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N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
771
Card. Giovanni Simeoni
0
Khartoum
5. 6.1878
N° 771 (732) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI

AP SC Afr. C., v. 8, ff. 656-657



N.4

Khartoum, le 5 juin 1878



Eminent Prince,



[5187]
Avec cette lettre je vous envoie l'excellent et fort respectable Monsieur le Docteur Pellegrino Matteucci de Bologne qui, revenu d'une importante exploration sur le Fleuve Bleu, souhaiterait rendre hommage à Votre Eminence et obtenir une lettre de recommandation de votre part pour une audience spéciale de Sa Sainteté.

A cette fin, je peux dire avec un immense plaisir que ce Docteur Matteucci est un des explorateurs les plus distingués qui ait la profonde conviction que seules les Missions catholiques possèdent le secret pour introduire avec le temps et de façon stable la civilisation chrétienne dans les régions très peuplées de l'Afrique Centrale, et que les Missions des protestants ou les expéditions scientifiques ne peuvent pas obtenir les mêmes résultats.


[5188]
Il vient d'explorer le Fleuve Bleu, c'est-à-dire une partie du côté oriental de mon Vicariat jusqu'à Fadasi près des frontières des Galla; il les a visitées et par son exemple, il a fait respecter la bonne moralité et la dignité des Européens.

Il mérite donc l'honneur d'être admis à l'audience de Votre Eminence et de Sa Sainteté.

J'embrasse votre Pourpre Sacrée, et je me déclare avec la déférence la plus profonde

votre obéissant et dévoué fils



+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale



P.S Je prie Votre Eminence de parler avec le Docteur Matteucci des lacs Nyanza et de leur importance pour le Vicariat.






772
Un Cardinal
0
Khartoum
5. 6.1878
N° 772 (733) - A UN CARDINAL

AP SC Afr. C., v. 8, ff. 635-637



N.3

Khartoum, le 5 juin 1878



Eminent et Révérend Prince,



[5189]
Je prends la liberté de supplier l'immense bonté de Votre Eminence de bien vouloir recevoir le porteur de cette lettre, l'Illustre Docteur Pellegrino Matteucci, explorateur en Afrique Centrale, qui a parcouru une partie de mon Vicariat, c'est-à-dire la partie orientale qui est frontalière avec les Galla.


[5190]
Comme ce distingué explorateur a visité une partie très intéressante du côté oriental du Vicariat, il a pu se faire une idée de l'immense travail que nous avons réalisé, et de ce qui reste encore à faire; et après avoir vu tant de choses, il a été convaincu que seules les Missions catholiques peuvent réussir, grâce à leur action apostolique, à civiliser chrétiennement l'Afrique, les Missions protestantes et les expéditions géographiques et scientifiques ne seront pas en mesure d'atteindre un si difficile but, et ne pourraient obtenir de bons résultats que si elles s'aidaient mutuellement. Le Docteur Matteucci a publié d'excellents articles sur nos Missions qu'il a visitées, et il y en a même quelques-uns qui sont parus dans l'Osservatore Romano.


[5191]
Et puis il connaît parfaitement les raisons pour lesquelles il ne faut pas que les lacs Nyanza, ni le territoire entre l'Equateur et le 5ème degré de Lat. Sud soient détachés de l'Afrique Centrale; le Vicariat d'Afrique Centrale peut céder tous les royaumes et les empires au delà du 5ème degré de Lat. Sud aux valeureux Missionnaires d'Alger, qui pourront (après beaucoup d'épreuves et d'expériences) établir 3 ou 4 grandes Missions sur ces terres.


[5192]
J'ai prié l'Eminent Cardinal Simeoni d'obtenir au Docteur Matteucci une audience spéciale auprès de Sa Sainteté, et humblement j'adresse cette prière aussi à Votre Eminence.

Je vous remercie d'avance, j'embrasse votre Pourpre Sacrée et je me déclare avec la plus grande déférence

votre humble, obéissant et dévoué fils

+ Daniel Comboni, Evêque

et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






773
Léon XIII
0
Khartoum
5. 6.1878
N° 773 (734) A LEON XIII

AP SC Afr. C., v. 8,ff. 635-638



Khartoum, le 5 juin 1878



Très Saint-Père,



[5193]
L'excellent Docteur Matteucci de Bologne, explorateur de l'Afrique Centrale, profondément convaincu que seules les Missions catholiques peuvent réussir la difficile tâche de conduire à la vraie civilisation chrétienne une population de plus de cent millions de Chamites gisant encore ensevelis dans les ténèbres et dans les ombres de la mort, ce voyageur donc, qui revient d'une importante exploration sur le Fleuve Bleu qui appartient à ma juridiction, désire avec ardeur embrasser les pieds de Votre Sainteté afin de vous transmettre les sentiments de sa vénération filiale, et de vous expliquer l'importance de la sublime et laborieuse œuvre de nos saintes Missions africaines, et surtout de celle des lacs Nyanza, ou sources du Nil, à l'Equateur, qui est le principal objectif de la Mission de Khartoum.

Je m'y serais déjà installé si l'épouvantable fléau de la famine, de la soif, et de la disette, dont mon Vicariat était ravagé, n'avait pas épuisé toutes mes ressources.


[5194]
Au moins 9 Sociétés protestantes anglicanes en provenance de différentes régions, avec d'énormes sommes d'argent et beaucoup de matériel, se lancent dans cette direction. Mais je souhaite que nous ne tardions pas, avec l'aide divine, à opposer aux forces de l'erreur et de la fausse civilisation, le glorieux étendard de la vérité et de la croix, en rassemblant ces peuples dans l'unique bergerie du Christ.


[5195]
Le susnommé Docteur Matteucci étant vraiment digne de la grâce que j'implore, je supplie humblement Votre Sainteté de bien vouloir le satisfaire.

J'embrasse vos saints pieds et j'implore Votre Bénédiction Apostolique pour moi et pour tout le Vicariat...

+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






774
Card. Giovanni Simeoni
0
Khartoum
21. 6.1878
N° 774 (735) - AU CARDINAL GIOVANNI SIMEONI

AP SC Afr. C., v. 8, ff. 668-677 et 603-604



N.5

Khartoum, le 21 juin 1878



Eminent et Révérend Prince,



[5196]
Vous trouverez ci-joint une lettre que j'ai envoyée à Sa Sainteté, comme c'était mon devoir, après sa très rapide et prodigieuse élévation à la dignité Pontificale; cette lettre est ma profession de Foi et celle de mes trois Instituts en Afrique Centrale, je vous prie de bien vouloir la remettre au Saint-Père, et d'être aussi l'interprète de mes sentiments auprès de Sa Sainteté.


[5197]
Nous luttons avec résignation et courage au milieu du fléau de la famine. En Italie, quand le prix du pain est multiplié par trois, on parle de disette. Ici, le pain et les biens de première nécessité sont huit à douze fois plus chers que le prix ordinaire. Hier, par exemple, j'ai payé le durra (pain de maïs) onze fois plus cher qu'en 1875. Au Cordofan, l'eau est encore très chère. De mémoire d'homme, il n'y a jamais eu une si grande misère dans ces régions. Mais patience! Dans sa barbe Saint Joseph a des milliers, et des millions de francs et je l'ai assailli tellement de fois, je l'ai si souvent prié, que je suis sûr et certain que l'actuelle situation critique de l'Afrique Centrale, bientôt se transformera et deviendra prospère.

Le temps et les catastrophes passent, nous vieillissons; mais Saint Joseph est toujours jeune, il a toujours un cœur bon et il est droit, il aime toujours son Jésus, et les intérêts de sa gloire. La conversion de l'Afrique Centrale intéresse vivement et toujours la gloire de Jésus.


[5198]
Grâce à Dieu on travaille beaucoup au Djebel Nouba et au Cordofan, et j'ai de beaux espoirs. Là, il y a beaucoup de personnes qui sont prêtes depuis longtemps à entrer dans l'Eglise; mais je crois qu'il est prudent d'aller lentement, afin de pourvoir à l'avenir stable des catéchumènes, parce que nous avons à conserver la Foi au milieu de la société musulmane.

En quinze jours seulement, au milieu de tant de croix, le Seigneur nous a donné de vraies consolations. Mettant de côté les enfants (infidèles) mourants envoyés avec le baptême au paradis pendant l'épidémie de typhus qui sévissait, et deux musulmans que j'avais baptisés et embauchés et qui se préparaient depuis quelques années, un riche commerçant grec qui croyait mourir, m'a appelé, et après deux visites, a abjuré devant moi etc. Je vous le dis en deux mots, la semaine dernière, en l'espace de six jours, le ciel a acquis trois âmes perdues qui se sont approprié la gloire éternelle du paradis.


[5199]
Dans la vaste province de Cadaref, vers les frontières de l'Abyssinie (où j'ai fait faire une exploration à mes Missionnaires pour y installer une Mission), un Grec de Smyrne, sujet autrichien, est mort l'an dernier, et il a laissé 7000 écus environ, trois concubines abyssines, et trois enfants illégitimes de l'une des trois femmes.

Le consul autrichien vendit tous les biens du défunt et envoya l'argent à la famille légitime de ce dernier à Smyrne. Le Consul laissa aux concubines l'or qu'elles possédaient, quelques haillons et des provisions. Ces trois concubines et les enfants, ayant tout dépensé à Cadaref, sont venues à Khartoum pour réclamer au Consul austro-hongrois une aide à prendre sur les biens laissés par le Grec, leur amant. Mais puisque les biens avaient été liquidés et l'argent envoyé à Smyrne, le Consul les a renvoyées.


[5200]
Il leur suggéra de s'adresser à la Mission catholique, mais elles ont déclaré qu'étant musulmanes jamais elles ne mettraient les pieds dans une église.

La disette sévissant à Khartoum, ces trois concubines ont été rejetées par les musulmans; et elles sont donc venues chez nous demander l'aumône. Etant donné leur situation et notre pauvreté, nous les avons hébergées pour 8 khorda (31 centimes) par jour. Pendant ce temps, nous avons envoyé les Sœurs s'occuper d'elles et leur instiller la Foi. Bref, elles sont venues toutes les trois au mois de mai pour me prier de leur faire obtenir quelques secours des héritiers de Smyrne, et m'ont déclaré qu'elles voulaient être chrétiennes avec les enfants.


[5201]
Pendant que je m'occupais de certains dossiers avec les Consulats, j'ai envoyé la Sœur arabe pour l'instruction catholique; et comme toutes trois (et surtout la mère des trois enfants qui a le bon sens d'une dame romaine) avaient du talent, elles apprirent très rapidement.

Quand l'une d'elles a été atteinte par la variole et le typhus, vu la constance avec laquelle elle demandait le Baptême en me suppliant, je l'ai fait baptiser mardi dernier, le soir elle a reçu le sacrement de la Confirmation, et elle est morte dans la nuit, toute contente.

La deuxième concubine mère des trois enfants avait assisté la défunte et fut atteinte elle aussi par la variole et le typhus, elle me demanda le Baptême et recommanda le garçon à mes soins, et les deux filles aux soins de la Sœur. Elle a été baptisée, confirmée, et dans la joie elle est morte le vendredi soir.

Le même vendredi, la troisième concubine est tombée malade, elle demanda le Baptême, fut baptisée, confirmée et, assistée par la Sœur et le Prêtre, elle est partie heureuse, lundi matin, pour le paradis.


[5202]
Ainsi ces trois Abyssines, qui avaient entre 20 et 24 ans, en quelques jours se sont emparées du paradis, et nous avons hérité d'un garçon et de deux filles que nous instruirons dans la Foi catholique. Que sont aimables et toujours adorables les jugements de Dieu! Par quels chemins, ces trois âmes perdues dans le vice ont trouvé celui qui les menait au ciel en six jours seulement! ces cas sont fréquents dans le Vicariat d'Afrique Centrale.


[5203]
Maintenant, quelques mots à propos de Nyanza. L'expédition de la Société de l'Eglise Ecossaise appelée à Nyanza par le célèbre explorateur Stanley, un ami à moi, et qui disposait de plus de 300.000 francs par an, semble devoir prendre fin après la mort au Tanganyika d'un des huit missionnaires anglicans et le massacre sur l'île de Kerewe sur le lac Nyanza Victoria de deux autres. Le Révérend Wilson, qui est resté un an auprès du roi M'tesa repart avec tous les autres en Angleterre, dit-on, pour ne plus retourner sur ces lieux.

Le Capitaine Etton, chef d'une autre Société anglaise, est mort non loin de Tanganyika. Maintenant, la société du Révérend Smith veut introduire l'artisanat en Afrique Equatoriale et elle menace de faire fureur.


[5204]
Son Excellence Gordon Pacha, Gouverneur Général du Soudan, de Massaua, de Zeila et de Berbera (possessions égyptiennes dans mon Vicariat qui forme un territoire cinq fois plus grand que la France) est venu à Khartoum, et il m'a raconté que 4 Missionnaires anglicans sont arrivés à Souakin, en route pour Khartoum, le Fleuve Blanc et les lacs Nyanza afin d'y fonder une Mission anglaise. Gordon Pacha m'avait déclaré à plusieurs reprises que, bien qu'étant anglican (il médite la bible au moins trois heures par jour, il vit sans femme comme un moine parfait et il prie beaucoup), il est convaincu que les Missions catholiques sont plus fructueuses et réussissent mieux que les Missions anglicanes et toutes les autres religions de la terre, comme il a pu le constater ici au Soudan et en Chine; cependant, la nouvelle des 4 Missionnaires anglicans qui viendront à Khartoum pour aller ensuite vers les Lacs Nyanza ne m'a pas fait très plaisir, je suis rentré à la maison fort soucieux. Je me suis préparé à renifler ces révérends Messieurs, comme un chien truffier, quand ils arriveront à Khartoum.


[5205]
Son Excellence le Général Gordon est venu me rendre visite, j'ai engagé la conversation sur les lacs Nyanza, et je lui ai dit clair et net "Mon cher Pacha, vous savez que toute l'Afrique Centrale avec les lacs Nyanza appartient à ma juridiction. J'ai l'intention d'établir le plus vite possible deux Missions catholiques, une sur le Nyanza Albert, l'autre sur le Nyanza Victoria. Mais je ne dispose actuellement d'aucun moyen, et j'ai même beaucoup de dettes que j'espère payer bientôt, parce que j'ai mon Saint Joseph que vous connaissez de nom, mais dont vous ne connaissez peut-être pas la vertu. Par ailleurs, je sais que vous êtes plus gêné que moi au niveau des finances, car vous avez beaucoup de dettes et vous ne pouvez même pas payer vos employés. Mais vous avez confiance en la Providence de Dieu. Je suis pauvre, mais je veux m'installer sur les lacs Nyanza et, d'une façon ou d'une autre, vous devez m'aider. Il suffit que d'Europe me parviennent les allocations pour les Missions actuelles de mon Vicariat. Mais ce ne sera pas aussi rapide pour les Missions des Lacs Nyanza; aidez-moi donc, vous qui avez bon cœur".


[5206]
Gordon me répondit: "Maintenant, je ne peux vous aider, ni vous, ni les Missionnaires anglais; à Souakin je leur ai dit que je ne ferai rien de plus pour eux que ce que je dois faire pour Monseigneur Comboni, qui est établi au Soudan depuis de nombreuses années, et qui a sous sa juridiction spirituelle les lacs Nyanza. Je suis bien disposé envers vous, mais je ne peux pas vous aider maintenant." Je lui ai répondu: "Vous savez que nous, les catholiques, nous sommes modérés, et nous avons l'habitude de réaliser avec 100 livres anglaises ce que les Missionnaires anglais font avec 10.000. Je ne demande pas grand-chose."

Il m'a alors répondu: "je verrai, j'y penserai"; et il est parti.

Je lui ai rendu visite une seconde fois, et il m'a demandé quand j'avais l'intention de faire l'expédition vers les Nyanza. Je lui ai répondu: "Je ferai l'expédition dans la période que Votre Excellence jugera la plus propice et la plus sûre". Il m'a rétorqué: "La saison la plus sûre et la plus propice serait après les grandes pluies, en septembre ou octobre". " Et bien, - ai-je ajouté,- je serai prêt à cette période. "Mais, - a-t-il ajouté, - iriez-vous là-bas vous-même? " Je ne peux rien prévoir maintenant; mais je partirai moi-même ou bien j'enverrai mes Missionnaires explorateurs ", ai-je ajouté.


[5207]
Nous n'avons plus parlé de ce sujet; mais au bout de deux jours, il m'a envoyé le Capitaine Gessi, nouveau chef de la prochaine expédition militaire sur le Fleuve Sobat qui se jette dans le Fleuve Blanc, au 9ème degré de Lat. N. (fleuve que j'avais vu en hiver 1859, il y a 19 ans), et le capitaine avait ce message: "dites à Monseigneur Comboni que je veux l'aider et que son expédition sera faite à mes frais, et à la charge du gouvernement, c'est-à-dire que je m'occupe du transport des Missionnaires et des bagages; il n'aura qu'à s'occuper de la nourriture".


[5208]
Le Capitaine Gessi m'a expliqué le projet de Gordon Pacha, c'est-à-dire transporter les Missionnaires de l'expédition catholique sur le bateau à vapeur de Khartoum à Ladò (800 milles environ); à Ladò ensuite, il mettrait à ma disposition des porteurs noirs du gouvernement pour transporter nos bagages sur les épaules et à pieds sur 120 milles jusqu'à Dufilé, - au bord du fleuve qui sort du Nyanza Victoria et arrive à Regiaf, formant le Fleuve Blanc- et il fournit en même temps les taureaux et les vaches pour le voyage du personnel. A Dufilé, il met à notre disposition le bateau à vapeur qui nous transportera le long du fleuve jusqu'à Magungo, ville sise sur le Nyanza Albert. Là, il met à notre disposition des pirogues pour naviguer sur le fleuve qui forme le Nyanza Albert, et qui sort du Nyanza Victoria (240 miles).

Bref, le Gouvernement et Gordon Pacha payent neuf dixièmes de toutes les dépenses nécessaires pour faire mon expédition catholique vers les lacs Nyanza.

J'ai remercié Son Excellence avec une aimable lettre en anglais, j'ai accepté son offre généreuse, et je prendrai aussi mes dispositions pour atteindre ce but important.


[5209]
J'ai maintenant 3 ou 4 mois pour réfléchir à cette importante entreprise, et pour préparer tout le matériel, car ce sera une exploration simple, mais soignée. Et puisque toute la charge que le Saint-Siège vient de confier à l'archevêque d'Alger, à mon avis, se limite à l'autorisation de faire une exploration en Afrique Equatoriale et aux lacs Nyanza, je ne crois pas que le Saint-Siège ait déjà érigé par un Décret Apostolique deux Vicariats pour les Missionnaires d'Alger, car pour cela il faut que soit présenté un dossier (ponenza) lors d'une Congrégation Générale des Eminents Cardinaux de Propaganda Fide, et il faut aussi une ratification du Pape, et tout cela aurait demandé beaucoup plus de temps.


[5210]
Je prépare actuellement un bref rapport détaillé et le plus exact possible pour Votre Eminence, dans lequel je traiterai des points suivants:

1. Nécessité et raisons de laisser les lacs Nyanza sous la juridiction du Vicariat d'Afrique Centrale.

2. Utilité ou nécessité de détacher de l'Afrique Centrale un grand territoire en Afrique Intérieure pour ériger deux nouveaux grands Vicariats à confier aux Missionnaires d'Alger.

3. Nouvelles lignes de démarcation des frontières méridionales de l'Afrique Centrale qui devront arriver seulement à la frontière méridionale des sources du Nil, qui sont les lacs Nyanza, c'est-à-dire au 4ème ou 5ème degré de Lat. Sud.


[5211]
Je ferai tout ceci rapidement d'ici la mi-juillet prochain, en me basant sur les informations les plus exactes et les plus sûres que l'on peut avoir.

Je souhaite que les Missionnaires d'Alger réussissent à fonder et à consolider les deux immenses Vicariats qui, à mon avis, seraient les suivants:

1. Le nouveau Vicariat de l'empire, ou états de Kazembe embrassant des millions d'infidèles n'ayant jamais entendu parler de Jésus-Christ, frontaliers au Nord avec le lac Tanganyika inclus, et au Sud et à l'Ouest, où s'étendent plusieurs milliers de miles.

2. Le nouveau Vicariat de l'empire, ou états de Muati-Yanvo qui s'étend à 500 milles environ à l'Ouest de Kazembe et de Tanganyika et qui contient de nombreux millions d'infidèles parmi lesquels n'a jamais pénétré l'Evangile. Si les Missionnaires d'Alger réussissent à consolider ces deux nouveaux et importants Vicariats, mais il faudra de nombreuses années pour cela, ils pourront alors penser aussi aux lacs Nyanza, et alors si le Vicariat d'Afrique Centrale n'a pas encore étendu son action apostolique sur ces régions, il pourra céder aussi les Nyanza aux Missionnaires d'Alger.


[5212]
J'espère que mon élève Antonio Dobale aura reçu les Ordres Sacrés, si Votre Eminence et l'Excellent recteur du Collège Urbain l'en ont jugé digne. Dans ce cas, si Votre Eminence le croit opportun, il pourra être envoyé à Vérone, d'où il pourra partir pour mes Instituts du Caire. Ce que Votre Eminence a décidé ou décidera, sera ma joie et ce que je veux, moi aussi.

J'embrasse votre Pourpre Sacrée, et je me déclare avec la plus grande déférence



votre humble et obéissant fils

+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale






775
Léon XIII
0
Khartoum
28. 6.1878
N° 775 (736) - AU PAPE LEON XIII

"Museo delle Missioni Cattoliche" XXI (1878), pp. 577-579



Khartoum, Nubie Supérieure

Fête du Sacré-Cœur de Jésus-Christ

le 28 juin 1878,



Très Saint-Père,



[5213]
J'aurais déjà dû présenter à Votre Sainteté le don total de mes sentiments les plus respectueux, de ma disponibilité et de ma dévotion sans mesure; car, lors de mon arrivée à Khartoum vers la mi-avril dernier, j'ai reçu la réconfortante nouvelle de votre heureuse et admirable élévation à la Chaire de Saint Pierre.

Mais les indicibles privations d'un voyage aventureux de plus de 77 jours du Caire jusqu'ici, l'épuisante traversée du grand désert par 60° de chaleur, et les difficiles travaux de mon laborieux Vicariat, que j'ai trouvé opprimé par le fléau d'une épouvantable famine, tout cela m'a conduit, sans m'en rendre compte, à renvoyer jusqu'à aujourd'hui mon respectueux et cordial don filial; je m'étais borné à vous faire transmettre mes hommages et mes félicitations par le vénérable Cardinal, Préfet de Propaganda Fide, et par le Cardinal, Secrétaire d'Etat.


[5214]
O ! Saint Père, permettez que, maintenant, tous les Prêtres et tous les ouvriers évangéliques membres de l'Institut des Missions pour la Nigrizia, les excellentes Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition, qui travaillent avec beaucoup de zèle dans mon Vicariat, et aussi les Sœurs Missionnaires élèves de mon Institut des Pieuses Mères de la Nigrizia, fondé à Vérone sous les auspices de l'Eminent Cardinal de Canossa, permettez donc que nous déposions à vos Saints Pieds, avec celui de tous vos fils fidèles éparpillés sur le globe, l'humble et vive acclamation avec laquelle nous vous saluons Pontife et Roi, Vicaire de Jésus-Christ sur terre, et digne successeur de l'angélique Pie IX, de ce Saint, de ce Fort, de ce Grand, dans lequel la toute-puissance et l'amour de Dieu ont mis et imprimé leur image si sublime et leur empreinte profonde.

Recevez les hommages les plus ardents de notre cœur, et aussi les sentiments les plus vifs et les plus sincères de notre soumission, humble, parfaite et illimitée, de notre respect et de notre affection.


[5215]
Vous êtes, ô ! Léon, l'élu de Dieu, le don précieux que son Cœur, dans les trésors infinis de son Amour pour l'Eglise, tenait en réserve pour la consoler de son funeste veuvage, dans lequel Votre Saint Prédécesseur l'avait laissée ; vous êtes le Grand Prêtre de la nouvelle alliance, l'expert nocher de l'Arche mystique du pacte éternel, en dehors de laquelle il n'y a pas de salut, Vous êtes le grand Centre de cette Unité Catholique, que le grand Pie IX a porté au sommet de sa perfection et de sa grandeur; Vous êtes la Pierre fondamentale de l'Eglise de Jésus-Christ, le Témoin sincère de sa révélation, le fidèle Dépositaire de sa doctrine, l'infaillible Interprète de ses oracles, le courageux Défenseur de ses autels, le juste Vengeur de sa loi, le légitime Propagateur de sa Religion, Le Lion jamais vaincu de Judas, qui triomphe de ses ennemis, l'Astre fulgurant qui répand la vraie lumière dans les ténèbres de l'univers, le Souverain Pontife, le Maître infaillible de la vérité, le suprême Pasteur des âmes, duquel le monde attend la paix, et qui réunira tous à l'ombre de l'unique bergerie de Jésus-Christ.


[5216]
Mais parmi ces âmes qui attendent du Vicaire de Jésus-Christ la bénédiction et la vie, il y a plus de cent millions d'infidèles, constituant le Vicariat d'Afrique Centrale qui est la Mission apostolique la plus vaste, la plus peuplée, la plus laborieuse et la plus difficile de l'univers.

Nous, les membres des trois Instituts susnommés, nous sommes prêts à endurer toutes les privations, tous les dangers, les climats enflammés et toutes sortes de peines et de fatigues qui accompagnent toujours notre périlleux et épineux apostolat, nous sommes toujours prêts à souffrir le martyre pour acquérir à l'Eglise Catholique une si vaste et si désolée partie du troupeau du Christ.

Toute notre confiance repose dans le Sacré-Cœur de Jésus-Christ, dans Notre Dame du Sacré-Cœur, dans Saint Joseph, et dans vous aussi, ô Pierre ressuscité ! , ô chef visible du Corps mystique du Verbe incarné! d'où jaillit la parole du salut et la source de la vraie vie.


[5217]
Daignez donc, ô ! Léon, poser, du haut de votre trône, un regard de compassion sur cette région délaissée du sublime héritage du Christ, à la Rédemption duquel nous consacrons notre cœur, notre âme, notre sang et notre vie; donnez à cette région une bénédiction spéciale qui la ressuscite, et qui la féconde de la vraie vie.

Je m'incline devant Votre Majesté Sacrée de Pontife et de Roi, et je renouvelle le don de mes sentiments les plus respectueux, de ma disponibilité totale et de ma dévotion sans limites; j'embrasse vos saints pieds et j'implore pour nous tous Votre Bénédiction Apostolique.



+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






776
Dr. Gustavo Frigotto
0
Khartoum
29. 6.1878
N° 776 (737) - AU DOCTEUR GUSTAVO FRIGOTTO

ACR, A, c. 15/162



N.1

Khartoum, le 29 juin 1878



Mon cher Docteur,



[5218]
Est-il vrai que l'angélique Nina, que j'aimais et que j'estimais beaucoup depuis 1852, c'est-à-dire depuis 26 ans, qui alors n'était qu'une enfant, a été rappelée au ciel par Dieu pour recevoir le prix de son innocence et de ses splendides vertus ? Tout cela me semble être un rêve. J'ai reçu cette nouvelle à Buré sur le Fleuve Bleu où j'étais allé changer d'air, et où j'irai encore.

J'ai étudié la nouvelle, je l'ai examinée, et j'ai fait des calculs généalogiques; Clémentine (que j'ai toujours prise pour la mère de l'Abbé Luciano) est Nina, votre fille, votre unique fille, tout votre bien et celui d'Angelina, sur laquelle on comptait beaucoup, et vers laquelle allaient toutes les pensées de votre vie.

Nina était un vrai ange, et je ne sais pas s'il existe une fille meilleure douée d'un si bon esprit, d'un si bon cœur, si instruite, excellente épouse et mère incomparable. Bref, que dois-je dire à mon cher ami le Docteur Frigotto?


[5219]
Que dois-je dire à Angelina ? Que dois-je dire à ce cher jeune Creazzo qui a mérité Nina ? Ah! J'avoue que c'est une pilule très amère, et qu'on en ressentira l'amertume pendant des années. Mais il faut avant tout que nous élevions notre esprit et que nous adorions toujours les adorables desseins de Dieu, ce Dieu qui a été toujours très aimé par cette âme pure qui était prête pour le ciel. Nous trouvons donc notre réconfort en Dieu, au Paradis, au centre des délices éternelles.


[5220]
Mais je vous répète que vous, Angelina et l'époux, vous pouvez vous consoler et trouver un peu moins d'amertume à être sur cette terre.

Votre consolation ce sont ces chers anges qui sont l'image vivante et le portrait de Nina. Vous me comprenez bien, et mieux que ce que je peux exprimer.

Tout, dans cette maison bénie, me rappelle l'image de Nina; et si je devais retourner à Lonigo, j'y verrais la présence de Nina, plus que dans le passé. Courage, cher Docteur, courage chère Madame, et cher époux; la Foi est profondément gravée dans votre cœur, vous avez une âme pure, un jugement droit et une Foi profonde. Levez les yeux au ciel, et que la prière continuelle et fervente pour Nina soit maintenant le lien qui permet la communication entre vous et elle: la Foi, la Foi! Oh! Que le Seigneur est bon.

J'ai déjà célébré deux Messes pour elle, et quand il fera moins chaud, nous ferons un service funèbre et je célébrerai d'autres Messes pour elle.


[5221]
En deux mots je vous dis dans quelle condition je me trouve actuellement. Je suis très heureux de souffrir pour le Christ et pour les âmes les plus délaissées de tout l'univers. Ma Mission est la plus difficile et la plus pénible du monde.

Mais j'espère qu'elle m'amènera là où se trouve Nina, parce qu'ici, il faut endurer le Purgatoire.

Après un voyage très fatigant du Caire à Khartoum, qui a duré 77 jours - il y avait dans le désert une température d'environ 60°, alors qu'il fallait rester plus de 17 heures par jour à dos de chameau - j'ai fait mon entrée solennelle à Khartoum, et l'accueil que j'ai reçu comme premier Evêque et Vicaire Apostolique du Soudan a été pour la Religion Catholique un vrai triomphe, du jamais vu dans ces régions. Mais la poésie s'est vite transformée en prose car j'ai trouvé tout le Soudan frappé par une épouvantable disette, il manquait même ce qui est le plus indispensable à la vie.


[5222]
Quand, en Vénétie, la polenta ou le pain coûtent quatre fois plus cher que d'habitude on parle de disette. Dernièrement (et il y a plus de cent personnes à nourrir rien qu'à Khartoum) j'ai payé le durra (maïs consommé par les pauvres) 67 francs-or l'ardeb (sac fait d'écorce de dattiers) alors qu'il coûtait habituellement 5 à 6 francs l'ardeb en 1875.

Les bêtes, les chameaux, les bœufs sont presque tous morts, et il n'y a pas de beurre, ni d'huile. Les 11 bœufs qui travaillaient dans mon jardin, par manque de foin se nourrissaient de durra; maintenant ils sont presque tous morts.


[5223]
Quoi de plus? Dans le Cordofan (où j'ai trois établissements de Sœurs et de Missionnaires), les pauvres Sœurs pour aller puiser de l'eau dans des puits lointains quittent la maison à 4 heures du matin, (car nos puits sont asséchés); elles doivent parfois attendre jusqu'à midi pour obtenir une eau noire et trouble à un prix de 75 centimes le litre. Au Cordofan on a vraiment du mal pour avoir de l'eau sale à boire, pour laver et faire la cuisine et à un prix plus élevé que celui du vin à Lonigo.

La cause de toutes ces calamités, que de mémoire d'homme on ne connaissait pas, c'est l'insuffisance des pluies l'an dernier.

Dans mes chambres épiscopales, il y a une température de 30 degrés; dans la chambre de Squaranti, il y a 32 degrés; et en dehors de la chambre il fait de 50 à 55 degrés. Imaginez donc le genre de vie que nous menons.

J'ai aussi trouvé les magasins vides et plus de 50.000 francs de dettes; j'ai épuisé toutes mes ressources, et maintenant je suis dépourvu de tout, sans ressources, et j'ai beaucoup d'établissements sur mes épaules, etc.


[5224]
Que faire? Celui qui a mis le pétiole aux cerises s'en occupera, parce qu'Il juge bien, Il a le cœur et la conscience droits, c'est son œuvre, donc Il s'en occupera lui-même, moi je ne suis que son serviteur.

Ensuite j'ai rappelé à l'ordre mon économe Saint Joseph, je lui ai notifié, sous la menace de m'adresser à son épouse si je n'arrivais pas à mes fins, que je voulais, d'ici un an, à partir du 12 mai, la balance de mes comptes, non pas celle de Lanza, Sella, Minghetti ou de Semits, l'actuel ministre italien des finances, mais un équilibre budgétaire; sinon j'irai voir la Vierge Marie, sa femme. Mais cela suffit.


[5225]
Je porte dans mon cœur tous les amis de Lonigo. Je dois écrire une lettre à l'Abbé Luciano, et elle doit être longue. Mais qu'il me pardonne mon silence. Je dois lui écrire.

Je ne dors jamais la nuit, je n'ai pas d'appétit, je suis toujours épuisé. Saluez le de ma part. Saluez tout le monde... Les Prêtres... Les laïcs... Les hommes... les femmes... Les bienheureuses... .Les religieuses... Le Révérend Archiprêtre... Angelina... L'époux.... Je me déclare



votre affectionné

+ Daniel Evêque

et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






777
Leopold II, Roi des Belges
0
Khartoum
30. 6.1878
N° 777 (738) - AU ROI DES BELGES LEOPOLD II

ACR, A,c. 15/54



N.1

Khartoum, le 30 juin 1878

(N.B.: à la fin de la lettre Comboni a écrit la date du 5 juillet 1878)



Sire,



[5226]
Le pénible voyage que j'ai accompli à une bien mauvaise saison avec toute ma caravane de Missionnaires et de Sœurs, les importantes occupations de mon ministère apostolique, les souffrances et les graves préoccupations qui m'accablent à cause du terrible fléau de l'affreuse famine et de la disette qui ravagent plus de la moitié de mon vaste Vicariat, ce qui a épuisé mes ressources pécuniaires et matérielles pour soulager en partie les plus grandes misères, tout cela m'a empêché de satisfaire mon grand désir d'écrire à Votre Majesté, et aussi d'entreprendre avec vous une correspondance épistolaire, ce qui sera utile aux intérêts de la civilisation de l'Afrique Centrale.


[5227]
Je voudrais d'abord avoir l'honneur de témoigner par écrit à Votre Majesté ma plus vive reconnaissance pour l'accueil généreux que vous avez daigné me faire l'après-midi de la Toussaint, l'an dernier.

Je voudrais aussi exprimer toute ma profonde vénération et mon admiration sans limites envers Votre Majesté, qui a inauguré une ère nouvelle pour la régénération des peuples les plus malheureux et les plus délaissés de la terre, qui a provoqué un mouvement providentiel dans toute l'Europe civilisée, et allumé un feu sacré dans tous les cœurs généreux pour qu'ils portent eux aussi leur collaboration aux grandes entreprises, non seulement scientifiques et civilisatrices, mais aussi religieuses et catholiques pour la Rédemption de l'Afrique Centrale.


[5228]
Cette œuvre est, sans comparaison possible, la plus charitable et la plus philanthropique de ce siècle, la plus intéressante et la plus digne du progrès et de l'élévation de l'esprit chrétien et humain, elle est aussi la plus urgente et la plus nécessaire pour accomplir les desseins adorables du Divin Rédempteur du genre humain, qui a proclamé la véritable liberté et la fraternité de tout homme, et qui le premier a aboli l'esclavage.

Je suis profondément convaincu, après un sérieux examen, que cette grande Œuvre réussira et produira peu à peu des résultats bien consolants, et qu'elle apportera, après une série bien variée et multiple de vicissitudes et d'expériences concrètes, d'immenses bienfaits à l'Eglise et à la civilisation chrétienne jusqu'à devenir la force des Missions Catholiques Africaines.


[5229]
Je suis très heureux d'avoir l'honneur d'être lié à Votre Majesté par un lien indissoluble d'âme et de cœur, créé par les mêmes, plus vives et tenaces aspirations à civiliser et régénérer cette chère Afrique Centrale, qui est la partie du monde la plus digne des sympathies et des regards de l'humanité entière, et à laquelle j'ai consacré mon âme, mon cœur, mon sang et ma vie; lien indissoluble entre l'auguste promoteur de la grande Œuvre de la Rédemption de l'Afrique Centrale, le premier Pasteur légitime et le premier Evêque et Vicaire Apostolique de cette même Afrique Centrale, bien qu'indigne et insignifiant, qui doit être avec tous les autres Missionnaires, le véritable exécuteur de cette Œuvre admirable que votre grande âme royale a proclamée, et que Dieu même vous a inspirée.


[5230]
Lien indissoluble enfin entre l'Afrique Centrale et cette chère Bruxelles, cette noble ville qui est devenue et restera toujours le véritable quartier général du mouvement civilisateur pour la régénération de l'Afrique Centrale.

La bonté de Votre Majesté est si grande qu'elle me permet de vous soumettre dorénavant humblement quelques petites idées que ma modeste expérience dans toute l'affaire africaine trouvera les plus efficaces et les plus appropriées pour le bien de la grande entreprise.


[5231]
Tout d'abord, la base de toute perspicacité pour diriger une grande œuvre, après en avoir constaté l'utilité, la nécessité, l'excellence et l'aspect sublime, c'est une inébranlable persévérance à travailler pour son accomplissement; c'est aussi de ne jamais reculer devant aucun obstacle, ni aucune difficulté, c'est de laisser le monde s'écrouler sans jamais quitter ou abandonner la grande Œuvre qu'on a entreprise.

Toutes les grandes œuvres rencontrent toujours sur terre des obstacles et des difficultés qui menacent souvent leur existence même.

Votre Œuvre, Sire, rencontrera aussi des obstacles et des oppositions énormes; il y aura des moments où vous serez poussé à l'abandonner. On vous donnera des motifs et des raisons magnifiques, plausibles et spécieuses pour l'abandonner.

Rejetez-les vite sans crainte et pensez que votre Œuvre est l'Œuvre de Dieu, que c'est l'Œuvre du siècle, l'œuvre qui régénérera cent millions de malheureux pour les rendre libres et heureux sur terre.


[5232]
Cette œuvre élèvera plus du dixième de toute l'humanité au niveau des nations les plus civilisées. La voix d'un roi catholique est très éclairée et très puissante quand il s'agit des grands intérêts de l'humanité.

Que Votre Majesté daigne adopter comme principe fondamental de sa grande Œuvre le principe d'une persévérance inébranlable afin de la réaliser sans jamais reculer devant aucun obstacle. Cette œuvre magnifique sera la pierre précieuse la plus brillante et la plus éclatante de votre diadème royal, elle sera la gloire la plus sublime, la plus durable et la plus solide de la Belgique.


[5233]
J'ai bien regretté la mort, à Zanzibar, de M. Crespel et de M. Maës. Je saisis cette occasion pour soumettre à la sagesse de Votre Majesté un des premiers articles de mon Plan pour la régénération de l'Afrique Centrale, Plan que j'ai soumis au Saint-Siège le 18 septembre 1864 et qui a été approuvé.

Cette modeste idée sauve la vie de trois quarts des voyageurs de l'Afrique Centrale. Il s'agit de fonder un poste de Mission pour acclimater les explorateurs avant qu'ils ne s'aventurent dans les régions brûlantes de l'Afrique Centrale.

Ce poste doit être situé dans une ville ou une localité dont la température soit un peu plus élevée que la moyenne proportionnelle entre l'Europe, ou la patrie des Missionnaires, et les régions intérieures de l'Afrique auxquelles ils sont destinés.


[5234]
Les explorateurs doivent passer dans ce poste au moins une ou deux saisons d'été, et ils doivent y mener une vie active, s'occupant surtout de l'exercice de leur profession, ou faisant tout ce qu'ils devront faire en Afrique Centrale.

Ils doivent aussi s'habituer petit à petit dans ce poste à un système de vie et à un régime alimentaire qu'ils devront suivre à l'intérieur du pays, ils devront s'habituer à diminuer convenablement la consommation de viande, de liqueurs et de vin, dont l'abus est très nocif en Afrique Centrale.

On s'habitue facilement à tout cela petit à petit, surtout ceux qui aiment les légumes, qui sont ici une nourriture très salutaire.


[5235]
Les hommes très robustes qui ne s'acclimatent pas dans ce poste sont les premiers à succomber; plus un homme est robuste, plus il a besoin de temps pour s'acclimater. C'est un axiome que j'ai souvent constaté et qui est bien peu connu en Europe.


[5236]
Autrefois, je tenais beaucoup à avoir en Afrique Centrale des médecins européens ayant complété leurs études et leurs stages dans les universités et les hôpitaux d'Europe. Je tenais aussi beaucoup à avoir des pharmacies fournies de toutes sorte de médicaments européens. Aujourd'hui, j'ai bien changé d'avis. J'ai moi-même fait des études complètes de médecine en Europe dans l'unique but de m'en servir en Afrique Centrale.


[5237]
Le médecin européen ne peut appliquer qu'en partie le système de la médecine européenne en Afrique Centrale; et la moitié des médicaments de l'Europe sont très nocifs pour les Européens en Afrique Centrale, et encore plus pour les indigènes.

Pour ces derniers, ici il y a les remèdes que le Créateur leur a destinés. On accepte les remèdes externes et tous les éléments de la chirurgie qui sont très utiles ici, ainsi que les principaux remèdes de la médecine européenne, comme la quinine, la Pulvis Doweris, la Digitale, l'Ipécacuana, etc.


[5238]
Enfin, il y a une dernière règle qui est capitale pour la grande entreprise de Votre Majesté: il faut choisir des explorateurs dont la moralité soit assez notoire (et à ce propos je suis sûr qu'il est possible de faire de beaux et magnifiques choix en Belgique et en Pologne) car, au lieu d'apporter la civilisation en Afrique Centrale, ils y apporteraient l'immoralité, le scandale et la haine contre l'Européen, ce qui, malheureusement est arrivé très souvent.


[5239]
Les Africains ont assez de finesse et de bon sens pour distinguer parfaitement les explorateurs européens des Missionnaires et des Sœurs catholiques, ils savent apprécier les bonnes mœurs; ainsi, quand ils voient un voyageur européen pour la première fois, ils cachent les femmes et les filles dans leurs cabanes ou dans le désert. Au contraire, quand ils voient les Missionnaires ou les Sœurs, ils s'approchent d'eux, ils les rencontrent joyeusement, et leur présentent leurs enfants et leurs femmes qui leur demandent des médicaments, de l'argent et qui leur apportent à manger.


[5240]
Je fais ici une petite digression qui ne sera pas inutile au jugement que l'on porte en Europe sur la population africaine.

En 1878, j'ai voyagé d'El-Obeïd, capitale du Cordofan, à Khartoum, avec le colonel Colston, ancien général de division américain, et qui était depuis 1874 chef de l'expédition égyptienne qui devait explorer le Cordofan et continuer son chemin en ligne droite vers l'Equateur jusqu'à Monboutou, mais qu'il a suspendue parce qu'il était tombé malade.

En tant que chef d'une armée, il était accompagné d'une trentaine de soldats, et partout où nous sommes passés pendant notre voyage de quatorze jours, nous n'avons vu presque personne; et à peine avons-nous trouvé quelques gardiens de puits pour obtenir de l'eau.


[5241]
Que la différence était grande entre ce voyage avec les soldats égyptiens et les autres voyages sur cette même route où je passais seul avec mes Missionnaires et mes Sœurs pour effectuer ma visite pastorale au Cordofan!

Je rencontrais alors à chaque instant d'immenses populations et des troupeaux de bétail; ils venaient vers nous pour nous demander des médicaments, et pour nous offrir des moutons, du durra et du lait.


[5242]
Pourquoi cette différence? Parce que lorsque l'Africain voit des gens armés, il croit que ce sont des soldats ou des Giallaba qui vont voler ses enfants et son bétail; c'est pour cela qu'il s'enfuit dans le désert avec ses enfants, sa famille et son bétail.

Le colonel Colston a fait un rapport à L'Etat-major égyptien qui a été imprimé et dans lequel il a évalué toute la population d'El-Obeïd et du royaume du Cordofan à 130.000 habitants... Je peux dire consciencieusement à Votre Majesté que la population du royaume du Cordofan dépasse bien un million d'habitants.


[5243]
Du reste, le plus grand obstacle à l'abolition de la traite des Noirs, de l'esclavage, ainsi qu'à la civilisation de l'Afrique Centrale, c'est l'Islam.

Les musulmans sont presque partout; et ce sont les musulmans ou les Noirs devenus musulmans qui sont les satellites des petits souverains des côtes ou les souverains musulmans eux-mêmes de l'intérieur de l'Afrique qui exercent l'horrible métier de la traite, et qui nourrissent et perpétuent l'esclavage.


[5244]
Je prouverai une autre fois à Votre Majesté que la route du Nil et du Fleuve Blanc est peut-être plus facile et plus convenable que celle de Zanzibar pour atteindre les lacs Nyanza. Je dis "peut-être" car avant de donner une réponse affirmative à ce sujet, je veux moi-même essayer cette route.

D'après les nouvelles que je reçois des lacs Nyanza, il semble que le mouvement des Missionnaires anglicans en Afrique Equatoriale soit très important.

Ils disposent de grandes ressources. J'espère que plusieurs d'entre eux travaillent pour nos Missionnaires catholiques, car l'aspect essentiel de la persévérance fait défaut à beaucoup d'entre eux.

Quatre Missionnaires anglicans arriveront ici à Khartoum dans quelques jours, et ils partiront aussitôt à bord d'un bateau du gouvernement pour Ladò, d'où ils poursuivront leur voyage jusqu'au lac Victoria.


[5245]
Le Révérend Wilson, chef de l'expédition des missionnaires écossais, qui a perdu deux compagnons, Smith et O'Nelly, massacrés par le Sultan de l'île d'Ukirui sur le lac Victoria, et un autre compagnon qui est mort de maladie près du lac Tanganyika, ce Wilson donc, va retourner en Angleterre par la voie de Zanzibar, bien qu'il ait envoyé toutes ses dépêches à Londres par la voie de Khartoum.

Gordon Pacha, général du Soudan Egyptien, de Massaua, Zeyla et de Berbera, résidant à Khartoum, vient de nommer Gouverneur Général du Fleuve Blanc et de l'Equateur Monsieur Emin Effendi (son véritable nom est Docteur Schnitzer; c'est un Allemand). C'est un bien brave homme que je connais parfaitement. Il se trouve actuellement près du Fleuve Blanc.


[5246]
Gordon Pacha a également nommé hier Monsieur Rosset Vice-Consul d'Allemagne et d'Angleterre à Khartoum, Gouverneur Général de Darfour, et il a nommé le capitaine Gessi chef des troupes du Darfour; mais ils n'ont pas encore accepté parce qu'ils voudraient être chargés de l'exploration du fleuve Sobat (que j'ai moi-même visité en hiver 1859, il y a presque 20 ans), pour découvrir des voies de communication entre le Fleuve Blanc et le royaume de Kaffa, chez les Galla.

Monsieur Mason a tracé une magnifique carte de sa circumnavigation du lac Albert. D'après cette carte la baie Béatrice de Stanley ne serait pas un golfe de l'Albert Nyanza, mais plutôt un nouveau lac, car la dernière pointe du Nyanza Albert est à environ plus de 70 miles anglais au Nord du golfe Béatrice.


[5247]
Son Excellence Gordon Pacha n'est pas du tout un bon administrateur, mais c'est un ennemi acharné de l'esclavage et de la traite des Noirs.

Je peux affirmer qu'il a porté un terrible coup à cette plaie honteuse dans beaucoup de régions dépendant de son administration. Par exemple, on trouve rarement des esclaves sur le Fleuve Blanc et sur les grandes routes et on ne rencontre plus les nombreuses et grandes caravanes d'esclaves que nous étions habitués à voir dans le passé dans la vallée du Nil, sur la route du Cordofan, sur le Fleuve Bleu et dans le désert de Souakin.

L'esclavage existe, la traite des Noirs existe et elle existera longtemps encore, mais elle se pratique en cachette de Gordon Pacha qui est très sévère envers les trafiquants de chair humaine.


[5248]
On peut donc dire que l'esclavage est un peu moins important pour le moment dans les possessions du Khédive au Soudan. Les trafiquants de chair humaine s'éloignent des routes principales pour s'enfoncer à l'intérieur afin d'effectuer des razzias, et ils s'emparent des pauvres Noirs pour alimenter leur infâme commerce.

Il faut dire que les Giallaba craignent beaucoup les Européens, laïcs ou Missionnaires, car ils savent que ceux-ci sont contre l'esclavage. Les postes scientifiques et hospitaliers et les explorations décrétées lors de conférences à Bruxelles seront toujours très utiles pour l'abolition de la traite des Noirs, et la présence des Missionnaires et des Sœurs est toujours comme une pierre lancée contre les Giallaba.


[5249]
Voici un exemple: après que j'eus fondé en 1874 une Mission dans la tribu du Djebel Nouba, qui est une vaste région sillonnée par les trafiquants de chair humaine où au moins 30.000 esclaves passaient chaque année, un des plus actifs et des plus grands Giallaba appartenant à la tribu des arabes nomades Baggara Omour, qui venait toujours me rendre visite à Delen pour obtenir des médicaments, s'est présenté à Son Excellence le Gouverneur du Cordofan et lui a dit: " tant que tu laisseras vivre ces cafres de chrétiens au Djebel Nouba, il nous sera impossible de payer notre tolbat (impôt annuel), car nous ne pouvons pas aller prendre nos farkhat (poules, nom inscrit sur les registres du gouvernement d'El-Obeïd, et qui signifie en fait jeunes filles esclaves) et nos khorfans et nos djonal (moutons et chameaux; noms inscrits sur ces mêmes registres officiels qui signifient petits garçons et esclaves adultes. En effet, jusqu'à l'an dernier et en cachette, les gouverneurs du Cordofan avaient toujours reçu comme tribut de ces peuples soumis une énorme quantité d'esclaves, au lieu de l'argent et du bétail) pour te payer ". En d'autre mots cela signifie: " nous ne pouvons pas voler et arracher nos esclaves afin de payer notre tribut ".


[5250]
En effet, depuis que la Mission catholique existe au Djebel Nouba, pas un seul esclave n'a été arraché de cette tribu, et les caravanes d'esclaves ne sont jamais passées par là; mais les trafiquants font leurs razzias chez les Djanghès ou à Dar Fartit, ils passent sur une route bien plus éloignée de la route habituelle, et plus courte que celle du Djebel Nouba.


[5251]
J'espère pouvoir fonder cette année une nouvelle Mission sur le Nyanza Albert, et une seconde l'année prochaine sur le lac Victoria.

Il est bien plus difficile de fonder une Mission catholique stable dans une localité d'Afrique Centrale que d'y faire une simple visite ou une exploration, comme le font les explorateurs.


[5252]
Les voyageurs et les explorateurs passent par ces endroits comme des météores, et ils ne rapportent que peu de vérité, car il faut du temps et connaître les langues, et c'est ce que surtout les Missionnaires peuvent faire en y restant longtemps, parfois toujours.


[5253]
Mais je ne sais pas quand je pourrai quitter Khartoum à cause des difficultés dans lesquelles me plongent actuellement l'affreuse famine et la disette qui accablent mon Vicariat. Nous achetons aujourd'hui le durra et les céréales à un prix dix fois plus élevé que celui de l'an dernier car les pluies ont été nulles ou insuffisantes l'an dernier.

Au Cordofan l'eau pour boire, pour laver et faire la cuisine, nous coûte plus cher que le vin en France. Mais la Providence y remédiera.


[5254]
Je prends la liberté d'envoyer à Votre Majesté la prière pour l'Afrique Centrale que Pie IX a approuvée.

Je vous m'excuse pour avoir écrit une si longue lettre. Je suis sûr que vous daignerez m'accorder un bienveillant pardon.

Je m'incline devant le trône de Votre Majesté, et je vous prie, Sire, d'agréer les hommages les plus respectueux de mon esprit et de mon cœur avec lesquels j'ai l'honneur de me déclarer à jamais



votre humble, dévoué et obéissant serviteur

+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale

Khartoum, le 5 juillet 1878.

Texte original français corrigé.






778
Père Henri Ramière
0
Khartoum
12. 7.1878
N° 778 (739) - AU PERE HENRI RAMIERE

"Messager du Cœur de Jésus" 34 (1878), v.2, pp. 323-326



Khartoum (Nubie Supérieure),

le 12 juillet 1878



Mon révérend Père,



[5255]
Ayant extrêmement besoin de l'aide du Sacré-Cœur de Jésus, souverain de l'Afrique Centrale, qui est lui-même la joie, l'espérance, le bonheur, et le tout de ses pauvres Missionnaires, je m'adresse à vous, ami, apôtre et fidèle serviteur de ce Cœur divin, si plein de charité pour les âmes les plus malheureuses et les plus délaissées de la terre.


[5256]
Oh!, que je suis content de venir passer une demi-heure avec vous pour recommander et confier au Sacré-Cœur les intérêts les plus précieux de ma laborieuse et difficile Mission à laquelle j'ai consacré toute mon âme, mon corps, mon sang et ma vie!


[5257]
Une affreuse famine, une extrême disette jointes à des maladies pernicieuses ravagent mon Vicariat depuis un an; à la suite de ces fléaux, toutes mes ressources sont épuisées, et je me trouve accablé par de très graves soucis.

Voici donc l'ardent désir que je veux vous communiquer: faites une recommandation spéciale aux amis du Sacré-Cœur dans le Messager, et incitez-les à prier ardemment pour mon cher Vicariat, pour moi, pour mes Missionnaires et pour mes Sœurs des deux Instituts de Saint Joseph de l'Apparition et des Pieuses Mères de la Nigrizia, tous au service de l'Afrique Centrale.


[5258]
Ces prières doivent avoir pour objet la conversion de mes chers infidèles, ainsi que l'obtention des ressources nécessaires pour toutes les œuvres du Vicariat. Ces suppliques ne doivent pas avoir pour but l'éloignement des croix, des souffrances, des peines et des privations extraordinaires que nous endurons, nous et nos Missionnaires; en effet la Croix et les plus grandes tribulations sont nécessaires pour le maintien, la stabilité et le progrès des œuvres de Dieu, qui doivent toujours naître, croître et prospérer au pied du Calvaire.

Oh! Qu'il est beau de souffrir autant pour Jésus et pour les âmes les plus délaissées de la terre qui nous sont confiées par le Vicaire de Jésus-Christ. Le Cœur divin et adorable de Jésus nous aide énormément et nous fortifie dans la Croix.


[5259]
Les prières doivent donc avoir pour but de faire prospérer et développer l'Œuvre de la Rédemption de mes cent millions d'infidèles, sans que le manque de ressources empêche son développement. Mon cher Père, vous avez bien compris ma pensée que je ne suis pas capable de bien exprimer.

Je vous prie aussi de traduire en français ma première lettre à notre Très Saint Père Léon XIII que j'ai envoyée le 28 juin dernier, jour de la fête du Sacré-Cœur; il faudrait aussi la publier dans une des livraisons du Messager, car cette lettre est une espèce de profession de Foi, de moi-même, de mes Missionnaires et de mes Sœurs à l'intention du nouveau Souverain Pontife. Je vous l'envoie avec le titre suivant: Monseigneur Comboni et l'Afrique Centrale aux pieds de Léon XIII.


[5260]
Je vais vous dire maintenant deux mots sur mon Vicariat, au sujet duquel j'ai fait un petit travail historique publié l'an dernier dans Les Missions Catholiques de Lyon, à partir du numéro 13 du mois d'octobre dernier.


[5261]
Quand j'ai été nommé Pro-Vicaire apostolique de tout le Vicariat d'Afrique Centrale en 1872, il n'y avait que la seule maison isolée de Khartoum et le jardin abandonné qui avait été créé par le Révérend Père Pedemonte, de la Compagnie de Jésus, arrivé à Khartoum en 1848. Grâce au Sacré-Cœur de Jésus, auquel, vous le savez, le Vicariat a été consacré le 14 septembre 1873, nous avons maintenant deux grands établissements à Khartoum, trois dans le royaume du Cordofan, deux à Berber, et deux chez les tribus du Djebel Nouba.

J'ai déjà envoyé des Missionnaires à Cadaref, aux frontières de l'Abyssinie, et je fonderai bientôt une Mission au Nyanza Albert.


[5262]
En l'espace de cinq ans, on a sauvé un grand nombre d'âmes, on a connu de nombreuses populations, on a fondé et consolidé des Missions, et le Sacré-Cœur de Jésus a accordé de nombreuses grâces à cette immense Mission.


[5263]
Or, comme les œuvres de Dieu doivent marcher avec la croix, le Seigneur a permis que, depuis presque un an, ce Vicariat soit accablé par le terrible fléau d'une affreuse famine et d'une extrême détresse qui ravagent ces régions brûlantes et où sévissent aussi des maladies terribles, au point de décimer ces malheureuses populations.

La cause de ces grands malheurs a été le manque de pluies pendant l'année dernière. Une grande partie du bétail et des chameaux sont morts de faim. Les champs sont arides et secs, il n'y a plus de blé, de foin, etc.


[5264]
Des centaines et même des milliers de villages sont abandonnés par les populations affamées, et les pauvres tombent comme des mouches.

En France, quand on paye le pain 5 ou 6 fois plus cher que d'habitude, on parle de disette. Et bien ici, le durra (maïs mangé ordinairement par le peuple) est devenu 10 fois plus cher, et la semaine dernière, il coûtait de 12 à 13 fois plus cher que d'ordinaire.

Je continuerai mon récit dans mon prochain courrier, car le dromadaire va partir, et je suis très occupé. Dans l'attente, je me déclare



votre dévoué confrère

+ Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale

Texte original français corrigé.






779
M. Eufrasia Maraval
0
Khartoum
22. 7.1878
N° 779 (740) - A MERE EUPHRASIE MARAVAL

ASSGM, Afrique Centrale Dossier



N° 2

Khartoum, le 22 juillet 1878



Ma bien Révérende Mère,



[5265]
Je viens de recevoir votre honorable lettre du 20 juin et elle m'a rempli de tristesse parce qu'elle ne dit rien sur les Sœurs ni la Supérieure Principale de Khartoum alors que j'ai insisté pour avoir de leurs nouvelles; mais vous avez peut-être prudemment laissé à la future Supérieure Générale (que, j'espère, vous serez vous-même) le soin de prendre une décision à propos de cette affaire capitale pour le bien de l'Afrique Centrale.

J'ai seulement une demi-heure pour vous répondre, et pour donner l'ordre à Sœur Arsène de laisser partir les deux Sœurs Marie-Joseph et Anne pour Khartoum, afin d'exaucer votre souhait.


[5266]
Je ne sais rien sur ce que vous me dites à propos de mon Secrétaire. Les conditions qu'il a proposées à la Mère Générale avaient été entièrement approuvées par la même Mère Générale (il me l'a écrit) et aussi par le Cardinal Franchi.

J'ai pris pour base de nombreux autres Contrats que la Congrégation avait établis avec Tripoli et beaucoup d'autres évêques et que j'ai pu examiner.

Sœur Catherine, à qui j'avais exposé mes idées, m'a assuré que les conditions que je proposais étaient bien plus avantageuses pour la Congrégation que celles de beaucoup d'autres Missions.


[5267]
C'est tout ce que je sais. Du reste, pour agir consciencieusement et en toute connaissance de cause, il faut que le Contrat soit fait en Afrique Centrale, par les Sœurs de l'Afrique Centrale qui connaissent les circonstances et les conditions de la Mission. Sinon, il est impossible d'évaluer si les articles sont justes et nécessaires et ceci est le système de l'Eglise.


[5268]
Je n'ai jamais fait de difficultés à laisser partir les deux Sœurs qui ont demandé à rentrer en France. Sœur Xavérine m'a dit que Sœur Marie-Joseph et Sœur Anne avaient l'autorisation de rentrer, mais Sœur Xavérine m'a aussi dit qu'elles ne pouvaient partir qu'après l'arrivée des autres Sœurs d'Europe.


[5269]
Vous ne m'avez rien écrit à ce sujet...

Toutes les œuvres de Dieu doivent subir leurs épreuves. Le sang des martyrs est toujours une semence de nouveaux chrétiens. La mort de quelques Sœurs dans cette grande vigne de Jésus-Christ est une consécration de la Congrégation de Saint Joseph de l'Apparition en Afrique Centrale. Laisser cette grande Mission à cause de la mort de quelques Sœurs, c'est céder les mérites et la gloire à d'autres.

Votre Congrégation a une très bonne réputation en Europe pour avoir entrepris la Mission d'Afrique Centrale, elle perdrait beaucoup en l'abandonnant.

Je vous prie de m'envoyer le plus rapidement possible une Supérieure et des Sœurs pour Khartoum. Priez pour



+ Daniel Comboni

Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale

Texte original français corrigé.






780
M. M. Annunziata Coseghi
0
Khartoum
24. 7.1878
N° 780 (741) - A MERE MARIA ANNUNZIATA COSEGHI

(de Djebel Nouba)

SERVANTE DES MERES SERVITES D'ARCO

APA, fasc. 107, "Monastero Servite"



Khartoum (par l'Egypte),

le 24 juillet 1878



Ma chère fille en Jésus-Christ, Sœur Maria Annunziata,



[5270]
J'ai reçu ce matin ta chère lettre du 21 juin. Les distances diminuent aussi avec la Nigrizia, car à présent les bateaux à vapeur sur le Nil et les voies ferrées marchent bien. Il y a quelque temps j'ai reçu avec beaucoup de plaisir une lettre de ta Mère Supérieure datée du 9 janvier dernier. J'ai reçu la nouvelle de ta grave maladie à Corosco, à la lisière du grand désert. Les Pieuses Mères de la Nigrizia (il y en avait cinq avec moi) de mon Institut fondé à Vérone, les Missionnaires et moi, nous avons prié pour ta guérison alors que nous voyagions, à dos de chameau par 60 degrés, 17 heures par jour sur le sable enflammé.

Mais comment faire pour répondre à plus de 1.000 lettres venues du monde entier sous le poids de tant de croix et de malheurs dont je vais te parler rapidement maintenant? Tu ne dois pas te préocuper de mon silence, même s'il est long.


[5271]
Tant que tu vivras et que je vivrai, tu dois toujours m'écrire à Khartoum, même quand je suis en visite dans mon immense Vicariat, qui est le diocèse le plus vaste, le plus peuplé, le plus laborieux et le plus difficile de l'univers; tu dois me donner des nouvelles: 1°. de toi-même, 2°. des Mères filles de ma chère Falconeri, 3°. de toutes les autres jeunes Noires avec lesquelles tu es en relation, en m'en indiquant les noms, la tribu, l'âge, le monastère, l'état religieux, etc.

Toi qui es nubienne, sache que la Mission que j'ai fondée parmi les Nouba marche bien, j'y ai envoyé, entre autres, un de mes Missionnaire, un saint Prêtre, qui est en train d'apprendre la langue; il s'agit de l'Abbé Giovanni Losi de Plaisance que j'ai nommé Curé avec l'Abbé Luigi Bonomi de Vérone, qui en est le Supérieur.

Ils travaillent là-bas avec entrain; les hommes et les femmes sont tous nus, mais ils sont bien disposés. Quand j'ai fondé cette Mission en 1875, j'ai ordonné au grand chef de faire vêtir ses femmes. Il m'a dit que c'était impossible, car si elles portaient des vêtements, elles n'auraient pas d'enfants.


[5272]
J'ai alors envoyé au service de cette Mission quelques familles de Noirs convertis dont les femmes sont toujours habillées; et quand quelques-unes de celles-ci ont eu des enfants, le grand chef s'est exclamé: "Agiàb, le Pro-Vicaire avait raison", et maintenant, celles qui trouvent des haillons commencent à s'habiller.

En octobre prochain, j'irai du royaume du Cordofan vers le Djebel Nouba pour la visite pastorale, afin de tout préparer pour y installer les Sœurs de Vérone qui sont provisoirement à Berber.


[5273]
Permets-moi de te raconter rapidement certaines terribles tribulations dont je suis accablé, mais qui me sont toujours chères car elles sont envoyées par Dieu. Je te demande de les faire connaître aux autres Sœurs africaines afin qu'elles prient dans leurs monastères pour moi et pour la conversion de la Nigrizia.

Après mon départ du Caire avec les Missionnaires et les Sœurs à bord d'un des plus grands bateaux à voile d'Egypte, celui-ci a heurté, en face de la belle ville de Minieh en Haute-Egypte, une ancre immergée, qui a fait un trou dans la coque, et en moins d'une heure il s'est rempli d'eau et a coulé presque jusqu'au niveau du bord; nous avons tous débarqué à terre avec l'aide des agents du gouvernement, nous étions effrayés mais sains et saufs, et les dégâts se sont élevés à plus de 10.000 florins pour la perte des provisions, des médicaments, des livres et des denrées alimentaires.


[5274]
J'avais des provisions pour 10 établissements, que j'avais achetées grâce à l'argent recueilli avec tant d'efforts pendant mon voyage en Europe, après mon sacre. Quand nous sommes arrivés en Nubie à la lisière du grand désert, j'ai appris que les chameaux étaient en grande partie morts de faim et d'épuisement, et il y avait là beaucoup de négociants arabes qui attendaient en vain des chameaux depuis six mois pour transporter leurs marchandises. Le grand chef du désert me conseillait de rentrer au Caire (alors que j'étais parti depuis 44 jours), et d'essayer de passer par la voie de la Mer Rouge et de Souakin. Mais comment faire avec tant de personnes et si peu d'argent dans ma poche?


[5275]
J'ai mis en croix mon économe Saint Joseph, et j'ai décidé de partager en deux ma caravane; il fallait 100 chameaux, et je voulais conduire avec moi le personnel par chemin le plus difficile mais moins long du désert de Corosco et de Berber, et envoyer le gros de la caravane des provisions qui restaient et qui ne s'abîmaient pas (comme le fer, la verroterie, etc.) par le chemin plus long mais aussi moins pénible du royaume de Dongola.

J'ai obligé le grand chef, mon vieil ami, à me donner immédiatement 50 chameaux (et j'ai envoyé le plus gros de la caravane par le Nil jusqu'à Wady-Halfa, où on devait prendre 60 chameaux), et j'en ai chargé seulement 40 d'eau (qui est devenue tout de suite putride), de provisions de voyage, de personnes avec leurs bagages respectifs.

Nous sommes entrés le soir du 17 mars dans l'épouvantable désert, à marches forcées, en remplaçant les chameaux qui tombaient et mouraient par les 10 chameaux supplémentaires que j'avais emmenés avec moi.


[5276]
Le désert était couvert de carcasses des chameaux morts et de marchandises abandonnées sur le sable. Je ne peux pas te dire combien nous avons tous souffert à cause de la soif, des 60° de chaleur, de la fatigue. Je ne voudrais pas souffrir un centième de ce que j'ai souffert, pour devenir le plus grand roi de la terre; mais pour sauver la Nigrizia, pour amener les Noirs vers le Christ, nous avons considéré notre souffrance comme une bagatelle; cent fois la mort, et le martyre ne sont encore rien pour le but élevé de sauver la Nigrizia.

Nous sommes arrivés à Berber après 13 jours de voyage, et j'ai baptisé quelques adultes noirs convertis, j'ai arrangé des mariages de concubins, j'ai donné le Sacrement de la Confirmation, puis j'y ai laissé les Sœurs de Vérone et je suis parti pour Khartoum.


[5277]
Mon entrée dans la capitale du Soudan comme premier Evêque de la Nigrizia, a été un véritable triomphe de la Religion. Les Pachas, les Consuls, les muftis, les chrétiens, les hérétiques et les musulmans ont tous participé pour rendre splendide mon triomphe, ou plutôt le triomphe de la Foi. Mais attention! Toute cette poésie au bout de trois jours s'est transformée en prose! L'enthousiasme des fêtes étant passé, je me suis penché sur les différents dossiers.

Dans mon Vicariat j'ai trouvé plus de 40.000 francs de dettes, que j'ignorais totalement. Quelle en était la cause? Elle fut voulue par Dieu.


[5278]
Une épouvantable et effrayante famine ravage le Vicariat depuis un an à cause du manque ou de l'insuffisance des pluies pendant l'année dernière.

Quand le froment coûte trois fois plus que d'ordinaire en Italie, on parle de disette, Ici, ce n'est pas trois fois, mais dix fois, douze fois plus cher que d'ordinaire qu'il faut payer pour le froment, le durra, le lait, les œufs, la viande et tous les articles de première nécessité. Les 8 bœufs qui travaillaient dans mon jardin de Khartoum sont presque tous morts à cause du manque de fourrage, et les deux survivants mangent du blé, il faut les nourrir ainsi, sinon le travail de 27 années partira en fumée, et cette année, les pertes sont grandes.

Par exemple, pour nourrir les filles et les garçons des deux instituts de Khartoum, les taràbla ou jardiniers, et les familles pauvres avec des personnes âgées et invalides laissées par mes prédécesseurs, pour les nourrir seulement de durra, il en faut 300 ardeb (sacs) par an, que je payais avant 3 florins environ l'ardeb. Il est actuellement difficile de trouver un ardeb de durra à 35 ou 40 florins. Fais ton calcul avec les autres établissements du Vicariat.


[5279]
Quoi de plus? Dans le royaume du Cordofan, la pénurie d'eau est très grande, et depuis six mois, les Sœurs ne lavent pas le linge car l'eau, trouble et saumâtre, pour boire, faire la cuisine et pour se laver coûte plus cher que le vin au Tyrol. Une Sœur se lève à 4 heures du matin avec 4 ou 5 filles, et elles vont aux puits publics qui sont loin (nos puits sont asséchés depuis six mois); elles doivent parfois attendre jusqu'à midi pour avoir une eau trouble et boueuse au prix de 1 florin et demi la bormah, et parfois même 2 florins la bormah (4 litres).

Des centaines, des milliers de villages sont abandonnés par les habitants affamés qui partent à la recherche de nourriture. Je peux dire, en un mot, qu'à cause de la faim ils tombent comme des mouches.

Nous avons répondu aux besoins les plus urgents non seulement des chrétiens, mais aussi des musulmans. Mais aujourd'hui nous avons épuisé toutes nos ressources, et je dois multiplier les dettes pour maintenir les établissements.


[5280]
Il faut aussi ajouter les terribles maladies, le typhus et la variole, qui font mourir les gens comme des mouches. Ici à Khartoum, en une semaine, j'ai perdu sept personnes. Quoi de plus? Mon serviteur, qui venait de Rome, et qui était un ange est mort en quelques heures à cause d'un coup de soleil. L'Abbé Policarpo Genoud est mort aussi en quelques heures le 30 juin dernier; c'était un jeune prêtre de Bolzano, ordonné à Trente en automne 1876. Je suis donc plein de croix, je nage dans l'inquiétude et dans la désolation, et je vois un avenir sombre.

J'ai passé deux mois et demi, malade dans une faiblesse extraordinaire.

Nous buvons toujours de l'eau, et nous ne savons pas ce que c'est que de boire du vin ou de l'eau propre. Je n'ai pas dormi pendant deux mois et demi, pas même 5 minutes par jour. Il fait 32 à 34 degré Réaumur dans notre chambre, et il faut toujours courir ici et là à chaque heure pour le ministère, et surtout pour baptiser, confirmer, etc. Le matin, l'épuisement me permet rarement de dire la Messe. Maintenant je dors peut-être une petite heure par jour, mais je suis toujours fatigué, quand je travaille et quand j'écris en Europe pour avoir des aumônes et des allocations. Bref, c'est en fait un martyre prolongé et très pénible.


[5281]
Mais au milieu de tant de souffrances ma consolation spirituelle est immense pour l'acquisition d'âmes et pour le progrès de l'Œuvre de la conversion de la Nigrizia. Les Œuvres de Dieu doivent naître et croître au pied du Calvaire, et la Croix est le sceau de la sainteté d'une Œuvre, et la Mère même de Dieu a été la reine des martyrs; il faut passer par le martyre, par le sang et par la croix. Et moi, bien qu'épuisé, me fiant totalement au Cœur de Jésus, je suis plus que jamais ferme et inébranlable, le monde dut-il s'écrouler!, dans mon cri de guerre: " Ou la Nigrizia, ou la Mort!", qui m'a permis de fonder et de construire, contre tant d'obstacles et au prix de tant de souffrances, l'Œuvre de la Rédemption de l'Afrique.


[5282]
Oui, le monde s'écroulera, mais moi, tant que le Cœur de Jésus m'aidera par sa grâce, je resterai à mon poste, ferme et inébranlable, et je mourrai sur le champ de bataille.

Pour accroître ma souffrance, un bon Missionnaire, l'Abbé Stefano Vanni des Pouilles, prétextant une maladie ancienne qui s'était réveillée, m'a demandé et a obtenu le rapatriement, et il connaissait déjà bien l'arabe (mais en fait, il avait dit à son compagnon qu'il en avait assez de la Mission)


[5283]
Quoi de plus? Mon Vicaire Général, qui a dirigé le Vicariat pendant mon dernier voyage en Europe, las des souffrances (il a beaucoup souffert, et il m'a laissé, mais non par sa faute, beaucoup de dettes), est parti la semaine dernière pour l'Europe, et je crains que deux autres Missionnaires ne me demandent de partir à l'automne prochain. Trois Sœurs françaises de Saint Joseph, qui ont beaucoup souffert, seront rapatriées. L'Afrique Centrale est la plus ardue et la plus laborieuse Mission de l'univers. Avant tous les autres Missionnaires, les Jésuites avaient essayé d'évangéliser l'Afrique Centrale, (et qu'on soit d'accord ou non, les Jésuites sont les premiers et les plus dignes Missionnaires de l'Eglise Catholique ) et puis ils ont quitté cette région.


[5284]
Les bons Pères Franciscains, qui ont toujours de remarquables et saints sujets, ont aussi essayé, et ils ont dû abandonner. Et maintenant, pourquoi le plus petit et le plus insignifiant des Instituts, le mien, qui est microscopique et que j'ai installé à Vérone, a-t-il pu renforcer l'Apostolat d'Afrique Centrale et étendre ses tentes, mieux que ce que mes prédécesseurs ont pu faire ?

Parce que, en accord avec Pie IX, j'ai solennellement consacré le Vicariat au Sacré-Cœur de Jésus, à Notre Dame du Sacré-Cœur, et à Saint Joseph; parce que dans tous les sanctuaires du monde que j'ai visités, et en presque tous les plus fervents monastères et Instituts d'Europe, on prie ardemment pour la conversion de la Nigrizia, parce que j'ai été le premier à faire participer à l'apostolat de l'Afrique Centrale le tout-puissant ministère de la femme de l'Evangile, et de la Sœur de la charité, qui est le bouclier, la force et la garantie du ministère du Missionnaire.


[5285]
Mais c'est surtout la prière, parce que Jésus-Christ est un honnête homme, il tient sa parole, et il a dit:" petite et accipietis, pulsate et aperietur" (demandez et vous recevrez ", "frappez, et on vous ouvrira 2): ceci a plus de valeur que tous les traités des souverains et des puissants de la terre.

Toi, qui a été appelée à servir et à te sanctifier dans le sanctuaire d'un monastère, tu peux être une vraie Missionnaire et apôtre de ta patrie l'Afrique si tu pries toujours et si tu fais prier, tu susciteras et tu solliciteras dans les autres monastères les prières les plus ferventes et les plus assidues pour la conversion et la Rédemption de plus de cent millions de tes frères Noirs que le Saint-Siège a confiés à mes soins.


[5286]
Tu ne dois pas seulement prier et faire prier, mais tu dois faire bouger les monastères où il y a des jeunes Noires que tu connais et aussi quelques excellents bienfaiteurs dont le très catholique, le très pieux et très généreux Tyrol abonde, afin qu'ils accordent à l'Afrique Centrale l'obole de leur charité, les aumônes, quelles soient peu ou nombreuses, peuvent être envoyées au célèbre Révérend Professeur Mitterrutzner, Directeur du Lycée Episcopal de Brixen, qui est depuis presque 30 ans un bienfaiteur assidu de l'Afrique, un vrai père et ami fidèle et éternel de la Nigrizia.


[5287]
L'Afrique Centrale sortira bientôt de l'actuelle désolation. Pourrai-je me remettre de tant de souffrances et de misères? Pourrai-je relever la tête devant une telle désolation? Oh! Ma chère fille, les Cœurs de Jésus et de Marie savent distribuer les tribulations nécessaires, mais ils donnent en même temps les remèdes appropriés.

Il y a beaucoup de livres sterling, de napoléons en or et de florins dans la barbe du Père Eternel et de mon Saint Joseph. C'est donc le jour de la fête de Saint Joseph de cette année, le 12 mai, que je me suis présenté après la Messe, de plein droit et avec assurance à Saint Joseph (car l'économe doit obéir au Patron), et je lui ai dit en toute franchise: " Mon cher économe, je suis dans un très grand embarras; j'ai plein de dettes, et je dois continuer à nourrir et à maintenir mes 13 établissements que j'ai fondés entre Vérone et Djebel Nouba. Si tu ne me fais pas obtenir un équilibre budgétaire d'ici un an, c'est-à-dire si tu ne payes pas toutes mes dettes et si tu ne soutiens pas toutes mes œuvres, pour que je puisse planter la croix de Jésus, ton fils putatif, aux sources du Nil, à l'Equateur sur les lacs Nyanza, je m'adresserai alors à ton épouse..., et tu verras qu'elle fera ce que toi tu n'as pas fait".


[5288]
Imagines-tu, ma fille, que Saint Joseph, mon économe, me tourne le dos et ne réalise pas mes souhaits? Il est impossible qu'il refuse parce qu'il est le roi des honnêtes hommes, et il s'agit de la gloire de son Jésus, son fils putatif, qui est à peine connu dans cette partie de ce Vicariat. Il s'agit de libérer des chaînes et de la mort éternelle le dixième de tout le genre humain. Saint Joseph m'a toujours bien traité, avec respect et soumission, comme un bon fermier vis à vis de son patron; je suis donc sûr d'obtenir la balance des comptes d'ici un an, pas celle déjà promise cent fois et jamais atteinte par les ministres Lanza, Shella, Minghetti, Cairoli et tous les autres écornifleurs italiens, mais une vraie et réelle balance des comptes du Vicariat, digne de Saint Joseph.


[5289]
Je pourrai maintenant te parler des conversions obtenues par Dieu, des âmes sauvées, parmi lesquelles j'ai baptisé deux adultes musulmans (ce qui est extrêmement rare dans les Missions d'Orient) qui ont fait un catéchuménat de 4 ans; j'ai aussi recueilli l'abjuration d'un riche commerçant hérétique, etc.

Je veux te raconter brièvement, parmi beaucoup d'autres cas, la grande aventure de trois femmes esclaves abyssines qui, après avoir mené une vie au milieu des faux plaisirs du monde comme concubines d'un riche négociant, comme des voleuses qui ont eu de la chance, en deux jours seulement de pénitence forcée ou spontanée, se sont emparées du Paradis, grâce à la Mission, et surtout grâce à nos Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition. Je te raconte cette histoire en deux mots.


[5290]
A Cadaref, une de mes provinces frontalières avec l'Abyssinie, un riche négociant grec de Smyrne, sujet autrichien, a acheté une très belle esclave abyssine et il l'a amenée chez lui comme concubine. Elle avait environ 17 ans.

Au bout de quelques mois, il en a acheté une autre et il l'a mise avec la première comme concubine aussi. Finalement, il en a acheté une troisième, âgée de 16 ans, et il a eu avec cette dernière en quatre ans trois enfants, qui sont encore vivants. Les enfants des autres sont tous morts. Ce négociant est mort l'an dernier à Cadaref. Le Consul autrichien de Khartoum a reçu l'ordre de Vienne de liquider tous ses biens, et de faire parvenir l'argent à Smyrne à sa famille légitime; pendant ce temps, ces trois pauvres et jeunes concubines âgées de 20 à 24 ans et les trois enfants n'avaient que les provisions qui étaient déjà dans la maison, et quelques bijoux en or offerts par leur patron.


[5291]
Elles étaient toutes les trois musulmanes. Elles subsistèrent pendant quelque temps; mais comme la famine sévissait, elles consommèrent en peu de temps les provisions et l'or qu'elles possédaient. Elles sont alors venues à Khartoum pour réclamer l'aide du Consul Autrichien. Elles ont voyagé pendant 13 jours, et le Consul leur a répondu qu'il avait envoyé tout l'argent à Smyrne suite aux ordres de ses supérieurs. Il leur a suggéré de se présenter à la Mission catholique pour avoir un logement. La mère des trois enfants a répondu: "Uaikh, nous n'irons jamais chez ces chiens de chrétiens..."

Le Bon Jésus les attendait justement à la Mission, pour accomplir une vengeance digne du Rédempteur du monde; la Vierge Marie les attendait chez nous justement pour se venger des nombreuses insultes (chiens de chrétiens), ce fut une vengeance digne du titre de Mère et refuge de Pécheurs.


[5292]
Ces trois jeunes concubines, le garçon de 1 an et les deux filles de 3 et 5 ans, ont erré pendant plusieurs jours et plusieurs nuits dans Khartoum. Mais la faim sévissait et elles ne trouvaient pas d'aide efficace de la part des musulmans. Elles se sont donc présentées à la Mission, recommandées par le Consul, et elles ont obtenu 8 piastres khorda (15 sous autrichiens) par jour, et deux pièces dans le pavillon des réfugiées; on ne pouvait pas faire plus, compte tenu de la détresse de la Mission. Elles ont alors été prises en charge par notre bonne Sœur arabe de Saint Joseph, Sœur Germaine d'Alep, véritable Missionnaire et apôtre remarquable, que j'ai nommée Supérieure du Cordofan, que j'ai moi-même conduite au Djebel Nouba et qui est maintenant ici à Khartoum. Bref, en moins d'un mois, Sœur Germaine a convaincu les concubines de devenir catholiques, et elle leur a appris les principales vérités de la Foi; et alors qu'elle était en train de les instruire, une de ces concubines a été victime de la variole à la mi-juin dernier, et elle a été assistée par les autres. Elle m'a appelé pour recevoir le Baptême.


[5293]
Dès qu'elle fut baptisée, je lui ai administré la Confirmation, et toute joyeuse elle désirait aller au Paradis; elle est morte le 16 juin (il y a 40 jours) et est partie au Paradis. Elle était encore malade quand celle qui était la mère des trois enfants, pour l'avoir assistée fut frappée à son tour par la variole; elle m'a appelé, m'a confié le petit garçon, en me priant d'être un père pour lui, et elle a confié les deux filles à Sœur Germaine en la priant d'être leur mère; elle a demandé et reçu le Baptême, elle est morte toute contente deux jours après l'autre, et elle est partie pour le Paradis. Cette jeune mère pouvait avoir environ 22 ans, elle avait un corps et un esprit très sains, le caractère et le jugement d'un homme; par ses manières et sa façon de raisonner elle égalait, à mon avis, une dame européenne. Elle est venue plusieurs fois me voir pour que je plaide sa cause, son amant lui ayant promis monts et merveilles pour ses enfants.


[5294]
Après le Baptême, elle était joyeuse et contente de mourir, sûre que la Mission serait plus qu'une mère pour ses enfants. Avant sa mort, la troisième concubine est tombée malade, atteinte par la variole, et après avoir été baptisée et confirmée, elle est morte au bout de trois jours pleine de consolations.

Ainsi, ces trois demoiselles, ex-concubines, après avoir joui pendant quelques années du monde (car leur patron les traitait très bien) et s'être bien amusées, par la grâce du Bon Jésus et de la Vierge, et grâce à l'œuvre d'une jeune de 32 ans, Sœur Germaine Assuad, s'emparèrent du Paradis en seulement 5 jours de maladie, laissant 3 enfants à ma charge, avec l'ordre absolu d'en faire des chrétiens.


[5295]
Je te laisse méditer sur les voies admirables dont se sert la Providence pour sauver les âmes les plus délaissées de ta chère Afrique, médite cela, toi qui es toujours heureuse de penser à Dieu dans les enceintes sacrées du monastère.

Je peux dire que Dieu s'est servi de cette circonstance pour implanter à Cadaref (où il n'y a jamais eu de Prêtre catholique, excepté l'Abbé Gennaro Martini que nous avions envoyé là-bas en septembre 1876) une nouvelle Mission; en effet, la semaine dernière j'y ai expédié mon susnommé missionnaire, l'Abbé Martini de Turin pour explorer toute la province de Cadaref, qui est plus grande que tout le Tyrol.

Quand il m'aura envoyé un rapport détaillé, j'irai moi-même y implanter la nouvelle Mission avec l'Abbé Squaranti.


[5296]
Je m'arrête ici car tu dois être fatiguée comme je le suis car j'ai écrit cette longue lettre d'un seul trait. Mais souviens-toi que je veux que l'on prie beaucoup pour la conversion de ton Afrique, pour laquelle j'ai consacré mon esprit, mon cœur, mon sang et ma vie. Je désire être victime de son salut. C'est la partie du monde la plus abandonnée et délaissée. De nombreux Prêtres, bons, pieux, saints, et extrêmement cultivés, du Tyrol italien et allemand, ont souffert et sont morts ici; envoyés par l'incomparable Apôtre, ami et protecteur de l'Afrique Centrale, le bienfaiteur et bien méritant Professeur Mitterrutzner de Brixen; et je propose à mes Missionnaires l'exemple de ces saints Prêtres tyroliens, avec lesquels j'ai moi-même vécu, comme des modèles de constance, de fermeté et de zèle apostolique.

Nous ne sommes même pas dignes d'embrasser les pieds de Gostner, de Lanz, d'Überbacher, de Pirchner et d'autres. Mais cela suffit.


[5297]
Je suis très heureux de voir que la Vierge Marie, qui a inspiré aux Sept Saints de fonder l'Institut des Servites, t'ait admise à faire partie de ce cortège élu de Vierges épouses du Christ. Je remercie tes pieuses Mères de t'avoir admise, mais toi, dans la parfaite observance de la Règle de ton saint Institut, tu dois toujours être l'apôtre active et zélée de la Nigrizia, et toujours lever les bras vers le ciel comme Moïse, pour implorer la conversion de l'Afrique et les grâces nécessaires pour moi, premier Evêque de cet immense diocèse, pour mes Missionnaires et pour mes Sœurs de France, ou de Vérone.


[5298]
Je te remercie beaucoup pour les vœux que tu m'as adressés dans ta lettre pour la fête de saint Daniel, prophète dans la fosse aux lions (et moi aussi je suis au milieu des lions, j'en ai même envoyé un hier au consul autrichien au Caire avec un léopard!), fête célébrée par l'Eglise le 21 juillet. Ce jour a été un jour de grande fête ici dans la Mission, et j'en ai reçu tout le personnel ainsi que la visite des Pachas, des Consuls, des grands du Soudan et de beaucoup d'autres personnes. En fait, je suis passé pour Arlequin faux prince.


[5299]
Présente mes hommages et mes bénédictions à la Supérieure, à toutes les Mères, au Révérend Doyen, à la Sœur de Charité Caroline Rose, à tous ceux que je connais et aux jeunes Africaines qui correspondent avec toi.



Ton affectionné dans le Seigneur

+Daniel Comboni

Evêque de Claudiopoli

et Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale