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N° Ecrit
Destinataire
Signe (*)
Provenance
Date
491
Prop. de la Foi, Paris
1
Le Caire
1. 1.1873
N° 491 (459) - A LA PROPAGATION DE LA FOI

A PARIS

APFP, Boîte G 84, n. 113



Le Caire, le 1er janvier 1873



Statistiques des missions et Notes administratives.



N.B. Le même document a été envoyé à la Propagation de la Foi à Lyon.





492
Jean François des Garets
0
Le Caire
15. 1.1873
N° 492 (461)- A M. JEAN FRANCOIS DES GARETS

Président de l'œuvre de la Propagation de la Foi à Lyon

APFL, Afrique Centrale, 1



Le Caire, le 15 janvier 1873

Monsieur le Président,



[3117]
En face de notre Institut sur le Nil, j'ai aujourd'hui les deux grands bateaux qui doivent conduire ma caravane apostolique jusqu'à la lisière du désert ; je suis heureux de vous en donner la nouvelle tout en vous envoyant le compte-rendu de 1872 ainsi que le devis pour 1873.


[3118]
Les chameaux du désert ont tous été pris par les troupes égyptiennes qui campent face à l'Abyssinie, et l'autorité sanitaire envoyée par le Khédive en Nubie pour la prétendue épidémie de choléra a tiré un cordon sanitaire au Tropique et dans la Thébaïde et a pris également les bateaux ; si bien que, pour le voyage qui durera trois mois, notre grande caravane manque de bateaux et de chameaux.

J'ai envoyé au désert et à Khartoum depuis le 26 novembre, deux Missionnaires et quatre Frères qui ont réussi à trouver des chameaux à Corosco, après une attente de 20 jours et qui actuellement se dirigent vers Khartoum ; au moment où vous recevrez cette lettre, je serai parti du Caire avec plus de 30 Missionnaires, hommes et femmes. C'est la première fois que des Religieuse et des femmes de l'Evangile sillonnent le Nil en Haute-Egypte et en Nubie, et traversent le désert ; cependant il a fallu beaucoup de prudence et de préparatifs.


[3119]
Dans ma lettre du 28 juillet passé, je vous ai montré le grand bien que vous avez fait à la Mission la plus vaste et la plus difficile du monde, en effectuant le don d'une jolie somme de 45.000 francs, avec une charité et une rapidité extrêmes.

Je ne remercierai jamais assez la Propagation de la Foi qui m'a donné la possibilité d'entreprendre la Mission. Sans quoi cela aurait été impossible.


[3120]
C'est au cours de la première année que les sacrifices sont nécessaires. C'est pour cela que la Propagation de la Foi est la seule œuvre solide qui puisse donner la vie à la Mission de l'Afrique Centrale.

La Société de Vienne, laquelle a déjà dans le temps donné beaucoup d'argent à cette Mission, a dû rassembler tous les fonds de caisse existants depuis nombre d'années pour me faire un don de 6.590 francs. Les autres sont des petites sociétés environnantes.

Je vous prie donc de redoubler vos généreux efforts pour pouvoir m'accorder en cette année une grande aide. Nous passerons la moitié de cette année sur le sable, sur les bateaux, etc.. sous la voûte du ciel et sous la protection de Dieu.


[3121]
Dans le compte-rendu ci-joint vous pourrez voir l'état de cette Mission qui ne peut être comparée à aucune autre, comme je vous le déclarais dans ma lettre de Rome datée du 5 juin.

Ici pour commencer il faut tout faire, il faut tout payer, jusqu'à acheter les personnes. De gros sacrifices sont nécessaires, mais dans quelques années l'Œuvre de la Propagation de la Foi sera heureuse de voir briller la lumière de l'Evangile parmi les tribus de l'Afrique Centrale où plus de cent millions d'infidèles attendent le salut.


[3122]
A présent, en ce mois de janvier, je vous demande de m'accorder deux grâces : premièrement d'envoyer à Mère Emilie Julien, Supérieure Générale des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition, à Marseille, la somme de 5.000 francs en tant qu'acompte de la dette de 8.000 francs que j'ai envers elle.

Deuxièmement de m'envoyer sur le compte de l'année 1873 la somme de 5.000 francs, car je ne voudrais pas, avec autant de personnes en voyage pour trois mois, rester dans le désert par manque d'argent.


[3123]
Je vous demande tout cela pour ce mois. La semaine passée j'ai reçu de Monseigneur Ciurcia, une lettre de change de 2.400 francs, ce dont je lui suis reconnaissant.

Voici l'adresse de mon représentant en Egypte auquel vous pourrez adresser les sommes ainsi que le courrier me concernant :

Abbé Bartolomeo Rolleri,

Missionnaire Apostolique et Supérieur des Instituts

des Noirs au Caire (Egypte)


[3124]
Ce dernier échangera les lettres de change et me fera parvenir l'argent à Khartoum et au Cordofan par l'intermédiaire du Divan du Caire. Les lettres et les correspondances me parviendront par le Consul d'Autriche à Khartoum.

Je vous enverrai au cours de cette semaine une photographie de la caravane que je dirige et qui partira dans quelques jours. J'enverrai également un Rapport de Carcereri que j'ai reçu du Cordofan pour les "Missions Catholiques" et que Laverrière recevra.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'hommage de ma profonde vénération

et ma reconnaissance éternelle avec lesquelles j'ai l'honneur de me dire



Votre serviteur dévoué

Daniel Comboni

Pro-vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale



Texte original en français corrigé.






493
Discours au Cairo
0
Le Caire
25. 1.1873
N° 493 (462)- DISCOURS TENU AU CAIRE

ACR, A, c.27/19, N.2



Le Vieux Caire, le 26 janvier 1873



[3125]
Voici finalement le moment, tant attendu par moi et par vous, frères et sœurs dans le Christ, où nous allons pouvoir donner libre cours au désir intense de notre cœur.

Je vous remercie pour la patience avec laquelle vous m'avez attendu pendant ma longue absence, pour l'abnégation dont vous avez fait preuve en supportant tant de privations, de désagréments et de pauvreté. Tout ceci est une garantie qui me permet de compter sur vous, sur votre coopération dans cette entreprise grande et difficile que la Sainte Eglise a daigné me confier.

Les sacrifices passés ne sont peut-être qu'un aperçu de ce qu'il nous reste encore à souffrir pour arriver à implanter dans le cœur de l'Afrique, l'étendard de la Rédemption ; mais n'ayons point peur car ce Dieu qui nous a soutenus dans les souffrances passées, ne nous abandonnera pas dans celles qui viendront.


[3126]
Faisons un holocauste de notre vie pour la réussite de cette sainte entreprise ; elle réussira certainement. Les Apôtres tombèrent mais leur Foi arriva jusqu'à nous et elle durera jusqu'à la fin des siècles.

Si mon absence a mis à rude épreuve votre patience, elle a aussi affermi l'existence et l'avenir de notre Mission. Avec les dons de particuliers, j'ai pu acheter deux grands établissements à Vérone où sont ouverts deux Instituts pour la formation des candidats et des candidates pour notre Mission.


[3127]
J'ai pu obtenir des Sociétés de Lyon, de Cologne et de Vienne, des ressources annuelles régulières pour notre subsistance ainsi que pour toutes les dépenses nécessaires à l'installation de la Mission dans la Nigrizia.

Et finalement, ce qui importe le plus, j'ai obtenu de la Sacrée-Congrégation de Propaganda Fide avec l'approbation du Saint-Siège l'entière Mission de l'Afrique Centrale avec le titre et la juridiction de Pro-Vicaire Apostolique.

La moisson donc est obtenue ; il ne manque que notre Œuvre : œuvre requise par notre vocation même, par la Sainte Eglise, par les fidèles qui nous soutiennent, et par cette malheureuse Nigrizia, qui de ce centre brûlant tend vers nous ses mains noires et décharnées, enchaînées par le démon.

Allons donc, oh ! frères et sœurs ; oh ! fils et filles dans le Seigneur ; suivons cette irrésistible impulsion de notre cœur, qui nous pousse au salut d'un peuple abandonné, de gens lacérés et tiraillés entre mille coutumes et erreurs.

Armons-nous du bouclier de la Foi, du heaume de l'espérance, de la cuirasse de la charité, de l'épée à deux tranchants de la divine Parole, et marchons courageusement pour conquérir à l'Evangile cette dernière nation du monde.


[3128]
Allons donc et détruisons au milieu de ce peuple l'empire de Satan, et implantons-y l'étendard triomphant de la Croix, et à la splendeur de ce signe ces peuples verront la lumière.

Allons et arrosons de notre sueur, et avec l'eau de la vie éternelle ces régions arides et enflammées, et elles offriront au Créateur un nouveau peuple d'adorateurs fidèles.



Daniel Comboni






494
Une Soeur de Saint Joseph
0
Siut
10. 2.1873
N° 494 (463)- A UNE SŒUR DE SAINT JOSEPH

ASSGM, Afrique Centrale Dossier



Siut, (capitale de la Haute-Egypte)

le 10 février 1873

Ma très Vénérable Mère,



[3129]
Un petit mot pour vous donner des nouvelles de nos Sœurs. Sœur Germaine est "la Marthe" de notre caravane ; elle se conduit vraiment bien.

Nous avons marché lentement la semaine dernière, mais actuellement nous avons bon vent. Sœur Madeleine est en très bonne santé, je ne l'ai jamais vue aussi en forme. Sœur Joséphine va bien, mais elle a été malade de la poitrine, car elle a beaucoup travaillé pour les préparatifs du Caire et avait déjà été malade sur le bateau, lorsque nous avons eu deux jours et deux nuits de froid : je l'ai obligée à s'aliter par obéissance et maintenant elle va bien. Nous faisons de notre mieux pour la soigner ainsi, elle pourra faire le voyage et travailler au Soudan.

Dans 15 jours nous arriverons à Scellal, au seuil de notre Vicariat.

Je remercie le Seigneur de m'avoir accordé les Sœurs de Saint Joseph.


[3130]
Les trois que j'ai sont des héroïnes. Plaidez ma cause auprès de la Mère Générale, pour qu'elle m'en envoie six autres au courant du mois de mars prochain. Donnez-lui de nos nouvelles et remerciez-la de ce qu'elle a fait pour moi. Ce nouveau monde de l'Afrique Centrale appartient à Saint Joseph.

Prions toujours pour notre Mère Générale, pour vous, pour la Mère Assistante, Mère Catherine Supérieure de Rome, et pour toutes les Sœurs.

Priez aussi pour nous. Nous sommes bien dans les mains de Dieu et cachés dans le Sacré-Cœur. Chaque jour je prêche un sermon pour les Sœurs et pour les femmes africaines. Elles sont heureuses, me semble-t-il, et très bonnes. Mille compliments pour la Mère Générale ainsi qu'à ses chères filles. Priez pour votre



serviteur dévoué

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique de l'Afrique Centrale



P.-S. Du Caire à Scellal, nous avons fait avec nos bateaux, trois septièmes du voyage. J'espère pouvoir le faire de Scellal à Khartoum en 40 jours.



Texte original en français, corrigé.






495
Card. Alessandro Barnabò
0
Schellal
7. 3.1873
N° 495 (464)- AU CARD. ALESSANDRO BARNABO

AP SOCG, v. 1003. ff.720-721



Scellal (Nubie Inférieure),

le 7 mars 1873

Très Eminent et Révérend Prince,



[3131]
Me voici finalement entré dans le Vicariat de l'Afrique Centrale, après une lente et pénible navigation de 38 jours depuis le Caire.

Je suis parti de la métropole de l'Egypte le 26 janvier avec deux grands bateaux ; dans l'un de deux il y avaient les Missionnaires et les Frères laïques, et dans l'autre les excellentes Sœurs de Saint Joseph ainsi que les Institutrices africaines : 26 personnes en tout.

Le Seigneur nous a visités par la mort d'un bon Frère laïque, agriculteur véronais, frappé sur le bateau par une horrible variole en Haute-Egypte.

Le Père Angelo, l'a fait enterrer à Négadeh à côté des Thébaïdes


[3132]
Malgré mes efforts pour rejoindre le plus vite possible mon Vicariat, cela m'a été jusqu'à maintenant absolument impossible.

1° A cause du cordon sanitaire établi par le Gouvernement entre l'Egypte et la Nubie pour la prétendue existence du Choléra Morbus à Berber, Khartoum, et Souakin. C'est un prétexte inventé pour soustraire ces régions à la vigilance diplomatique, et empêcher de guetter les mouvements des troupes du Khédive pour la conquête de l'Abyssinie (entreprise actuellement déjouée par le Cabinet Britannique). Cela a entraîné la disparition totale des chameaux pour traverser le désert et la rareté des bateaux pour naviguer sur le Nil ; c'est la raison pour laquelle les deux Missionnaires et les 4 laïques que, dès le 26 novembre, j'avais envoyés du Caire à Khartoum pour préparer l'hébergement des deux caravanes, sont restés sur place pendant 81 jours à Corosco à la lisière du désert.

Ils n'ont pas pu avoir de chameaux ; il m'a fallu un ordre télégraphique du Divan du Caire, que j'ai sollicité par l'intermédiaire du Consulat, pour qu'on m'en fournisse quatre, les deux autres chameaux m'attendent à Corosco.


[3133]
2° Parce que la Révérende Mère Générale des Sœurs de Saint Joseph avait retardé l'envoi des lettres d'obédience pour les Sœurs affectées au Soudan ; écrites à Marseille le 2 janvier, elles ne leur sont parvenues que le 19, c'est-à-dire une semaine à peine avant que nos caravanes partent du Caire. J'avais depuis longtemps déjà rempli mes obligations envers les Sœurs selon la convention signée à Rome entre la Mère Générale et moi-même, mais le Seigneur en avait décidé autrement. Des personnes respectables ont tenté d'empêcher par des moyens pas très honnêtes le participation de ces pieuses et braves religieuses à ma difficile et laborieuse mission ; et ce ne fut pas ma perspicacité ni mes efforts qui ont conjuré ce danger mais plutôt la miséricorde de Dieu, qui veille avec soin et compassion sur son œuvre.


[3134]
3° A cause de la multitude des soins et des peines endurées au Caire et dont je vous donnerai un aperçu lorsque j'atteindrai ma résidence, à cause des occupations ennuyeuses et compliquées, nécessaires pour préparer les provisions d'un voyage très difficile de 3 mois pour tant de personnes, et pourvoir aux objets nécessaires pour implanter et fournir modestement deux établissements importants à construire dans le Vicariat.


[3135]
Ma présence au Caire aurait été nécessaire pour mener à bien et à son terme l'achat d'un terrain où vont être construits deux petits établissements précurseurs pour la mission de l'Afrique Centrale. Cela afin d'éviter le loyer élevé des deux maisons actuelles. Pour cette affaire j'ai déjà accompli les démarches qui conviennent, auprès du Consul Général Austro-Hongrois en Egypte, afin d'obtenir le terrain gratis de la part de Son Altesse le Khédive.

De plus, ma présence aurait été utile pour veiller à cette guerre sourde qui, ainsi que l'a permis le Seigneur, s'agite en Egypte contre la sainte Œuvre de la régénération de la Nigrizia.

Certains, qui devraient par vocation favoriser ce qui tend à la pure gloire de Dieu, ont cherché et peut-être s'ingénieront encore à multiplier mes difficultés, et ne manqueront pas de mettre en œuvre des moyens pour me nuire.


[3136]
Mon œuvre est elle-même ardue et scabreuse et l'omnipotence divine seule peut y réussir. C'est pourquoi tout mon espoir se trouve dans le Cœur de Jésus et dans l'intercession de Marie.

Je suis prêt à tout souffrir pour le salut des peuples qui m'ont été confiés.

Je suis convaincu que la Croix est le sceau des œuvres divines pourvu qu'elle ne soit pas la conséquence de notre imprudence ou de notre malice.

Je suis réconforté par cette parole de Dieu : " Qui a semé dans les larmes moissonne dans la joie" (Ps : 126,5)


[3137]
Oui, pour de telles raisons ma présence aurait été utile au Caire : mais chaque chose ayant été réfléchie, j'ai décidé de confier l'Institut et mes affaires du Caire à la circonspecte et prudente surveillance de mon excellent Missionnaire l'Abbé Bartolomeo Rolleri. C'est un homme d'une intégrité prouvée, d'une grande discrétion et de zèle apostolique ; il travaille très bien depuis 5 ans dans mon Institut du Caire. J'ai donc décidé de rejoindre rapidement le Vicariat avec les caravanes, puisqu'il est, hic et nunc, urgent et plus conforme aux souhaits de la Sacrée-Congrégation de Propaganda Fide d'occuper le Vicariat et d'en faire le tour, et d'organiser la bonne marche des postes de Khartoum et du Cordofan.


[3138]
Quant à Scellal, j'ai trouvé la maison en très bon état ; mais complètement dépouillée des objets de valeur de plus de 2000 écus, qu'elle possédait, qui en partie furent vendus et utilisés, en partie volés, et en partie détruits par les "fourmis blanches" (les termites).

Etant donné que nous avons ici un excellent climat et un grand terrain productif qui nous appartient (75.000 mètres carrés), et étant donné que Scellal est une ville qui est en train de devenir importante, c'est mon intention de redonner vie à ce poste, et de le rendre utile pour toute la Mission, selon l'objectif pour lequel il fut fondé, comme je l'exposerai après ma visite pastorale du Vicariat.

Je baise votre Sainte Pourpre avec tout mon respect.



Votre fils humble dévoué et très obéissant

Daniel Comboni

Pro-Vicaire de l'Afrique Centrale






496
Prop. de la Foi, Lyon
0
Schellal
18. 3.1873
N° 496 (465) - A LA PROPAGATION DE LA FOI DE LYON

"Missions Catholiques", 203 (1873), p. 196



Scellal le 18 mars 1873



[3139]
Il nous a fallu 38 jours de voyage du Caire à Scellal et il nous faudra un mois et demi pour arriver à Khartoum. Nous avons une grande confiance en Dieu. Il nous a encouragés en nous accordant un miracle, par l'intercession de la Révérende Mère de Canossa, la tante de l'Evêque de Vérone, fondatrice de l'ordre des Religieuses appelées Canossiennes. La Supérieure des religieuses de la caravane était mourante. Nous commençâmes une neuvaine à la Révérende Mère de Canossa.

Le troisième jour, c'est-à-dire le 10 mars, la malade put se lever et aujourd'hui elle est complètement guérie.

Réservez quelques colonnes dans votre Bulletin pour mon Rapport sur notre expédition. Je dois arrêter cette lettre car la violence du vent m'empêche d'écrire.



Daniel Comboni

Texte original en français, corrigé






497
Mère Emilie Julien
0
Schellal
19.3.1873
N° 497 (466) - A MERE EMILIE JULIEN

ASSGM, Afrique Centrale Dossier



Vive Jésus, Marie et Joseph !

Scellal (Nubie inférieure), le 19 mars 1873

Ma très chère et Révérende Mère,



[3140]
Me voici arrivé, après avoir navigué 38 jours sur le Nil, dans le Vicariat de l'Afrique Centrale. Aujourd'hui vos Sœurs ont renouvelé leurs vœux. Ce sont les premières Religieuses que l'Afrique Centrale ait jamais vues sur son immense territoire. Ces trois Religieuses sont des anges, je dois le confesser à leur chère Mère, avec un sentiment de vérité et de joie.

Quelles grâces nous ont faites le bon Dieu, la Sainte Vierge et Saint Joseph !

Mais aujourd'hui je dois vous signaler une autre grande protectrice de l'Afrique Centrale et des Religieuses de Saint Joseph de l'Apparition, c'est-à-dire la Vénérable Marquise Maddalena de Canossa, tante de l'Evêque de Vérone, dont est en cours à Rome la Cause de Béatification. Sœur Joséphine Tabraui, digne Supérieure de nos Religieuses, qui quinze jours avant le départ du Caire jouissait d'une bonne santé, avait tellement travaillé pour les préparatifs du voyage, qu'elle tomba malade, cracha du sang avec une fièvre persistante.


[3141]
Il faut que je vous dise qu'il est difficile de l'arrêter, elle qui est infatigable et, malgré mes reproches, mes prières et celles des Sœurs, elle veut travailler ; elle n'a aucun égard envers sa santé, elle est indomptable. Dieu sait combien nous avons travaillé et souffert pour la forcer à abandonner la cabine surchauffée et l'empêcher de descendre à terre lorsque nous rencontrions un vent contraire et que nous étions à l'arrêt. Comptant sur l'arrêt du bateau pour la soigner et la guérir, nous sommes partis le 26 janvier. La fièvre ne l'a jamais quittée pendant les 38 jours de voyage.


[3142]
Médicaments, saignées, repos, alimentation, tout a été inutile. Comme elle est réellement atteinte de tuberculose, j'ai acheté à mi-chemin une ânesse et son petit ânon pour 145 francs, mais le lait l'a dérangée. Nous sommes arrivés dans notre maison à Scellal et elle s'est alitée ; à 7 heures elle s'est confessée et a communié. Nous avons pensé lui administrer les Saintes Huiles. Quelle douleur pour moi et pour les Sœurs ! Nous avons décidé de rester avec toute la caravane de 25 personnes à Scellal pour attendre les Sœurs que vous m'aviez promises, car ni moi ni les Sœurs ne pouvions l'abandonner pour continuer la traversée du désert. Ici, chaque jour je dépense 60 francs.


[3143]
Nous étions désespérés. Nous avions fait beaucoup de prières, des neuvaines, des triduum à tous les Saints, à Saint Joseph, etc. Mais le 9 mars je ne croyais plus la voir vivante. Même Sœur Germaine a été prise de convulsions avec des palpitations au cœur.

J'étais désolé. J'ai décidé enfin, de faire une neuvaine à la Marquise de Canossa, fondatrice de l'Ordre des Religieuses de la Charité à Vérone, qui a fait tant de miracles et qui est morte en 1835.

Les deux premiers jours, l'état de Sœur Joséphine a empiré, mais Sœur Madeleine et Faustine, ma cousine, ont crié que la Canossa devait faire le miracle.

Le troisième jour de la neuvaine la fièvre cessa complètement. Je voulais lui faire boire l'eau de la Salette. Non, dirent les Religieuses, nous ne devons rien faire, c'est la Canossa qui doit la guérir.


[3144]
Finalement, à la fin de la neuvaine, c'est-à-dire le 17, Sœur Joséphine se leva saine et sauve et maintenant elle travaille plus que jamais. La toux qui la consumait a presque cessé, la fièvre n'est plus apparue. Sœur Joséphine est plus forte qu'à Deir-El-Kamar et qu'au Caire. Elle est montée aujourd'hui à Assouan sur les chameaux, quatre heures et demi sous un soleil brûlant pour traiter une affaire avec le Gouverneur et j'espère que nous arriverons dans 40 jours à Khartoum.

Je vais bientôt écrire à l'Evêque de Vérone et je ferai le rapport pour l'ajouter à la Cause de Béatification. Les Religieuses ont promis à Dieu de ne pas laisser passer un jour sans prier la Canossa, et de faire un jeûne et une retraite de trois jours à Khartoum si elle nous donne la grâce de nous y faire arriver sains et saufs.


[3145]
Sœur Germaine est guérie. En ce qui concerne Sœur Madeleine, depuis qu'elle est partie du Caire, elle n'a jamais eu un mal de tête ; elle a un aspect bronzé et une santé telle que je ne l'ai jamais vue aussi saine et épanouie depuis le 31 juillet 1864 jusqu'aujourd'hui. Elle travaille comme deux avec calme et sagesse. Le problème c'est que les deux autres Sœurs aussi veulent travailler, et si, dans ces pays lointains, j'ai besoin d'autres Sœurs, c'est aussi pour ménager ces trois vraies filles de l'Evangile.


[3146]
Lorsque vous aurez lu cette lettre, faites-en bien connaître le contenu à Sœur Marie Bertholon et dites-lui que je l'attends en Afrique Centrale pour la guérir et en faire une apôtre des Africains. Saluez-la de ma part, ainsi que la Mère Assistante dont nous voulons une photographie.

Envoyez-moi des Religieuses arabes, dix au moins.

Je ne vous dirai rien de l'apostolat des Religieuses dans ce pays. Les malades viennent par centaines chaque jour, de trente et quarante kilomètres pour être guéris par les Sœurs. Sœur Germaine est maintenant comme Sœur Rosalie de Tuni, me comprenez-vous bien ?


[3147]
Scellal est un village en face de l'île de Philae, de 500 habitants dispersés dans la région des cataractes. Nous y avons une belle maison de 15 feddans (75.000 mètres carrés) de terrain sur le Nil, où je ferai un grand jardin. L'air est magnifique. Si les Sœurs sont recherchées ici, dans ce village, qu'arrivera-t-il à Khartoum, à El-Obeid, au Cordofan où il y a une population si nombreuse?

Par conséquent, je vous prie avec insistance de m'envoyer tout de suite au moins sept Religieuses. Faites en sorte de m'envoyer une bonne pharmacienne, puisqu'il s'agit d'apostolat. J'espère que vous pourrez la faire partir de Marseille pour la mi-avril.


[3148]
Donnez-moi des Religieuses saintes comme les trois que j'ai avec moi. Envoyez-moi de vraies Religieuses comme celles de l'hôpital du Caire car il est nécessaire d'avoir, pour cette mission, un grand esprit de sacrifice...

J'espère en trois ans faire de Scellal un poste important avec un très beau jardin. J'y construirai une chapelle entièrement en granit oriental comme l'obélisque qui est sur la Place Saint-Pierre à Rome et qui vient d'ici.


[3149]
Je consacrerai le poste de Scellal à Saint Joseph ; le climat est dix fois plus salubre qu'au Caire.

Mille compliments à la Mère Assistante. Ecrivez à propos du miracle à Sœur Catherine à Rome à qui j'écrirai de Khartoum. J'attends les Religieuses.



Votre fils en Notre Seigneur

Daniel Comboni

Texte original en français, corrigé.






498
Card. Alessandro Barnabò
0
Scendy
29. 4.1873
N° 498 (467)-AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP Acta, Ponenze, v. 241, f. 689



Scendy, en Nubie, le 29 avril 1873

Eminent et Révérend Prince,



[3150]
Alors que nous sommes depuis deux jours ensablés entre les cataractes de Halfaia, dans l'impossibilité d'avancer, empêchés aussi par un vent contraire, j'ai l'honneur de vous annoncer que j'ai reçu du Caire vos lettres du 8 et 28 novembre, ainsi que le Rescrit du 11 décembre du Saint Office pour l'Indult du samedi ; je vous en remercie infiniment.


[3151]
L'Illustre Sir Bartle, Ambassadeur de Sa Majesté Britannique, qui m'a été recommandé dans votre lettre du 28 novembre, est venu me rendre visite avec sa suite dans mon Institut au Caire, et nous nous sommes entretenus pendant au moins trois heures sur le douloureux sujet de l'esclavage. Bien que cet éminent Monsieur appartienne à l'Eglise Anglicane, il semble très animé par la mission philanthropique dont son Gouvernement l'a chargé. Il n'était pas destiné à l'Afrique Centrale, qui est le théâtre pitoyable de l'esclavage, mais plutôt à Zanzibar et Mascate ; il veut resserrer les liens avec ces Sultans pour abolir complètement la traite des Noirs, et après quelques mois il rentrera en Europe, c'est-à-dire à Londres.

Nous avons convenu de nous écrire, jusqu'à la mort, à propos de l'objectif humanitaire cité ci-dessus. Cependant, j'ai cru plus prudent de lui taire, pour le moment, les supplices que l'autre Anglais, Sir Samuel Baker, fait subir aux Noirs entre Gondocoro et les sources du Nil, voulant d'abord constater le fait.


[3152]
Pourtant, il semble que ce qui m'a été annoncé soit vrai. Le capitaine du bateau, d'où je vous écris, m'assure avoir été pendant trois bonnes années, jusqu'à il y a huit mois, avec Sir Baker et d'avoir lui-même, avec le père et le fils Baker, tué plusieurs milliers de Noirs avec leurs chefs, parce qu'ils refusaient de l'accompagner plus avant jusqu'à N'Yamza. Mais j'écrirai plus tard sur ce sujet.


[3153]
Le système adopté jusqu'à maintenant, par les puissances européennes et particulièrement par l'Angleterre, pour abolir la traite des Noirs est inefficace pour parvenir au but que l'on voudrait atteindre.

Les Sultans des pays susnommés, recevront Son Excellence l'Ambassadeur avec gentillesse et splendeur, comme l'a déjà fait Son Altesse le Khédive. Ils souscriront n'importe quel traité et donneront par écrit toutes les garanties, mais une fois que l'Ambassadeur sera parti, ils continueront à promouvoir et à protéger l'infâme trafic car l'esclavage est dans la nature des principes du Coran, et c'est pour les Sultans une source de ressources et de confort.

Durant notre voyage de trois mois jusqu'au Caire, nous avons rencontré plus de 40 bateaux d'esclaves, hommes et femmes, nus et entassés comme des sardines ; et dans le désert nous avons rencontré plus de 20 caravanes d'Africaines totalement nues qui marchaient à pied, obligées d'avancer parfois à coups de fouet.


[3154]
Toutes ces caravanes étaient conduites en plein midi sous les yeux du gouvernement local, qui est le premier partisan et promoteur de la traite, et elles se dirigeaient vers le Caire et Alexandrie.

Je tais le nombre immense d'esclaves qui chaque année est arraché de notre Vicariat, et qui aboutit dans les ports de Tripoli et de Tunis. Ainsi, je n'ai pu m'empêcher d'être perplexe lorsque j'ai lu dans le Times, à Berber, l'extrait suivant issu du discours de la Couronne prononcé le 6 février par la Reine d'Angleterre au Parlement de Londres : "Dans mon dernier discours, Milords et Messieurs, je présentais les mesures adoptées pour en finir efficacement avec la traite des Africains sur les côtes orientales de l'Afrique. J'ai envoyé un Ambassadeur à Zanzibar (Sir Bartle Frère) ; il apporte des instructions, qui me paraissent les plus adaptées à réaliser l'objectif que je me suis proposé. Il est arrivé récemment à sa destination, et s'est mis en rapport avec le Sultan".


[3155]
Le seul moyen pour abolir ou réduire la traite des Noirs est de favoriser ou d'aider efficacement l'apostolat catholique dans ces contrées malheureuses, d'où l'on arrache avec violence des milliers et des milliers de pauvres Africains, où on commet les excès les plus horribles et où on exerce un infâme trafic.

Entre tous les pays du monde c'est l'Afrique Centrale qui est le lieu du plus féroce massacre de ces malheureuses créatures.

Etant donné que cette horrible plaie de l'humanité intéresse hautement mon Vicariat, j'aurai beaucoup à faire, à agir et à écrire sur un tel argument. J'aurai en main les éléments pour traiter de cette affaire avec les plus hautes sphères des gouvernements des grandes puissances d'Europe, mais aujourd'hui les gouvernements athées et révolutionnaires dominent.

Donc je ne ferai aucun geste sans le soumettre, avant tout, au sage jugement de la Sacrée-Congrégation et j'agirai uniquement selon les instructions qui me seront données.

Je baise votre Pourpre Sacrée et me déclare



votre très humble et très dévoué fils

Daniel Comboni Pro-Vicaire Apostolique






499
Homélie de Khartoum
0
Khartoum
11. 5.1873
N° 499 (468)- HOMELIE DE KHARTOUM

"Annali del Buon Pastore" 4 (1873), pp. 32-35



Khartoum, le 11 mai 1873



[3156]
Je suis bien heureux, ô très chers ! de me retrouver de retour ici, après tant d'événements douloureux et tant de souffrances. Mon premier amour dès ma jeunesse fut pour la malheureuse Nigrizia, et laissant tout ce qui m'était très cher je suis venu en ces contrées - cela fait déjà seize ans - pour offrir mon œuvre afin de soulager ces malheurs séculaires.

Ensuite une obéissance m'a rappelé dans ma patrie pour des raisons de santé car les miasmes du Fleuve Blanc près de la Sainte Croix de Gondocoro avaient empêché mon action apostolique. Je suis parti pour obéir, mais je laissais mon cœur parmi vous, et me rétablissant comme il plut à Dieu, mes pensées et mes pas furent toujours pour vous.


[3157]
Et finalement aujourd'hui, en revenant parmi vous, je retrouve mon cœur pour l'ouvrir en votre présence au sentiment sublime et religieux de la paternité spirituelle, dont Dieu a voulu que je fusse revêtu il y a un an, par l'autorité suprême de l'Eglise Catholique, sa Sainteté le Pape Pie IX. Oui, je suis déjà votre Père, et vous êtes mes fils, et comme tels, je vous embrasse et vous serre pour la première fois contre mon cœur. Je vous suis bien reconnaissant de l'accueil enthousiaste que vous m'avez réservé ; il démontre votre amour de fils, et m'a persuadé que vous voudrez toujours être ma joie et ma couronne, comme vous êtes mon lot et mon héritage.


[3158]
Soyez assurés que mon âme répand sur vous un amour illimité pour toujours et pour tous. Je reviens parmi vous pour ne plus jamais cesser de vous appartenir, et pour me consacrer à jamais à votre plus grand bien.

Le jour et la nuit, le soleil et la pluie, me trouveront également toujours prêt pour vos besoins spirituels ; le riche et le pauvre, le bien portant et l'infirme, le jeune et le vieillard, le maître et le serviteur auront toujours un égal accès à mon cœur. Votre bonheur sera le mien, et vos malheurs seront aussi les miens.


[3159]
Je viens faire cause commune avec chacun de vous, et le plus heureux de mes jours sera celui où je pourrai donner ma vie pour vous.

Je n'ignore pas la pesanteur de la charge que j'assume puisque, comme pasteur, maître et médecin de vos âmes, je devrai vous garder, vous instruire et vous corriger. Je devrai défendre les opprimés sans nuire aux oppresseurs, réprouver l'erreur sans rebuter ceux qui sont dans l'erreur, crier au scandale et au péché sans cesser d'avoir de la compassion pour les pécheurs, débusquer les dévoyés sans complaire au vice ; bref, être père et juge à la fois.

Mais je m'en remets à vous, dans l'espérance que vous tous m'aiderez à porter ce poids avec allégresse et joie au nom de Dieu.


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Oui, avant tout j'ai confiance en ton œuvre, mon Révérend Père, et très cher Vicaire Général. Tu as été le premier à m'aider en cette œuvre de la Mission pour la Régénération de la Nigrizia, le premier à arborer l'étendard de la sainte Croix dans le Cordofan, et le premier à enseigner à ces peuples les rudiments de la Foi et de la civilisation.

J'ai confiance en vous aussi, Prêtres très estimés, mes frères et fils en cet Apostolat, alors que vous serez mon bras droit pour diriger le peuple sur les voies du Seigneur, ainsi que mes bons anges.

J'ai confiance en vous, vénérables Sœurs, qui avec mille sacrifices vous êtes associées à moi pour m'aider à l'éducation de la jeunesse féminine.

Et en vous tous, Messieurs, j'ai confiance, parce que vous voudrez toujours me conforter par votre obéissance et votre docilité à suivre les orientations pleines d'amour que je vous donnerai par devoir et pour votre bien.


[3161]
Quant à vous, illustre représentant de Sa Majesté Impériale l'Empereur François Joseph Ier, noble Protecteur de cette vaste Mission, alors que je suis heureux de vous remercier pour ce que vous avez fait jusqu'à maintenant, je m'empresse de vous exprimer l'espoir de vouloir glorieusement continuer de soumettre l'épée à la Croix, défendant les droits de notre divine Religion s'ils venaient à être méconnus et outragés.


[3162]
Et maintenant je m'adresse à vous finalement, Pieuse Reine de la Nigrizia en vous acclamant à nouveau Mère affectueuse de ce Vicariat Apostolique de l'Afrique Centrale, confié à mes soins ; j'ose vous supplier de me recevoir solennellement sous votre protection avec tous mes enfants, afin de nous protéger du mal et nous diriger vers le bien.


[3163]
Marie, Mère de Dieu, le grand peuple africain dort encore pour la plupart dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort. Hâtez l'heure de son salut, aplanissez les obstacles, dispersez les ennemis, préparez les cœurs, et envoyez toujours de nouveaux apôtres vers ces lointaines contrées si malheureuses et dans le besoin.


[3164]
Mes fils, en ce jour solennel, je vous confie tous à l'amour des Cœurs de Jésus et de Marie, et en offrant maintenant pour vous le plus acceptable des sacrifices au Dieu Très Haut, je Le prie humblement de verser sur vos âmes le sang de la Rédemption, pour leur régénération, leur guérison, leur ornement à mesure de vos besoins, afin que cette sainte Mission soit féconde en salut pour vous, et en gloire pour Dieu. Ainsi soit-il.



Daniel Comboni



Traduction de l'arabe faite par le Père Carcereri.






500
Card. Alessandro Barnabò
0
Khartoum
12. 5.1873
N° 500 (469)- AU CARDINAL ALESSANDRO BARNABO

AP SOCG, v.1003, ff. 724-725



Khartoum, le 12 mai 1873

Eminent Prince,



[3165]
Quatre-vingt-dix-huit jours après que je sois parti du Caire, je suis finalement arrivé à Khartoum avec la caravane.

Je ne peux, avec les mots, vous exprimer les peines, les ennuis, les fatigues, les aides et les grâces célestes, ainsi que les événements qui nous ont accompagnés en cette périlleuse et ardue pérégrination.

Les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, qui furent incessamment le doux et suave centre de nos espérances et prières, nous ont sauvés de tous les dangers, et ont protégé admirablement tous et chacun des membres de notre grande caravane. Cela plus spécialement lors de la traversée ardue et terrible du grand désert d'Atmur dans lequel pendant bien 13 jours, de midi jusqu'à 4 heures de l'après-midi, il faisait 58 degrés Réaumur ; en chevauchant à dos de chameau 16 à 17 heures par jour, nous sommes arrivés sains et saufs à Khartoum, le 4 courant.

Deux dépêches télégraphiques, la mienne au Caire, l'autre du Consul Austro-Hongrois à Londres, ont annoncé cet événement le même jour.


[3166]
Etant très fatigué, je ne vous parlerai pas maintenant de la forte impression produite dans tout le Soudan par mon arrivée et celle des Religieuses à Khartoum. Je ne vous parlerai pas non plus des affaires de la Mission, ni comment je l'ai trouvée, ni du réel miracle opéré à Scellal par la Marquise Madeleine de Canossa, morte en odeur de sainteté, en faveur de ma Supérieure, Sœur Joséphine Tabraui. Elle a été guérie, le troisième jour de la neuvaine, d'un morbus mortel et a pu traverser indemne le Grand Désert, etc. etc. Je vous écrirai à ce sujet dans le courant de ce mois. Pour l'heure, je me limite à vous informer de l'heureuse arrivée de la caravane à Khartoum.

Le Vicaire Général, que j'avais fait venir pour la circonstance trois mois auparavant, après le départ des deux Franciscains qui occupaient ce Poste, avait tout préparé.


[3167]
Dès mon arrivée au Vicariat, aux premières cataractes du Nil, j'ai commencé à montrer aux Gouverneurs Turcs le Grand Firman, que Sa Majesté Apostolique l'Empereur François-Joseph Ier a obtenu du Grand Sultan de Constantinople en faveur de mon Vicariat de l'Afrique Centrale. Toutes les autorités turques grâce à cette pièce diplomatique, ont concouru pour nous favoriser en toute chose au cours de notre long et difficile voyage.

A Corosco, en deux jours seulement, nous avons eu à notre disposition 65 excellents chameaux pour la traversée du désert ; à Berber le Pacha Gouverneur m'a donné son propre bateau afin d'effectuer le trajet en 15 jours jusqu'à Khartoum, etc. etc. Mon arrivée à ma résidence a été un véritable triomphe, dont je suis resté confus. Le Consul autrichien en grand uniforme est venu à ma rencontre jusqu'au bateau, suivi de la colonie chrétienne de toutes confessions de Khartoum. Il a prononcé une émouvante allocution et, au nom de Sa Majesté Apostolique, m'a félicité pour ma nomination en tant que Pro-Vicaire et pour mon arrivée dans le Vicariat ; il m'a remercié au nom de toute la colonie chrétienne du Soudan et de la ville de Khartoum pour avoir conduit, pour la première fois au Soudan, les Sœurs pour l'éducation de la jeunesse féminine, et m'a invité à entrer dans ma résidence.


[3168]
Après avoir répondu ce qui convenait, et présenté les Missionnaires et les Sœurs, parcourant les principales rues de la ville, parmi le grondement des mortiers et des fusils, entouré des Missionnaires et du Corps Consulaire, suivi de toute la colonie chrétienne, je suis entré à l'église, puis dans ma majestueuse résidence ou le Consul m'a présenté les notables de la Colonie.

Le soir, le chef turc du gouvernement général du Soudan, est venu me rendre visite avec une suite nombreuse. Tout en me félicitant pour mon arrivée, il m'a offert ses amples services pour chaque affaire qui serait de mon agrément. Espérons-le !


[3169]
Il y eut aussi quelqu'un qui reprit les paroles bienveillantes du Consul, c'est-à-dire, qu'il remerciait cordialement le Pontife Pie IX d'avoir donné une nouvelle vie au Vicariat, et d'avoir envoyé les Sœurs au service de la Mission.

L'Angélique Docteur priait ainsi : da mihi, Domine, inter prospera et adversa non deficere, ut in illis non extollar, in istis non deprimar. Pour ma part, après avoir entendu les "Hosanna" je me suis apprêté au "Crucifige".


[3170]
Ensuite hier j'ai fait mon entrée solennelle. Inter Missarum solemnia j'ai lu en langue arabe ma Lettre Pastorale, dans laquelle j'ai exposé clairement l'objectif principal de la mission reçue de l'immortel Pie IX.

Outre la participation de 130 catholiques, il y avait un grand nombre d'hérétiques de tout acabit, musulmans, et idolâtres. La chapelle en était remplie ainsi que les porches et la cour de la Mission. On m'a confirmé qu'à Khartoum depuis bien onze ans, l'on n'avait pas entendu proclamer la Parole de Dieu depuis l'autel ; ce que je ne peux croire encore.

Ici, il ne s'agit pas d'un petit travail, puisqu'à l'exception de deux familles, tous vivent en concubinage. J'ai confiance dans la grâce du Sacré-Cœur de Jésus à qui je dédierai solennellement tout mon Vicariat au cours du 4ème dimanche d'août, dimanche dédié au Sacré-Cœur de Marie. Le Sacré-Cœur de Jésus, invoqué par les membres de l'Apostolat de la Prière, comme me l'a écrit le Père Ramière, doit faire le miracle de la conversion des cent millions d'âmes dont est composée cette immense Mission.


[3171]
La nouvelle Mission du Cordofan semble bien commencée ; mais il me faut de l'argent pour les établissements. Les Sœurs et les Institutrices africaines sont accueillies à Khartoum dans un bâtiment, à 3 minutes de distance du jardin de la Mission et il est séparé par une large route de la ville de Khartoum.

Recevez les hommages de mon Vicaire Général, le Père Stanislao, des missionnaires, des Sœurs et de



votre très indigne fils

Daniel Comboni

Pro-Vicaire Apostolique