Place d'Espagne qui va jusqu'à la librairie polyglotte sur la Place de Saint Andrea des Fratte.

Le jardin est plus grand que le vôtre à Cappelletta. J'ai dû faire un projet semblable à celui du bâtiment de ma résidence, qui a coûté 600.000 francs et tout ceci pour les Sœurs. La porte de la maison des Sœurs avec les Sacrés Cœurs de Jésus, Marie et Joseph me coûte plus de mille francs, mais cet institut des Sœurs est une œuvre éternelle, la maison restera intacte durant mille ans.


[3186]
J'attends la Supérieure Provinciale de Khartoum. Je lui donnerai 500 francs, selon nos accords, pour chaque Religieuse arabe qui aura bien réussi comme Sœur Anna.

Saluez pour moi Sœur Catherine, et toutes les Sœurs de Rome et la Mère Assistante, Priez Jésus pour



votre très dévoué

Daniel Comboni



P.-S. Je prie la Mère Générale de bien vouloir mettre un timbre de 20 centimes sur la lettre et l'expédier au journal l'Unità Cattolica.



Texte original en français, corrigé.






504
Card. Alessandro Barnabò
0
Khartoum
5. 6.1873
N° 504 (474) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SOCG, v.1003, ff. 726-731



N° 5

Khartoum, le 5 juin 1873

Eminent et Révérend Prince,



[3187]
La nouvelle que Votre Eminence, par spéciale faveur divine, a récupéré pleinement la vue, a rempli mon cœur d'une inexprimable consolation, et mes bons compagnons ainsi que les Sœurs s'en sont réjouis. Hier, tous réunis devant l'autel nous avons chanté un hymne d'action de grâces. Sans nul doute le Seigneur a daigné vous accorder une telle faveur en récompense de votre quiétude si merveilleuse et de votre résignation si édifiante, grâce auxquelles Votre Eminence a supporté un si grave malheur.


[3188]
Il n'est pas dans mon intention de vous exposer le misérable état dans lequel j'ai trouvé la Mission de Khartoum, surtout en ce qui concerne les âmes.

En voici quelques causes : l'absence du pain de la Parole divine qui, depuis 1861 n'a jamais été prêchée ; délassement de l'esprit, dans lequel tombe habituellement et insensiblement l'ouvrier de l'Evangile, même le mieux préparé et dispos.

Cela arrive lorsque seul et isolé, il reste loin du regard d'un Evêque pendant si longtemps et dans de si périlleuses contrées, ou lorsque il n'est pas surveillé de temps à autre par des Supérieurs, ou bien lorsqu'il ne vient pas à être éveillé et rassuré par quelque salutaire visite Apostolique. Toutes ces raisons furent, à mon avis, les principales causes de l'état déplorable dans lequel j'ai trouvé le petit troupeau du Seigneur à Khartoum, dont le concubinage n'est pas le majeur des vices.


[3189]
Si je ne savais pas que Votre Eminence a expérimenté dans d'autres Missions les tristes conséquences du "Vae soli", je vous suggérerais vivement de ne jamais permettre qu'une Mission reste uniquement avec un ou deux Missionnaires. Je n'arrive pas à comprendre comment le Saint-Siège n'a jamais envoyé un Visiteur Apostolique en Afrique Centrale, alors que dans d'autres Missions moins difficiles et moins périlleuses que celle-ci il a pris cette sage et salutaire mesure. Même en cela Dieu a eu ses admirables desseins.


[3190]
Ma première pensée a été de mettre en vigueur chaque dimanche et lors de chaque jour de fête l'homélie sur l'Evangile pendant la Messe paroissiale ; bientôt j'établirai le Catéchisme après les Vêpres du dimanche. Dès maintenant je peux me consoler parce que notre chapelle, depuis notre arrivée, est très fréquentée, au point qu'elle ne suffit pas pour contenir tout les fidèles ; aussi ai-je décidé de construire une nouvelle église plus grande. Pour cela, au cours de l'homélie en arabe que j'ai tenue le dimanche de la Pentecôte, j'ai exprimé le désir de construire un nouveau temple, et j'ai invité les fidèles à y participer avec leurs aumônes.

En seulement trois jours, j'ai reçu 1256 thalers, ce qui équivaut à 6280 francs-or ; ceux-ci ajoutés à d'autres aumônes que j'attends d'Europe, et à d'autres encore que je recevrai pour le Vicariat de la part du Gouvernement turc et des fidèles, vont me permettre de poser la première pierre de l'édifice sacré, à mon retour du Cordofan, en octobre prochain.


[3191]
Ensuite, nous avons commencé, au nom de Dieu, par entourer de sollicitude nos catholiques pour les rappeler sur les voies du salut éternel.

Il semble que Dieu bénisse notre humble travail, notamment par le concours actif de nos pieuses et bonnes Sœurs ; cela est d'une utilité capitale. Ainsi dans peu de temps, la grâce du Seigneur et la piété chrétienne régneront dans le petit bercail de Khartoum. Enfin, le ministère sacré est ici en pleine activité, il s'exerce parmi les brebis égarées et au profit des infidèles ; en effet plusieurs catéchumènes reçoivent un enseignement chaque jour dans les deux Instituts.


[3192]
En ce qui concerne le travail des Sœurs, il faut savoir que lundi prochain à 9 heures, les écoles pour femmes vont s'ouvrir. Je remercie Dieu de m'avoir accordé des religieuses au très bon esprit et d'une grande capacité, ainsi que de bonnes Institutrices africaines ; j'espère bientôt voir une florissante école catholique en cette capitale qui n'a jamais vu une Sœur, ni les prodiges de la charité des "femmes de l'Evangile". Grâce aussi aux nombreux catéchistes qu'actuellement cette Mission possède, pendant le mois passé on a travaillé beaucoup pour préparer ceux qui allaient recevoir la Confirmation. C'est bien depuis 1860 que ce Sacrement n'a pas été administré en Afrique Centrale.


[3193]
Ainsi en témoigne la récente et solennelle fête de Pentecôte ; après l'homélie et la Messe solennelle, j'ai confirmé 35 personnes, jeunes et vieux. Il y en a autant, sinon plus qui suivent la catéchèse ; quant à l'école des garçons elle ne pourra pas être ouverte avant le mois de novembre.


[3194]
La ville de Khartoum comprend approximativement 50.000 habitants, 200 catholiques, 1000 hérétiques de différentes sectes, 25.000 esclaves noirs et le reste est composé de musulmans, Nubiens, Egyptiens, Abyssiniens, Gallas, Turcs, etc. plus les 8000 soldats. Dans la colonie Chrétienne on compte plus de 200 Grecs et 70 Syriens.


[3195]
La Maison de la Mission est la plus solide et la plus belle construction pas seulement de Khartoum, mais de tout le Soudan et de toute l'Afrique Centrale.

Elle a coûté à Knoblecher, avec le jardin en annexe, plus de 200.000 (deux cents mille) écus romains. C'est un bâtiment d'un seul étage long d'une fois et demie la longueur du bâtiment de Propaganda Fide, et qui ne fait qu'un huitième du projet prévue. Le jardin en annexe est tellement large qu'il arrive jusqu'au Nil Bleu ; actuellement c'est un bois, mais en quelques années j'espère le transformer et l'emmener à un tel niveau de production qu'il puisse subvenir aux besoins de toute la Mission de Khartoum.


[3196]
Ma position face aux catholiques des différents rites est très favorable, tous montrent une confiance illimitée en moi, envers mes Missionnaires et envers les Sœurs, espérons pouvoir nous en servir au profit de leurs âmes.


[3197]
Ma position face aux musulmans, surtout face au Gouvernement local et à l'autorité Consulaire, ne peut être meilleure. La Mission catholique est la première puissance du Soudan, et tous, grands et petits, nous respectent et nous craignent.


[3198]
Le Firman de Constantinople, et le nom de l'Empereur d'Autriche que j'ai réussi à utiliser au moment opportun, ont produit les plus splendides résultats.

Je ne sais pas encore bien expliquer tout cela, mais ce qui nous arrive aujourd'hui n'est pas sans importance. Son Excellence Ismaïl Pacha, Gouverneur Général, qui commande jusqu'aux sources du Nil, est venu me rendre visite pour m'offrir son amitié et tout son appui pour réaliser mes désirs relatifs à la Mission Catholique.


[3199]
C'est un homme qui a une connaissance superficielle de tout, un Turc instruit, un renard, un emberlificoteur et un escroc de premier ordre ; mais, malgré tout, très bienveillant envers moi et envers la Mission. De cette bienveillance il m'a donné en très peu de temps une preuve splendide, en m'offrant ses bateaux à vapeur pour mes visites pastorales, en me donnant du bois pour la Mission, et en déclarant libre n'importe quel esclave qui lui serait présenté en mon nom ; cela n'a jamais été fait ni au Soudan ni en Egypte, ni en aucune partie de l'Empire Turc.

En taisant les autres faits, je citerai uniquement le dîner diplomatique donné en mon honneur, auquel il a invité tous les Pachas, les Beys, les notables du Gouvernement et de la Colonie Européenne, ainsi que les chefs musulmans.

Dans ce banquet solennel, bien plus splendide que beaucoup d'autres à Paris, 4 toasts ont été offerts, geste qui a le même sens ici qu'en Angleterre.


[3200]
Le premier a été levé, par le même Grand Pacha qui a parlé avec une admiration digne d'un catholique, de ce que nous avons, moi et mes compagnons, laissé notre patrie et les conforts de la vie européenne pour venir en Afrique Centrale diffuser la civilisation. Le Pacha m'a remercié au nom des Soudanais et du Gouvernement d'être venu me mettre à la tête de la civilisation au Soudan.

Le second toast a été levé par le Grand Mufti, ou Chef de l'Islam au Soudan, qui m'a félicité d'avoir amené les Sœurs à Khartoum.

Le troisième a été offert par le Consul Autrichien, qui a remercié le Grand Pontife Pie IX d'avoir ressuscité le Vicariat d'Afrique Centrale, de m'avoir mis à sa tête, et d'avoir envoyé des Religieuses ; ensuite il a levé un toast à Sa Majesté l'Empereur d'Autriche pour avoir assumé avec une nouvelle sollicitude la protection du Vicariat de l'Afrique Centrale. Le quatrième toast a été levé par moi-même à Son Altesse le Khédive d'Egypte, et à Son Excellence le Pacha du Soudan, pour les remercier de la protection accordée à la Mission, et pour exprimer l'espérance de cette protection dans l'avenir ; et ceci après avoir formulé des vœux pour leur vie et pour leur prospérité.


[3201]
Quant au Consul Autrichien, il s'appelle Martino Hansal, c'est un ancien membre de la Mission amené en Afrique par le défunt Pro-Vicaire Knoblecher ; le Consul est un géographe distingué, c'est aussi un vrai ami au service de la Mission.


[3202]
De tout cela, Votre Eminence peut déduire que ma position actuelle est très favorable ; toutefois, loin de me laisser prendre par ces vaines flatteries, après tant d'Hosanna, j'attends de pied ferme le Crucifige. Toute ma confiance repose dans la Croix, et dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. C'est pourquoi j'ai fixé le troisième dimanche de septembre, le 14, en tant que jour voué à l'Exaltation de la Sainte Croix, pour consacrer solennellement tout le Vicariat de l'Afrique Centrale au Sacré-Cœur de Jésus.


[3203]
Ce jour-là, les très pieux membres de l'Apostolat de la Prière, associés au Messager du Sacré-Cœur, qui sont répandus dans les cinq parties du monde, accompagneront et feront écho à mon acte solennel de consécration par de ferventes supplications envers ce Cœur Divin. Il doit enflammer toute l'Afrique Centrale, convertir ces peuples à la foi, ainsi que toutes ces tribus malheureuses sur lesquelles pèse encore la terrible malédiction de Cham. C'est pour cela que j'ai composé une Prière en latin, que nous avons l'habitude de réciter chaque jour pour la conversion de la Nigrizia, et qui est incluse ci-après dans l'Annexe A.


[3204]
Je supplie Votre Eminence de prier notre très glorieux Saint-Père d'accorder à tous les fidèles Catholiques qui récitent cette prière en n'importe quelle langue, pro Conversione Chamitarum Africae Centralis ad Ecclesiam Catholicam, les indulgences suivantes :

1°. 300 jours d'indulgence chaque fois que l'on récite la prière.

2°. Indulgence plénière à celui qui la récite chaque jour pendant un mois servatis servandis ; parallèlement je vous prierais de modifier ou corriger cette prière dans le cas où elle ne serait pas correctement formulée.


[3205]
Bien que les fatigues et les sacrifices que nous devrons endurer par amour du Christ soient grands, il me semble toutefois voir un avenir heureux pour l'Afrique Centrale. Le climat de Khartoum, jadis si mortel pour un Européen s'est aujourd'hui notablement amélioré. La construction de la voie ferrée du Caire à Khartoum passant par Scellal, Wadi Halfa, Dongola et Scendi est un fait établi ;

je l'ai su officiellement par son Excellence le Pacha, et j'en ai parlé avec la Commission Anglaise qui a tracé la voie à construire. De cette manière, avec les bateaux à vapeur et les voies ferrées, en un mois, nous pourrons aller d'Alexandrie à Gondocoro au 4° degré L.N. Tout cela d'ici 4 ans.


[3206]
Demain soir, je partirai pour le Cordofan. Son Excellence Ismaïl Pacha a mis à ma disposition son bateau à vapeur. Il m'accompagnera lui-même pendant 110 miles jusqu'à Abou-Gharat sur le Fleuve Blanc, d'où je partirai à dos de chameau, ce qui me conduira en 8 jours à la capitale : El -Obeïd.

En vous demandant d'obtenir pour nous tous une Bénédiction spéciale du Saint- Père, j'embrasse votre Pourpre Sacrée.



Votre très humble et indigne fils

Daniel Comboni




[3207]
P.-S. Je supplie encore Votre Eminence d'obtenir de Sa Sainteté une indulgence plénière pour tous les fidèles du Vicariat, et pour ceux qui vivent sous ma juridiction, tels que les membres des petits Instituts du Caire. Ceux-ci, confessés et ayant communié, priant pour l'Eglise et pour le Souverain Pontife, assisteront aux Saints Mystères le dimanche 14 septembre à venir, jour au cours duquel je ferai l'acte solennel de la Consécration de l'Afrique Centrale au Sacré-Cœur de Jésus. Ceci sera accompli à la même heure, le même jour, par les Supérieurs de Khartoum et du Caire, tandis que moi je le ferai au Cordofan.

J'embrasse Votre Pourpre Sacrée, en m'abandonnant à nouveau aux Sacrés Cœurs

de Jésus et Marie.



De Votre Eminence

Votre très humble et obéissant fils

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale



Suit la Prière en latin pour la conversion de l'Afrique.






505
Père Stanislao Carcereri
0
El-Obeid
23. 6.1873
N° 505 (475) - AU PERE STANISLAO CARCERERI

"Annali Buon Pastore" 5 (1873), pp. 11-13



El Obeïd, le 23 juin 1873



[3208]
"C'est la première lettre que j'écris de Porta Nigritiae Haec, et mon très cher aîné la mérite par dessus tous.

Je vous dirai que je suis resté confus des honneurs et de la solennelle entrée à El-Obeïd. A Fula, (lieu qui est à deux heures d'El-Obeïd) j'ai été accueilli par toute la colonie orientale... A mi-chemin, les coptes schismatiques et leur Prêtre sont venus à ma rencontre, ainsi c'est en procession que je suis rentré à El-Obeïd.

Une fois arrivé au portail de la maison de la Mission, où il y avait la cohorte militaire du Pacha, une magnifique inscription me frappa : Porta Nigritiae Haec. Après avoir prié longtemps dans notre belle chapelle, je me suis rendu au Divan, (le bureau administratif), où j'ai reçu les hommages de tous les catholiques, des coptes, et des Grecs schismatiques, des Turcs, des chefs des tribunaux, des capitaines des soldats, etc. ... avec un envoyé du Pacha, le Mudir (son aide de camp) venu me rendre hommage au nom de Son Excellence.


[3209]
Le matin du 20 j'ai rendu visite au Pacha qui m'a reçu in formis, puis il est venu hier pour me rendre ma visite avec tous les notables du Divan : tous à cheval et précédés de quelques escadrons de soldats, au milieu d'une multitude de gens qui remplissaient hinc et inde la grande place ainsi que la grande route devant la Mission. Enfin, ici à El-Obeïd, tous, du Pacha aux commerçants et au peuple ont rendu hommage à l'indigne Représentant du Pape au Soudan. Par la suite, je suis resté stupéfait du grand travail que vous avez accompli avec le Père Giuseppe, dans cette Mission débutante ; Dieu bénira vos peines.

Ce qui me console c'est le crédit dont la Mission jouit auprès de chaque catégorie de personnes. Je suis très content du Père Giuseppe lequel a agi et travaillé ici avec une rigueur et un sérieux supérieurs à son âge. C'est un vrai et solide Missionnaire capable de faire de grandes choses pour la gloire de Dieu.

Dieu lui a beaucoup donné et il en a fait un bon usage..."


[3210]
Dans la lettre suivante, Monseigneur me dit :

" Le climat du Cordofan ne peut être meilleur ; la position d'El-Obeïd comme Porta Nigritiae est d'une grande importance pour notre objectif et je ne comprends pas comment les premiers Missionnaires n'ont pas pensé en premier lieu à cette capitale.

Vous deux, Camilliens, en un peu plus d'un an vous avez fait ici des prodiges, et moi actuellement je ne céderais le poste d'El-Obeïd contre n'importe quel autre poste de la Haute-Egypte qui existe depuis plus d'un siècle. L'estime et la renommée dont vous deux, mes chers aînés, vous jouissez auprès de tous sont très belles, pour cela Dieu vous bénira, vous et la Mission. On a bien débuté, il faut aller de l'avant. Le divin Cœur de Jésus sera avec nous."



(Daniel Comboni)






506
Abbé Stefano Vanni
1
El-Obeid
24. 6.1873
N° 506 (476)- A L'ABBE STEFANO VANNI

AVAE, C. 31



El-Obeïd, le 24 juin 1873

Lettre dimissoriale





507
Un pretre de Trente
0
El-Obeid
24. 6.1873
N° 507 (477)- A UN PRETRE TRENTIN

"La Voce Cattolica" IX (1874), nn.5-8



LA REGENERATION DE L'AFRIQUE



Vive Jésus, Marie et Joseph !

El Obeïd, capitale du Cordofan,

le 24 juin 1873

Très Illustre et très Révérend Monsieur,



[3211]
Je viens maintenant vous parler d'une particularité de l'Œuvre. Elle a déjà commencé et je vous assure qu'elle réussira certainement ; des millions d'âmes se convertiront, non pas parce que nous Missionnaires, religieuses, et ouvriers sommes décidés à vaincre ou à mourir, mais plutôt parce que l'Œuvre est confiée au Sacré-Cœur de Jésus, qui doit enflammer l'Afrique Centrale entière et la remplir de son feu divin.

Le 14 septembre prochain, ici à El-Obeïd, je consacrerai solennellement tout le Vicariat au Sacré-Cœur de Jésus, alors que mon Vicaire général fera le même jour la même Consécration à Khartoum. Les Associés à l'Apostolat de la Prière feront en ce jour le même acte de Consécration, dont la formule a été composée par notre très cher ami le Père Ramière.


[3212]
Vous lisez certainement le Messager du Sacré-Cœur.

Comment est-il possible maintenant que le Cœur de Jésus n'exauce pas les prières ferventes de tant d'âmes justes, associées au Messager qui sont la fleur de la piété et de la vertu ? Jésus-Christ est le roi des honnêtes hommes, et il a toujours maintenu sa parole. Lui au petite...quaerite...invenietis...aperietur a toujours répondu et toujours il répondra accipietis...invenietis...aperietur . Donc la Nigrizia verra la lumière, et ses cent millions de malheureux ressusciteront à une nouvelle vie grâce au Sacré-Cœur de Jésus.


[3213]
Grâce à la générosité Royale, il a été possible d'acheter la maison Caobelli à côté du Séminaire de Vérone. Pendant mon voyage en Allemagne j'ai commencé à rédiger les Règles de l'Institut pour les présenter à Rome.

Entre-temps mes compagnons au Caire et particulièrement le très bon Père Carcereri ont étudié les endroits de l'Afrique Centrale où, en raison des bonnes conditions du climat et de l'importance stratégique de la position, il serait opportun d'envoyer les membres de l'Institut, quand ils seraient mûrs pour l'apostolat en Afrique Centrale. On étudia, on écrivit, on parla, on voyagea. Finalement il a été convenu de tenter une exploration au Cordofan.


[3214]
Etant donné l'expérience malheureuse vécue entre 1848 et 1864 sur le Fleuve Blanc, où d'immenses marécages sont à l'origine de fièvres mortelles et de maladies très dangereuses pour l'Européen, j'ai tourné mes regards vers les tribus de l'intérieur qui vivent entre le Fleuve Blanc et le Niger, où se trouvent des montagnes et où l'air est salubre.

J'ai accepté bien volontiers la proposition du Père Carcereri pour le Cordofan, et par une lettre du 15 août 1871 écrite de Dresde, je lui ordonnais de faire les préparatifs pour une prochaine exploration dans le Cordofan.

Le 14 septembre, de Magonze, j'ai donné l'ordre aux explorateurs de partir du Caire au mois d'octobre, car c'est une période favorable pour la navigation sur le Nil. En effet, le valeureux Carcereri avec Franceschini et deux laïques sont arrivés au Cordofan, passant par Khartoum, en seulement 82 jours de voyage. Ils ont exploré le Cordofan soit du côté du Darfour soit au Sud vers Tekkela et les frontières des Nuba. Enfin ils ont jugé opportun d'établir un poste de Mission ici à El-Obeïd. Je constate que cette ville est réellement le carrefour qui met en communication avec tout l'intérieur de l'Afrique. Ici l'air est beaucoup plus salubre que celui de Khartoum et du Fleuve Blanc.


[3215]
En effet, à partir d'El-Obeïd et seulement en 3 jours à dos de chameau on entre dans le territoire du Darfour, et en 15 jours on arrive à la capitale, résidence du Sultan. A trois jours d'ici, on arrive aux premières montagnes des vastes tribus de la Nubie, patrie de Bachit Miniscalchi ; là il y a des millions d'Africains païens, qui n'ont jamais rien voulu savoir de Mahomet. En 30 jours on arrive dans le vaste empire du Bornù, alors que pour y aller de Tripoli ou d'Alger il faudrait plus de 100 jours, et le voyage serait plus dangereux. Ici à El-Obeïd il y a des procureurs et des correspondants des Sultans du Darfour et du Bornù, qui approvisionnent ces pays de marchandises et d'objets venant d'Europe par l'intermédiaire du change.


[3216]
En septembre dernier je suis arrivé avec une grande caravane au Caire, où le diable, c'est ainsi que l'a permis le Seigneur, m'avait préparé de grandes difficultés. Celles-ci menaçaient de me mettre dans l'impossibilité d'entreprendre le voyage de la grande caravane en Afrique Centrale et d'occuper le Vicariat, selon les ordres de Propaganda Fide, et selon ce que j'avais annoncé aux Sociétés bienfaitrices d'Europe qui m'avaient donné dans ce but quelques secours.

Je ne parlerai pas des nombreuses et graves difficultés qui se sont déchaînées contre moi, par volonté de Dieu et pour mon indignité.

Il y a eu de nombreuses personnalités très estimables qui ont écrit à la Révérende Mère Générale de mes Sœurs à Marseille, la suppliant de ne jamais permettre à aucune de ses Sœurs d'aller en Afrique Centrale, où elles allaient rencontrer une mort certaine, ce qui s'était passé avec tous les Missionnaires précédents…


[3217]
La Mère générale, qui avait 8 Sœurs prêtes à être envoyées en novembre au Caire, eut peur et suite à cela elle a envoyé ces Sœurs en Belgique pour y ouvrir une nouvelle maison. De même, les trois Sœurs qui avaient déjà reçu l'obédience de la Mère Générale de me suivre en Afrique Centrale et qui se trouvaient depuis plus de 2 ans dans mon Institut, ont été incitées par tout art et tout moyen à ne pas se rendre en Afrique Centrale : or ces incitations furent vaines, il leur fut impossible d'y réussir. Puisque ces Sœurs avaient déjà leur obédience, elles sont restées inébranlables dans le saint projet et disposées à mourir pour le Christ.


[3218]
Toutefois, je suis resté très gêné bien que la Révérende Mère Générale convaincue de s'être laissée prendre au piège, m'ait à nouveau assuré qu'elle m'aurait envoyé les Sœurs après la fête de Saint Joseph. Elle allait avoir plus de 30 nouvelles professions. Néanmoins j'étais dans l'impossibilité d'entreprendre l'expédition parce que la Supérieure qui devait aller à Khartoum était un peu malade, et il me paraissait imprudent de faire partir 16 Institutrices africaines avec deux ou trois religieuses. Un nouvel assaut, qui a contribué à refroidir la Mère Générale et certaines Sœurs, se déchaîna des mêmes personnes qui avaient cherché à intimider la dite Générale et les Sœurs. C'est pour cela que j'écris ce qui suit.


[3219]
Etant donné que la Congrégation des Religieuses de Saint Joseph a plus de soixante Maisons en Europe, en Asie, en Afrique et en Australie, la Mère Générale doit les pourvoir toutes en personnel. Il en résulte avec certitude que tous les Evêques et Vicaires Apostoliques sous la juridiction desquels se trouvent ces maisons, insistent continuellement pour avoir de nouvelles Sœurs.

En effet la Congrégation - dont le Cardinal Protecteur est lui-même l'Eminent Préfet de Propaganda Fide - est d'un très bon esprit et faite exprès pour les Missions. Mais la Mère Générale ne peut pas toujours satisfaire les besoins de tout le monde.


[3220]
Pour cela, prévoyant que je ne pourrai jamais avoir de cette Congrégation le nombre de Sœurs nécessaires pour l'immense Vicariat de l'Afrique Centrale, après avoir essayé en vain de savoir, par l'intermédiaire de Monseigneur Canossa, si les Canossiennes vont assumer à l'avenir la direction de quelque Institut en Afrique Centrale, et ayant eu le consentement de Pie IX, ce qui a fait grand plaisir à Monseigneur Canossa, j'ai fondé un Institut féminin à Vérone pour former les Missionnaires de l'Afrique. Je les ai provisoirement appelées les Pieuses Mères de la Nigrizia et j'ai acheté pour elles le couvent Astori à Santa Maria in Organis, où je les ai installées. Cet Institut fonctionne bien, comme me l'a écrit Monseigneur, et me donnera dans quelques années de bonnes missionnaires.


[3221]
Mes "chers amis" du Caire, ayant été informés de cela, ont écrit à la Mère Générale de Saint Joseph et ont soufflé aux Religieuses du Caire que Comboni utilisait les Religieuses de Saint Joseph jusqu'au moment où celles qu'il formait à Vérone seraient prêtes ; mais dès qu'il aurait les siennes il donnerait un passeport à celles de Saint Joseph, les remercierait pour l'avoir aidé au début de son Œuvre et finirait par les renvoyer.

Ceci a ébranlé la fermeté de la Mère Générale ; mais finalement par la grâce de Dieu et avec mes prières et assurances, elle a décidé de me donner toutes les religieuses qu'elle pourrait, de la même manière qu'elle va le faire avec les autres chefs de Mission ; à ce sujet, nous nous sommes engagés à rédiger un document, elle, moi et l'Eminent Cardinal Préfet de Propaganda Fide.

Voyez comme Jésus est bon et comment agissent Notre-Dame et son très Saint Epoux Saint Joseph.


[3222]
Je tais les autres tempêtes, que Dieu a permis qu'elles soient suscitées contre moi, comme le fait d'avoir tenté d'ébranler la constance de mes Missionnaires, de m'avoir dénoncé à la police turque comme coupable d'avoir baptisé des Noirs déjà musulmans (ce qui est vrai), etc. etc.

Nous serions tous très heureux si les Turcs nous coupaient la tête pour la Foi ; d'ailleurs, depuis longtemps, nous y sommes prêts, dans la certitude que Dieu suscitera, après nous, d'autres Missionnaires, selon la sage économie de sa Providence.


[3223]
Je savais bien qu'on avait déjà écrit contre moi en Europe, et même à Rome, que j'allais conduire à la mort les Sœurs et les Missionnaires.

Je savais aussi que je n'avais que trois Religieuses et en plus souffreteuses, qui avaient obtenu l'obédience de la Mère Générale. Mais malgré tout cela j'ai décidé de partir du Caire, sachant que j'allais par vents contraires vers le terrible khamsin du désert à la saison la plus critique. Une fois mes compagnons consultés, nous avons décidé de nous jeter dans les bras de la Providence et d'obtempérer aux ordres de Propaganda Fide suffisamment connus et manifestes.


[3224]
Le 26 janvier, nous sommes partis du Caire vers le Centre de l'Afrique à bord de deux grands bateaux (dahhabia), où dans l'un il y avait les Missionnaires et les Frères laïques, et dans l'autre les Sœurs et les filles.

Après un voyage difficile de quatre-vingt-dix-neuf jours, et après avoir perdu en Thébaïde un Frère laïque frappé par la variole, nous sommes arrivés sains et saufs presque par miracle à Khartoum.

De Khartoum, avec d'autres Missionnaires, en 10 jours je suis arrivé à El-Obeïd. Etant donné que la description de ce terrible voyage vous sera expédiée imprimée de Vérone, je ne vous en dirai pas plus...


[3225]
La ville de Khartoum, et surtout le Grand Pacha qui commande depuis Méroe jusqu'aux sources du Nil, m'ont reçu avec beaucoup d'honneurs.

J'ai alors pensé à Notre Seigneur Jésus-Christ qui, après les Hosanna, a écouté le Crucifige. Toutefois, le Pacha m'a reçu en ami, m'a offert tout son appui pour faire tout ce que je veux pour le bien de la civilisation et de la religion.

Il a donné une grande fête en mon honneur, et m'a offert ses bateaux à vapeur gratis pour effectuer mes visites pastorales sur les Fleuves Bleu et Blanc jusqu'à Gondocoro, comme il l'a fait de la même manière lorsque je suis venu au Cordofan. En effet il avait mis à ma disposition son bateau à vapeur qui m'a transporté pendant 127 milles sur le Fleuve Blanc jusqu'à Tura-el-Khadra, où je suis descendu à terre et d'où, en neuf jours, j'ai rejoint El-Obeïd à dos de chameau.


[3226]
Non seulement les Turcs sont venus me féliciter pour être arrivé à Khartoum, mais le Grand Mufti lui-même, le chef de la religion musulmane, m'a félicité d'avoir amené les Sœurs pour l'éducation des fillettes.

La même chose a eu lieu ici à El-Obeïd : le Pacha, la veille de mon arrivée, a aboli l'esclavage, a publié pour la première fois les Décrets de 1856 du Congrès de Paris, et a mis en liberté plus de 300 esclaves de sa maison. Il est venu en grande pompe me rendre visite accompagné de deux généraux et des chefs de son Divan, et m'a offert son appui pour tout ce dont j'aurais besoin.


[3227]
Ce n'est pas que ces ovations soient sincères, car le Turc hait le christianisme. Ce n'est pas que l'esclavage soit efficacement aboli, bien au contraire et, je le dirai plus tard, en Afrique Centrale et en Egypte l'esclavage est pleinement en vigueur.

Le Turc n'abolira jamais l'esclavage ; il signera des traités, il l'abolira sur le papier, il fera semblant de ne pas le vouloir pour mettre de la poudre aux yeux des niais. Le musulman tant qu'il sera mahométan, ne supprimera jamais la traite des Africains. Toutefois, à moi qui ai menacé de nombreux Pachas à ce sujet, ils ont voulu rendre un tel hommage, ayant été avertis officiellement par le Divan du Caire que j'étais l'ennemi principal de l'esclavage.

Mais vous devez savoir que j'étais en possession d'un Firman du grand Sultan de Constantinople obtenu de notre très gracieux Empereur d'Autriche et Hongrie.

Par ce document le Grand Sultan donne l'ordre au Pacha d'Egypte de protéger le Vicariat de l'Afrique Centrale. De temps à autre je montre ce Firman superbement écrit ; c'est à cause de cela que le drapeau autrichien est ici respecté et craint, et que tous les Gouverneurs et Pachas m'ont offert leurs services pendant mon long voyage.


[3228]
Maintenant, je vous dirai un mot de ce Vicariat le plus vaste au monde, le plus difficile et le plus laborieux. Pour s'en occuper il faudrait deux mille Jésuites, une cinquantaine de Pères des Stigmates de Vérone, cinq cents Bénédictins de ceux de la nouvelle réforme Casaretto qui sont à Subiaco.

A l'heure actuelle nous sommes peu nombreux, mais je vous écrirai mes projets que j'ai déjà exposés et qui ont plu à ce saint Père Beck, Général en chef des Jésuites, les grenadiers du Pape.


[3229]
Le Vicariat de l'Afrique Centrale confine au Nord avec l'Egypte, Barca, Tripoli, et Tunis. A l'Est avec la Mer Rouge, Abyssinie, la région des Gallas.

Au Sud il s'étend jusqu'au 12ème degré de latitude australe comprenant les lacs ou sources du Nil, Udschidschi, etc. et le Congo. A l'Occident il arrive aux deux Guinées et à la ligne droite qui va de la pointe occidentale méridionale de la Préfecture Apostolique de Tripoli jusqu'au Niger touchant le Nord du Vicariat Apostolique de la côte du Bénin. Vous voyez bien comme ce Vicariat est plus grand que toute l'Europe.


[3230]
En cet immense Vicariat qui a été de 1848 à 1861 sous le gouvernement de mes prédécesseurs Knoblecher, et Kirchner, ont été fondés et ont prospéré les quatre postes suivants - ils occupent la ligne du Nil et du Fleuve Blanc et constituent la partie orientale du Vicariat - c'est-à-dire :

1°. Gondocoro au 4ème degré L.N.

2°. la Sainte Croix au 6ème degré.

3°. Khartoum au 15ème degré et Scellal au 23ème degré L.N. à peu près.

Sous le gouvernement des Franciscains de 1861 à 1872, au cours des deux premières années les trois stations de Gondocoro, la Sainte Croix et Scellal ont été abandonnées. Ces religieux pendant neuf ans, n'ont soutenu que Khartoum avec un ou deux Missionnaires de la bonne province du Tyrol.

Les pauvres Franciscains, dont la Congrégation a été supprimée en Italie, manquent de personnel pour soutenir et conserver toutes les innombrables Missions qu'ils possèdent, comme me le disait leur très Vénérable Général le Père Bernardino.


[3231]
Les maisons et les jardins de Gondocoro et de la Sainte Croix sont complètement détruits. De Scellal il reste la maison mais en un piteux état.

A Khartoum, la maison est très solide, et elle est sans doute la construction la plus belle et la plus robuste de tout le Soudan ; mais le jardin est réduit à un bois et il me faudra un an pour avoir un rendement annuel de 2000 francs au profit de la Mission. A tout cela, il faut ajouter que l'établissement de Khartoum a été dépouillé de tout. De mon temps et sous Knoblecher, cette station était comblée comme un établissement de Bénédictins en Europe.

Les bons Franciscains se sont trouvés dans un moment critique, moment où l'Europe était en révolution, et où la Société de Vienne était réduite, presque comme elle l'est maintenant, à sa moindre expression.

Lorsque le Pape souffre, tous les membres de l'Eglise souffrent.


[3232]
Maintenant, pour mettre des bases solides sur lesquelles bien établir le Vicariat, je me limite à consolider le plus possible les deux postes centraux, qui servent de base d'opérations à toutes les Missions qu'on va fonder dans le futur au Centre de l'Afrique. Ces postes sont Khartoum et El-Obeïd.

Puisque le voyage du Caire à Khartoum suffit pour terrasser et rendre inapte le Missionnaire, et que je veux répondre au désir de Propaganda Fide manifesté par son Eminence le Cardinal Barnabò par sa vénérable lettre du 29 avril, j'ai l'intention d'ouvrir la station de Scellal.


[3233]
Actuellement, je réduis considérablement l'effectif des Instituts du Caire, car j'ai conduit moi-même au Centre plus de 30 missionnaires mûrs pour l'apostolat ; 20 autres seront emmenés lors d'une deuxième expédition au mois d'août prochain. Toutefois il est toujours nécessaire d'avoir au Caire deux petits établissements pour y acclimater les Missionnaires et les Sœurs et y éprouver leur vocation.

Ces Etablissements constituent comme une Procure du Vicariat pour les rapports avec l'Europe et pour les provisions de la Mission. Le passage du Caire à Khartoum est trop dangereux et rude pour la santé des Missionnaires : d'où la nécessité d'ouvrir Scellal, qui est à moyenne distance entre le Caire et le Soudan. Après avoir assisté à la mort de tant de Missionnaires, je me dois d'étudier les moyens de les conserver en vie.


[3234]
Au retour du Consul général de Vienne, nous aurons au Caire un terrain offert par le Khédive pour construire les deux établissements. Le terrain, au Caire, coûte 20 francs le mètre. Le Pacha va ainsi nous faire un don très important.

Vivre au Caire coûte deux ou trois fois plus cher qu'en Allemagne et ceci après la percée de l'Isthme de Suez. J'ai donc l'intention de réduire les deux instituts à leur moindre expression, c'est-à-dire pour le seul accueil des Européens et des Européennes qui s'apprêtent à l'Apostolat de la Nigrizia.


[3235]
Au Caire les Noirs sont chers (500 francs l'un), et déjà corrompus par les musulmans. Ici, ils ne coûtent presque rien, seulement entre 15 à 30 thalers, ils sont meilleurs, innocents et pas encore corrompus. Ainsi, alors que jusqu'à aujourd'hui les Instituts du Caire m'ont coûté 34.000 francs par an, j'espère qu'à partir de 1874 ils m'en coûteront le quart.

Outre la maison pour les garçons, à Scellal nous possédons 12 feddan de bon terrain (64000 mètres carrés) : avec les dépenses de quelques machines pour pomper l'eau du Nil, nous pouvons obtenir la moitié des provisions pour ce poste de Mission. Mais il faut construire pour les Sœurs une maisonnette en granit oriental, comme les Obélisques de Rome, qui ont été tous taillés à Scellal ou à côté de Scellal. Donc, la maison coûtera peu ;l'église aussi sera en granit.

Les malades accourent à Scellal, venant même de soixante kilomètres, pour être soignés à la Mission.

Le 16 mars, en un seul jour, j'ai baptisé 4 enfants mourants, qui sont partis ensuite pour le paradis.


[3236]
La maison des Sœurs ainsi que l'église sont nécessaires à Khartoum. Cette ville compte à peu près 50.000 habitants, le climat s'est amélioré du fait des grands bâtiments et des jardins ont été créés dans la ville ; maintenant on peut y vivre presque comme dans les basses plaines véronaises et padouanes.

Depuis que j'ai fait occuper ce poste par mon Vicaire Général, Khartoum a un nouveau souffle de vie, et j'espère bientôt avoir une bonne communauté chrétienne. Actuellement il y a beaucoup de catéchumènes. Le jour de la Pentecôte j'ai donné la Confirmation à 34 personnes nouvellement converties.

Le catéchisme actuellement bat son plein, ainsi que la prédication et le ministère comme dans une paroisse de Vérone. Si Dieu nous donne vie, j'espère dans quelques années vous annoncer un excellent succès de cette Mission.

Ici, à El-Obeïd, où sont venus pour la première fois les Missionnaires catholiques dans la personne de Carcereri et Franceschini, mes explorateurs, une petite communauté chrétienne est déjà née.


[3237]
Nous avons notre propre maison et une belle petite église. Il faudrait des bâtiments pour l'enseignement scolaire et des ateliers pour les arts et métiers, puisque maintenant nous donnons les cours sous un grand arbre, et de 9 heures du matin jusqu'à 4 heures de l'après-midi il fait vraiment chaud.

Ensuite nous avons besoin d'une maison pour les Sœurs. J'ai actuellement ici avec ma cousine, religieuse de la Congrégation de Sainte Angela Merici, trois groupes d'Africaines qui habitent des cabanes en paille.

Les maisons ici sont des cabanes ; mais étant donné le nombre important d'incendies, l'on construit, par ordre du gouvernement, les maisons avec du sable car il n'y a ni pierres ni terre pour en faire des briques. Avant la saison des pluies ces maisons sont couvertes d'un mélange de sable et d'excréments de bœufs, et ainsi elles résistent aux pluies de l'année. Chaque année il faut renouveler cette opération. La maison et la chapelle que nous possédons actuellement coûtent 13.000 francs ; mais il y a une dépense de 6000 francs par an, entre poutres et boue, pour les entretenir. Ce sont parmi les plus solides et les plus belles maisons de cette capitale.


[3238]
Tout le mérite de cette Mission revient aux Pères Franceschini et Carcereri de l'Ordre de Saint Camille, lesquels avec l'accord de leur Général et un Rescrit Pontifical, se sont joints à moi. J'espère qu'ils resteront toujours comme ils le désirent, dans la Mission, pour laquelle j'implanterai plus tard un hôpital, comme je l'avais promis à leur Général ; cet hôpital sera une bénédiction de Dieu pour la ville, car, ici plus de la moitié de ceux qui sont gravement malades et parfois juste avant leur décès, sont jetés en dehors de la ville sans sépulture, où ils sont dévorés par les hyènes et les oiseaux.


[3239]
L'autre jour, ayant vu de mes propres yeux plus de soixante morts - tous des Noirs - jetés de cette manière en dehors de la ville, j'ai envoyé au Grand Pacha du Cordofan une lettre dans laquelle je lui ai proposé de donner l'ordre d'ensevelir tous ceux qui décèdent, puisque ces malheureux sont nos semblables ; et la coutume qui domine ici est contre la religion et la civilisation. Tout de suite la loi que j'ai voulue a été promulguée. Maintenant les courriers et les crieurs publics courent à travers la ville pour promulguer l'ordre, sous peine de punitions sévères. Parmi les convertis il y a le premier commerçant (Grec-schismatique) d'El-Obeïd qui a abjuré il y a déjà sept mois, entre les mains de mon Vicaire Général le Père Carcereri ; avec lui s'est convertie toute sa famille, et elle est maintenant exemplaire.


[3240]
Maintenant je vais vous parler de la plus douloureuse plaie qui accable mon Vicariat, c'est-à-dire l'esclavage qu'ici est à son apogée. Ceci à cause, d'une part de l'athéisme associé aux délires actuels des grandes puissances européennes, et d'autre part surtout à cause de la religion mahométane, qui promettra tout et souscrira à tous les traités des puissances européennes, mais rien que sur le papier, jamais dans les faits.

Par ma position je suis en mesure d'améliorer ce point. La Mission Catholique est une puissance au Soudan, et le grand mérite en revient au drapeau autrichien qui flotte au vent, sur la Mission.


[3241]
Tous les Pachas et les trafiquants d'esclaves nous craignent et essayent de nous éviter. J'ai déclaré aux Pachas de Khartoum et du Cordofan que je ferai conduire dans la Mission tous les esclaves que je trouverai en ville ou en dehors, qu'ils soient liés ou pas, et que je ne les rendrai plus. Déjà je retiens, une fois la vérité constatée, tous ceux qui se présentent à la Mission pour dénoncer les mauvais traitements reçus de leurs maîtres, et je ne les rends pas. Je me limite uniquement à dire au Divan qu'un tel ou un tel est retenu dans la Mission ; l'intéressé doit rester dans la Mission jusqu'à son procès et jusqu'à mon approbation ou celle de mon substitut si je suis absent.

Lesdits Pachas ou Gouverneurs qui savent qu'ils sont en fraude, parce que le premier trafiquant d'esclaves est le gouvernement, ne ripostent pas et m'accordent tout. A cette heure-ci j'ai déjà libéré plus de 500 esclaves. Les cornes du Christ sont plus dures que celles du diable, disait l'Abbé Mazza.


[3242]
Mais oh l'horreur de l'esclavage qui triomphe en ces régions !

D'El-Obeïd et de Khartoum ainsi que du territoire entre ces deux villes passent chaque année plus d'un demi-million d'esclaves, pour la plupart des femmes complètement nues et enchaînées, mélangées sans aucun égard avec des garçons de tous âges, mais la plupart âgés de 7 à 18 ans. Ces esclaves sont volés et arrachés à leurs familles dans les tribus et royaumes situés au Sud ou au Sud-Ouest de Khartoum et du Cordofan.

Les trafiquants volent et parfois tuent les parents s'ils sont vieux, ou bien s'ils sont jeunes ils les emmènent avec leurs enfants. Tous passent par ici pour être conduits en Egypte, ou bien sur la Mer Rouge et être vendus ! Les femmes qui sont attrayantes, jouissent d'un traitement meilleur en vu de la prostitution, des harems ou pour d'autres services.


[3243]
Du Caire à Khartoum nous avons rencontré plus de 40 bateaux, remplis de femmes et d'hommes entassés comme des sardines. Au cours de notre passage dans le désert nous avons rencontré plus de 30 caravanes d'esclaves qui marchaient nus et à pied sur le sable ardent, les femmes avec leurs enfants, garçons et filles de 7 ou de 8 ans. Tous accomplissent ainsi un voyage qui normalement est fatigant même pour les plus robustes voyageurs avec leurs chameaux. On leur donne à manger, et pas tous les jours, rien qu'un peu de sorgho, ou de la "belilla" c'est à dire du maïs bouilli dans l'eau.


[3244]
Mais ce qui m'a fait, plus que tout, frémir d'horreur est ce que j'ai vu entre Khartoum et El-Obeïd : j'ai rencontré plusieurs milliers d'esclaves, surtout des femmes, qui plus est, mélangées avec des hommes et sans l'ombre d'un vêtement. Les plus petits jusqu'à trois ans, étaient portés par d'autres esclaves qui pouvaient bien être leur mère, et celles-ci étaient à pied. D'autres, par groupes de huit à dix, hommes et femmes, étaient liés par le cou à une poutre qui s'appuyait sur leurs épaules et qu'ils devaient porter. Ceci pour qu'ils ne s'échappent pas. D'autres, par groupes de dix à quinze, âgés de 8 à 15 ans, étaient attachés au cou par une corde de peau de chèvre elle-même reliée à une autre corde plus grande, tenue par un "giallaba" c'est-à-dire un marchand d'esclaves. D'autres encore étaient liés deux par deux par le cou aux extrémités d'une poutre.


[3245]
D'autres avaient la sceva, c'est-à-dire une poutre se terminant en triangle, attachée au cou de l'esclave, lequel devait marcher à pied en la traînant. D'autres avaient les mains et les bras placés en arrière liés à une longue corde tenue par une canaille. D'autres avaient les pieds liés par des chaînes en fer. D'autres étaient enchaînés de la même manière et portaient en plus des fardeaux et les bagages de leurs maître ; les vieux marchaient sans liens. Tous étaient poussés brutalement avec des lances et des bâtons lorsqu'ils étaient en retard dans la marche ou fatigués, et déjà quelques-uns tombaient de fatigue par terre. Alors les canailles les achevaient soit d'une bastonnade, soit avec leurs lances, ou bien les abandonnaient ainsi sur le chemin. J'en ai trouvé morts sur la route et nos pauvres Institutrices furent saisies d'horreur et de frayeur.


[3246]
Ceci est une bien piètre représentation de ce que je peux en dire. Vous voyez, Monsieur, l'un des devoirs de notre Mission.

Ici aucun traité, aucune puissance ne pourra abolir l'esclavage parce qu'il est permis par Mahomet, et les musulmans croient avoir le droit d'exercer l'esclavage. Il ne sera supprimé qu'avec la prédication de l'Evangile, et avec l'établissement définitif du catholicisme en ces contrées.

Le gouvernement qui a adhéré au traité de 1856, ne la fait que sur le papier, mais pas dans la pratique. Les Gouverneurs du Soudan sont les premiers à exercer l'infâme trafic dont ils perçoivent le gain, et les mêmes Pachas font des incursions chez les Nouba, chez les Teggala, au Fleuve Blanc, etc. ..., conduisant des troupes de soldats avec fusils, ils reviennent toujours avec sept ou huit mille esclaves !

Tout ceci est bien connu au Caire et au Divan et par le Vice-Roi et je crois par de nombreux consuls européens ; mais ils sont aujourd'hui tous corrompus, et le cri de douleur de ces peuples n'arrive pas en Europe, où dominent l'athéisme et la franc-maçonnerie. Ainsi, la désolation de ces contrées continue et continuera encore pour longtemps.


[3247]
Mais le Cœur de Jésus supplié par les âmes justes, ainsi que la charité des âmes riches et saintes qui secourent l'apostolat catholique en cette sainte et épineuse Mission, vont seuls sécher les larmes de ces malheureux peuples, pour le rachat desquels nous sacrifions notre vie. Vous voyez également de ce côté la grande importance de ce Vicariat Apostolique...


[3248]
L'ambassadeur d'Angleterre pendant le mois de décembre dernier est venu me rendre visite au Caire. Nous avons eu un long entretien et nous avons convenu de correspondre. Ma surprise a été grande lorsqu'il m'a dit qu'il n'était pas mandaté pour l'Afrique Centrale, qui est le plus grand théâtre de l'esclavage, mais plutôt pour Zanzibar et Mascate.

Il avait été chez le Vice-Roi d'Egypte et il était très content de l'audience, parce que le Khédive a loué sa mission philanthropique, et lui a promis tout de suite son appui ad hoc. Moi qui sais comment sont les affaires ici, je me suis tu, et je l'ai laissé dans sa bonne foi. Je lui ai seulement dit que les Turcs qui s'appuient sur les affirmations de leurs Muftis, interprètes du Coran, croient que l'esclavage est licite et méritoire, etc. ... Alors Son Excellence m'a répondu : "Croyez-vous que je réussirai dans ma mission auprès du Sultan de Zanzibar ?"


[3249]
Je lui ai répondu : "Monsieur l'ambassadeur, le Sultan vous recevra d'une manière splendide, il vous donnera une hospitalité digne d'un prince. Mais il refusera d'adhérer à vos désirs, parce que le Coran, étant d'après lui la parole de Dieu, n'interdit pas, mais au contraire permet le trafic de la chair humaine. Ou bien si le Sultan adhère à votre demande, et signe un traité avec Sa Majesté la Reine d'Angleterre, à peine aurez-vous quitté Zanzibar qu'il continuera lui-même comme avant, et le permettant aussi aux autres musulmans, le trafic des esclaves".

Son Excellence n'a pas été très satisfaite de mon opinion, mais elle m'a exprimé son espoir de réussir avec les lettres de son gouvernement et avec les canons. "Avec les canons oui - lui ai-je répondu - mais uniquement dans les zones où l'on entendra le grondement des canons."


[3250]
Nous nous sommes séparés amicalement après avoir déjeuné ensemble et avec sa grande suite, où se trouvait un Archevêque anglican connaissant parfaitement l'arabe et le perse et qui partageait mes opinions. Il était le secrétaire de cette Mission. Je ne sais plus ce qu'il en advint, parce ce que je suis parti en Afrique Centrale, mais je garde toujours la même opinion.

Seule la Foi du Christ établie au Centre de l'Afrique, le Sacré-Cœur de Jésus, Marie la Vierge Immaculée, et Saint Joseph, bien plus que la Reine d'Angleterre et le traité de 1856 de Paris, vont abolir l'esclavage...


[3251]
Pour finir, le Saint-Père Pie IX, qui a toujours à cœur cette Mission, m'a dit qu'il a prié et qu'il priera toujours pour moi.

Nous ici, en Afrique Centrale, après avoir prêché la Trinité, la Rédemption, et la Vierge Marie, nous allons tout de suite prêcher le Pape qui est d'autant plus grand qu'il est persécuté. Oh ! quelle joie de souffrir avec le Pape ...

Recevez tout le cœur de votre



très dévoué et humble

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






508
Père Camillo Guardi
0
El-Obeid
5. 7.1873

N° 508 (478) - AU PERE CAMILLO GUARDI

AGCR, 1700/33

Vive Jésus, Marie et Joseph !

El-Obeïd (Cordofan), le 5 juillet 1873

Très Révérend Père Général,

[3252]
J'aurais dû vous écrire bien avant pour vous parler de vos dignes fils et de mes chers fils et frères Carcereri et Franceschini. Je me suis finalement résolu à le faire lorsque j'ai pu avoir un aperçu général de leur travail apostolique sur le terrain, et voir de mes propres yeux tout ce qu'ils ont fait, afin d'en donner une exacte et consciencieuse description à leur vénérable Père, l'informant ainsi en pleine connaissance de cause.


[3253]
Sans parler de tout le bien que ces deux bons Pères ont fait dans mes Instituts d'Egypte, et dont je leur garderai ainsi qu'à vous une reconnaissance éternelle, je dois vous avouer que dans mon Vicariat (qui a épuisé les forces de plus de soixante Missionnaires) ils ont fait des merveilles.

En 17 mois ils ont redonné vie à la Mission d'El-Obeïd qui en raison de sa position géographique est la vraie porte de la Nigrizia et peut-être même le point d'appui le plus important pour implanter la Foi dans le cœur des nombreuses tribus qui se trouvent dans le Vicariat de l'Afrique Centrale.

En très peu de mois, ils ont fait ce qu'un bon groupe de Missionnaires ne ferait qu'en quelques années. En effet, avec les modestes moyens que j'avais pu leur fournir, ils ont implanté à El-Obeïd un poste de Mission composé d'une maison, d'une chapelle et d'un jardin pouvant suffire à toute une communauté en pleine activité apostolique. Ils ont fondé une petite communauté chrétienne, de telle sorte qu'ici l'on fonctionne comme dans une paroisse d'Europe ; avec leur digne conduite de travail, ils ont su gagner l'estime de tous les Pachas, des riches commerçants et de la classe la plus humble du peuple. Avec un courage que seules la Foi et la mission de Dieu peuvent inspirer, ils ont su faire respecter notre sainte Œuvre par les autorités turques et par les plus fiers ennemis de la Foi de telle sorte que l'on tient dans cette capitale qui compte plus de cent mille habitants, la première place par dessus tout.


[3254]
J'avais chargé le Père Stanislao de prendre possession, en mon nom, du poste de Khartoum parce qu'après ma nomination en tant que Pro-Vicaire tout dépérissait et l'on vendait le beau et le bon de ce qu'un jour fut cette richissime Mission. En trois mois seulement, alors que j'étais en voyage avec la grande caravane, il réveilla si bien l'esprit déchu de ces catholiques que maintenant nous pouvons compter sur eux pour construire l'édifice spirituel d'une petite et florissante communauté chrétienne catholique.

En un mot, le Père Stanislao est un vrai et saint religieux digne fils de Saint Camille, un valeureux Missionnaire, qui semble avoir reçu de Dieu des dons particuliers pour le difficile apostolat de la Nigrizia.


[3255]
Le Père Franceschini n'est pas moins bon que le Père Carcereri pour ce qui concerne les dons essentiels nécessaires pour constituer un vrai ouvrier évangélique, et il semble fait exprès pour l'Afrique Centrale. Il est doué d'un bon sens et d'une sagesse bien supérieurs à ceux de son âge.

En effet, il œuvre en homme expert et sûr de lui-même dans les situations les plus difficiles. En fin de compte, c'est un Missionnaire valeureux et qui a de l'expérience ; il est toujours un très bon religieux, amoureux de sa Congrégation Camillienne qui lui a donné la formation spirituelle.

Tous deux parlent et pratiquent couramment l'arabe et ont beaucoup appris sur la pratique apostolique du ministère, pendant les six ans passées en Afrique sous mon humble étendard. Ils sont si bien animés par l'Apostolat d'Afrique Centrale, que tous deux sont prêts à consumer toute leur vie et à verser mille fois leur sang pour le salut des pauvres Africains si tant est qu'ils aient votre autorisation et votre bénédiction, car ils vous appartiennent et gardent pour vous le plus sincère amour et la plus filiale vénération.


[3256]
Je suis resté très satisfait lorsqu'à Khartoum j'ai lu votre lettre, dans laquelle vous m'affirmez que le fait qu'un Ministre des Infirmes puisse assumer, là où les circonstances l'exigent, la charge de Vicaire Général ne va pas à l'encontre de l'esprit et des Règles de votre illustre Ordre.

Pour cela, au mois de mai dernier, par un Document ad hoc, j'ai nommé le Père Carcereri, mon Vicaire Général. Je viens de le laisser provisoirement à la tête de la Mission de Khartoum pour continuer et compléter l'activité qu'il avait déjà commencée au profit de cette communauté chrétienne.

Ici à El-Obeïd, bien que j'aie avec moi un Missionnaire de 40 ans de très bon esprit et de pensée avisée, j'ai nommé comme Supérieur de ce poste le Père Franceschini qui avec son jugement et sa prudence, plus ceux d'un homme de 50 ans, alors qu'il n'en a que 27, saura bien accomplir cette difficile et délicate tâche, ayant pour cela aussi une aptitude hors du commun.


[3257]
A peine arrivé avec ma grande caravane dans ma résidence principale de Khartoum, j'ai pensé mettre à exécution ad litteram ce que je vous avais promis d'une manière formelle. Il s'agissait de l'engagement de votre illustre Ordre en Afrique Centrale. Cela impliquait la fondation d'une Maison Camillienne dans un site ou une station qui aurait plu davantage à nos deux chers fils.

Cela se ferait aux conditions que vous m'avez exprimées, à savoir : une maison à vous, ainsi qu'une rente adéquate pour subvenir à la subsistance des missionnaires. Je suis actuellement en mesure de tenir les propositions que je vous ai faites à Rome.


[3258]
J'en ai donc parlé au Révérend Vicaire Général, le Père Carcereri qui m'a fait remarquer que deux Religieux seulement ne pourraient correspondre à toutes les conditions exigées pour bien constituer une Maison Camillienne.

De même je suis resté convaincu de ce que le Père Jean Baptiste Carcereri me disait à Vérone, c'est-à-dire qu'il serait bien plus facile et bien plus utile que ces deux Prêtres, Stanislao et Joseph continuent à travailler, encore pour un certain temps, unis à moi et sous ma direction pour le bien de la Mission.

Ils sont cependant fermes dans leur opinion, que s'ils pouvaient avoir d'autres confrères religieux d'Europe, ils pourraient bien réaliser votre désir et également le mien.


[3259]
En effet, tant qu'ils ne restent que deux, je vois qu'ils font plus de travail unis à moi que s'ils étaient seuls isolés dans une maison autonome ; ils feraient bien plus de travail si vous pouviez m'accorder la grâce de m'en servir à mon gré, selon les besoins du Vicariat. Il est certain qu'il est bien difficile de trouver deux Missionnaires, deux Religieux, d'un esprit et d'une fermeté tels que ceux de vos deux fils très dignes, pour un apostolat si dur et si malaisé tel que celui d'Afrique Centrale. Cela fait six ans que je les connais bien, et j'ai visité diverses Missions en Europe, en Afrique, en Syrie, aux Indes, et je sais ce que c'est qu'être Missionnaire. Je suis moi même Missionnaire d'Afrique Centrale depuis 16 ans et j'ai travaillé à côté des plus remarquables et des plus vaillants champions de l'Afrique Centrale ; c'est donc en pleine connaissance de cause que je répète que des Missionnaires comme Carcereri et Franceschini présentent de vrais caractères pour réussir à être des vaillants champions dans cette difficile et laborieuse vigne qui m'a été confiée par le Saint-Siège. Il en existe peu comme eux dans les cinq parties du monde.


[3260]
Ce sont d'excellents religieux qui vivent, dirai-je, comme s'ils étaient au noviciat. Donc je serais bien content si vous me les confiiez pour qu'ils travaillent unis à moi comme ils l'ont fait jusqu'à aujourd'hui.

Il semble évident que cet arrangement ne puisse durer éternellement mais seulement jusqu'au moment où, d'une part apparaîtra en Europe un horizon plus clair pour les Ordres Religieux, et spécifiquement pour l'Ordre Camillien, et d'autre part jusqu'à ce que je puisse bien démarrer l'Œuvre malaisée de mon Vicariat. Pour cela me sont très utiles l'expérience, les talents spéciaux et l'inébranlable constance de ces deux incomparables Religieux et Missionnaires, dont le zèle et l'action, ont besoin d'être freinés et ralentis bien plus qu'excités et enflammés.


[3261]
Pour cela je m'adresse à votre grande bonté et je vous prie vivement d'accorder à ces deux Pères, nos fils, la grâce de pouvoir travailler pour quelques années unis à moi et sous mon étendard. Ceci sera pour moi une grâce qui appellera sur vous ainsi que sur votre Ordre les bénédictions divines, parce que des milliers d'infidèles convertis, par ces deux-là, réclameront au trône de Dieu la conservation et le développement de l'illustre Ordre Camillien.


[3262]
Voici ensuite ce que je projette pour l'avenir et que je soumets à votre jugement. J'ai une ferme et une inébranlable certitude dans un triomphe proche de l'Eglise, ainsi que dans une florissante résurrection des Ordres Réguliers et de l'Ordre Camillien, qui déploiera ses drapeaux en France et en Afrique ; et ceci spécialement après le déchaînement des persécutions actuelles, et après l'avènement du Concile Vatican. Le noble et généreux programme de l'Ordre Camillien est conforme aux besoins actuels de nos temps, je dirai plus, il est un moyen très puissant pour gagner la sympathie des peuples et pour triompher des infidèles.


[3263]
Je suis donc prêt à réaliser ce plan contre tout obstacle, si j'ai l'accord de la Sacrée-Congrégation de Propaganda Fide à qui toute mon action est soumise. Mon Vicariat est plus grand que toute l'Europe, il est le plus étendu du monde entier et il est peuplé de plus de cent millions d'infidèles. Pour le moment, nous n'occupons que les portes de la Nigrizia ainsi que les limites du Centre du Vicariat où habitent de grandes tribus qui n'ont pas été encore contaminées par les disciples du Coran et pour lesquelles nous pouvons accomplir un grand bien.

Tous ceux qui veulent aller au Centre de la Nigrizia, où se trouvent des peuples encore vierges, doivent obligatoirement passer par Khartoum ou par le Cordofan.


[3264]
Ainsi, je suis prêt à constituer pour les Camilliens une maison qui convienne à leur spiritualité et à leurs Règles dans n'importe quel endroit de Nubie ou du Cordofan ou même dans des capitales telles que Khartoum et El-Obeïd ; une maison qui puisse servir de point d'appui, à l'intérieur de la Nigrizia, à une Mission Camillienne et qui pourra être confiée en temps opportun à Saint Camille.

Pour cet objectif les moyens financiers et matériels ne manquent et ne manqueront pas, car j'ai cette certitude de les avoir pour le présent et pour l'avenir, ainsi que les ont et les auront toutes les Missions du monde, car elles ont leur premier soutien dans ces mêmes Sociétés bienfaitrices d'Europe qui subventionnent mon Vicariat, ceci en plus des ressources que je trouve à l'intérieur même du Vicariat. Enfin, cette Providence qui tout au long des six années, lors des moments difficiles et calamiteux, a réussi à me donner un demi-million de lires pour soutenir et pour conduire mes Oeuvres, cette même Providence saura m'aider pour fonder en Afrique Centrale l'Ordre des Camilliens, lesquels ont eu tant d'importance pour la réussite de mon entreprise, contrariis quibuscumque non obstantibus (malgré tous les obstacles).


[3265]
Voici ce que je soumets à votre sagesse ainsi qu'à votre cœur.

Je me déclare prêt à faire ce que vous jugez opportun, ce que vous désirez et qui soit en mon pouvoir. La seule chose à laquelle je n'arriverais pas à m'adapter serait le rappel en Europe de ces deux champions de l'apostolat africain, ce qui constituerait une immense douleur pour moi et pour eux. Mais j'ai confiance en l'Immaculée Vierge Marie Reine de la Nigrizia, et en Saint Camille qui, par l'intermédiaire de mon cher Jean Batta Peretti de sainte mémoire, m'a ouvert la voie de l'apostolat africain en me plaçant à l'Institut Mazza à Vérone et m'a fait depuis 28 ans bien d'autres grâces. Ces deux chers êtres, objets de ma dévotion, me feront cette grâce pour le Vicariat de l'Afrique Centrale qui représente la plus grande et la plus laborieuse Mission de tout l'univers, et pour lequel moi-même et vos deux chers fils sommes disposés à donner cent fois notre vie.

Notre cri de guerre est celui-ci : "Ou la Nigrizia ou la Mort". Une telle entreprise est bien digne de Saint Camille et de nous aussi.

J'ai confiance en votre esprit et en votre grand cœur si ardent pour les âmes.

Avec respect et gratitude filiale, je me confie à vos prières et j'ai l'honneur de me déclarer dans les Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie



votre humble et dévoué Serviteur

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






509
Card. Alessandro Barnabò
0
El-Obeid
8. 7.1873
N° 509 (479) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SOCG, v. 1003, 732 - 733



N° 6

El-Obeïd, capitale du Cordofan,

le 8 juillet 1873

Eminent et Révérend Prince,



[3266]
Comme je vous l'avais mentionné dans ma dernière lettre du 5 juin, N° 5, le Pacha de Khartoum a mis un bateau à vapeur du gouvernement entièrement et gratuitement à ma disposition, pour que je puisse être transporté avec ma petite caravane sur le Fleuve Blanc jusqu'à l'endroit où l'on en descend pour nous mettre sur la voie qui conduit au Cordofan.

En effet, le matin du 8 du mois dernier, nous avons embarqué à partir du jardin de la Mission. Accompagné de mon Vicaire Général, nous avons parcouru en 18 heures à peu près 120 km. sur le Fleuve Blanc jusqu'à Tura-el-Khadra, non loin de la grande tribu des Schillùk ; en ce lieu j'ai trouvé le Supérieur de la Mission d'El-Obeïd qui était venu m'accueillir et m'accompagner dans mon voyage.

Ayant pris congé du Vicaire Général qui rentrait directement à Khartoum avec le bateau à vapeur, j'ai pris le chemin avec notre caravane composée de 19 chameaux ; nous avons traversé une forêt épaisse et des plaines ensablées parsemées d'arbres gommifères et nous sommes arrivés à la capitale du Cordofan en seulement neuf jours.


[3267]
Toute la colonie chrétienne est venue à ma rencontre deux heures avant mon arrivée, avec les coptes schismatiques qui occupent les premiers rangs au Divan ; après qu'ils m'eurent félicité, je suis entré dans la Mission ornée comme si c'était un jour de fête, accompagné du son des cloches et des notes harmoniques de la fanfare du Corps du Poste militaire (trois mille soldats entre cavaliers et fantassins), ainsi que de la joie des membres de notre Maison et de la petite communauté catholique de cette capitale peuplée de bien plus de cent mille habitants.

Je ne vous tairai pas que même le Grand Pacha du Cordofan (qui vu la grande distance du Caire, a de grands pouvoirs et est un petit roi) accompagné d'une troupe de soldats, de deux Généraux et des principales autorités de son Divan, est venu en grande pompe me rendre visite, m'offrant son amitié et sa coopération pour réaliser tout ce que je désire pour la civilisation et la bienfaisance, pour lesquelles, il le savait, j'étais venu.


[3268]
C'est le même Pacha qui ne voulait pas reconnaître, en avril dernier, la Mission catholique du Cordofan. Votre Eminence, au mois de juillet de l'année dernière, a eu connaissance de ce problème, ainsi que d'autres embrouilles consulaires, par une lettre de Monseigneur Ciurcia. Suite au Mémorandum que j'ai envoyé à Vienne au nom de Sa Majesté Apostolique l'Empereur François Joseph Ier, et après les lettres de recommandations que le Consul Austro-Hongrois sur ordre de Vienne a envoyées au Divan du Caire, et dont je me suis muni, le Pacha du Cordofan mais aussi celui de Khartoum et de Berber me firent les plus chaleureux accueils, et m'ont laissé seul arbitre pour faire tout ce que je désire en ce qui concerne les esclaves qui se présentent aux portes de nos Missions ; c'est un privilège que j'ai utilisé jusqu'à maintenant, en donnant la liberté à des centaines de malheureux qui gémissaient sous le poids du plus cruel et du plus arbitraire despotisme.


[3269]
La veille de mon arrivée dans la capitale du Cordofan, le Gouverneur Général de cette immense région a donné l'ordre d'abolir l'esclavage à El-Obeïd (ceci oralement et par écrit pour mettre de la poudre aux yeux des niais) ; lui-même a donné la liberté à plus de 200 esclaves de son Divan et de ses harems. A cet effet, le jour de mon arrivée dans cette capitale, le 18 de ce mois de juin, le marché des esclaves d'El-Obeïd a été fermé. L'on n'a plus vu les centaines et les milliers d'esclaves des deux sexes, dans l'attente d'un acheteur éventuel, entièrement nus, gisant liés étroitement par des cordes, les pieds enchaînés, les bras liés derrière le dos avec des chaînes en fer, et le cou serré par la sceva, (une longue poutre qui se termine en triangle, avec laquelle on serre le cou de l'esclave).


[3270]
L'esclavage est en pleine vigueur dans toute l'Afrique Centrale, malgré les divers traités des grandes Puissances Européennes, malgré les faux interdits des Pachas et des Gouverneurs du Soudan ; il me tient à cœur de vous en décrire les horreurs. Bien que dans ces contrées je jouisse d'une position favorable, bien que le grand prestige de la Mission soit en mesure d'être d'une grande utilité à la civilisation et de limiter la violence de cette plaie de l'humanité, c'est cependant une affaire qui exige une profonde réflexion ainsi qu'un examen très avisé de la Sacrée-Congrégation. Je vous écrirai à ce sujet plus tard mais maintenant je voudrais vous donner un bref compte-rendu de cette importante Mission du Cordofan.


[3271]
Je suis convaincu que la fondation d'une Mission à El-Obeïd, qui est peut-être la ville la plus peuplée du Soudan, a été une réelle inspiration de Dieu ; ceci surtout pour sa position très importante et stratégique. Cette Mission est la vraie porte de la Nigrizia. En trois jours et en allant vers le Nord-Ouest, l'on entre dans l'Empire du Darfour, en 15 jours l'on arrive à la résidence du Sultan, sans parler des autres tribus qui existent autour. En trois jours vers le Sud-Ouest l'on arrive dans l'immense territoire peuplé de millions d'âmes de la grande tribu des Nouba, qui n'ont jamais pu être assujettis par les armées égyptiennes et avec qui il semble facile de lier des relations à partir d'El-Obeïd. A dos de chameau et en un mois, d'ici, l'on arrive dans l'Empire du Bornù alors que de Tripoli, avec de grands dangers, il faut plus de cent jours. A El-Obeïd résident (ils sont déjà nos amis) les procureurs des commerçants et des Sultans du Darfour et du Bornù, qui par leur intermédiaire s'approvisionnent en étoffes et en d'autres articles européens.

Par ailleurs, le climat ici est très bon, la chaleur est bien moins gênante, moins forte qu'à Rome ; et l'on ne connaît point les fièvres et les maladies qui sévissent sur le Fleuve Blanc.


[3272]
Je suis toujours convaincu que cette jeune Mission d'El-Obeïd est bénie par le Seigneur. Nous avons une maison suffisamment grande pour accueillir une communauté de six Missionnaires, quatre Frères coadjuteurs et 20 étudiants.

Elle est composée d'écoles et de locaux pour les arts et métiers, avec une élégante chapelle pouvant contenir jusqu'à 100 personnes et un jardin potager qui nous fournit actuellement pour toute l'année les légumes pour la Mission.

Nous possédons en plus une petite maison annexée à celle-ci, où sont installées les jeunes catéchumènes africaines qui ont été confiées provisoirement aux soins de ma cousine Stampais (qui à vécu 5 ans avec nos Sœurs au Caire) ainsi que de deux Institutrices africaines que j'ai amenées de Khartoum. Cette petite maison peut servir aisément à quatre Sœurs et 30 élèves qui, conjointement à une autre Maison que je suis en train de négocier, en fait un établissement pour les Sœurs qui arriveront ici en octobre, cet établissement sera bien plus grand et plus confortable que celui des Sœurs de Saint Joseph sur la Place Margana à Rome.


[3273]
Les offices paroissiaux, les sermons, le catéchisme et l'instruction de chaque Fête sont ici en pleine essor, au profit des 30 catholiques qui composent cette Mission naissante. Parmi eux je fais mention du plus riche commerçant de la ville, un homme exemplaire qui, avec sa femme a abjuré le schisme Grec entre les mains des deux Pères Stanislao Carcereri et Joseph Franceschini, Camilliens, que j'avais envoyés l'année dernière au Cordofan en tant qu'explorateurs.


[3274]
Je dois vous dire, pour être juste, que la fondation de cette jeune Mission est due à ces deux très dignes fils de Saint Camille. Ce sont eux qui, avec les modestes moyens que j'avais pu leur fournir, ont entrepris l'exploration difficile du Cordofan, ont relevé la grande importance de El-Obeïd, ont créé ce Poste et ont mis sur pied la Mission, gagnant, grâce à leur sérieuse et édifiante conduite l'estime et la vénération de toute la ville, particulièrement des principaux employés et commerçants. Tous deux parlent, catéchisent et prêchent en arabe ; ils seraient heureux de pouvoir sacrifier leur vie pour la Rédemption de la Nigrizia.


[3275]
J'ai écrit au Révérend Père Général pour pouvoir établir une convention formelle qui soit conforme à ses souhaits et pour l'intérêt de l'Afrique Centrale, en vue de conserver, si c'est la volonté de Dieu, ces deux Missionnaires zélés et mûrs pour ce ministère difficile et épineux, soumettant ensuite tout cela à la Sacrée- Congrégation.

J'embrasse votre Pourpre Sacrée et je me déclare



votre très humble fils

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique






510
Abbé Bartolomeo Rolleri
0
El-Obeid
16. 7.1873
N° 510 (480) - A L'ABBE BARTOLOMEO ROLLERI

AVAE, c. 31





El-Obeïd, le 16 juillet 1873

Très Cher Abbé Bartolo,



[3276]
Pour la promotion au Sous-Diaconat, l'Abbé Stefano doit posséder un patrimoine suffisant, pour constituer une rente annuelle de 250 lires.

Si par hasard les démarches à faire pour ce dossier devaient retarder son ordination, je vous autorise à le faire ordonner Titulo missionis selon l'autorisation reçue ad hoc du Saint-Siège avec cependant l'obligation absolue, que l'Abbé Stefano retire chaque année le fruit de son patrimoine pour le donner à la Mission, puisque le Saint-Siège a accordé ce privilège exclusivement aux pauvres. Priez pour votre



Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale