Après les deux premiers dimanches de Carême, où nous faisons mémoire des tentations de Jésus au désert et de sa transfiguration sur la montagne, le calendrier liturgique nous propose une thématique différente pour chaque cycle liturgique. Cette année, dans le cycle C où nous lisons l’Évangile de Luc, le thème dominant est la conversion et la miséricorde.
Avant qu’il ne soit trop tard !
« Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière. »
Luc 13,1-9
Après les deux premiers dimanches de Carême, où nous faisons mémoire des tentations de Jésus au désert et de sa transfiguration sur la montagne, le calendrier liturgique nous propose une thématique différente pour chaque cycle liturgique. Cette année, dans le cycle C où nous lisons l’Évangile de Luc, le thème dominant est la conversion et la miséricorde. Le passage de l’Évangile d’aujourd’hui est propre à Luc. La première partie contient une forte invitation de Jésus à la conversion, en prenant pour point de départ deux événements d’actualité. La seconde est la brève parabole du figuier stérile, qui souligne à la fois l’urgence de la conversion et la patience miséricordieuse de Dieu.
Trois types de mort
“À ce moment-là, quelques personnes vinrent rapporter à Jésus le fait de ces Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs sacrifices.” Ces personnes veulent pousser Jésus à se prononcer sur cet événement : soit politiquement, en condamnant la répression sanglante de Pilate, soit religieusement, en justifiant ce qui s’est passé comme conséquence de la faute des Galiléens. En effet, malgré la réflexion opposée du livre de Job, il y avait une forte conviction que tout malheur était lié à une faute (voir Jean 9,1-2). D’ailleurs, ce lien entre faute et châtiment est encore présent dans la mentalité religieuse de nombreux croyants.
“Prenant la parole, Jésus leur dit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient plus pécheurs que tous les Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.” Et, à cet événement sanglant, Jésus en ajoute un autre, lié à une tragédie : “Ou bien ces dix-huit personnes sur lesquelles est tombée la tour de Siloé et qui ont été tuées, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les habitants de Jérusalem ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.”
À première vue, il semble que Jésus évite la question. Ce n’est pas le cas. Jésus réagit en prophète, poussant ses auditeurs à approfondir leur interprétation des événements. Sans cette relecture de la vie, les faits restent de simples nouvelles et ne deviennent pas une histoire de salut. Les Galiléens tués par Pilate ou les hommes écrasés par la tour auraient pu être n’importe qui, dit Jésus. Il s’agit d’un événement fortuit. Cependant, en prophète, Jésus avertit qu’il y a une menace bien plus grave qui pèse sur tous : “Je vous le dis, si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.” Et il le répète deux fois !
Ainsi, il existe trois types de mort : la première, causée par l’injustice (les Galiléens tués par Pilate) ; la deuxième, due à des événements naturels ou à la négligence (les dix-huit écrasés par la tour) ; et enfin la troisième, la mort eschatologique due au manque de conversion, qui est sans doute la plus redoutable ! Les deux premières dépendent de notre précarité, la troisième de notre responsabilité !
Mais qu’est-ce que la conversion ?
Nous avons tous une idée de ce qu’est la conversion et de ce qu’elle implique, mais l’étymologie du mot peut nous aider à l’approfondir. En latin, se convertir / conversion (se convertere / conversio) signifie changer de direction, de route, de trajectoire. Cela met en évidence la dimension spatiale, le changement de direction d’un corps : faire demi-tour après s’être trompé de chemin. Si j’ai décidé de me convertir, je me demande : où va mon chemin ? Est-ce que je marche dans la bonne direction ?
En hébreu, se convertir / conversion (shuv / teshuvah) signifie se tourner, revenir, retourner. C’est l’un des verbes les plus utilisés dans la Bible hébraïque (1060 fois). Se convertir signifie changer de trajectoire, certes, mais pour revenir à Dieu, source de vie, de renouveau et de joie. Se convertir signifie revenir à la maison du Père et se laisser embrasser par Lui. En grec (metanoein / metánoia), cela signifie changer d’avis ou changer sa manière de penser. Se convertir signifie changer de mentalité, comme l’affirme Saint Paul : “Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, afin de discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréable et parfait” (Romains 12,2). La conversion touche toutes les dimensions de la vie et implique un changement total de la personne : le mode d’agir (conversio), le cœur (teshuvah) et l’esprit (metánoia).
L’urgence de la conversion
Jésus ajoute la parabole du figuier pour souligner l’urgence de la conversion et la patience miséricordieuse de Dieu. “Il dit aussi cette parabole : Un homme avait planté un figuier dans sa vigne, et il vint y chercher du fruit, mais il n’en trouva pas.” Le figuier, tout comme la vigne, est un symbole du peuple d’Israël (voir Osée 9,10 ; Jérémie 8,4-13 ; 24,1-10), mais aussi de l’Église et de chacun de nous. Qu’est-ce qui nous rend stériles ? Le mal qui habite en nous !
“Alors il dit au vigneron : Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le donc ! Pourquoi doit-il épuiser le sol ?” Les trois ans pourraient faire allusion aux trois années du ministère de Jésus. Jean avait annoncé que le Messie viendrait avec la hache en main : “Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu” (Luc 3,9). Cependant, Jésus reporte le jugement à la fin des temps !
“Mais l’autre lui répondit : Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour et que j’y mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir ; sinon, tu le couperas.” Selon la législation du Lévitique, les fruits ne devaient être récoltés qu’à partir de la quatrième année (Lévitique 19,23-25). En faisant les comptes, nous avons 3+3+1 années, soit 7 ans : le chiffre parfait de la plénitude de la patience miséricordieuse de Dieu !
Le vigneron, c’est Jésus, qui intercède pour nous et nous “fertilise” avec son sang et sa parole ! Nous sommes aussi vignerons, appelés non pas à condamner (couper), mais à implorer la miséricorde de Dieu et à fertiliser le monde par la prière. Et, après tout, laisser à Dieu le dernier mot : “Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir ; sinon, tu le couperas”… Toi, Seigneur, pas moi !
Chers amis, en ce Carême, Dieu nous accorde encore un temps supplémentaire, l’année de grâce que Jésus a annoncée dans la synagogue de Nazareth (Luc 4,19). Les occasions dans la vie et dans la grâce ne se répètent pas : il faut les saisir au vol ! Avant qu’il ne soit trop tard !
P. Manuel João Pereira Correia, mccj
Dieu est innocent du mal que nous faisons
Luc 13,1-9
Le commentaire du P. Marcel Domergue, jésuite
Malgré le livre de Job et bien d’autres passages de la Bible, les Hébreux liaient facilement le malheur au péché. Il est rassurant, quand on est témoin d’une catastrophe, de pouvoir dire des victimes : « Ils ne l’ont pas volé ». L’image du Dieu punisseur n’a pas totalement disparu de nos mentalités, et l’on entend encore des parents dire à leur enfant coupable d’une sottise : « Le bon Dieu te punira ». Eh bien non ! Dieu ne punit pas, il ne provoque en aucune façon le mal qui nous afflige. Genèse 1 nous dit qu’à la fin de la création, « il vit que cela était bon ». Mais, toujours dans le même chapitre, nous lisons que cet univers est confié à l’homme pour qu’il le domine, le gère, l’humanise. Dieu ne pouvait-il pas l’humaniser d’entrée de jeu ? Non, car alors il n’aurait pas été à l’image et ressemblance de Dieu. Pour cela, il faut qu’il soit lui aussi créateur. Seulement voilà : toujours pour être image de Dieu, c’est librement que l’homme fait de bonnes choses ; nous ne pouvions être condamnés, forcés, à « faire le bien ». C’est Pilate, et non pas Dieu, qui a choisi le mal et la mort en faisant massacrer les Galiléens en train d’offrir un sacrifice. C’est son péché qui est à l’origine du drame, non celui des victimes. La volonté de Dieu est de faire vivre et non de faire mourir. Réfractaires à la vérité qui déclare que tout dans le monde est soumis à l’homme, certains se demandent pourquoi Dieu a « permis » cela. Dieu n’a rien permis du tout, ni rien interdit ; il a simplement prescrit l’amour par lequel nous parvenons à sa ressemblance. La justice de Dieu n’est pas ce que nous pensons. Pour nous justifier, il faudra qu’un juste donne sa vie et subisse ainsi le sort du coupable. Injustice excessive à laquelle le Fils, parfaite image du Père, souscrira : Dieu n’a pas voulu se ranger parmi nos meurtriers mais parmi leurs victimes.
L’homme en conflit
Il n’y a pas que les maux dont nous sommes responsables. Il y a aussi les tremblements de terre, les inondations, les accidents. De nos jours, on cherche toujours une défaillance humaine à la source des sinistres. Mais on se trouve souvent devant l’imprévisible et l’impossibilité de désigner des responsables. Alors, Dieu ? La Bible voit les choses autrement. Au chapitre 3 de la Genèse, Dieu constate que le péché de l’homme, sa volonté de décider par lui-même ce qui est bon et ce qui est mauvais, l’a mis dans un conflit multiforme : conflit entre l’homme et la femme (3,16) ; conflit entre l’homme et la nature (3,17-19) ; conflit entre l’homme et l’homme (4,9…). Ces diverses oppositions vont courir à travers toute la Bible, jusqu’au jour où le maître se placera, à la Croix, dans la situation de l’esclave. Alors Paul pourra écrire : Il n’y a plus (du point de vue du statut social) ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, ni juif ni païen… Il n’y a plus que le Christ qui est tout en tous. C’est qu’il y a un autre conflit, plus fondamental, que Genèse 3 symbolise par l’image de l’hostilité entre la descendance de la femme et le serpent, figure du mal. Cette descendance, c’est, à l’horizon, le Christ, le « Fils de l’homme ». Il se fera serpent (Jean 3,14) pour que le mal de l’homme soit crucifié.
L’injustice de Dieu
Mais que veut nous faire comprendre Jésus quand il dit : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière » ? Ne revenons-nous pas à l’idée d’une punition divine ? Pas du tout ! Nous convertir signifie : aller vers notre vérité d’hommes, nous humaniser. En dehors de cela, il n’y a pour nous que le néant. Ou nous sommes image et ressemblance de Dieu, ou nous ne sommes rien, promis à la mort. Seul l’amour, par lequel nous ressemblons à Dieu, peut nous faire franchir cette mort. C’est donc à l’amour que nous avons à nous convertir, cet amour qui nous fait surmonter les divisions et les conflits. C’est cet amour qui a conduit le Christ à se soumettre à la mort qui nous attend tous, solidaires que nous sommes, de diverses façons, du mal, l’anti-amour qui empoisonne le monde. Mais voilà, lui est le seul juste, le seul qui n’était pas promis à la mort. Le seul en accord avec la nature et avec ses semblables (c’est là un des sens des guérisons et autres « signes »).
Par lui, crucifié, nous sommes mis sous le régime de l’injustice de Dieu, cette injustice qui fait donner la même somme à l’ouvrier de la dernière heure qu’à celui qui est au travail depuis le matin. Selon la logique de la justice, nous devrions tous « périr de la même manière ». Mais, sur le chemin de notre mort, nous rencontrons le Christ crucifié. Il franchit la mort et, parce qu’il s’est fait solidaire de nous dans notre destin de pécheurs, nous sommes solidaires de lui dans sa résurrection. Du côté de l’homme, il est impossible d’entrer dans le royaume de Dieu. Mais ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu (Luc, 18,27). La patience du vigneron vis-à-vis du sarment stérile est inépuisable.
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