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N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
511
Luigi Grigolini
0
El-Obeid
21. 7.1873
N° 511 (481) - A MONSIEUR LUIGI GRIGOLINI

ACR, A, c. 15/51



Vive Jésus, Marie et Joseph !

El-Obeïd, capitale du Cordofan,

le 21 juillet 1873

Mon très cher Grigolini,



[3277]
Bien que submergé de mille occupations, bien que j'aie à écrire encore presque mille lettres pour les cinq parties du monde, je ne peux pas ne pas écrire deux lignes à mon cher Grigolini, lui annonçant que ses fameuses bouteilles qui m'ont été offertes lors de mon passage à San Martino ont été bues dans les localités suivantes, avec honneur pour la grande gloire de Dieu et à votre santé mais également à la nôtre :

1°. Deux bouteilles dans mes Instituts du Caire avec tous les Prêtres Missionnaires.

2°. Une bouteille avec le Supérieur des Frères des Ecoles Chrétiennes au Caire, notre ami et bienfaiteur.

3°. Une bouteille, aïe ! a été ouverte par erreur à Assouan aux premières cataractes du Nil : je voulais honorer deux Religieux franciscains de retour de Khartoum après que le Saint-Siège leur eût enlevé la Mission pour nous la donner à nous ;

je voulais leur offrir une bouteille de vin ordinaire, (qui est très rare dans ces pays) mais aïe ! par erreur l'on a bu le Pullicella de Grigolini.


[3278]
4°. Une bouteille a été bue à Khartoum avec le Révérend Vicaire Général le Père Carcereri.

5°. J'en tiens une encore cachée dans ma malle, personne n'en sait rien ; mais nous allons la boire ici, dans la capitale du Cordofan, peut être bien le 14 septembre, jour où je ferai la solennelle consécration du Vicariat au Sacré-Cœur de Jésus.


[3279]
Vous voyez que ce serait bien agréable si vous pensiez encore à faire en sorte que d'autres sublimes bouteilles soient honorées en Afrique Centrale ; pour cela il faudrait éviter le matraquage des droits de douane, subis par les expéditions de ce genre au N°.12, rue du Séminaire à Vérone ; il faudrait expédier les caisses, directement à Monsieur Angelo Albengo, mon Procureur à Alexandrie d'Egypte, qui fera le nécessaire pour les envoyer à Khartoum.


[3280]
Bien qu'en ce long voyage, les caisses doivent passer encore la douane de l'Institut du Caire, j'espère cependant que, même nous, pauvres Africains d'Afrique Centrale nous goûterons ces délices comme venues de l'autre monde.

J'ai été trop long sur ce sujet. Maintenant je me limite à vous saluer, vous et votre frère, ainsi que vos bonnes familles, vous assurant que nous prions pour vous. J'ai célébré une Messe pour vous au Caire et j'en célébrerai d'autres de temps en temps. Nous devons absolument aller au paradis.


[3281]
Je suis arrivé à Khartoum avec la grande caravane, en 99 jours après un voyage difficile, et puis en dix jours et demi, je suis arrivé ici au Cordofan.

Dans une autre lettre je vous parlerai de la grande Mission que le Seigneur m'a confiée et qui est la plus difficile et la plus grande de tout l'univers.

Je vous parlerai également de l'esclavage, comment se traitent, se vendent, s'étranglent des milliers et des milliers de fils et de filles enlevés, souvent après avoir vu massacrer leurs parents.

A présent, nous avons deux grandes Missions à El-Obeïd et à Khartoum ; bientôt nous fonderons une Mission à Scellal et nous porterons la Croix chez les Nouba où se situe la patrie de Bachit Miniscalchi, à cinq jours à dos de chameau d'ici.

Le 14 septembre prochain, je ferai la solennelle Consécration de toute l'Afrique Centrale au Sacré-Cœur de Jésus ; en ce jour priez et faites beaucoup prier l'Archiprêtre de San Martino, mon cher Maître, auquel je souhaite que vous rendiez visite en mon nom, ainsi qu'à l'Abbé Dallora.

Si nous ne mourons pas, peut-être nous reverrons-nous encore réunis autour de Mariona, envers laquelle j'ai acquis une espèce de droit.

Je vous envoie ma bénédiction ainsi qu'à votre famille et je me déclare dans les Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie.



Votre dévoué ami,

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






512
Card. Alessandro Barnabò
0
El-Obeid
25. 7.1873
N° 512 (482) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SOCG, v. 1003, ff. 734 - 735



Vive Jésus, Marie et Joseph !

N° 7

El-Obeïd capitale du Cordofan,

le 25 juillet 1873

Eminent et Révérend Prince,



[3282]
J'ai reçu avec grand plaisir votre lettre N° 1 du 29 avril. Les vénérables paroles des Supérieurs qui sont toujours l'expression de la volonté divine, deviennent précieuses lorsqu'il existe une distance incommensurable.

Je prends acte de votre sagesse et de votre désir de rouvrir l'établissement de Scellal. Sans aucun doute et en temps opportun, lorsque nos forces nous le permettront, l'ouverture sera effectuée. Le climat de Scellal est salubre.


[3283]
J'ai toujours de nouveaux arguments démontrant d'une manière splendide l'importance de la Mission d'El-Obeïd, bien que tout mon actuel engagement soit dirigé à redonner vie, à établir et à consolider les deux Missions fondamentales de Khartoum et d'El-Obeïd. Elles constituent les bases d'opérations pour pouvoir étendre petit à petit l'action du Catholicisme dans les tribus qui habitent la partie orientale du Vicariat jusqu'au delà des sources du Nil ; et cela aussi parmi les nombreux peuples des ces interminables contrées qui constituent le centre de ce même Vicariat.

Néanmoins, entre-temps, nous ne négligeons pas de nous occuper également des tribus et des peuples limitrophes du Cordofan, où l'Islam n'est pas encore entré. Nous prenons petit à petit des informations exactes, nous apprenons les langues et nous réfléchissons toujours au moyen le plus facile, le plus opportun pour pouvoir un jour y établir de nouvelles Missions avec sécurité et efficacité.


[3284]
Dans ce but nous sommes très actifs dans la préparation, dès maintenant, de bons sujets indigènes de ces pays, leur donnant l'éducation de la Foi et de la civilisation chrétiennes. Nous sommes en train de rédiger avec une grande difficulté le dictionnaire, la grammaire ainsi qu'un petit catéchisme dans la langue des Nouba.


[3285]
La semaine dernière un des rois ou chefs du peuple nubien, est venu trois fois me rendre visite avec une suite considérable. Il était venu à El-Obeïd pour payer au Pacha les impôts de quelques populations qui confinent avec le Sud-Ouest du Cordofan. Il s'appelle Nemùr et il est à la tête d'un bon nombre de villages qui ne se sont jamais assujettis au paiement des impôts ; il est en bonnes relations avec tous les autres chefs ou rois des peuples Nouba, qui n'ont jamais été vaincus par les Turcs et sont restés indépendants. Ce roi m'a invité explicitement à aller dans ses villages ou au moins à y envoyer mes Missionnaires pour y implanter une église, des écoles et leur apprendre notre religion. Une personne de sa suite, qui a été esclave en Syrie où elle avait connu les chrétiens et vu leurs églises, m'a dit qu'en dix ans, après que nous nous serions établis chez eux, ils deviendraient tous chrétiens.


[3286]
J'ai demandé au chef certains renseignements sur ces localités et voilà ce que j'ai reçu comme réponses : que les habitants ont été plusieurs fois assaillis par les Arabes Baggàra et par les Turcs, qui ont été toujours repoussés. Que plusieurs fois les Arabes ont enlevé des milliers et des milliers de garçons et de fillettes. Qu'ils n'ont jamais rien voulu savoir ni des Turcs ni de Mahomet. Qu'ils savent que Dieu existe mais qu'ils ne l'ont jamais vu et ne savent pas prier comme ceux qui prient à El-Obeïd et en Syrie ; et qu'à la suite de ce que leurs anciens leur ont raconté - ayant eu des contacts avec les Habbasc (Abyssiniens) - beaucoup d'entre eux pratiquent la cérémonie suivante avec leurs enfants : ils font venir un certain òeru (magicien) qui oint d'une matière grasse tout le corps du nouveau-né de huit jours, puis il plonge dans l'eau, prend l'enfant et le plonge aussi dans l'eau et ensuite le rend à sa mère.

Ils ont parlé du Cordofan avec mépris exaltant le climat et la fertilité de leurs pays. Ils ont observé avec stupeur notre élégante chapelle, notre école, les outils d'agriculteur, de menuisier, de forgeron, etc. ...

Ils ont insisté, au cours des trois visites qu'ils ont faites pour que j'aille établir une église et une école dans leurs pays.


[3287]
Je les ai reçus aimablement, je me suis montré disposé à satisfaire leurs désirs après l'accomplissement de certaines conditions. Je leur fis savoir qu'en allant parmi eux, nous pourrions prendre certains de leurs enfants pour les rendre par la suite à leurs familles ; je leur ai demandé de me tenir toujours au courant de leurs intérêts et de leurs intentions en m'envoyant de temps à autre certains d'entre eux.

Nemùr le chef, m'a promis que ce serait lui-même qui viendrait après le kharif, (la période des récoltes) en octobre. Je lui ai offert quelques médicaments, des médailles et une photographie de Bachit Miniscalchi, cet excellent Noir (que Monseigneur le Secrétaire a eu la bonté de conduire l'année dernière aux pieds de Sa Sainteté), et qui est natif de ces régions. Le chef est parti tout content avec sa suite, en retournant en Nubie.


[3288]
Pour le moment je m'abstiens d'émettre un jugement à propos de cette rencontre qui pourrait être très importante. Je voudrais y réfléchir, découvrir s'il existe quelques leurres, épurer le côté positif sur lequel nous pourrions compter, bien étudier le tout et puis attendre le temps choisi par Dieu.


[3289]
Après d'autres observations, j'enverrai un bref aperçu sur les horreurs de la traite des Africains, funeste événement dont le Vicariat est le théâtre.

Sous le prétexte d'abolir l'esclavage, l'Angleterre envoie ses Ambassadeurs à Zanzibar et Mascate, pour réaliser les projets de sa politique coloniale. Mais c'est particulièrement en Afrique Centrale plus qu'ailleurs que sévit cette plaie de l'humanité. La Mission catholique, plus que les canons, avec la bénédiction divine réussira petit à petit à abolir l'esclavage.

Dans les Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie, j'embrasse votre Pourpre Sacrée et j'ai l'honneur d'être votre



très humble et obéissant fils

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique






513
President Ste Enfance
0
El-Obeid
31. 7.1873
N° 513 (483) - AU PRESIDENT DU CONSEILDE L'ŒUVRE DE LA SAINTE ENFANCE

ACR, A, c. 14/137 n.1





El- Obeïd, capitale du Cordofan

le 3juillet 1873

Monsieur le Président de la Sainte Enfance,



[3290]
Une nouvelle Œuvre digne de votre charité vient solliciter le secours de la Sainte Enfance. Ce sont les petits enfants du Vicariat Apostolique de l'Afrique Centrale que le Saint-Siège a confiés depuis l'année dernière au nouvel Institut des Missions pour la Nigrizia à Vérone, ainsi qu'à ma pauvre personne avec titre et pouvoirs de Pro-Vicaire Apostolique.

Le Vicariat de l'Afrique Centrale est la plus grande et la plus laborieuse Mission de tout l'univers et comprend plus de cent millions d'infidèles. Il se situe entre les Missions d'Egypte, de Tripoli, d'Abyssinie, des Galla, de la côte du Bénin et de la Guinée méridionale. Il touche, à l'Ouest, la ligne droite de Morzouk au Niger, il rejoint au Sud le douzième degré de Latitude Méridionale.


[3291]
Jusqu'à présent, les Œuvres que j'ai fondées, pour la grande conquête de la Nigrizia, sont les suivantes :

1° deux petits Instituts au Caire, dont l'un est pour les hommes et l'autre pour les femmes, pour permettre aux Missionnaires et aux Sœurs envoyés en Afrique Centrale de s'acclimater et pour instruire les Africains dans la Foi et dans les arts et métiers.

2° Deux Instituts à Khartoum, capitale du Soudan Oriental, située au 15ème degré de Latitude Nord.

3° Deux Instituts dans la ville d'El-Obeïd, capitale du Cordofan. Cette ville, d'où j'ai l'honneur de vous écrire, comprend plus de 100.000 habitants, elle est actuellement la ville la plus centrale de toutes les Missions du Soudan. Et se situe entre le 12ème et le 13ème degré de Latitude Nord.


[3292]
Khartoum est la base d'opérations d'où nous pouvons agir sur la partie Orientale du Vicariat; celle-ci embrasse toutes les nombreuses tribus du Fleuve Blanc et des Sources du Nil jusqu'aux grands Lacs de Nyassa et Tanganyika ainsi que les régions de Lunda et Muemba.

El-Obeïd est la base d'opérations d'où nous pouvons travailler pour la partie Centrale du Vicariat : elle constitue la vraie porte de la Nigrizia de l'intérieur ainsi que le centre de communication entre le royaume du Darfour, l'empire du Bornù, les nombreuses tribus des Nouba, Fertit, Waday, Tchad, et des milliers d'autres tribus qui habitent les régions du Sud-Ouest.


[3293]
Tous mes efforts s'emploient à consolider ces deux Missions où nous préparons de bons sujets indigènes des tribus centrales pour qu'eux-mêmes deviennent des apôtres de la Foi et de la civilisation dans leur propre patrie. Ensuite nous continuerons petit à petit vers les pays de l'intérieur, selon le personnel disponible et les ressources que la Propagation de la Foi et l'Œuvre de la Sainte Enfance nous donneront.


[3294]
L'œuvre féminine est dirigée à Khartoum par les Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition de Marseille qui habitent une maison louée pour 1.200 francs par an. J'ai acheté le terrain pour construire la maison des Sœurs où je dois ouvrir un grand orphelinat pour les petits enfants. Je dois faire la même chose ici à El-Obeïd.


[3295]
Il y a ici un grand nombre d'enfants à accueillir et qui sont souvent abandonnés avec leurs mères. Il y a également des mères esclaves qui s'échappent de chez leurs maîtres avec leurs petits enfants et se réfugient dans la Mission.

Il est souvent nécessaire d'accueillir, autant que possible, les mères avec leurs fils sinon les corps et les âmes des unes et des autres périraient.

Actuellement, il est nécessaire de fonder de grands orphelinats mais les ressources manquent. Pour cela, Monsieur le Président, les larmes aux yeux, je me tourne vers la grande Œuvre de la Sainte Enfance, pour avoir une aide puissante afin de sauver des milliers d'enfants africains.


[3296]
Construire une maison dans ces pays est très onéreux car il faut apporter d'Europe le matériel nécessaire. Un maçon ne travaillerait pas pour moins de 20 francs par jour et il faut supplier les aides-maçons pour qu'ils travaillent pour 10 francs par jour. Ceci concerne particulièrement Khartoum où les maçons sont rares. Les constructions à El-Obeïd sont moins onéreuses mais le nombre d'ouvriers doit être doublé.

Il est important de savoir qu'ici en ce Vicariat, tout ce qui est nécessaire pour vivre et pour construire coûte au moins six fois plus qu'en Egypte parce que tout le matériel est transporté à dos de chameau à travers le grand désert d'Atmur et les plaines du Cordofan pour arriver jusqu'ici.


[3297]
J'espère que la Sainte Enfance viendra à mon aide pour la construction et pour la subsistance de ces deux grands orphelinats. Dans ce Vicariat il faut tout construire. C'est pour cela qu'il a besoin d'aides importantes. Les Missionnaires, les Sœurs, les catéchistes, les enseignantes africaines, les Pères assistants vivent dans une grande pauvreté ; le climat est chaud, les voyages sont longs.

Il faut penser que pendant les mois de la saison sèche on ne voit que la voûte du ciel, la nuit, et l'ardeur du soleil africain tombant sur nos épaules, le jour.

Veuillez, Monsieur le Président, accepter mon humble prière et les sentiments de mon plus profond respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être dans les Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie,



votre très humble serviteur

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale



Texte original en français, corrigé.






514
Mgr. Joseph De Girardin
0
El-Obeid
31. 7.1873
N° 514 (484) - A MONSEIGNEUR JOSEPH DE GIRARDIN

AOSIP, Afrique Centrale



Vive Jésus, Marie et Joseph !

El-Obeïd, capitale du Cordofan,

le 31 juillet 1873

Monseigneur,



[3298]
J'ai eu l'honneur de connaître l'Illustre Directeur de la Sainte Enfance, cela fait déjà six ans, lequel n'aura peut-être pas oublié avoir rencontré à Paris un pauvre Missionnaire ayant survécu à de nombreux confrères décédés en Afrique Centrale, qui a effectué de multiples voyages pour fonder l'Œuvre de la Régénération de la Nigrizia et établir d'une manière plus durable la Foi catholique en cette partie du monde la plus malheureuse et la plus délaissée.

Ce pauvre Missionnaire est celui qui, maintenant a l'honneur de vous écrire du Centre de l'Afrique pour demander une aide importante à l'admirable Œuvre que vous dirigez.


[3299]
Je joins à la présente une pétition pour le Président du Conseil de la Sainte Enfance et je vous prie avec insistance d'exaucer ma demande et de plaider ma cause qui est tout à fait sainte et selon le but spécial de cette Œuvre sublime qui a peuplé le ciel de petits voleurs du Paradis.

Je me permets de vous dire deux mots sur mon œuvre et comment Dieu lui-même l'a développée avant de vous parler des conditions déplorables de l'enfance en ce Vicariat.


[3300]
En 1846 Grégoire XVI a érigé le Vicariat de l'Afrique Centrale et l'a confié à Monseigneur Casolani, Evêque de Mauricastro et Vicaire Apostolique qui a obtenu deux Pères Jésuites - les Pères Ryllo et Pedemonte - et deux élèves du Collège de Propaganda Fide ; celle-ci était mieux renseignée sur la voie la plus sûre pour initier cette œuvre, c'est-à-dire la Mission d'Egypte et de Nubie. Elle a confié la Mission au Père Ryllo qui a conduit en 1848 l'expédition jusqu'à Khartoum où il mourut. Sous le gouvernement de son successeur, Monseigneur Knoblecher, la Mission a évolué, car elle a pu voir ouvrir, outre le Poste de Khartoum, les Missions parmi les Kichs au 6ème degré de Latitude Nord, et la Mission de Gondocoro au 4ème degré près des Sources du Nil.


[3301]
Mais, étant donné la grande différence de climat qui existe entre l'Europe et l'Afrique Centrale, sur 40 missionnaires qui ont rejoint le Soudan à partir de l'Europe, 35 sont décédés et 4 sont repartis pour ne plus revenir dans cette Mission. Un seul, moi-même, est retourné en Europe dans le but de revenir ici pour y sacrifier sa vie.

Ainsi Propaganda Fide a essayé d'y envoyer les Franciscains qui, en 1861, ont occupé le Vicariat ; mais après avoir perdu 22 Missionnaires, tous sont retournés en Europe à l'exception de trois qui ont abandonné tous les postes sauf celui de Khartoum, tenu jusqu'à l'année dernière. Les pauvres Franciscains, qui recevaient des couvents d'Italie la plus grande partie de leurs Missionnaires, ont été forcés d'abandonner l'Afrique Centrale et les autres Missions à cause de la suppression des Ordres Religieux en Italie. C'est à ce moment-là que le Saint-Siège a confié ce grand Vicariat à un nouvel Institut, fondé par moi-même avec l'aide et la protection de Monseigneur le Marquis de Canossa, Evêque de Vérone.


[3302]
A partir de 1857, me trouvant ici, en Afrique Centrale, dans la Mission des Kichs sur le Fleuve Blanc, j'ai pu goûter toutes les épreuves de ce difficile apostolat et ayant été onze fois sur le point de mourir à cause du climat et des grosses fatigues, j'ai été obligé de retourner en Europe où, après quelques années de convalescence, j'ai pensé à la manière de retourner sur ce champ de bataille pour y sacrifier ma vie pour le salut des Noirs.

Ce fut le 18 septembre 1864 ; en sortant du Vatican, où j'avais assisté à la Béatification de Marie Marguerite Alacoque, qu'il m'est venu à l'esprit de présenter au Saint-Siège un Plan pour reprendre l'apostolat en Afrique Centrale. C'est le Sacré-Cœur de Jésus qui m'a fait surmonter les grandes difficultés pour réaliser mon Plan pour la Régénération de la Nigrizia par la Nigrizia elle-même


[3303]
En 1867 j'ai ouvert, à Vérone, l'Institut des Missions pour la Nigrizia et à la fin de cette même année, j'ai ouvert deux maisons pour les Noirs au Caire.

Je n'ai pas besoin d'expliquer, à vous qui avez une grande expérience des œuvres de ce genre, toute l'historique, le but et l'importance de ces Œuvres préparatoires pour implanter solidement l'apostolat dans les régions de l'Afrique Centrale. Je devais pourvoir l'Œuvre d'un corps d'ecclésiastiques pour être toujours en mesure de fournir le personnel de la Mission ; je devais faire en sorte que la santé des Missionnaires européens puisse être conservée le plus longtemps possible en ces pays brûlants d'Afrique Centrale.


[3304]
Dans ce but et avec la protection puissante de Monseigneur Canossa (son père fut le frère de la Vénérable Fondatrice des Filles de la Charité de Vérone qui se sont aussi établies à Hong Kong, ainsi qu'à Hu'pè en Chine. Actuellement il est question de béatifier cette Fondatrice. L'Evêque est le beau-frère de Madame Thérèse, Marquise Durazzo, du Sacré-Cœur à Paris), j'ai fondé l'Institut des Missions pour la Nigrizia à Vérone, lequel a été canoniquement approuvé par l'Evêque et j'ai fondé au Caire deux Institutions préparatoires pour les Missions d'Afrique Centrale, qui en cinq ans m'ont formé 54 bons sujets, actuellement très utiles pour mon Vicariat.


[3305]
Puisque les Pères Franciscains n'occupaient que la seule ville de Khartoum avec deux Missionnaires, pour lancer en 1871 mon œuvre en Afrique Centrale, dans des pays qui n'avaient jamais entendu la Parole de Dieu, constatant que j'avais de bons sujets indigènes, j'ai envoyé au Cordofan quatre explorateurs pour voir s'il était opportun de fonder une Mission à El-Obeïd, afin d'occuper utilement mes sujets selon le but de leur formation.

Guidés par le Père Carcereri, mon actuel Vicaire Général, les explorateurs sont arrivés en 82 jours au Cordofan et ayant bien exploré ce pays, ils ont trouvé opportun de fonder une Mission à El-Obeïd. C'étaient ces renseignements que nous avions reçus du Caire.


[3306]
C'est à ce moment-là que je me suis rendu à Rome pour demander le Cordofan pour mon Institut de Vérone. Mais le Saint-Siège, après que les Pères Franciscains aient renoncé à Khartoum en Afrique Centrale, a décidé de nous confier tout le Vicariat de l'Afrique Centrale, qui est plus grand que toute l'Europe et qui jouxte le 12ème degré de Latitude Sud.


[3307]
De retour au Caire j'ai fait tous les préparatifs pour une grande expédition en Afrique Centrale et, le 26 janvier de cette année, je suis parti du Caire avec une caravane de 33 personnes - Missionnaires, Sœurs, Institutrices noires et Frères laïques -. Après un long et pénible voyage de 99 jours, je suis arrivé à Khartoum d'où, après un mois de séjour, je suis parti pour le Cordofan où je me trouve actuellement depuis 50 jours. Le seul voyage de la caravane, du Caire à Khartoum et à El-Obeïd m'a coûté 22.000 francs et cela avec beaucoup de souffrances, sans jamais boire de vin ni moi ni les autres et dans une grande pauvreté.

Etant donné que cette Mission est rude, difficile et pénible, il faut que les Missionnaires soient disposés à un lent et continuel martyre.


[3308]
Actuellement, à Khartoum ainsi qu'à El-Obeïd, nous avons la propriété des maisons des Missionnaires, mais pour les maisons des Sœurs j'ai loué des établissements et je paie 1.200 francs par an à Khartoum et un peu moins à El-Obeïd.

Ici, nous ne buvons jamais de vin parce que c'est trop cher. Une bouteille de vin ordinaire pour la Messe, qui coûterait au Caire 60 centimes, nous l'achetons ici à plus de 5 francs. Les pommes de terre coûtent 130 centimes le kilo, tout ce qui est nécessaire à la vie de tous les jours est très onéreux. A Khartoum le prix du pain est assez élevé, alors qu'ici il n'y en a pas du tout et nous n'en mangeons pas, sauf du fahit un pain de sorgho sauvage qu'en Europe les poules mangeraient à peine. Nous sommes très heureux car nous accomplissons la volonté de Dieu et nous procurons le salut aux âmes les plus abandonnées de la terre.


[3309]
Fonder deux grands orphelinats pour l'enfance, dirigés par les Sœurs, est l'un de mes premiers soucis. Je crois qu'il est nécessaire de vous donner une idée de la déplorable condition de ces pays, pour que vous puissiez tout comprendre. L'abolition de l'esclavage décidée par les Puissances Européennes à Paris en 1856, est restée lettre morte pour l'Afrique Centrale. Les traités existent sur le papier mais ici la traite des Noirs est toujours en pleine vigueur. Les marchands d'esclaves partent de Khartoum et d'El-Obeïd au cours des différents mois de l'année, sauf pendant la saison des pluies équatoriales, et se rendent dans les proches tribus noires ; ils entrent fusils et pistolets à la main et arrachent violemment les enfants - petits garçons, et petites filles - de leurs familles tranquilles. Si les parents s'y opposent, alors ils les tuent ; ils conduisent ces enfants et les mères si elles sont jeunes, au Cordofan et en Nubie pour les vendre.


[3310]
Il y a des enfants âgés de deux jours jusqu'à des fillettes et des femmes de 24 ans environ ; il y a des mères très jeunes dont l'âge varie entre 14 et 20 ans avec deux ou trois enfants ; il y a aussi des femmes enceintes ; toutes nues elles sont conduites en Nubie et au Cordofan ainsi qu'en Egypte. On arrache ainsi, de leur terre, chaque année, des centaines et des milliers et peut-être même un demi-million de personnes.

Du Caire à Khartoum nous avons rencontré plus de trente caravanes et barques. De Khartoum au Cordofan nous avons vu plus de mille esclaves, tous nus et attachés au cou, tirés par des giallabas (marchands d'esclaves).

Une fois que ces pauvres enfants et filles sont devenus esclaves, leur maître en dispose selon son bon plaisir, surtout pour les harems et la prostitution.


[3311]
Le nombre des enfants nouveau-nés qu'on jette en dehors de El-Obeïd est considérable ; soit ils ont une sépulture, soit ils sont jetés en dehors de la ville pour être dévorés par les vautours et d'autres oiseaux avec les carcasses de chameaux, d'ânes et d'autres animaux.

Je me promenais, il y a quinze jours de cela, en dehors de la ville où j'ai vu des centaines de petits cadavres ou des parties de cadavres. J'ai insisté fermement auprès du Pacha, lequel a donné l'ordre d'ensevelir tous ces morts. Il y a aussi un certain nombre d'enfants qui sont vendus avec leur mère pour 90 ou 100 francs. Nous avons de nombreuses mères avec leurs petits que nous avons rachetées ou qui nous ont été données ; nous leur avons construit ou acheté des petites cabanes où elles vivent en dehors de la Mission.


[3312]
J'ai déjà acquis un terrain tout près de ma résidence, pour fonder un orphelinat qui devient ici une nécessité urgente et je le confierai aux Sœurs.

Mais j'aurais besoin d'argent soit pour bâtir, soit pour nourrir et élever ces enfants. Pour les allaiter, il y a des mères en abondance, même des mères de 11 ans rachetées ou prises en nourrices. Un grand orphelinat est nécessaire même à Khartoum.


[3313]
En plus de cela, vous devez, Monseigneur, réaliser que jamais l'Evangile n'a été prêché ici ; vous pouvez donc imaginer par conséquent les désordres, la corruption et ses effets. Il faut encore savoir que parmi les 100.000.000 d'infidèles dont est constitué mon Vicariat, il y a 80.000.000 d'hommes et de femmes, qui s'en vont complètement nus. Or, pour établir la Foi catholique, il faut habiller au moins les femmes et, un peu, les hommes. Cela constitue une dépense énorme car un morceau de toile ordinaire acheté au Caire pour 10 francs, une fois au Cordofan est vendu pour 40 francs au moins. Une malle de vêtements et de chemises pour femmes m'a été envoyée gratuitement de France ; son transport au Cordofan, m'a coûté 67 francs. Vous pouvez donc imaginer les dépenses nécessaires pour fonder un orphelinat pour nos chers petits Noirs.


[3314]
Au moment où je vous écris, nous n'avons, Monseigneur, même pas le linge pour nous, car nous avons dû coudre une chemise à chaque fillette et à chaque femme de notre Institut féminin et en faire également une pour les garçons. Nous dormons avec nos habits sur un angareb, un lit composé de morceaux de bois informes qui sont attachés avec des cordes de dattier ou avec des cordes de peaux d'animaux. Il y a à El-Obeïd des commerçants arabes (même pas un Européen) qui ont de la toile, mais pour pouvoir l'acheter il nous faut de l'argent que nous n'avons pas. Encore une remarque : les chemises portées par les Noirs ne se conservent pas comme en Europe où il y a de belles maisons, des lits et des chaises. Ici, les enfants dorment à même le sol, ou bien si nous en avons, sur des nattes. Il n'y a pas de chaises et ils s'assoient donc toujours par terre ; ils n'ont pas de chaussures, ils vont toujours pieds nus.


[3315]
La nourriture et les vêtements pour chaque enfant, même si petit, nous coûte 7 francs et 74 centimes par mois, sans compter le loyer de la maison et le salaire des nourrices qui allaitent les petits. Cependant, ceci ne peut pas durer car ainsi ils mourront. Il nous faut au moins 8 à 10 francs pour chacun. A Khartoum c'est plus onéreux. Ajoutez à cela les médicaments que nous avons apportés du Caire qui, une fois au Cordofan, coûtent beaucoup plus cher à cause des frais de transport auxquels il faut ajouter aussi le prix de l'achat.

Des esclaves se présentent chaque jour pour être libérés de la cruauté de leurs maîtres. Des mamans enceintes avec leurs petits viennent chez moi ; si je ne les accepte pas, elles seront tuées par des tueurs à gages. J'ai d'ailleurs constaté que certaines ont été tuées, même enceintes.


[3316]
Que faire devant cet horrible spectacle ? Je lève les yeux au ciel, j'ai confiance en la Providence et j'accueille ces malheureux.

Maintenant, n'ayant pas le temps de d'écrire toutes les autres misères, je m'adresse à l'Œuvre de la Sainte Enfance et je vous prie avec insistance de venir à mon secours avec un chèque annuel. Monseigneur, si vous voyiez l'état de la population de l'Afrique Centrale, vous seriez convaincu qu'aucune autre Mission de Chine ou d'autres pays au monde, ne mériterait d'être aidée comme la mienne.

Les Missions en Chine sont établies déjà depuis des siècles ; ici au Cordofan cela fait seulement 486 jours que la Foi catholique est entrée pour la première fois.

Ici, donc, il faut tout créer. La Chine est un pays civilisé, alors que l'Afrique Centrale ne l'est pas. A une distance de 10 jours de marche ou même de 3 jours d'ici, les populations, hommes et femmes, sont complètement nues. Ici les femmes dans les rues ne portent qu'un petit chiffon, les fillettes vont sans aucun habit ou alors avec une cordelette de peau posée vers le bas. Pour parler des misères de ce pays les paroles me manquent ; par pudeur, je ne peux raconter certains détails. Ainsi, je recommande à votre admirable cœur cette sainte cause ; veuillez, Monseigneur, plaider la cause de l'Afrique Centrale.


[3317]
Pour ce qui nous concerne, nous, Missionnaires, sommes disposés à mourir mille fois pour le salut de ces âmes. Notre cri de guerre sera toujours tout le long de notre vie : "Ou la Nigrizia ou la Mort ! ".

Avec la grâce de Dieu, nous serons toujours fidèles à notre propos.


[3318]
Je ne veux pas vous cacher que ma conscience était un peu inquiète quand le Saint-Siège m'a confié cette vaste et laborieuse Mission, car je connaissais ma petitesse face à cet énorme mandat que Dieu m'a confié par son auguste Vicaire Pie IX. J'ai alors pensé qu'avec nos seules forces nous ne réussirions jamais à fonder le catholicisme dans ces immenses régions où, malgré tous les efforts de plusieurs siècles, l'Eglise n'a pu réussir à s'implanter.

J'ai alors mis toute ma confiance dans le Sacré-Cœur de Jésus et j'ai décidé de consacrer, le prochain 14 septembre, tout le Vicariat, au Sacré-Cœur de Jésus.

A cet effet pour célébrer cette grande solennité, j'ai envoyé une Circulaire, et j'ai prié cet apôtre admirable du Sacré-Cœur qu'est le Père Ramière de rédiger l'acte solennel de Consécration, ce qu'il a fait. Je vous l'enverrai.


[3319]
Maintenant, pour cette fois-ci, je m'arrête d'écrire et je vous prie d'adresser un bon chèque aux enfants de mon Vicariat ; vous pourriez l'envoyer au Caire à mon représentant, l'Abbé Bartolomeo Rolleri, Supérieur des Instituts des Noirs au Caire. Il fera tout parvenir à ma Résidence principale de Khartoum par l'intermédiaire du Divan du Caire.


[3320]
Les autorités turques sont jusqu'à maintenant très gentilles avec la Mission. Je suis arrivé au Vicariat avec un Firman de l'Empereur de Constantinople, lequel accorde à mon Vicariat les mêmes privilèges que ceux accordés aux chrétiens de l'empire turc. Il m'a aidé, ainsi, à être bien accueilli dans toutes les principales villes du Soudan. Par conséquent, nous sommes entièrement libres. Mais à deux jours d'ici, là où n'existe aucun gouvernement, nous avons le Firman de la divine Providence.

Cependant la renommée de notre Mission d'El-Obeïd à pénétré partout : dans le royaume du Darfour, dans l'empire du Bornù, chez les Bogus, chez les Nouba dont un roi est venu nous inviter à bâtir une église, à construire des écoles pour sa tribu où Dieu est connu idéalement, mais où le culte manque. On n'y prie pas et on y déteste le Coran et on y a tué tous ceux qui leur ont parlé du Coran.


[3321]
Mon but actuel est de renforcer Khartoum ainsi qu'El-Obeïd pour en faire des points de base d'opérations ; puis nous nous étendrons jusqu'au-delà des Sources du Nil, où existe une population idolâtre, vierge de malice et un très bon climat.

Je confie cette pétition à l'Immaculée Vierge Marie pour que la l'Œuvre de la Sainte Enfance soit inspirée de venir en aide à cette Mission dont peut-être dépend le salut de tous les peuples de cet immense Vicariat.



Daniel Comboni

Texte original en français, corrigé.






515
Lettre Pastorale Cons. Vicariat
0
El-Obeid
1. 8.1873
N° 515 (485) - LETTRE PASTORALE POUR LA CONSECRATION

DU VICARIAT AU SACRE-CŒUR DE JESUSAP SOCG, v. 1003, ff. 736-737



El-Obeïd, le 1er Août 1873



DANIEL COMBONI

Par la grâce de Dieu et du Saint-Siège Romain

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale

Au Vénérable Clergé et au cher peuple Catholique de

notre Vicariat Apostolique, salut en Notre Seigneur Jésus-Christ

et Pastorale Bénédiction



[3322]
Chargé, par la volonté toute puissante de Dieu et par la volonté du Souverain Pontife Pie IX, du difficile et laborieux apostolat de l'Afrique Centrale, laquelle est la Mission la plus grande et la plus peuplée de l'Univers, nous avons compris au plus profond de notre âme toute la gravité de la divine entreprise.

Nous avons mesuré la distance disproportionnée de notre faiblesse face à la grandeur et à l'importance du mandat qui nous a été confié. Pour cela nous levons les yeux au ciel avec confiance, pour demander la force et l'aide nécessaire pour soutenir et diriger nos faiblesses pour le grand objectif que nous nous sommes fixé. Il plut au Seigneur de nous inspirer, en ces circonstances, des moyens sûrs pour réaliser nos désirs, de nous recueillir, nous-mêmes avec nos fidèles de tout le Vicariat Apostolique sous l'égide du très aimable Sacré-Cœur de Jésus.


[3323]
Ce Cœur adorable, divinisé par l'hypostatique union du Verbe avec la nature humaine en Jésus-Christ notre Sauveur, exempt de fautes et riche de toute grâce, n'a cessé depuis sa formation de battre du plus pur et du plus miséricordieux amour pour les hommes. Du berceau sacré de Béthléem il s'empresse d'annoncer, pour la première fois au monde, la paix ; enfant en Egypte, solitaire à Nazareth, évangélisateur en Palestine, il partage son destin avec les pauvres, il invite à lui les enfants et réconforte les malheureux, il guérit les infirmes et rend la vie aux morts, il rappelle les dévoyés et pardonne aux repentis ; mourant sur la Croix et plein de bonté et de patience, il prie pour ceux qui l'ont crucifié ; il ressuscite glorieux et envoie les Apôtres prêcher le salut au monde entier.


[3324]
Ce Cœur divin qui supporta d'être transpercé par une lance ennemie pour pouvoir répandre de cette grande blessure les Sacrements, desquels est née l'Eglise, n'a pas fini d'aimer les hommes.

Il vit désormais sur nos autels, prisonnier d'amour et victime de propitiations envers le monde entier. Non satisfait de cela, lors d'une célèbre apparition à la Bienheureuse Marguerite Marie Alacoque, soupirant d'affection, il s'offre lui-même comme remède aux maux qui se seraient déversés sur le monde coupable et périssable, avec les promesses d'une protection particulière pour ceux qui se consacreraient à son culte et à son amour.


[3325]
Chers enfants, voici pourquoi nous sommes saisis par la plus inébranlable espérance que dans cet adorable Cœur soient aussi gardés les trésors de grâce, qui doivent décider du salut éternel des immenses populations confiées à nos soins, et qui sont encore courbées sous l'empire de Satan.

Ainsi, après d'énormes fatigues et des pérégrinations désastreuses, nous retrouvant parmi vous finalement, nous avons décidé de consacrer tout ce cher Vicariat Apostolique de l'Afrique Centrale au Sacré-Cœur de Jésus.

Pour cela nous vous invitons tous à entrer en toute confiance dans cette arche de salut, pour nous préserver du déluge des maux que l'enfer vomit continuellement sur nous et qui, chaque jour davantage, menacent le monde de destruction.


[3326]
Nous avons confiance : cet heureux événement, en même temps qu'il produira en vous tous un accroissement de Foi et d'amour, ouvrira de nouvelles voies de salut au grand peuple de la Nigrizia Intérieure, lequel nous est très cher mais dort toutefois dans les ténèbres et dans les ombres de la mort.

Donc, nous désirons que cette consécration soit célébrée avec la plus grande solennité et le plus grand faste. Pour cette Fête, nous avons ainsi choisi le 14 septembre prochain, jour où toute l'Eglise célèbre la solennelle Exaltation de la Sainte Croix, symbole du triomphe de Jésus-Christ sur l'enfer et sur le péché.


[3327]
Que les Supérieurs et les Curés des Missions de notre Vicariat veillent à ce que ce jour-là soit précédé d'un triduum de prières publiques ; en cette circonstance, qu'une instruction concernant cette Fête soit donnée au peuple, expliquant la nature, la grandeur et les bénéfices de la sublime dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, invitant ainsi tous les fidèles à se rapprocher des Saints Sacrements pour obtenir l'Indulgence Plénière. Celle-ci, suite au privilège que le Siège Apostolique nous a accordé le 12 juin 1872, nous avons décidé de l'appliquer en faveur de tous ceux qui, repentants, se seront confessés et auront communié pour participer à l'émouvante cérémonie de cette solennelle Consécration.


[3328]
Le son joyeux des cloches, une demi-heure après le coucher du soleil, annoncera chaque jour la grande solennité, pour les trois jours susdits.

La veille, on observera un jeûne très strict, ce qui, nous l'espérons, attirera sur nous les bénédictions divines. Le matin du 14 septembre, nos Prêtres ajouteront pendant la Messe, la Collecte du Sacré-Cœur "Miserebitur " ; la Messe solennelle sera "Ritu Votivo solemni de SS. Corde J. ut in die cum com. Dom. occor. sub unica conclusione ". Une fois la Messe solennelle achevée, on exposera le Saint- Sacrement. Le Supérieur ou le Curé, récitera à haute voix en langue arabe la formule que nous avons établie de la Consécration, formule que nous-mêmes prononcerons dans l'église de notre résidence actuelle au Cordofan.

Enfin l'on chantera le " Te Deum " clôturant la sainte célébration avec la Bénédiction du Saint-Sacrement.


[3329]
Pour que cette solennelle Consécration du Vicariat Apostolique de l'Afrique Centrale au Sacré-Cœur de Jésus reste un souvenir impérissable, nous ordonnons que cette formule de Consécration soit également renouvelée devant le Saint-Sacrement, tous les premiers vendredis du mois, dans toutes les églises de notre Vicariat, après l'habituel exercice de la Garde d'Honneur du Sacré-Cœur de Jésus, et que soit donnée une Bénédiction au peuple.

Notre devoir sera par la suite, d'adresser, le plus tôt possible, au Saint-Siège nos plus vives requêtes pour qu'il soit accordé ceci : que le vendredi après l'Octave du Corpus Domini consacré à la Fête du Sacré-Cœur de Jésus soit désormais déclaré jour Férié obligatoire pour tout le Vicariat Apostolique de l'Afrique Centrale ; que notre Clergé séculier et régulier puisse célébrer ce jour de fête avec un double Rite de première classe avec Octave, selon les Règles générales des Saints Patrons.


[3330]
Nous sommes profondément convaincu que l'heureux jour de cette solennelle Consécration marquera une nouvelle ère de miséricorde et de paix pour notre cher Vicariat et que du sein mystérieux de ce divin Cœur transpercé, jailliront des torrents de grâces et des fleuves de bénédictions célestes pour ce grand peuple d'Afrique Centrale qui nous est très cher et sur qui pèse encore depuis tant de siècles l'effroyable malédiction de Cham.

Donné à El-Obeïd de notre résidence au Cordofan, le 1er Août 1873



Daniel Comboni, Pro-Vicaire Apostolique

Père Giuseppe Franceschini Pro-Secrétaire






516
Abbé Francesco Bricolo
0
El-Obeid
2. 8.1873
N° 516 (486) - A L'ABBE FRANCESCO BRICOLO

ACR, A, c. 14/27



Vive Jésus, Marie et Joseph !

El-Obeïd, capitale du Cordofan,

le 2 août 1873

Mon très cher Abbé Francesco,



[3331]
Je ne sais que penser de votre éternel silence. D'Egypte j'ai écrit deux fois à Vicence. Actuellement, bien que je sois débordé par mille occupations bien importantes, je ne puis oublier mon cher Bricolo un seul instant ; j'essaye de vous faire parvenir mes lettres par la voie de l'Abbé Guella.

Je regrette de n'avoir pas pris au moment voulu deux jours à passer ensemble à Vicence ou à Venise, mais j'avais tellement d'empêchements que je n'ai pas su comment m'en débarrasser. Maintenant que je suis très loin, je m'aperçois de l'erreur car je n'ai plus l'espoir de faire bientôt un voyage à Vicence ; mais, mon Dieu ! des voyages longs et fatigants me séparent de chez vous.


[3332]
En ce moment, la première chose que je voudrais vous dire, c'est que je veux de vos nouvelles ; je voudrais une lettre d'au moins six feuillets.

Vos nouvelles me manquent ; je ne sais pas si vous êtes vivant ou mort. J'ai demandé à l'Abbé Squaranti (oh ! si un certain Abbé Francesco Bricolo pouvait devenir membre de mon Œuvre Apostolique qui est si vaste) de vous expédier régulièrement nos petites Annales de sorte que vous ayez toujours de mes nouvelles. A Lyon aussi, la Propagation de la Foi imprime chaque semaine les Missions Catholiques, et à Milan, dans le Séminaire de San Calocero, on en imprime chaque année la traduction. Celles-ci également donnent de mes nouvelles. Mais moi je ne sais rien de l'Abbé Francesco. Donc je veux des nouvelles.


[3333]
Deuxièmement, je désirerais avoir pour l'Afrique, des Clercs ou des Prêtres de saints agriculteurs, de saints menuisiers, de saints maçons ; donc je voudrais que vous puissiez fournir l'Afrique Centrale en Missionnaires Prêtres ou Laïcs, de première classe, en les envoyant d'abord au maigre Institut du Séminaire.

Je désirerais aussi de bonnes Institutrices à vocation religieuse ; envoyez-les à l'Institut de Vérone, à Sainte Maria in Organo qui appartenait autrefois à Astori, mais qui maintenant est mien.


[3334]
Rapidement, maintenant, deux nouvelles me concernant car je n'ai point de temps. Je dois travailler comme Pro-Vicaire ; j'ai plus de 900 lettres à écrire. J'ai beaucoup de relations avec d'éminents bienfaiteurs, qu'il faut cultiver. J'ai dépensé en moins de six ans, depuis les petites fondations d'Egypte plus de 500.000 (cinq cent mille) francs-or pour mes Œuvres, ou pour mieux dire pour les Œuvres de Dieu (dont je suis le serviteur et Saint Joseph le Procureur) surgies en faveur de la Nigrizia. Donc j'ai de quoi faire. Voici donc rapidement de mes nouvelles.


[3335]
Avec plus de seize Missionnaires, parmi lesquels Prêtres, Laïques, Sœurs, etc.., je suis venu de Vérone au Caire. Avec moi, j'ai amené Perinelli de l'Institut Mazza en tant que mon Secrétaire. Mais séduit par l'ennemi des bonnes œuvres, il a abusé du secret de Secrétaire et il a rendu public ce qu'il devait tenir secret car cela impliquait une tierce personne. Enfin, il a formé des clans, a essayé d'arracher des sujets au lieu de servir son Chef. Je l'avais comblé de gentillesses, j'avais dépensé pour lui de l'argent sans limites, je l'avais présenté à de hauts personnages à Rome, Naples, Trani et Bari, etc. ... et lui voulait que je chasse deux de mes meilleurs sujets, et ce pour soutenir l'Abbé Giuseppe Ravignani. Parmi ceux-ci un Chanoine distingué qui a été curé de 32.000 âmes. J'ai refusé par amour de la justice.


[3336]
Le fait est que j'ai été obligé de le chasser de la Mission (peut être avait-il déjà appris à créer des clans dans les communautés). C'est ce que j'ai fait aussi avec le neveu du Père Ludovico da Casoria de Naples : deux individus que j'avais pris sans les avoir préalablement mis à l'épreuve. Fiat !


[3337]
Après avoir surmonté d'immenses difficultés, je suis parti du Caire le 26 janvier avec deux grands bateaux et 30 personnes : Prêtres, Religieuses et Noirs, garçons et filles. Après un voyage fatigant et mille dangers dont nous avons été sauvés par miracle, après 99 (quatre-vingt-dix-neuf) jours de voyage, je suis arrivé à Khartoum où j'ai été accueilli par la Colonie, par les Pachas, par les Consuls et par tous avec un enthousiasme dont je suis confus. A Khartoum, le grand Pacha Ismaïl qui commande jusqu'aux Sources du Nil, m'a offert une liberté d'action totale et son soutien pour faire ce que je voulais. Il m'a donné le pouvoir de disposer des esclaves à mon gré et il m'a offert aussi ses bateaux à vapeur pour effectuer mes visites pastorales sur le Fleuve Blanc, le Fleuve Bleu, Berber, etc...


[3338]
En effet, pour venir au Cordofan j'ai dû parcourir 127 km. sur le Fleuve Blanc et entrer dans la savane. Il m'a offert gratuitement son bateau à vapeur qu'il a mis entièrement à ma disposition.

A Khartoum, nous avons fait ressusciter ce poste moribond, et maintenant la paroisse est en pleine activité. J'ai donné la Confirmation à tous ceux qui étaient restés depuis 1858 ; dans un autre bâtiment pris en location j'ai ouvert l'Institut féminin où vivent les Sœurs avec les Institutrices africaines. Cet Institut est florissant et fait des miracles de charité. J'ai des Sœurs Orientales de Jérusalem, d'Alep, du Mont Liban et des Françaises, elles font des miracles, j'en suis content. J'expliquerai dans d'autres lettres ce sujet intéressant.

Sœur Joséphine Tabraui de Jérusalem, la Supérieure des Sœurs, était sur le point de mourir à Scellal, après avoir eu une hémoptysie, etc... Mais après un éclatant prodige de la Vénérable Canossa (à qui nous avons fait une neuvaine) elle a été guérie en trois jours. Ainsi elle a pu traverser le désert pendant la saison la plus critique, voyageant 17 heures par jour, par 60 degrés Réaumur de 12 h. à 16h., en avançant à marche forcée. Si bien que ce désert entre Corosco et Abouhammed - le désert le plus dangereux à cause du manque d'eau, qu'en 1857, nous avions traversé en 15 jours, maintenant, avec les Sœurs et 19 femmes, nous l'avons traversé en seulement 6 jours et demi.


[3339]
Je suis arrivé à Berber plus mort que vif. Muni d'un Firman du Grand Sultan de Constantinople, obtenu par l'Empereur d'Autriche, j'ai été accueilli joyeusement par tous les Pachas et Moudirs du Soudan qui m'ont offert leurs services. A Berber le Pacha a mis sa barque à ma disposition. Vous saurez à partir des Annales de Vérone ce qui s'est déroulé lors de mon arrivée à Khartoum et dans la capitale du Cordofan et tout ce qu'on a fait jusqu'à présent.

Le jour de mon arrivée au Cordofan, le Pacha a publié le Décret d'abolition de l'esclavage, ce qui n'avait jamais été fait ici. Pour cela, le marché, qui chaque jour était plein de milliers d'esclaves enchaînés, est actuellement vide. Et que je ne voie pas d'esclaves enchaînés dans les rues ! sinon tout de suite je les conduirai à la Mission et je ne les rendrai pas.


[3340]
J'ai rencontré des milliers d'esclaves de tout âge et des deux sexes lors du voyage entre le Fleuve Blanc et El-Obeïd. Certains par groupes de dix ou douze attachés au cou avec une corde et surveillés par un marchand d'esclaves qui tenait le bout de la corde. D'autres, par groupes de huit ou dix, garçons et filles mélangés, attachés par le cou à une poutre en bois soutenue par leurs épaules. D'autres enchaînés aux pieds, d'autres les bras attachés derrière le dos, d'autres avec une poutre, qu'on appelle sceva, attachée au cou. Et tous marchaient complètement nus, poussés par la lance de ces bourreaux. Pour la plupart c'étaient des jeunes filles, elles aussi toutes nues, âgées de 10 à 20 ans. Vous comprenez bien la grande importance de ma Mission. Mais cela suffit !


[3341]
La vraie porte de la Nigrizia est ici à El-Obeïd. Vous connaîtrez l'histoire de cette magnifique Mission, née presque par enchantement, et où le climat est très bon. Actuellement, nous n'avons même pas 18 degrés, il pleut abondamment et les fièvres ou autres maladies n'existent pas.

En octobre 1871, j'ai envoyé pour explorer le Cordofan, les deux Pères Carcereri et Franceschini. Je suis heureux d'avoir réussi et actuellement je possède ici une merveilleuse maison avec un jardin, ainsi que la maison pour les femmes. Tout a été acheté et déjà payé. C'est une Mission qui promet beaucoup. Et de surcroît elle est la porte de la Nigrizia. En cinq jours nous arrivons à Djebel Nuba, la patrie de Bachit Miniscalchi. C'est une terre au climat magnifique ; un de leurs chefs est venu pour m'inviter à y construire église et école.


[3342]
En deux autres jours au Nord-Ouest, d'ici on arrive au Darfour et en 12 jours à le résidence du Sultan. En un mois de voyage, d'ici on va dans le grand empire de Bornù, alors que de Tripoli il faut 114 jours. Bornù est sous ma juridiction. Mon Vicariat est entre l'Egypte et le 12ème degré de Latitude Sud entre la Mer Rouge et Souakin, l'Abyssinie, les Gallas et le Niger. C'est le plus vaste et le plus peuplé de tout l'univers. Donc, pour l'amour de Dieu ! Trouvez-moi des candidats et envoyez-les-moi à Vérone.


[3343]
Veuillez présenter mes respects à Monseigneur l'Evêque, à l'Abbé Sartori, et à tous dans la maison, à l'Abbé Quinto et à tous les jeunes.

Je ferai le 14 septembre la solennelle Consécration de tout le Vicariat au Sacré-Cœur de Jésus, dont j'attends la conversion de tous. Je continuerai ma visite Pastorale en octobre et j'irai à Gondocoro avec le bateau à vapeur, mis entièrement et gratuitement à ma disposition. J'irai en janvier par le Fleuve Bleu jusqu'à la frontière de l'Abyssinie et à Souakin. Revenu des sources du Nil, Baker m'a dit qu'il faut que j'implante une Mission dans ce lieu. Je l'implanterai certainement, mais trouvez-moi des Missionnaires.

Saluez pour moi l'Abbé Bortolo de Venise. Je suis en Jésus-Christ usque ad mortem, affectueusement



votre Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale






517
Lettre Pastorale au Clergé Vicariat
0
El-Obeid
10. 8.1873
N° 517 (487) - LETTRE CIRCULAIRE AU CLERGE DU VICARIAT

AP SOCG, v. 1003, ff. 740-741



El-Obeïd, le 10Août 1873

DANIEL COMBONI

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale

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Aux très Révérends Curés, Vicaires Paroissiaux et Confesseurs de notre cher Vicariat Apostolique de l'Afrique Centrale, salut et toute bénédiction de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur.

[3344]
Nous avons pris soin de connaître l'état moral des nos fidèles sujets, depuis le moment où nous avons assumé la responsabilité spirituelle de cet immense Vicariat qui nous a été confié par le Saint-Siège, pour leur offrir les secours que nous sommes en mesure de leur donner et dont ils peuvent avoir besoin.

Cela nous a permis de distinguer parmi eux l'alternance du bien et du mal qui se trouve au sein de chaque société humaine. Alors que l'élan vers la Foi - élan qui les porte généralement à respecter l'autorité ecclésiastique jusqu'à l'enthousiasme - alors que le courage qui peut éventuellement animer quelques-uns pour les remettre sur la voie du salut éternel nous ont consolé, par contre l'indifférence morale qui pousse tant d'autres à violer souvent quelques préceptes les plus essentiels de la loi divine, naturelle et ecclésiastique, nous a attristé.


[3345]
Voilà pourquoi nous nous sentons obligé de nous faire entendre, à travers vous, contre le loup qui menace le troupeau ; avec les paroles de l'Apôtre (2 Tim. 4) nous vous disons, à chacun de vous, très chers et dévoués Coopérateurs et frères dans nos importantes cures pastorales : "praedica verbum, insta opportune, importune : argue, obsecra, increpa in omni patientia et doctrina". D'abord faites- leur comprendre que sans les œuvres la Foi est morte comme le dit Saint Jacques, (Jc. 2) que la vraie Foi, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu (He. 11.) est celle qui, comme le dit le Pape Saint Grégoire (Hom. 29 in Ev.), ne contredit pas dans les œuvres ce qui est dit par les paroles. Puisse cela leur démontrer combien le concubinage est un grave péché.


[3346]
Depuis que Jésus-Christ a rappelé le mariage à son unité primitive, depuis qu'il l'a institué comme Sacrement, toute union en dehors de cet unique état est un grave délit. Mais le concubinage est encore plus grave, c'est un état, une union généralement opposée au saint mariage. A noter également le grave scandale que les concubins donnent aux autres fidèles ainsi qu'aux infidèles dont beaucoup d'entre eux savent très bien que cela est un délit pour les chrétiens. Pour diminuer la faute, ils prétextent que c'est la coutume au Soudan. Jésus Christ n'a pas fait une exception particulière pour le Soudan mais il a fait une loi générale pour tous les temps, tous les lieux et toutes les personnes ; ne sera sauvé que celui qui observe cette loi.


[3347]
Il a directement condamné le concubinage de la Samaritaine (Jn. 4) ; cela a toujours été considéré comme un grave péché par tous les Pères et les Conciles Œcuméniques. Le Saint Concile de Trente a décrété, (Sess. 24, ch. 8 ) spécialement contre les concubins, l'excommunication ferendae sententiae post trinam monitionem, et la peine d'être chassé de la ville et des Diocèses, avec l'aide de l'autorité séculaire. Par la suite il est connu que dans presque tous les Synodes, ce péché est considéré comme l'un des plus graves, des plus nuisibles et qu'il est sévèrement puni par les mêmes lois civiles d'Europe (Scavini T.I tr.4. Disp. 2. ch.2 Art.1). Vous n'ignorez pas non plus que les concubins publics sont interdits par le Rituel Romain (de Patrinis et de quibus non licet dare cc. sepolt.), de la fonction de parrains et de la sépulture ecclésiastique, comme étant des pécheurs publics, nisi dederint signa poenitantiae.


[3348]
Déclarez donc publiquement que nous sommes résolu à appliquer contre ceux qui, pour leur malheur, s'obstinent dans le concubinage, toutes les peines susdites et les censures ecclésiastiques ; et en plus nous vous sommons d'observer ce que le Rituel Romain prescrit contre eux, tant dans l'administration des Sacrements, que dans la sépulture ecclésiastique, de sorte qu'après cet ordre aucun concubin public ne puisse être accepté comme parrain dans l'administration des Sacrements, ni ne puisse avoir une sépulture ecclésiastique s'il décède impénitent. Nous nous réservons donc de procéder à des peines majeures contre ceux qui, endurcis, s'obstinent à ne pas écouter nos paternelles admonitions.


[3349]
Il existe un autre délit déplorable que nous devons condamner chez certains de nos fidèles, c'est la coopération directe ou indirecte au commerce inhumain des esclaves et à l'horrible traite des Noirs. Ils sont nombreux, à l'exception de quelques-uns, à considérer les Noirs comme des êtres différents des hommes, une espèce intermédiaire entre l'animal et l'homme. Ils prétendent donc que les Noirs, étant donné leur condition, doivent être des esclaves et doivent servir comme un article de spéculation commerciale.

Nous avons appris avec une très grande douleur qu'il y a certains chrétiens qui prêtent leur aide financière ou leurs armes à ceux qui violemment vont arracher à leurs familles, enlever de leur pays ces victimes d'une barbarie des plus impitoyables, victimes qui sont nos chers Fils et notre précieux héritage. Il y en a qui les achètent pour les vendre à d'autres, qui les maltraitent en leur donnant des coups jusqu'au sang, qui les obligent à se marier et puis en vendent les enfants, ou bien vendent séparément la femme, le mari et les enfants.


[3350]
Par ailleurs, il n'y a presque aucun chrétien de notre Vicariat qui ait le souci de faire instruire ses serviteurs noirs dans la vraie Religion, comme Dieu l'impose dans le quatrième commandement, méritant ainsi, le reproche de l'Apôtre "qui suorum et maxime domesticorum curam non habet, fidem negavit, et est infideli deterior " (1Tim. 5). Notre âme hautement indignée contre les auteurs de ces délits, s'adresse à vous, chers Coopérateurs en cette difficile et laborieuse Vigne du Christ, pour faire connaître à tous nos fidèles, qu'au nom de la Religion et de l'Humanité nous détestons et interdisons ce commerce inhumain.

Jésus-Christ nous a expressément dit (Mt. 23, 8) que nous sommes tous frères, sans distinction entre Blancs et Noirs et que (Mt.7) nous ne devons pas faire aux autres ce que nous ne voulons pas que l'on nous fasse.


[3351]
L'Apôtre Paul écrit à Philémon à propos d'Onésime. "non ut servum, sed pro servo charissimum fratrem, maxime mihi, quanto autem magis tibi, ut in carne et in Domino ! Si ergo habes me socium, suscipe illum sicut me" (Phm. vv.16-17) Si dans le Christianisme l'esclavage est un délit, combien plus en est-il du détestable commerce des esclaves et de l'horrible traite des Noirs?

Les Souverains Pontifes Paul III, Urbain VIII, Benoît XIV, Pie VII et Grégoire XVI entre autres, ont condamné ces délits comme une injure au Christianisme. Ainsi, afin de pourvoir, pour autant qu'il nous est possible, au bien spirituel de notre cher Vicariat, nous vous ordonnons d'annoncer aux chrétiens qu'ils ne peuvent ni vendre les Noirs, ni les donner à qui ne peut leur procurer le salut éternel, ni financer ceux qui les arrachent violemment de leur pays et encore moins les enlèvent ou les font enlever pour leur compte, ni en aucune autre manière coopérer à cet infâme trafic, sans grave péché.

Ils sont tenus de traiter humainement, d'instruire dans la vraie Religion ceux qu'ils ont ou qu'ils auront. Nous vous chargeons d'y veiller avec sollicitude et de nous renseigner sur cela. Afin qu'un si déshonorant commerce prenne fin.

Nous nous réservons, en cas de besoin, d'avoir recours à l'Autorité locale, si certains retombaient dans ce péché, pour prendre les mesures adéquates selon la loi civile consentie par la Sublime Porte et par les traités avec les grandes Puissances Européennes.


[3352]
Le cœur noué par l'un ou l'autre de ces délits, ou bien alourdi par d'autres habitudes désordonnées, certains de nos fidèles ont laissé passer le temps Pascal que l'on avait promulgué, même en voie extraordinaire, sans se présenter aux Saints Sacrements. Un tel fait nous a profondément affligé, d'autant plus que vous les aviez exhortés plusieurs fois, avec zèle, soit publiquement soit personnellement en privé. Nous avons donc été obligé d'appliquer plusieurs peines, contre les réfractaires, selon les dispositions spéciales du Rituel Romain (De Comm. Pasc.), ainsi qu'une des peines ecclésiastiques établies par le Concile du Latran IV célébré en 1215 sous le Souverain Pontife Innocent III. Ainsi, nous vous demandons de nous dénoncer chaque année tous ceux qui, après avoir été plusieurs fois avertis, refusent par négligence coupable de satisfaire au Précepte Pascal ; de ne pas leur permettre d'être engagés comme parrains dans des sacrements et de leur refuser la sépulture ecclésiastique si par disgrâce extrême ils venaient à mourir en restant obstinément dans l'impénitence.


[3353]
Pour terminer, nous vous recommandons avec toute l'ardeur de notre âme d'inculquer aussi à nos chers fidèles l'obligation de la sanctification des Fêtes, l'abstinence prescrite pour les vendredis, et autant que possible, la fréquentation des Sacrements.


[3354]
Nous avons un doux espoir que grâce à l'action de votre louable zèle, nos fidèles se persuaderont que nous n'avons comme objectif que leur réel bien spirituel ainsi que le grand intérêt pour leur salut éternel.

Nous avons pour cela, une vive confiance qu'ils écouteront notre voix et nos conseils paternels par lesquels nous nous sentons dans l'obligation de les appeler sur le droit chemin des commandements divins et ecclésiastiques.

Pour cela Nous adressons au ciel nos prières quotidiennes et nous sommes certains que vous ferez la même chose pour les âmes des fidèles qui vous sont confiées.


[3355]
Avec toute la ferveur de notre esprit nous les recommandons encore à votre zèle apostolique, persuadé que vous saurez vous introduire auprès de chacun d'eux, afin de pouvoir les attirer tous vers la grâce rédemptrice de Jésus-Christ Notre Seigneur.

En son nom, de tout cœur nous invoquons sur vous et sur chacun des fidèles de notre Vicariat Apostolique toutes les bénédictions célestes, au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Donnée depuis notre résidence actuelle au Cordofan.



El-Obeïd, le 10 Août 1873



Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique d'Afrique Centrale



Père Giuseppe Franceschini

Pro- Secrétaire






518
Une personnalité autrichienne
0
El-Obeid
18. 8.1873
N° 518 (488) - A UNE PERSONNALITE AUTRICHIENNE

"Annali Buon Pastore" 6 (1874), pp. 21-27



El-Obeïd, le 18 Août 1873

Monsieur,



[3356]
La bienveillance et l'éminente bonté que vous m'avez toujours témoignées, le sentiment vif et profond de ma gratitude et de dévotion que je vous garderai de manière inoubliable jusqu'à la mort, ne me permettent pas de remettre à plus tard un bref aperçu concernant le mouvement, le développement et les progrès de l'Œuvre de la régénération de la Nigrizia, qui a eu l'honneur d'intéresser l'intelligence, la grande sagesse ainsi que le noble sentiment de compassion de votre grand cœur.


[3357]
Ayant pu élever et former, dans les Instituts du Caire, plus de cinquante sujets indigènes capables de contribuer efficacement à l'apostolat de la Nigrizia Centrale, j'ai envoyé au Centre de l'Afrique quatre Missionnaires explorateurs, afin de trouver à l'intérieur un endroit convenable pour y commencer avec succès une Mission.

Le Révérend Père Carcereri, mon Vicaire Général actuel, conduisait les quatre explorateurs. Ils sont arrivés, après 82 jours de voyage, à El-Obeïd une ville peuplée de plus de cent mille habitants. Ayant pu constater l'opportunité d'une mission dans cette capitale où l'Evangile n'avait jamais été annoncé, et trouvant ici un climat très sain, moins chaud que celui du Caire, je me suis empressé d'aller à Rome pour demander au Saint-Siège, pour mon Institut, la Mission du Cordofan, qui est une province grande comme la Hongrie entière.

Après une longue étude et un profond examen, la Sacrée-Congrégation de Propaganda Fide m'a confié non seulement le Cordofan, mais aussi toute l'Afrique Centrale, qui est la plus grande et la plus laborieuse Mission de tout l'univers, plus grande que l'Europe entière, peuplée de plus de cent millions d'infidèles.


[3358]
Le Saint-Père Pie IX m'a nommé Pro-Vicaire Apostolique de cet immense pays et m'a donné toute les facultés papales nécessaires pour remplir mes devoirs.

Voici les frontières du Vicariat : L'Egypte, Tripoli et l'Algérie au Nord, le Niger à l'Ouest, la Guinée Méridionale et le 12ème degré de latitude sud au Sud, la Mer Rouge, l'Abyssinie et la tribu des Gallas à l'Orient.

J'espère pouvoir implanter la Foi, et consolider la Mission catholique d'une manière stable, dans la Nigrizia Intérieure, avec l'appui du Sacré-Cœur de Jésus à qui je consacrerai le Vicariat le 14 septembre prochain..


[3359]
Le 26 janvier dernier, je suis parti du Caire avec deux grandes barques, dahhabia, il y avait en tout 33 personnes : Prêtres, Sœurs, Institutrices africaines et Frères coadjuteurs artisans. Après 99 jours de lent et pénible voyage, avec 65 chameaux, traversant le grand désert d'Atmur, je suis arrivé à Khartoum, où après un séjour d'un mois, j'ai mis sur pieds deux Instituts importants et une paroisse.

De cette ville j'ai pris le bateau à vapeur mis à ma disposition gratuitement par le Pacha de Khartoum. J'ai navigué sur le Fleuve Blanc pendant 127 km. puis je suis descendu à Tura-El-Khadra, d'où, avec 17 chameaux j'ai traversé la savane immense des arabes Hassanie ; puis, après 9 jours de marche rapide, je suis arrivé dans cette capitale, qui est la vraie porte de la Nigrizia Intérieure. Ici, une communauté chrétienne en est déjà à ses débuts. L'Institut Féminin a ouvert ses portes et la Mission est en pleine activité. En quatre mois seulement, depuis que je me trouve au Soudan, je peux être rassuré de voir le Vicariat bien lancé en si peu de temps, avant-goût de conquêtes grandioses.


[3360]
Mes efforts actuels sont dirigés principalement vers la consolidation des deux Missions principales de Khartoum et du Cordofan.

Khartoum constitue la base d'opérations pour apporter la Foi aux innombrables tribus de la partie orientale du Vicariat jusqu'au-delà des Sources du Nil.

El-Obeïd constitue la base d'opérations pour arborer, petit à petit, la Croix dans les tribus, royaumes et empires qui forment la partie centrale du Vicariat.

A quatre jours d'El-Obeïd, l'on entre dans le territoire du Royaume du Darfour et l'on arrive, en 15 jours, à la résidence du Sultan. En 30 jours on atteint la capitale de l'Empire de Bornù et en 5 jours l'on entre parmi les tribus idolâtres qui font partie de la grande famille des Nouba.


[3361]
A Khartoum comme à El-Obeïd, il existe une paroisse, des écoles publiques masculines et féminines, un grand orphelinat sous des cases que je convertirai en une grande maison lorsque Dieu me donnera les moyens de la construire avec du sable, selon la coutume au Cordofan.

Chaque semaine, je baptise et je donne la Confirmation à un bon nombre d'adultes, ceci étant possible et vérifiable car les Institutrices africaines formées au Caire sont habiles à instruire et à catéchiser les indigènes.


[3362]
Toutes les autorités égyptiennes me secondent et donnent leur appui à mon apostolat. Les Pachas de Khartoum et du Cordofan sont des amis et me remercient particulièrement d'avoir amené les Sœurs pour éduquer la jeunesse féminine.

C'est la première fois que l'Afrique Centrale voit ces héroïnes de la civilisation chrétienne.


[3363]
Je me limite actuellement à vous donner un bref aperçu sur l'horrible traite des Africains en pleine vigueur dans ce Vicariat, remettant à une lettre ultérieure les informations sur celui-ci. Vous avez dû lire récemment un certain nombre de dépêches télégraphiques dans lesquelles on a fait croire à tout le monde que la traite des esclaves est entièrement supprimée, que les routes sont ouvertes de Gondocoro jusqu'à l'Equateur et de l'Equateur jusqu'à Zanzibar. Tout ceci est faux : la Mission d'Afrique Centrale est contrainte d'être le témoin des horribles supplices que d'infâmes marchands de chair humaine infligent à ces très malheureux Africains des tribus voisines de ces deux postes fondamentaux où se trouve ma résidence.


[3364]
Plusieurs fois par mois, des troupes de Giallaba partent de Khartoum et d'El-Obeïd armés de fusils ; ils vont dans les tribus voisines ou lointaines, arrachent violemment du sein de pacifiques familles africaines les garçons, les filles et les jeunes mères, tuant presque toujours les pères et ceux qui résistent.


[3365]
Après avoir fait un butin de mille, deux mille, cinq mille Africains, ils retournent dans ces villes, d'où ils partent vendre les esclaves en Nubie sur les ports de la mer Rouge, et en Egypte. Ces malheureuses créatures font cet immense voyage à pied, poussés par les lances de ces canailles.

Il y a trois mois, environ 1400 Noirs habitant une montagne proche du territoire du Darfour, ont résisté aux assauts des Giallaba. Ceux-ci y étaient allés pour enlever fillettes et garçons. La semaine dernière sont partis d'El-Obeïd deux mille hommes armés de fusils pour se venger de la défaite essuyée sur cette montagne et pour massacrer tous leurs chefs.


[3366]
De Tura-el-Khadra à El-Obeïd, j'ai rencontré, durant le voyage qui a duré neuf jours, plus de mille de ces malheureux répartis en différentes caravanes. C'étaient des hommes et des femmes tout nus, attachés par le cou avec des cordes, pêle-mêle dans la promiscuité, par groupe de huit ou de dix, rivés à une poutre pour qu'ils ne s'enfuient pas.

D'autres étaient attachés avec les bras derrière le dos et étaient tirés par des cordes. D'autres enchaînés aux pieds ; d'autres attachés à la sceva une poutre finissant en triangle, où est fixé le cou des esclaves. Les jeunes mères âgées de quatorze ou quinze ans étaient liées deux par deux, seuls les fillettes et les garçons âgés de quatre à sept ans environ n'étaient pas attachés. Tous étaient nus, faisaient le chemin à pied, poussés brutalement avec des lances.

Par la suite, j'ai pu voir plusieurs cadavres d'esclaves terrassés par la fatigue et tombés morts sur le chemin.


[3367]
L'abolition de la traite des Noirs en Afrique Centrale est lettre morte et je crois que sa réalisation sera impossible, puisque les esclaves constituent une des principales ressources du Gouvernement et des commerçants du Soudan.

Ce sera la prédication de l'Evangile ainsi que l'instauration de la Foi catholique dans ces pays infortunés, qui aboliront efficacement la traite des esclaves. Actuellement je suis en train d'étudier la façon dont la Mission catholique pourra contraindre les Pachas ainsi que le Gouvernement à mettre fin aux ravages que l'on fait chez ces malheureux ; et l'on remarque déjà chez beaucoup de trafiquants, une peur panique de la Mission.


[3368]
Lorsque je trouve des esclaves liés, ou bien lorsqu'ils se présentent à la Mission, je les conduis ou je les fais conduire au Divan et je leur fait remettre une attestation de liberté.

J'ai acheté un grand terrain en friche au dehors d'El-Obeïd, pour y installer les esclaves libérés, qui sont déjà nombreux, leur permettant de vivre des produits de cette terre.


[3369]
Ainsi, rien qu'à propos de cet aspect, vous comprenez combien ma Mission est importante. Face à toutes ces horreurs et ces misères, mes Missionnaires sont décidés à sacrifier leur vie pour le salut de ces misérables populations.

Nous ne ressentons ni la chaleur équatoriale, ni les privations dues à la vie apostolique de cette Mission, ni la fatigue des voyages, ni les maisons inconfortables, ni tout genre de privation, au point que linge, chemises, toiles, tout a été utilisé pour coudre de simples chemises aux femmes esclaves libérées.

Nous sommes tous décidés à tout supporter pour améliorer la condition de ces peuples et pour les appeler à la Foi. Notre cri de guerre jusqu'à notre dernier soupir sera : Ou la Nigrizia ou la Mort !. Le Sacré-Cœur de Jésus nous aidera.


[3370]
Etant donné qu'une grande partie des chrétiens sont des coopérateurs de l'infâme trafic des Noirs d'Afrique Centrale, j'ai frappé d'excommunication ces criminels et menacé les hérétiques de toute espèce de les faire tous incarcérer par les autorités turques, et cela en vertu des lois en vigueur après le traité de Paris de 1856, selon lequel l'esclavage est aboli (sur le papier !) ; j'y contraindrai les autorités, sous peine de les dénoncer à leurs gouvernements et de les exposer à la condamnation du monde entier.

Cela fait presque un mois que j'ai émis cette Circulaire et les Turcs, les chrétiens et les catholiques ont maintenant une peur telle que je nourris de bons espoirs que l'action menée par le Chef du catholicisme et de la Mission du Soudan obtiendra de bons résultats.


[3371]
Je vous prie de m'excuser d'avoir été trop long. Je désire vous donner petit à petit un pâle aperçu de ma Mission qui, par son importance, son étendue et ses difficultés est la première du monde, la plus sainte, la plus bienfaisante, la plus humanitaire.

Je vous prie d'accueillir l'expression de ma plus profonde vénération et ma gratitude avec lesquelles j'ai l'honneur de me signer dans les Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie, votre très humble et obéissant serviteur,



Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






519
Chanoine Cristoforo Milone
0
El-Obeid
19. 8.1873
N° 519 (489) - AU CHANOINE CHRISTOPHE MILONE

"La Libertà Cattolica" 244 (1873), pp. 981-982



El-Obeïd, capitale du Cordofan,

le 19 août 1873

Très Cher et Vénérable Ami,

Directeur de la Libertà Cattolica,



[3372]
J'ai été jusqu'à maintenant très occupé soit par les préparatifs effectués au Caire de la plus grande caravane catholique jamais vue en Afrique Centrale, soit pour le long et difficile voyage de cette caravane que j'ai guidée du Caire jusqu'à Khartoum, d'une durée de 99 jours (quatre-vingt-dix-neuf ) ; soit par tout ce que j'ai trouvé comme travail à faire au Vicariat. A cause de tout cela je n'ai pas pu réaliser ce que nous avions décidé de faire pour notre correspondance.

Mais j'espère qu'après la solennelle consécration du Vicariat au Sacré-Cœur de Jésus, qui aura lieu le 14 septembre prochain, lorsque je serai dans ma résidence principale de Khartoum, je pourrai entreprendre avec vous une correspondance intéressante et agréable.

Ce Vicariat, qui est le plus grand et le plus laborieux de tout l'univers, est constitué de plus de 100 millions de pauvres malheureux, dont les misères et les adversités, si on les connaissait, attendriraient les cœurs les plus durs. Entre autres la traite des Noirs, et les horreurs du plus cruel esclavage, en pleine vigueur et activité, sont des souffrances que l'on ne peut exprimer en paroles.


[3373]
J'ai le grand bonheur d'avoir dans mon Vicariat deux bons et braves Missionnaires de l'illustre Diocèse de Trani. Le premier est l'abbé Salvatore Mauro, doté d'un très bon esprit d'abnégation, qui parle, catéchise et prêche déjà en langue arabe ; il est plein de dévotion pour Saint Jude Taddée et pour Notre Dame du Sacré-Cœur. Le deuxième est le Chanoine Abbé Pasquale Fiore qui est actuellement à Khartoum ; doué d'un courage héroïque et d'un infatigable zèle pour les Noirs, il est capable de bien diriger une Mission. Ces deux distingués Missionnaires sont convaincus que notre Mission est la plus sainte, la plus humanitaire, la plus importante de toutes, puisqu'ici nous devons amener nos Africains à être d'abord des hommes et puis en faire des chrétiens. Mais tout ceci se fera avec le Sacré-Cœur de Jésus. Je vous embrasse de tout mon cœur, votre ami,



Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale






520
Card. Alessandro Barnabò
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El-Obeid
20. 8.1873
N° 520 (490) - AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SOCG, v. 1003, ff. 738 - 739



N° 8

El-Obeïd, Cordofan, le 20 Août 1873

Eminent et Révérend Prince,



[3374]
Je me permets de joindre la Circulaire émise pour la solennelle Consécration du Vicariat d'Afrique Centrale au Sacré-Cœur de Jésus, qui aura lieu le 14 septembre prochain. Au nom de mes Missionnaires zélés et en mon nom, je m'adresse humblement à votre Eminence pour que vous puissiez plaider auprès de l'Auguste Souverain Pontife, notre vénérable Saint-Père Pie IX, afin qu'il nous accorde avec bienveillance que "le vendredi après l'Octave du Corpus Domini, consacré à la Fête du Sacré-Cœur de Jésus, soit déclaré formellement, par le Saint-Siège, jour férié obligatoire pour tout le Vicariat Apostolique d'Afrique Centrale, que par le Clergé séculier et régulier de ce Vicariat il soit célébré avec un double Rite de Première Classe avec Octave selon les Règles Générales des Saints Patrons.


[3375]
Nous sommes tous profondément convaincus que la grâce du Sacré Cœur de Jésus nous fera triompher de tous les obstacles que le monde et l'enfer ont suscités jusqu'à aujourd'hui contre la régénération de ces malheureux peuples.

La Sainte Eglise pourra, en peu de temps, les compter définitivement parmi ses chers enfants rassemblés à l'ombre de l'Arche mystique de l'Alliance éternelle du pacifique bercail de Jésus-Christ où uniquement l'on trouve le salut.


[3376]
Une récente dépêche télégraphique, que je viens de recevoir, venue d'Alexandrie en Egypte, et datée du 30 juin dernier a agité l'Europe scientifique. Elle contenait le message suivant : "Samuel Baker annonce que le pays qui s'étend jusqu'à l'Equateur est annexé à l'Egypte. Toutes les rébellions, les intrigues et la traite des esclaves sont complètement supprimées. Le Gouvernement est parfaitement organisé, les routes sont ouvertes jusqu'à Zanzibar".

Cette dépêche est complètement fausse en toutes et chacune de ses parties.


[3377]
L'audacieux explorateur anglais qui, le 30 juin dernier était à Khartoum où il a visité la Mission et la Maison des Sœurs, n'est pas allé, lors de sa dernière expédition, très loin de notre poste catholique de Gondocoro (il a annoncé que notre Maison et l'église qui ont coûté 200.000 francs, sont entièrement détruites). De source sûre, nous avons su qu'il a dépensé pour cette expédition plus de 20 millions, en faisant tuer des milliers de Noirs, et qu'il a fait un fiasco solennel. Cependant, son courage est à louer. Son Excellence le Pacha de Khartoum (qui se montre toujours envers moi comme un ami et qui a remercié le Pacha du Cordofan, entre autres, de m'avoir accueilli, avec honneur), a été chargé par son Seigneur le Khédive d'Egypte de rapporter exactement la véritable issue de l'expédition de Baker qui lui a coûté huit cent mille livres sterling.

Il m'a écrit il y a une semaine, me priant de bien vouloir lui exposer avec franchise mon opinion sur cette expédition et si les résultats réels sont à la hauteur des dépenses effectuées. En se basant sur ma réponse, Son Excellence élaborera son rapport au Khédive. Vous comprenez bien combien je dois être prudent, modéré et précis, pour pouvoir répondre à la gentille demande du Pacha de Khartoum.


[3378]
Quant à l'abolition de l'esclavage - qui pour le moment n'est réelle que sur le papier et dans la presse, et inexistante dans les faits - à partir de l'expérience vécue en ces quelques mois, je suis en mesure d'assurer Votre Eminence que notre Mission - profitant de l'abolition de l'esclavage qui vient d'être promue par l'Angleterre, et profitant aussi du grand prestige que la Mission exerce actuellement sur le Divan comme sur les marchands d'esclaves - réussira certainement avec sa puissance, son autorité et son énergie, à faire peur aux Turcs et à obtenir, plus que les grandes puissances d'Europe, au moins en grande partie, la réelle abolition de la traite.

Etant donné la participation de nos catholiques à enlever, arracher, vendre et acheter les malheureux Noirs, j'ai émis une Circulaire, au début du mois courant, contre la traite des esclaves, rappelant les sévères censures des Pontifes Romains, etc. ... Elle a été publiée et lue en arabe du haut de la chaire de Khartoum, elle a fait peur à tous, catholiques, hérétiques et Turcs ; vous devez savoir, Eminence, que la traite des Africains est ici une des principales ressources des commerçants et du Gouvernement.


[3379]
Nous sommes témoins de faits horribles commis contre ces malheureux Noirs. Mais, dans les bribes de temps que nous soustrayons à nos occupations, nous sommes en train de travailler un rapport que nous vous enverrons, concernant les horreurs de l'esclavage et de la traite des Noirs qui est au maximum de sa vigueur. Le Cœur de Jésus nous aidera à bien accomplir cette partie de la mission du Vicariat.

J'ai acheté et payé un terrain en friche, situé à une heure d'El-Obeïd, pour y envoyer les esclaves libérés y travailler et vivre des produits de cette terre.

Le terrain est grand comme de Propaganda Fide jusqu'à la Basilique de Saint Pierre du Vatican. Il produit des fruits pendant la saison des pluies, de mai à novembre. J'ai également acheté et payé une nouvelle maison pas loin, à quelques pas de la Mission, et je l'ai destinée aux Sœurs, qui doivent actuellement être déjà parties du Caire. J'espère qu'en deux ans, la Mission du Cordofan aura très peu besoin de l'Europe pour subsister. Actuellement nous sommes contents de souffrir pour faire faire des économies à la Mission : nous ne buvons jamais de vin, et notre régime de vie est sobre mais il est plus adapté à ce climat, et nous conserve sains dans l'esprit et dans le corps. Tout se fera avec la protection du Sacré-Cœur de Jésus.


[3380]
Puisque les deux Camilliens qui travaillent à mes côtés pour l'Afrique Centrale sont deux Missionnaires de valeur, zélés et parfaitement bien adaptés à la Nigrizia, étant donné que cette affaire des Camilliens est très importante pour ce Vicariat ainsi que pour l'Ordre des Ministres des Infirmes, et puisque je veux uniquement l'accomplissement de la seule et pure volonté de Dieu (sans laquelle on bâtit sur le sable) j'ai donc décidé, d'envoyer à Rome en octobre prochain, mon actuel Vicaire Général, l'incomparable Père Stanislao Carcereri de l'Ordre Camillien. Il se mettra d'accord avec son Supérieur et avec Votre Eminence ; il en résultera par la suite, la volonté de Dieu. J'enverrai avec lui le Rapport sur l'état actuel du Vicariat et sur son essor remarquable.

Au cours de la Fête de l'Assomption j'ai baptisé 11 adultes ; actuellement nous avons encore ici, 23 catéchumènes, qui ont presque terminé leur instruction.

Alors que j'embrasse votre Sacrée Pourpre, veuillez donner votre bénédiction à tous les Missionnaires. Avec tous mes respects, je me déclare



votre humble et indigne fils

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique