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N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
761
Du registre des baptemes
1
Khartoum
1. 5.1878
N° 761 (722) - DU REGISTRE DES BAPTEMES DE KHARTOUM

ACR, A, c. 10/9



Khartoum, le 1er mai 1878

Liste des Baptêmes.



762
M. Eufrasia Maraval
0
Khartoum
5. 5.1878
N° 762 (723) - A MERE EUPHASIE MARAVAL

ASSGM, Afrique Centrale Dossier



N.1

Khartoum, le 5 mai 1878



Chère Mère Euphrasie,



[5100]
Il y a vingt jours que je suis arrivé à Khartoum après un bien long et pénible voyage. Une longue expérience m'a fait prendre les décisions suivantes concernant la facilité des voyages des Missionnaires et des Sœurs en Afrique Centrale. Ainsi, les voyages qui ont été si pénibles jusqu'à présent, deviendront dorénavant, pour les Missionnaires et les Sœurs, une promenade bien agréable et facile du Caire à Khartoum.


[5101]
1°. Les départs des Missionnaires et des Sœurs auront lieu seulement en septembre et en octobre, rarement en novembre. Il n'y aura jamais de départ dans les neuf autres mois de l'année.


[5102]
2°. Les Missionnaires et les Sœurs prendront toujours la route de Souakin sur la Mer Rouge bien que cela soit plus coûteux que sur le Nil, et ils ne prendront avec eux que leurs bagages personnels et les provisions nécessaires pour vivre jusqu'à Khartoum. Ainsi, les Sœurs pourront arriver à Khartoum du Caire en 40 jours, et elles trouveront toujours de l'eau dans le désert entre Souakin et Berber, ainsi qu'une fraîcheur agréable.


[5103]
3°. Toutes les provisions, la lingerie et les objets nécessaires dans les différentes Missions d'Afrique Centrale seront expédiés par une nouvelle société franco-égyptienne qui vient de se mettre en place dans tous les ports d'Europe et du Soudan égyptien, dont un des principaux ports est à Khartoum.


[5104]
En utilisant l'adresse suivante, toutes mes marchandises et colis ne payeront pas les frais de douane ni à Alexandrie, ni à Souakin, et c'est à cette adresse que la Maison Mère doit me faire parvenir directement les caisses et les colis que vous recevrez de Paris, de Lyon, et d'autres villes de France à mon intention.

" Au Consul du Royaume Impérial austro-hongrois à Alexandrie d'Egypte

pour Son Excellence Monseigneur Comboni, Evêque et Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale

à Khartoum."


[5105]
J'économise ainsi plusieurs milliers de francs chaque année.

Une terrible famine sévit à Khartoum, ainsi que dans tout le Soudan à cause de la sécheresse; et le dourah qui coûtait 7 francs l'ardeb, je l'ai payé 60 francs à Corosco et à Berber, et 45 francs ici à Khartoum,. Au Cordofan nous payons l'eau 1 franc la borma (4 litres), et le beurre qui coûtait un demi-franc le paquet, en coûte actuellement 2, et 3 à Corosco et à Berber. Mais mon économe, Saint Joseph sera le remède à tout. Des pièces tomberont par milliers de sa barbe.


[5106]
Venons-en à nous. J'ai trouvé nos quatre chères Sœurs de Khartoum en parfaite santé, surtout Sœur Xavérine qui depuis deux ans et demi n'a jamais eu de maux de tête, bien qu'elle travaille jour et nuit. Nos quatre Sœurs de Khartoum sont un miracle de dévouement et de charité. Sœur Xavérine est une véritable Mère; Sœur Germaine est le modèle de la véritable Missionnaire; Sœur Euphrasie est un ange; Sœur Henriette est une véritable Sœur de charité, et elle réussit tout. Ces quatre ont le véritable esprit de votre admirable Congrégation. Dans leur simplicité et leur dévouement, et sans bruit, elles ont supporté tous les travaux de cette difficile Mission. Elles sont comme 4 prêtres qui travaillent pour 8.


[5107]
Mais il faut avoir pitié d'elles. Il faut au moins 4 autres Sœurs pour Khartoum, en plus de la Mère Provinciale ou Supérieure Principale du Soudan qui visite les autres maisons; et il faut au moins 4 autres Sœurs pour les deux maisons d'El-Obeïd et de Malbès, en plus des 4 qui se trouvent au Cordofan. Vous devez donc envoyer pour le mois de juillet ou septembre 9 Sœurs (je vous en prie les larmes aux yeux), soit une Mère Provinciale ou Supérieure Principale et 8 Sœurs. Le Vicariat de l'Afrique Centrale est le plus vaste et le plus difficile de la terre; ici, l'œuvre de la Sœur est un sacerdoce. Là où il y a des Sœurs, la Mission est solide.


[5108]
Nous devons tout créer; par conséquent, les Sœurs de l'Afrique Centrale ont mille fois plus de mérite que dans toutes les autres Missions de l'univers entier.

La Congrégation de Saint Joseph, par son courage et son héroïque dévouement en Afrique Centrale, a gagné une immense réputation chez les esprits les plus élevés et les plus éclairés. Elle a eu ses épreuves dans la mort de quelques Sœurs victimes de la charité; mais après les épreuves arrive le triomphe.


[5109]
Les principaux obstacles qui empêchaient le progrès de la Mission et qui avaient troublé l'ordre du Vicariat sont à présent éloignés. J'ai également éloigné de Cordofan l'Abbé Policarpo qui avait accompagné les trois dernières Sœurs à Khartoum, et qui les avait fait souffrir. Je lui ai ordonné de venir à Khartoum, et d'ici je l'enverrai ensuite dans son diocèse.


[5110]
Vous verrez que la maison de Cordofan ira parfaitement bien. Je sais que Sœur Anne et Sœur Marie-Joseph ont demandé plusieurs fois à retourner en Europe, et ce n'est pas moi qui leur refuserai cette grâce; ces Sœurs ont beaucoup souffert, surtout Sœur Anne, en effet elles ont subi des injustices. Elles ont beaucoup travaillé pour la Mission, et elles possèdent beaucoup de vertus.


[5111]
Sœur Anne a enduré des souffrances et des humiliations très grandes, injustement, et elle a travaillé pour la Mission plus que deux prêtres. Sœur Marie a soutenu la Mission du Cordofan avec les autres Sœurs dans les moments les plus critiques; toutes deux ont beaucoup de mérite devant Dieu et devant l'Afrique Centrale, comme je l'ai dit au Pape et à Son Eminence le Cardinal Franchi. Puisque je connais mes sujets, j'espère trouver la maison du Cordofan sous la sage et douce conduite de Sœur Arsène, comme j'ai trouvé celle de Khartoum.


[5112]
Mais, pour l'amour de Dieu, cette année, envoyez-moi au moins neuf Sœurs. En Afrique Centrale, une Sœur travaille avec plus de mérite que dix Sœurs dans d'autres Missions parce que nous devons tout faire. Ici, nous sommes dans l'état même où se trouvait Marseille après la mort de Jésus-Christ, quand Saint. Lazare y est arrivé avec ses sœurs. Les Sœurs ont eu leurs épreuves et elles auront leur triomphes.

Les œuvres de Dieu doivent naître et croître au pied de la Croix. La Congrégation de Saint Joseph recevra mille bénédictions du ciel pour avoir été la première à venir en aide au Vicariat d'Afrique Centrale, qui est digne de son dévouement.


[5113]
Il y a eu des services funèbres avec de solennelles Messes de Requiem pour notre chère Mère Générale, à Vérone, au Caire, à Berber, à Khartoum, au Cordofan et sur notre grand bateau à Schellal où j'ai reçu la triste nouvelle (de la mort de Mère Emilie Julien). Nous avons ensuite célébré 65 Messes.

Je dois avouer, par souci de vérité pour les affaires, que je ne sais pas comment expliquer pourquoi la Convention n'a pas encore été établie entre la Mère Générale, nos Sœurs et moi.

La Mère Générale est arrivée à Rome pendant l'été, et nous étions parfaitement d'accord, il ne restait qu'à mettre tout par écrit. Il y a eu ensuite les journées de préparation à ma consécration épiscopale, la Mère Générale était malade et Sœur Catherine était décédée. Très fatigué après mon sacre, j'ai quitté Rome en y laissant exprès mon Secrétaire pour régler cette affaire avec la Mère Générale et Propaganda Fide.


[5114]
Mais malgré toutes les démarches de mon Secrétaire, et le plein accord de la Mère et du Cardinal, rien n'a été fait. Mère Emilie Julien a été une grande femme de l'Evangile, elle s'est présentée devant le tribunal de Dieu avec ses 43 années d'Apostolat consumées dans les Missions au service des âmes et de l'Eglise Catholique.

Quel Evêque, quel Patriarche peut se présenter devant Dieu avec tant de mérites, tant de travaux et tant d'œuvres accomplis pour l'Eglise et pour la Foi? Oh!, je crois que Saint Pierre a ouvert toutes les portes du Paradis à Mère Emilie , et qu'elle a été élevée aux plus hautes places du ciel.


[5115]
Mais les affaires de l'Afrique Centrale n'ont pas été réglées.

C'est à vous, ma bonne Mère, que le ciel a réservé de perpétuer l'existence canonique des Sœurs en Afrique Centrale, et c'est une mission bien différente de toutes les autres. Pour établir une Convention durable avec le Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale, je crois qu'il faudra faire ainsi: il faut que vous chargiez la nouvelle Provinciale ou Supérieure Principale d'Afrique Centrale, que, j'espère, vous enverrez en septembre prochain, d'établir avec moi ladite Convention, après avoir visité Khartoum, le Cordofan et le champ de travail actuel et futur des Sœurs. La Convention établie est celle que voulait la Mère, et que j'ai acceptée pour atteindre mon but; mais d'après le jugement de toutes les Supérieures et de toutes les Sœurs d'Afrique Centrale elle est inexécutable et impossible à observer en Afrique Centrale.


[5116]
Accordez-moi une bonne Supérieure Provinciale, et je ferai tout ce qu'elle voudra quelque temps après son arrivée en Afrique Centrale; moi, je veux le bien de l'Afrique, et de mes plus vaillants soldats; à savoir: le bien des Sœurs et de la Congrégation qui les a formées à l'apostolat.

J'espère que le Saint Esprit élira Mère Euphrasie Maraval au titre de Mère Générale, car vous connaissez mieux que personne toutes les Missions, qui sont les œuvre principales de la Congrégation. Vous avez été celle qui m'a sauvé les Sœurs du Caire en 1869, et vous serez celle qui me les gardera jusqu'à la fin du monde en Afrique Centrale.


[5117]
Cinq Sœurs de mon Institut de Vérone sont à Berber. Elles sont destinées à une nouvelle Mission que je vais bientôt fonder. Voici mon secret, basé sur une longue expérience de 21 ans. Dans une station (ou Mission) où se trouvent 6 ou 10 Sœurs, je peux ne placer que 2 prêtres missionnaires; et 2 prêtres avec 6 Sœurs dans une Mission d'Afrique Centrale feront davantage de bien qu'une Mission avec 12 prêtres et aucune Sœur. Cela est une vérité.


[5118]
De plus, ici une Mission sans Sœur est très dangereuse pour les Prêtres.

La Sœur est une défense, une garantie pour le Missionnaire ici où la femme est à l'état primitif! Ici, toutes les femmes sont sous l'autorité et sous la responsabilité de la Supérieure, et le Missionnaire n'a rien à faire avec les femmes, excepté l'administration des sacrements. Le Missionnaire ne s'occupe que des personnes du sexe masculin. Vous voyez bien que la mission de la Sœur en Afrique Centrale est un véritable sacerdoce. Envoyez ici beaucoup de Sœurs et votre Congrégation se développera et les candidates seront plus nombreuses en Europe.


[5119]
En attendant, je partirai pour le Cordofan à la mi-juin; écrivez-moi toujours à Khartoum, ma résidence épiscopale.

Je vous prie de m'envoyer le plus vite possible les deux Sœurs arabes que la Mère Générale m'avait promises à Rome et pour lesquelles je lui ai donné 1.000 francs comme pension du noviciat. S'il y a d'autres Sœurs, j'en serai très heureux.

Vous connaissez les conditions avantageuses que j'ai proposées à Mère Emilie pour la Provinciale, pour chaque Sœur et pour chaque Supérieure du Soudan.

Les 200 francs de Monsieur le Curé Capella que vous avez reçus et l'argent que vous recevrez encore, gardez-le pour le voyage des Sœurs au Caire.


[5120]
Transmettez mes respects à la Secrétaire Générale, à Sœur Ignace qui a promis de m'écrire, et au Révérend Père Supérieur;

Je serai toujours dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie

bien à vous



+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopolis

et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale.

Texte original français corrigé.






763
Manfredo Camperio
0
Khartoum
10. 5.1878
N° 763 (724) - A MANFREDO CAMPERIO

"Esploratore", II (1878), pp. 44-48



Khartoum, le 10 mai 1878



[5121]
Une circonstance très désagréable m'offre l'immense plaisir de m'entretenir un peu avec vous, mon aimable ami; votre amour pour la civilisation chrétienne des immenses régions d'Afrique Centrale, dont je suis l'Evêque et le Vicaire Apostolique, me lie à vous d'une amitié sincère et inaltérable.

Dans l'excellente revue "Esploratore", fascicule 9, page 278, j'ai lu votre bref article intitulé " L'esclavage, monopole du gouvernement ", que vous avez rédigé de bonne foi, en vous basant sur des informations fournies sûrement par d'excellents correspondants, mais qui cette fois-ci ont été mal renseignés.


[5122]
Puisque je suis sur place, et par ma charge, dans la position d'être parfaitement informé à propos de tous les faits et les démarches du Gouverneur Général du Soudan, Son Excellence Gordon Pacha, et puisque la vérité est la première caractéristique des informations d'un pays et de l'histoire, je crois que je suis dans le devoir absolu de rectifier auprès de vous, grand amateur de la vérité, certaines erreurs et informations qui se sont glissées dans votre article.


[5123]
Tout d'abord dans l'ensemble de cet article il apparaît que nos amis Gessi et Matteucci ont rencontré des difficultés avec le gouvernement de Gordon Pacha pour réussir leur expédition. Il n'y a rien de plus faux car, grâce à l'aide apportée par Gordon par l'intermédiaire de son représentant Osman, ils ont pu effectuer, avec toutes les facilités possibles, le difficile voyage de Khartoum à Fadasi, dernière localité de la domination et de l'influence égyptiennes sur les vastes possessions du Sud-Est.


[5124]
Ils ont parcouru cette voie avec, entre autres, des aides et d'importantes recommandations de Many bey, actuellement Mudir de Khartoum; qui a été pendant plus de 25 ans directeur des mines de Fazoglo et gouverneur des villes et des provinces qui se trouvent dans cette région, et c'est lui qui a réussi, après de nombreuses années de tentatives, à ouvrir des voies de communications avec Fadasi (dont le chef, sur son ordre, a été pendu sous ses yeux); cette localité n'avait jamais été atteinte par des Européens, sauf par Marno, qui avait pu arriver à Fadasi il y quelques années grâce à la protection de ce même bey et du gouvernement égyptien.


[5125]
J'ai lu à ce sujet beaucoup de lettres écrites à partir de nombreux endroits de cette région par nos chers Matteucci et Gessi pour M. Rosset, Vice-Consul d'Allemagne à Khartoum, et pour d'autres personnes, lettres dans lesquelles ils sont pleins de reconnaissance et de gratitude envers le gouvernement du Soudan.

Ils demandent au Vice-Consul d'être l'interprète de leurs sentiments auprès de Gordon, d'Osman et du Mudir de Khartoum. Je pourrais citer de nombreuses lettres, mais comme je sais que quelques-unes ont été expédiées à Alexandrie et à Milan, et que vous pourrez certainement les lire dans quelque journal, je me dispense d'en répéter le texte. Je me dispense aussi de parler de la grande protection accordée par Gordon Pacha et par le gouvernement local, aux Messieurs Junker, Von Lucas et Marno, car ce sujet a été traité en toute vérité et longuement ces jours-ci dans les journaux.

Au Soudan j'ai été témoin de toute l'affaire Marno; j'étais avec lui sur le bateau qui était allé le prendre à Berber par ordre de Gordon, qui mit gratuitement à sa disposition le vapeur de Berber à Khartoum et de Khartoum à Ladò.


[5126]
Le Gouverneur de Berber et celui de Khartoum ont reçu l'ordre, qui fut exécuté, de fournir largement à Marno tout le nécessaire et tout le confort aux frais du gouvernement; or il a été abondamment approvisionné, je peux le dire car j'étais moi-même avec lui à table et aux mêmes premières places, mises à notre disposition.

Quand Marno est arrivé chez les Bari, il a prétendu que Gordon mette immédiatement à sa disposition, je crois plus de cent soldats, et je ne sais combien de chameaux, etc. Gordon, en sa qualité de militaire, s'en est irrité, car il n'avait à sa disposition qu'un petit nombre de soldats, il n'avait pas les chameaux demandés et il possédait très peu d'argent. D'autant plus qu'en ces jours-là Gordon Pacha était vraiment gêné, parce qu'il n'avait reçu qu'un petit nombre des soldats qui lui avaient été destinés, et aucun des animaux qui lui avaient été promis en ma présence à Khartoum. Gordon était dans la totale impossibilité de satisfaire les prétentions exagérées de Marno. Toutefois, des plaintes vraiment inopportunes et injustes contre le célèbre Gordon ont vu le jour en Europe à propos de cette affaire.


[5127]
De plus, l'affirmation de l'article soutenant que, depuis que Gordon est au pouvoir, toutes les nouvelles provenant de l'intérieur de l'Afrique sont interrompues, est complètement fausse. La Mission catholique existe depuis 30 ans. A aucune autre époque les communications avec l'intérieur de l'Afrique n'ont été plus sûres depuis que Gordon est au pouvoir. Si Gordon n'avait rien fait d'autre, les travaux, qu'il a su accomplir pour faciliter les communications avec le Darfour, suffiraient largement, en effet aujourd'hui le service postal entre Khartoum et El-Fascer est sûr comme si c'était entre Milan et Naples. Sous Gordon, le télégraphe s'est développé d'El-Obeïd au Darfour; et il est actuellement en construction jusqu'à Fachoda et Ghalabat. Le service postal est quasiment régulier entre les lacs et Khartoum.


[5128]
M. Emin bey, sous la protection de Gordon, a déjà voyagé deux fois entre Khartoum et le Nyanza Victoria, et les Consuls de Khartoum, Messieurs Hansal et Rosset, ainsi que beaucoup d'autres personnes d'ici, ont des communications régulières avec la zone des lacs; et puisque après le kharif, j'irai moi aussi là-bas pour y implanter une Mission, ce sera surtout sous l'égide de Gordon que je pourrai le mieux réaliser mon entreprise.

C'est Gordon qui a installé huit postes militaires pour faciliter les communications avec le Nyanza Albert entre Ladò sur le Fleuve Blanc (à trois heures au Nord de l'ancienne Mission catholique de Gondocoro) et Dufilé; et notre Gessi, sous les auspices de Gordon, a fourni une aide remarquable pour réaliser ces postes, à savoir: Ladò, Regiaf, Beden, Kiri, Muggi, Laboré, Aiu, Dufilé. Il faut 7 jours pour parcourir à pied ces postes de Ladò à Dufilé.


[5129]
De Dufilé à Magungo, près de Nyanza Albert, on voyage avec le vapeur et il y a une distance de 120 miles. Les efforts réalisés par Baker et beaucoup d'autres pour ouvrir ces voies de communications sont bien connus.

Eh bien! aujourd'hui, on voyage en toute sécurité de Khartoum à Nyanza Albert comme de Milan à Genève. Tout ceci grâce à Gordon. De Nyanza Albert, puis de Victoria, Gordon a installé plusieurs postes, et à Regiaf sont déjà arrivés six éléphants indiens, destinés à transporter un bateau qui naviguera sur la totalité du lac Victoria,.


[5130]
La guerre et les obstacles qui interrompaient la libre communication entre Nyanza Albert et Nyana Victoria à cause de Kabarega, roi de Unyoro, ont aujourd'hui tous disparu. Le roi, grâce aux démarches de Gordon, est maintenant notre ami, et il laisse passer librement les voyageurs, surtout les Européens. Il a reçu, il n'y a pas longtemps, le colonel Mason dans son ancienne résidence de Missindi; Emin Effendi a été lui aussi reçu et aimablement hébergé par ce roi, et il est resté longtemps, pour faire ses études, dans la nouvelle résidence royale de Mpàro Niamogo ou Bogàia (selon les ambassadeurs du même Kabarega qui venait rendre hommage au gouvernement égyptien ici à Khartoum).


[5131]
Les voies de communications entre Nyanza Victoria et Khartoum sont aujourd'hui, grâce aux efforts de Gordon, tellement sûres et régulières, que Monsieur Wilson, actuellement chef de l'expédition de la Church Missionary Society, siégeant à Dubaga auprès du roi M'tesa, au lieu d'envoyer sa correspondance par Zanzibar, donne son courrier au Consul Hansal à Khartoum pour l'expédier à Londres; et dernièrement, ce même Consul (qui est aussi agent consulaire pour la France et l'Italie) a reçu un très gros paquet de lettres qui ont été immédiatement envoyées à Londres. Et c'est par cette voie que nous avons eu des nouvelles de cette expédition; un de ses membres était mort suite à une maladie près du lac Tanganyika et deux autres ont été massacrés par les habitants de l'île Ukerewe du Nyanza Victoria, etc. ; et maintenant l'on part à la recherche des autres, dont on ne sait plus rien.


[5132]
Bref, depuis le peu de temps que Gordon Pacha gouverne, les communications avec tous les endroits de l'intérieur sont une magnifique réalité. Avant, on ne savait rien du gouvernement; maintenant on sait tout, et Gordon protège les voyageurs mieux que n'importe qui avant lui.


[5133]
Quoi d'autre? Actuellement on est en train de préparer un plan pour que les voies de communications commerciales entre l'Europe et le Nyanza soient libres et directes. Ainsi on pourra embarquer des marchandises et des voyageurs, à Gênes, à Trieste, à Marseille à destination de Ladò, à des prix fixes et limités, en payant ou d'avance ou après, et les marchandises seront assurées jusqu'au lieu de destination. En correspondance avec les bateaux de Suez et de Souakin, il y aura des caravanes établies par Gordon entre Souakin et Berber, et les prix seront encore plus modestes que ceux qui sont pratiqués actuellement.

Cette nouvelle est de grande importance pour nos commerçants qui importent le caoutchouc et le tamarin de la haute vallée du Nil, car les frais de transports étaient jusqu'à présent très importants, que ce soit par Souakin ou par le Nil.


[5134]
De Berber à Khartoum, il y aura des bateaux à vapeur ou dahabié du gouvernement, et de Khartoum à Ladò, un autre bateau à vapeur; et de Ladò aux lacs, une liaison dont j'ai déjà parlé ci-dessus. Si, ce qui est certain, tout est mis en place (cette année), je ne ferai plus d'expéditions du Caire à Khartoum, et mes Missionnaires non plus; mais en embarquant à Suez, mes Missionnaires viendront à Khartoum avec cette entreprise; et les provisions pour mon Vicariat (dont l'expédition coûtait jusqu'à présent très cher) seront embarquées à Venise, à Trieste, à Gênes, à Naples, à Marseille, etc. et seront expédiées directement à Khartoum. Cette réalisation seule suffirait à elle-même pour donner du lustre au gouvernement de Gordon Pacha et le fait d'avoir mis en place des moyens de communication entre Khartoum et les lacs, malgré les nombreuses difficultés, suffirait à donner du prestige au gouvernement d'un roi.


[5135]
Cela dit, je voudrais ajouter une seule idée; Gordon n'a pas à ses côtés un nombre suffisant d'Européens pour pouvoir bénéficier d'une aide importante; il ne dispose pas non plus de moyens suffisants pour gouverner l'immense pays qui lui est confié, et pour réaliser sa très haute mission, il ne dispose pas d'une armée bien aguerrie, au contraire il a contre lui de nombreux éléments hostiles.

Pour éliminer peu à peu la traite des esclaves, il est aidé par les mêmes personnes qui étaient déjà dans le gouvernement, c'est-à-dire par les Mudirs, les sangiak, les pachas et les bey, qui auparavant autorisaient ou pratiquaient eux-mêmes l'infâme métier. Je suis de l'avis que c'est un vrai prodige, que le seul Gordon, avec la force tenace de sa volonté, ait réussi aujourd'hui à frapper la traite et l'esclavage.


[5136]
C'est un fait incontestable qu'aujourd'hui sur la route du Cordofan, de Fachoda, de Dongola et le long du Nil, on ne voit plus les caravanes d'innombrables esclaves que je voyais depuis 20 ans. L'esclavage continue et continuera encore pendant de nombreuses années, car pour le supprimer complètement il faudra plusieurs siècles; mais maintenant il est davantage circonscrit dans ses proportions, on peut déjà remarquer cela en Haute-Egypte et dans tout le Soudan. C'est un mérite particulier de Gordon, et c'est vraiment insensé de croire à l'histoire qui circule dans beaucoup d'endroits et qui affirme que le gouvernement, avec le consentement de Gordon, a envoyé au Bahr-el-Ghazzal des gens pour y capturer dix mille esclaves. Ce sont les inventions de ceux qui, ne pouvant profiter impunément du gouvernement, et ne pouvant plus, comme autrefois, faire des profits avec la vente des esclaves, cherchent à discréditer Gordon; mais la vérité doit triompher. Gordon Pacha est l'ennemi numéro un de l'esclavage, et à ce propos je pourrais présenter des faits incontestables. Mais cela suffit pour le moment .


[5137]
Quand j'aurai le temps, je vous écrirai à propos de l'esclavage qui s'est affaibli grâce à Gordon, auquel il faut reconnaître de grands mérites. Il faut être le témoin des luttes et des obstacles qu'il doit affronter pour libérer les esclaves dans un pays où l'esclavage est une plaie séculaire, dans un pays où la traite et l'esclavage constituent la principale source de revenus.

Depuis de nombreuses années nous luttons pour sauver des esclaves, etc., et nous pouvons mesurer l'ampleur des difficultés que Gordon rencontre et rencontrera pour réaliser sa haute mission.


[5138]
Et puis, mon très cher ami, il faut tenir compte de l'étendue des domaines que Gordon Pacha gouverne, en tant que hoccomdar, ou gouverneur général.

Il gouverne des régions qui s'étendent du Tropique à l'Equateur, de Souakin à l'extrême Darfour, Massaua, Berbera et Zeila, et aux pays récemment annexés par le gouvernement égyptien sur la Mer Rouge et à l'Est de Scioa.

Il y a quelques jours, par exemple, nous avons reçu ses télégrammes depuis Berber, hier depuis Massaua, etc. Sa mission n'est-elle pas actuellement extraordinairement vaste, laborieuse et difficile? Et quel genre de personnes cet homme doit-il gouverner? Je crois qu'il mérite beaucoup d'égards, même s'il ne peut pas faire tout ce qu'il voudrait, car, entre autres choses, il faut tenir compte de ce qu'il n'est pas toujours soutenu dans son travail.


[5139]
De plus, je pense que Gordon est un grand homme et qu'il est à la hauteur de sa grande, laborieuse et difficile mission; il faut souhaiter qu'il ne se décourage pas, mais qu'il persévère pendant de nombreuses années à son poste. L'humanité lui en sera reconnaissante.


[5140]
Nous attendons nos amis Matteucci et Gessi ici à Khartoum, parce qu'il leur a été impossible d'aller au-delà de Fadasi. Cette expédition n'a pas été bien organisée, et il y manquait un des éléments principaux de réussite: l'argent.

Je suis vraiment désolé, surtout pour Matteucci, sur lequel tout le monde comptait, et qui n'aurait pas dû revenir en arrière car c'était son premier voyage, mais cela n'a pas d'importance. Ils ont bien fait de rebrousser chemin et cette entreprise leur servira de leçon pour en réussir une de plus grande envergure la prochaine fois. Matteucci est un jeune très bien et plein de grands espoirs. Il a appris à voyager en Afrique Centrale, ce qui n'est certainement pas comme dans les autres parties du monde.


[5141]
Je suis convaincu que ce repli opportun et prudent le stimulera pour se préparer à de plus utiles et à de plus belles entreprise à l'avenir.

Quant à Gessi, je lui conseillerais de se mettre encore à disposition de Gordon, car ce dernier a pour lui de l'affection et de l'estime, puisque Gessi lui a vraiment été fidèle.

Matteucci de son côté doit réaliser un autre projet avant de voir à nouveau l'Europe. Actuellement, ils sont tous deux à Fazoglo. Il paraît qu'ils veulent visiter Ghedaref et Gallabat; mais moi, compte tenu du fort kharif, (saison des pluies) je leur ai conseillé de venir directement à Khartoum.


[5142]
Ils vous écriront tous les deux combien ils ont été bien reçus, aimablement traités et aidés par le gouvernement de Gordon, qui a mal accepté que notre très cher Gessi ne soit pas allé chez lui, dès son arrivée, pour lui rendre visite.

Mais il est de mon ressort de rapprocher ces deux là, et ce sera un bien pour Gessi et pour Gordon.

Enfin je termine cet écrit en vous félicitant pour le magnifique journal l'Esploratore, qui répond exactement au beau nom qu'il porte, et je vous remercie infiniment de me l'envoyer gratuitement et régulièrement. Quand mes nombreuses et importantes occupations et les aléas du climat (qui n'est certainement pas comme celui de la Lombardie) me le permettront, je vous enverrai des nouvelles du Soudan.


[5143]
On pourra passer librement à Fadasi quand j'aurai fondé une Mission à l'un des endroits les plus convenables que je suis en train de choisir dans le territoire qui entoure le Fleuve Bleu, et ce sera peut-être à Fadasi même; mais je ne pourrai pas faire cela avant d'avoir fondé les Missions que j'espère établir sur les lacs qui sont sous ma juridiction.

Vous savez bien qu'il y a une grande différence entre une exploration de voyageurs qui passent, comme un météore, dans les régions explorées, et l'établissement d'une Mission chrétienne stable avec les règles sages que nous avons, afin de donner aux Africains un bien durable, de changer leurs coutumes et de les former selon les principes de notre religion et de notre civilisation.


[5144]
Vous qui connaissez très bien l'histoire de l'Afrique Centrale, vous pouvez calculer, avec votre regard perçant les millions qui ont été dépensés, et les nombreuses explorations qui se sont succédé en Afrique Centrale depuis les premiers explorateurs jusqu'à Stanley en 1877.

Que reste-t-il de bon, de vrai et de durable qui ait réellement pu influencer la morale, la civilisation et le progrès des habitants d'Afrique Centrale? Presque rien! A part le souvenir des illustres explorateurs en Europe, quelques points géographiquement décrits, etc., mais pour ces peuples il n'y a eu presque aucun bien réel, aucun progrès dans la civilisation, ni progrès moral, intellectuel ou matériel. Ce sont les Missions catholiques qui diffusent et continuent à faire le bien; et les Missions catholiques de Khartoum, du Cordofan et du Djebel Nouba sont un insigne monument de la civilisation européenne existant actuellement en Afrique Centrale.


[5145]
Il est donc nécessaire que la science et la Religion s'embrassent, s'entraident et œuvrent ensemble pour l'amélioration, la régénération et la vraie civilisation qui doivent être le but du sublime élan visé par la science; sans parler des nobles efforts de nombreuses et illustres personnalités anglaises, italiennes, allemandes et américaines, il faut remarquer en particulier la très noble initiative du Roi des Belges, Léopold II, qui a été suivie par presque toutes les nations civilisées.


[5146]
Il est nécessaire de poursuivre avec une ardeur inébranlable et persévérante ce noble élan qui s'est éveillé en Europe pour l'Afrique Centrale, et il ne faut jamais abandonner les grands projets qui sont entrepris pour ce noble but à cause des terribles épreuves, des désastres et des difficultés que l'on rencontre.

Aux erreurs, aux désillusions et aux malheurs succédera l'acquisition d'une expérience pratique qui indiquera les voies et les moyens les plus efficaces pour atteindre le noble but; et si la constance domine l'esprit des principaux protagonistes, nous aurons un triomphe parfait.


[5147]
Il règne ici une terrible famine. Le prix des vivres a quadruplé; et le durra (maïs), principale nourriture du pays et des pauvres, qui coûtait 7 francs l'ardeb (sac en feuilles de dattiers) aujourd'hui ne s'achète pas à moins de 60 francs l'ardeb.

Vous pouvez maintenant imaginer quelles pertes me cause la famine simplement pour l'achat du durra, qui est la moindre des choses.

Chaque année, je dois acheter plus de mille ardeb de durra pour mes maisons et mes établissements... Au Cordofan, (j'ai reçu une lettre aujourd'hui ) l'eau coûte cher, et la semaine dernière elle coûtait 11 piastres, environ 3 francs la bormah (environ 4 litres); au Cordofan, où je possède trois établissements, l'eau est beaucoup plus chère que le vin en Lombardie. S'il en était toujours ainsi, patience! mais chaque jour, la pénurie d'eau s'accroît.

Je profite de l'occasion pour vous déclarer mon affectueuse estime et considération, et je me déclare

votre affectionné et dévoué ami



+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale






764
Appel pour la famine
0
Khartoum
12.5.1878
N° 764 (725) - A L'ABBE BARTOLOMEO ROLLERI

APPEL POUR LA FAMINE

ACR, A, C. 18/11



Khartoum, le 12 mai 1878

Appel à la charité catholique

pour l'affreuse famine en Afrique Centrale



[5148]
La famine! Ce terrible fléau, qui ravage depuis longtemps déjà certaines parties du monde, se fait vivement ressentir et produit aussi ses funestes effets en Afrique Centrale.

Quand je suis parti du Grand Caire, le 28 janvier de cette année, pour rejoindre mon Vicariat avec un groupe important de Missionnaires, de Sœurs et de Frères Coadjuteurs, je me suis rendu compte que la famine avait même envahi la fertile vallée du Nil et que la disette y régnait.

La campagne habituellement verdoyante en cette saison et offrant de luxuriantes moissons est maintenant désolée et déserte comme les chaînes des montagnes qui lui font face. Les nombreux fellah, qui habituellement étaient toujours en mouvement sur leurs nabars, sont maintenant assis, inertes sur la rive, et ils quémandent du pain aux passagers; même les propriétaires muets et silencieux sur leurs angareb, ne s'occupent plus du tout des travaux des champs. Tous les produits de première nécessité ont augmenté.


[5149]
J'ai remarqué que la misère s'accroissait au fur et à mesure que nous avancions. Arrivé à Corosco à la lisière du grand désert, j'ai craint de devoir rebrousser chemin, ou de devoir m'arrêter à cause du manque de chameaux. On me disait qu'ils étaient presque tous morts de faim, et c'est seulement grâce aux importantes recommandations de Son Excellence Gordon Pacha, gouverneur du Soudan, que par chance j'ai rencontré à Assouan, et grâce à ma vieille amitié avec le Cheikh ou grand chef du désert, que j'ai pu obtenir 50 chameaux, soit un tiers de ce dont j'aurais eu besoin pour traverser le désert, en les payant un prix exceptionnel. Et quels chameaux! Ils étaient tous décharnés, couverts de plaies et fatigués; ils ne pouvaient supporter que la moitié de la charge habituelle, et beaucoup sont tombés épuisés pendant le voyage, et ont augmenté le nombre des squelettes et des os blanchissant disséminés tout le long du parcours.


[5150]
Arrivé à Berber et à Khartoum, j'ai constaté que la situation était pire; le durra (maïs mangé habituellement dans le pays), que l'on payait avant 7 francs l'ardeb (sac), en coûte maintenant 50 et même 60. Le beurre est passé de 1 franc à 3 et même 4 francs la motte (45 grammes). Le lait est passé de 10 centimes la ghera (courge contenant environ 1 litre) à 1 franc. La viande qui coûtait autrefois 50 centimes le kilo, coûte maintenant 3 ou même 5 francs.

Que dire de plus! Au Cordofan, mes Missionnaires et mes Sœurs sont contraints d'acheter l'eau pour boire, pour faire la cuisine et pour laver, à 1 franc 50 ou 2 francs la borma (environ 4 litres); dans ces régions l'eau est donc plus chère que le vin ordinaire en Europe.

Les villages sont abandonnés par les populations affamées et désespérées, et le gouvernement local se trouve dans une grande débâcle financière car il ne peut percevoir les impôts ordinaires. La cause d'une si grande misère et d'une si épouvantable pénurie de tout ce qui est de première nécessité pour vivre a été l'absence des pluies l'an dernier. Personne ne se souvient d'avoir vécu une si grande sécheresse .


[5151]
Le Nil était à quelques mètres au-dessous du niveau habituel, les semailles ont donc été insuffisantes, et les récoltes très maigres. La misère est grande et menace de se prolonger, sans qu'on sache jusqu'à quand.

Les animaux ont été plus que décimés; les propriétaires n'ont pas d'argent, ni de semences, ce qui fait que la prochaine récolte de décembre sera vraiment très maigre, même si le temps change favorablement.

Nous avons épuisé toutes nos provisions, et dépensé tout l'argent pour nourrir les nombreux membres des établissements que nous avons à Khartoum, à El-Obeïd et au Djebel-Nouba.


[5152]
Nous avons secouru les nombreuses familles de nos chrétiens qui étaient tombées dans une grande indigence; nous avons aidé aussi, dans la mesure du possible, des musulmans qui se trouvaient dans une extrême nécessité, parce que, dans de pareils cas, la charité ne fait pas de distinction entre le Grec, l'Arabe et le Syrien; mais nous sommes désormais contraints de fermer la porte au nez de beaucoup de malheureux qui viennent nous demander du pain. Ceci nous cause des dégâts spirituels, empêche les conversions et pourrait aussi occasionner des défections car l'héroïsme de la Foi n'est pas l'héritage de tous les chrétiens et de tous les convertis.


[5153]
Si mon cœur s'est serré maintes fois en lisant les comptes-rendus qui parlent de la disette et de la famine, que mes confrères Vicaires Apostoliques, les Missionnaires, les gouverneurs et les voyageurs de Chine, de Mongolie et des Indes Orientales ont rédigés, vous pouvez imaginez combien je suis touché jusqu'aux entrailles en voyant se reproduire ces scènes sous mes yeux dans ces malheureuses régions qui m'ont été confiées!

Les œuvres de Dieu doivent toujours naître au pied de la Croix, les croix et les souffrances sont le caractère distinctif des saintes entreprises.

Le Saint-Siège a confié à ma faiblesse la formidable tâche de planter la Croix de Jésus-Christ parmi les innombrables tribus d'Afrique Centrale sur laquelle pèse encore le terrible anathème de Cham. L'heure de la Rédemption de la Nigrizia est arrivée, et l'actuelle souffrance qui opprime mon Vicariat, le plus vaste, le plus laborieux et le plus peuplé de l'univers, est l'un des signes indiquant que cette heure est arrivée.


[5154]
C'est pour cela que, sachant que d'importants secours sont envoyés par de nombreuses âmes dans les régions les plus lointaines du globe pour soulager les pauvres populations affligées par la famine, je m'adresse, plein de confiance, à la sublime charité qui enflamme le cœur des catholiques, et je les supplie vivement de bien vouloir jeter un regard de compassion aussi sur les malheureux fils de Cham , et de les aider par d'abondantes aumônes.

Tous les regards du monde sont aujourd'hui tournés vers l'Afrique Centrale; de nombreux états d'Europe et diverses sociétés envoient des explorateurs pour découvrir ces pays inconnus et y introduire les lumières de la civilisation; mais à quoi serviraient tant de sacrifices et tant de dépenses si on laisse ces populations mourir de faim?


[5155]
Ah! Je suis convaincu que, sensibles à ce cri d'immense douleur, de nombreuses âmes charitables se hâteront de soulager ces malheureuses populations de ces si funestes misères, et même si les Africains sont différents de nous à cause de la couleur, des mœurs et des pays d'origine, ils sont nos frères.

Que le Seigneur exauce mon humble et fervente prière, qu'il comble mes vœux et qu'il console cet immense et malheureux troupeau de l'Afrique Centrale que le Saint-Siège Apostolique à confié à mes soins.


[5156]
Sur ce sable aride gisent les os de nombreux missionnaires zélés, qui étaient la fine fleur du zèle apostolique et qui possédaient d'éminentes vertus;

j'ai eu l'honneur et la chance de partager avec eux les peines de l'apostolat le plus difficile et le plus laborieux de l'univers.

Oh! résonnent encore les noms vénérables de Gostner, Pircher, Woveider, Überbacher, Lanz et de tant d'autres fervents Missionnaires Prêtres séculiers et Franciscains du Tyrol, qui ont arrosé de leur sueur cette malheureuse terre d'Afrique Centrale,. Mais sanguis martyrum semen Christianorum. Par leur mort et leurs sacrifices, ils ont consolidé le difficile apostolat de la Nigrizia.

Je me recommande à leur intercession pour que d'autres généreux catholiques en imitent l'exemple, et pour que ceux qui restent dans leur pays concourent avec leur charité et leurs aumônes à soulager notre Mission.



De notre principale résidence épiscopale de Khartoum,

le 12 mai, fête de Saint Joseph, 1878.



(L.S.)

+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale




[5157]
P.S. J'envoie à l'Abbé Bartolo cet appel rédigé par l'Abbé Antonio et que j'ai approuvé et signé. Nous en avons envoyé une copie en France, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, etc. afin de vous donner des informations sur ce qui ce fait. Au demeurant il faut avoir confiance en Dieu, en la Vierge et en Saint Joseph; priez et faites prier.

Je vous salue tous aussi de la part de l'Abbé Antonio. Priez et travaillez, et Saint Joseph apportera des guinées.

Ecrivez à l'Abbé Paolo pour savoir s'il publie ou non les Annales, car l'Abbé Antonio lui a laissé tout le matériel nécessaire.

Je vous bénis.

Votre



+ Daniel, Evêque






765
Appel pour la famine
1
Khartoum
12.5.1878
N° 765 (779) - APPEL POUR LA FAMINE

APFL (1878) Afrique Centrale



Khartoum, le 12 mai 1878

Appel en français, semblable au n. 764.





766
Jean François des Garets
0
Khartoum
17. 5.1878
N° 766 (727) - A MONSIEUR J.-F. DES GARETS

APFL (1878), Afrique Centrale



N.2

Khartoum, le 17 mai 1878



Monsieur le Président,



[5158]
Je suis à Khartoum depuis un mois dans ma résidence principale.

Le voyage du Caire à Khartoum a été très pénible et a duré 72 jours. Arrivé à Assouan, qui est le dernier territoire d'Egypte et où commence mon Vicariat, j'ai eu le bonheur de rencontrer Son Excellence l'Hoccondar Gordon Pacha, Gouverneur Général de toutes les possessions égyptiennes au Soudan et sur la Mer Rouge, jusqu'aux frontières de Scioa, il m'a annoncé qu'il était impossible de trouver des chameaux car ils étaient presque tous morts de faim, et il m'a recommandé de retourner au Caire avec toute ma caravane pour prendre la voie de la Mer Rouge et de Souakin.


[5159]
Je ne voulais pas suivre son avis, je l'ai donc instamment prié de remuer ciel et terre pour trouver au moins les chameaux nécessaires pour transporter le personnel à Berber et à Khartoum. Gordon a été si gentil qu'il a envoyé plusieurs télégrammes, ordonnant au grand Chef du désert (Cheikh Calife) et aux Mudirs du Soudan de me donner 80 chameaux.

Arrivé à Corosco, j'ai trouvé un grand nombre de commerçants qui attendaient là depuis 4 ou 6 mois pour obtenir des chameaux. Mais, grâce à Dieu, on a pu choisir, en 4 jours, 50 chameaux parmi plusieurs centaines blessés et fatigués, et nous avons traversé l'Atmur jusqu'à Berber en 11 jours. J'ai envoyé les 180 chameaux composant le reste de la caravane par la voie de Dongola, et je les attends ici à Khartoum vers la fin du mois de mai.


[5160]
J'ai provisoirement installé 5 Sœurs de la Congrégation des Pieuses Mères de la Nigrizia à Berber, Congrégation que j'ai fondée à Vérone en 1872.

Ces Sœurs sont destinées à la Mission du Djebel Nouba où elles arriveront aux mois de décembre ou janvier prochains.

Voici leurs noms:

1. Sœur Térèsa Grigolini du diocèse de Vérone

2. Sœur Marietta Caspi " " "

3. Sœur Maria Giuseppa " " "

4. Sœur Concetta Corsi du diocèse de Trani

5.Soeur Vittoria Paganini du diocèse de Padoue .


[5161]
Elles sont l'avant-garde de la nouvelle Congrégation destinée à reprendre l'action apostolique dans de nombreuses contrées de l'Afrique Centrale. Que Dieu soit son inspiration et son guide.


[5162]
La Congrégation des Pieuses Mères de la Nigrizia de Vérone partage les travaux apostoliques de la femme de l'Evangile dans le Vicariat de l'Afrique Centrale avec la Congrégation des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition de Marseille, que j'ai destinées à Khartoum et au royaume du Cordofan où elles travaillent depuis de nombreuses années, avec une abnégation et un dévouement admirables, et où elles ont fait de grands sacrifices.

Pour mieux faire marcher l'œuvre de Saint Joseph, j'ai décidé avec Propaganda Fide et la Mère Générale de mettre une Provinciale ou Supérieure Principale dans la ville épiscopale de Khartoum, qui puisse exercer une pleine juridiction sur toutes les Sœurs et toutes les Supérieures des Etablissements de Saint Joseph existant et sur tous ceux qui seront fondés dans le Vicariat d'Afrique Centrale.


[5163]
Pour la prochaine expédition de septembre, j'attends la nouvelle Mère Provinciale pour remplacer l'ancienne qui est décédée l'an dernier, ici, à Khartoum; il s'agit de Sœur Emilienne Naubonnet de Pau, une femme admirable qui a passé 30 ans en Syrie et à Chypre comme Supérieure, et qui a fait tant de bien, surtout à l'époque des massacres et du choléra à Saïda.


[5164]
J'ai été reçu très solennellement lors de mon arrivée à Khartoum, autant par les chrétiens que par les musulmans. Cela a été un véritable triomphe de la Foi de Jésus-Christ et de l'Eglise Catholique.

J'ai envoyé du personnel pour renforcer les Missions du Cordofan et du Djebel Nouba; j'ai solennellement administré le Baptême et la Confirmation à plusieurs adultes et j'ai célébré la Messe pontificale le jour de Pâques. C'était la première fois que l'Afrique Centrale voyait son Evêque, le Vicaire Apostolique.


[5165]
Mais la poésie extérieure d'un brillant accueil, d'un bon nombre de conversions préparées et réalisées, la splendeur des Messes Pontificales, tout cela s'est rapidement transformé dans la prose d'une funeste disette, d'une affreuse famine qui sévissent dans une grande partie de mon Vicariat, ainsi que de dettes importantes qui ont été la conséquence de ces terribles fléaux.


[5166]
Dès que je suis rentré dans mon Vicariat à Schellal et en d'autres endroits je me suis aperçu d'une énorme différence de prix sur les articles de première nécessité. A Corosco, j'ai payé le maïs 65 francs l'ardeb alors qu'il coûtait autrefois un peu plus de 7 francs; il n'y avait pas de beurre, ni de viande. Je ne parlerai pas d'autres choses, mais je vous dit seulement ce que j'ai dépensé en plus pour les chameaux.

Auparavant, un chameau loué pour la traversée du désert coûtait 40 francs, et il pouvait porter 6 kantars (600 livres, soit 200 kilos) A présent pour louer un chameau il faut 70 francs et il ne porte que deux kantars (200 livres où 67 Kilos), et sur 10 chameaux loués, 3 au moins meurent en cours de route à cause de la faim et de l'épuisement.


[5167]
J'avais besoin de 80 chameaux pour mon expédition. En me basant sur les anciens prix j'avais donc pensé qu'avec 3.500 francs (outre le prix des chameaux, il faut compter un taxe de 4 piastres par chameau pour le gouvernement, et il y a aussi les deux khabirs - guides - et les bakchichs - pourboires -), je pouvais traverser le grand désert.

Mais puisque les chameaux ne pouvaient porter qu'un tiers du poids habituel, il a donc fallu tripler leur nombre, et presque en doubler le prix. Ainsi, au lieu des 3.500 francs qu'ils devaient coûter, j'ai déjà dépensé jusqu'à présent 12.000 francs, et je dois encore payer 4.000 francs à la fin du mois, au moment de l'arrivée de ma caravane de Dongola à Khartoum. De Khartoum au Cordofan, un chameau coûtait 7 mégids (33 francs); la semaine dernière, il a été bien difficile d'avoir des chameaux à 15 mégids chacun (70 francs).


[5168]
Or, je vous prie, Monsieur le Président, d'avoir la bonté de comparer ce que je viens de vous dire à propos des chameaux et ce qui est contenu dans mon Appel à la Propagation de la Foi et à la Charité Catholique (que, si vous le jugez convenable, je vous demande de faire publier par Monsieur Laverrière dans "Les Missions Catholiques", et cela le plus tôt possible); vous trouverez ci-joint l'Appel en question.

J'ai découvert qu'en mon absence, à Berber, à Khartoum et au Cordofan des dettes ont été faites s'élevant à 38.000 francs environ. J'ai tout examiné, et après un rigoureux examen, j'ai vu que les dépenses n'avaient été faites que pour le strict nécessaire, et que mes Missionnaires et mes Sœurs ont enduré les plus grandes privations, et de grands sacrifices; ils n'ont pas dépensé un seul centime inutilement. La cause de tout cela a été l'affreuse famine et la déchirante disette qui ravagent terriblement ces contrées.


[5169]
J'ai du mal à vous demander une aide extraordinaire de plusieurs milliers de francs, après les sommes considérables et les importants secours dispensés par la Propagation de Foi pour l'Afrique Centrale. Elle a donné vie à cette Mission si importante. Toutefois, en considérant la gravité des circonstances extraordinaires de la disette et de la famine qui ravagent mon cher Vicariat, j'ose vous adresser les deux prières suivantes:


[5170]
1. Je vous demande de m'accorder une aide extraordinaire pour cette année, outre l'allocation ordinaire que l'éminente charité de la Propagation de la Foi accorde à l'Afrique Centrale. Je serai très content de la somme que vous m'accorderez si, d'après le règlement et l'esprit de l'œuvre, mon désir était satisfait;

2. Je demande de permettre que le susdit Appel , si vous le croyez opportun, soit publié dans "les Missions Catholiques" par Monsieur Laverrière.


[5171]
Du reste, cette terrible épreuve, loin de nous décourager, augmente notre courage et nous a convaincus que c'est une chère et adorable croix que le Sacré- Cœur nous a accordée pour consolider la grande œuvre de la Rédemption de l'Afrique Centrale.

Oh! Quelle joie peut éprouver un cœur disposé à souffrir pour Jésus-Christ et pour le salut des âmes les plus abandonnées et les plus délaissées de la terre!

Il semble que Dieu a montré davantage d'amour et de sagesse en bâtissant et en formant la Croix qu'en créant l'univers. C'est la Croix qui sauvera l'Afrique. C'est la Croix qui nous fortifie et qui nous fait rester fidèles à notre cri de guerre: "Ou la Nigrizia, ou la Mort!"


[5172]
Nous prions continuellement pour la Propagation de la Foi afin que cette Œuvre divine prospère et puisse traverser indemne la difficile période que nous vivons.

Monsieur le Président, daignez agréer l'hommage de ma profonde vénération et de mon éternelle reconnaissance avec laquelle je serai toujours



votre dévoué serviteur

+ Daniel Comboni, Evêque

et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale




[5173]
P.S. Quand j'en aurai le temps, je vous ferai connaître les études qui sont actuellement faites pour une nouvelle démarcation des frontières de l'Afrique Centrale, dans le cas où les explorations des Missionnaires d'Alger obtiendraient quelques résultats en Afrique Orientale. Pour ouvrir un nouveau terrain à l'action apostolique de ces Missionnaires zélés, je suis bien content de pouvoir leur céder tous les territoires au Sud des Lacs Nyanza, afin de former deux grandes Missions, c'est-à-dire:


[5174]
1. Le Vicariat de Kazembé (empire ou réunion de plusieurs états, y compris le Lac Tanganyika);

2. Le Vicariat de Muati-Yanvo (empire ou réunion de plusieurs états qui sont à plus de 200 lieues de distance du Tanganyika).

Il est plus difficile de faire 200 lieues en Afrique Centrale que de faire le voyage de Lyon à l'Australie. Eriger une Mission catholique stable en Afrique Equatoriale requiert un travail de plusieurs années et de nombreuses épreuves, et c'est bien plus difficile qu'un simple voyage fait par des explorateurs comme Stanley, Burton, Livingstone, Speke, Grant, etc.


[5175]
Quand les bons Missionnaires d'Alger auront fondé et consolidé les deux grandes Missions, si je n'ai pas encore fondé la Mission des lacs Nyanza, nous traiterons alors cette affaire car il faut chercher avant tout la gloire de Dieu et le salut des âmes. Du reste, les lacs Nyanza sont l'objectif évident de l'ancienne Mission de Gondocoro et de la Sainte Croix, où j'ai passé deux ans en 1858, et de Gondocoro jusqu'au lac Nyanza Albert il n'y a que 8 jours de voyage.

Une grande partie du territoire des lacs est sous la domination égyptienne.

Gordon Pacha a transporté deux bateaux à vapeur de Khartoum; l'un fonctionne depuis deux ans sur le Nyanza Albert, et l'autre est déjà arrivé à Kubaga, capitale du royaume d'Ouganda, et résidence du roi M'tesa.


[5176]
Ce bateau, parti de Khartoum, est arrivé par le Fleuve Blanc à Rejaf (non loin de Gondocoro) et a été transporté par la piste de Fatiko à Kubàga (à trois heures de Nyanza Victoria), tiré par six éléphants.


[5177]
Après mon retour de la visite au Cordofan et au Djebel Nouba, en janvier ou février prochain, si la providence de la Propagation de la Foi m'accorde de l'aide, je partirai pour fonder une Mission sur le Nyanza Albert, car nous nous préparons à une fondation sur les lacs depuis longtemps.

Voici la route de Khartoum à Ladò (trois heures de Gondocoro) 15 jours avec le bateau à vapeur.

De Ladò à Reiaf, Beden, Kiri, Muggi, Lavoré, Ayù , Dufilé. De Ladò à Dufilé on marche à pied, car les chameaux et les ânes meurent et ce chemin se parcourt en sept jours.


[5178]
A partir de Dufilé il y a le bateau à vapeur, et après un jour de voyage, il arrive sur le lac Nyanza Albert et il s'arrête à Magungo où Gordon Pacha a établi un poste militaire. De Magungo on traverse le Royaume d'Unyoro par des stations fondées par Gordon Pacha, et par la voie de Bruli on va au lac Nyanza Victoria. De Khartoum à Nyanza Victoria, le gouvernement égyptien assure sa protection. De Zanzibar à Nyanza, le voyage est plus difficile, même si l'Eminent Roi de la Belgique m'a assuré qu'il était plus facile.

Des huit Missionnaires anglicans appartenant à la Church Missionary Society, qui sont partis en 1876 pour les lacs Nyanza et qui avaient 12.000 livres sterling par an, un est mort au Tanganyika, deux ont été massacrés sur l'île Kerewe du lac Nyanza Victoria, on n'a aucune nouvelle de quatre d'entre eux, et le huitième, M. Wilson, se trouve à Kubaga, résidence du roi M'tesa. Ce Missionnaire est en étroit rapport avec Khartoum et il envoie d'ici presque toute sa correspondance pour Londres.


[5179]
Sur les cinq membres de l'expédition belge, deux sont morts à Zanzibar; il s'agit de Crespel et de Maës.

Je souhaite que tout ce mouvement scientifique vers l'Afrique Centrale, sollicité surtout par l'immense zèle de l'excellent Roi des Belges, soit, après de nombreuses épreuves et expériences, pour la plus grande gloire de Dieu et des Missions catholiques.

Après une longue expérience, on sera convaincu que sans l'action directe de l'Eglise et des Missions catholiques, on ne pourra jamais civiliser l'Afrique Centrale. La Providence dirige tout vers le bien.

Votre dévoué



+ Daniel Evêque

et Vicaire Apostolique

Texte original français, corrigé.






767
Chanoine Giuseppe Ortalda
0
Khartoum
27. 5.1878
N° 767 (728) - AU CHANOINE GIUSEPPE ORTALDA

"Museo delle Missioni Cattoliche " XXI (1878), pp. 417-421



Khartoum, le 27 mai 1878



[5180]
Je vous envoie ce modeste Appel en vous priant vivement de le publier dans le "Museo delle Missioni Cattoliche" et en vous priant aussi d'invoquer la charité pour l'Afrique Centrale opprimée par une terrible famine.

J'ai écrit cet appel le 12 de ce mois, jour de la fête de notre cher Saint Joseph. Depuis, quinze jours seulement se sont écoulés, et la situation empire. D'après les lettres que j'ai reçues hier du Cordofan, je note que l'eau fait tellement défaut qu'on ne pourra plus l'obtenir du tout, même à un prix très élevé. Les pauvres Sœurs et quelques filles se lèvent à quatre heures de matin et vont chercher de l'eau aux puits; parfois elles doivent attendre jusqu'à 10 heures pour acheter une eau trouble au prix de 4 ou même 5 francs la borma (4 litres), soit plus d'un franc le litre d'une eau trouble, sale et salée, donc plus chère que le vin de Barolo.


[5181]
Vous imaginez, Monsieur le Chanoine, l'état de mon cœur, les dépenses extraordinaires, les dettes qu'il faut contracter pour donner à boire une eau boueuse aux Missionnaires et aux Sœurs; et nous avons de la chance quand nous réussissons à étancher notre soif avec de l'eau trouble. Ne croyez pas cependant que mon âme se décourage à cause de tant de souffrances. Non, "Ou la Nigrizia, ou la Mort!" Nous combattrons jusqu'au dernier souffle; voici mon cri de guerre. Cette désolation universelle de l'Afrique Centrale la plus vaste, la plus peuplée et la plus difficile Mission de l'univers, est une signe évident de la victoire, car la croix est le sceau de la stabilité des œuvres de Dieu, qui doivent naître toutes au pied du Calvaire; l'Afrique Centrale sera bénie et convertie par Dieu.

Oh! Que les croix me sont chères quand elles touchent là où ça fait mal, parce qu'elles sont des présages du vrai bonheur. Nous sommes dans la période de la Passion; le jour de la résurrection et de la vie surgira.


[5182]
Du reste, je mets toute ma confiance dans le Cœur de Jésus-Christ et dans Notre Dame du Sacré-Cœur, auxquels cette immense Mission est consacrée, et dans Saint Joseph, Patron de l'Eglise Catholique et de l'Afrique centrale, qui viendra sûrement à notre aide.

+ Daniel Comboni

Introduction à l'Appel pour la famine.






768
Chanoine Cristoforo Milone
1
Khartoum
27. 5.1878
N° 768 (729) - AU CHANOINE CHRISTOFORO MILONE

"La Libertà Cattolica", XII (1878), n. 139



Khartoum, le 27 mai 1878

Présentation de l'Appel pour la famine.





769
Card. Giovanni Simeoni
0
Khartoum
1. 6.1878
N° 769 (730) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI

AP SC Afr. C., 8, ff. 653-655



N.3

Khartoum, le 1er juin 1878



Eminent et Révérend Prince,



[5183]
J'ai reçu votre vénérable lettre du 28 mars dernier contenant les facultés renouvelées par Pie IX, souscrites le 27 janvier, et je vous en remercie infiniment.

Je ne vous parlerai pas dans cette lettre des activités et du réel progrès du Vicariat et du bien que l'on a réussi à promouvoir dans toutes les Missions. Presque tout mon travail actuel est consacré à contrecarrer, comme un vrai apôtre de Jésus-Christ, le terrible coup de la faim, de la soif et de la disette, porté par les épouvantables tribulations qui sévissent dans le Vicariat depuis plus de six mois, et j'essaie de porter remède aux conséquences.


[5184]
Les taureaux, les moutons, les chameaux sont déjà presque tous morts à cause du manque d'eau et de fourrage. Le durrah (maïs consommé par la population) coûtait avant 6 francs l'ardeb (sac), maintenant on le trouve avec difficulté à 60 francs. La viande, le lait, le beurre et les biens de première nécessité se trouvent difficilement et à des prix très élevés.

Dans le royaume du Cordofan, où nous avons trois établissements qui sauvent de nombreuses âmes, il est très difficile de trouver de l'eau trouble et sale, à trois francs la borma (vase contenant environ 4 litres); ainsi au Cordofan, l'eau pour faire la cuisine, pour boire et pour laver est plus chère que le vin des Châteaux Romains. De plus, depuis quinze jours, des épidémies de typhus et de variole sévissent à Khartoum et dans la Nubie.

Des centaines de villages sont déserts, et les populations affamées partent, errant, à la recherche de secours, les gens meurent de faim et de soif et tombent comme des mouches, les cadavres ne sont même pas enterrés.

De mémoire d'homme, on n'avait jamais vu une si grande famine au Soudan. Djebel Nouba est la seule Mission épargnée par un tel fléau. La cause de cette épouvantable disette, de la faim et de la soif est le manque ou l'insuffisance des pluies l'an dernier, et je crois que l'année prochaine sera terrible également car il n'y a pas de semences, et la récolte sera nulle ou très maigre.


[5185]
Les œuvres de Dieu doivent naître et grandir au pied du Calvaire.

La souffrance actuelle est une preuve supplémentaire que l'Œuvre de la Rédemption de la Nigrizia est une Œuvre de Dieu. Le Sacré-Cœur de Jésus et Notre Dame du Sacré-Cœur, auxquels l'Afrique Centrale est consacrée, protégeront leur œuvre.

J'ai épuisé toutes mes ressources pour soutenir toutes les Missions, et j'ai même trouvé une dette de plus de 40.000 francs. Depuis longtemps les dépenses ont triplé, bien que les musulmans et le Pacha aident la Mission.

Soyez assuré, Eminence, que Saint Joseph, l'économe de l'Afrique Centrale, d'ici un an, remédiera à tout et soutiendra la Mission.


[5186]
D'ici un an Saint Joseph me fera obtenir la balance des comptes non pas la balance emphatiquement promise par Minghetti, Lanzi, Sella, Depretis ou par d'autres de la mangeoire italienne, mais la véritable balance des comptes: c'est à dire que la Mission n'aura plus un centime de dette, et elle continuera son cours pour atteindre son noble but. Les meilleurs parmi mes Missionnaires partagent mes espérances, mon assurance, ma Foi.

En tout cas, nous prions avec toutes les conditions voulues par Dieu; et le célèbre petite et accipietis, est beaucoup plus sûr et certain que tous les traités et les Congrès des puissances du monde, et même du célèbre Congrès de Berlin qui aura lieu, paraît-il, pour modifier le traité de Saint Etienne.

J'embrasse votre Pourpre Sacrée, et je me déclare avec déférence



votre dévoué et respectueux fils

+ Daniel, Evêque

et Vicaire Apostolique






770
Père Stanislas Laverriere
1
Khartoum
5. 6.1878
N° 770 (731) - A STANISLAS LAVERRIERE

"Les Missions Catholiques" 477 (1878), p. 353



Khartoum, le 5 juin 1878

Bref billet sur la famine.