La première lecture nous rapporte la transmission du don de la Loi par Moïse au Peuple de Dieu. «Ecoute Israël… Ces commandements que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur.» Et l’Evangile nous rappelle le dialogue de Jésus avec un scribe qui l’interroge. Jésus lui fit cette réponse: «Ecoute Israël…»

Marc 12,28-34

LEGALISME OU DOGMATISME

Le judaïsme se plaît à se présenter comme résolument non dogmatique. Au credo chrétien qui pourrait se dessécher en une collection de vérités à croire, de formules à dire, de gestes ritualistes à répéter qui vont du signe de croix à l’agenouillement, le judaïsme préfère l’appel à une attitude concrète envers Dieu et envers les autres, selon ce que Dieu demande.

C’est l’attitude indiquée dans la Loi, ces Dix Paroles ou commandements.

Au juif qui le taxerait de dogmatisme, le chrétien opposerait volontiers le grief de légalisme, s’appuyant sur l’attitude du jeune homme riche qui a tout accompli, mais qui ne suit pas le Christ jusqu’en son attitude fondamentale : « Viens, suis-moi. »

Il reprendra même certains rites juifs, certains objets, en leur ôtant d’ailleurs leur signification symbolique comme les « tefillin » ces petites boîtes quadrangulaires en cuir contenant quatre passages bibliques que l’on doit attacher d’une certaines manière.

Les lectures d’aujourd’hui nous permettront peut-être de lever cet apparent dilemme.

« IL EST L’UNIQUE »

Le « Dieu des pères », le « Seigneur » est l’Unique. Voilà la pierre e touche de la foi d’Israël. Dieu n’est pas un principe abstrait : il a parlé à nos pères : Abraham, Isaac, Jacob. Il est un être personnel, s’adressant à des personnes, et non un seigneur de la nature, comme Baal.

Contrairement à tout ce que disait l’environnement religieux d’Israël aux multiples divinités, Dieu est l’Unique et les quatre premiers commandements du Décalogue ont pour but de protéger son originalité transcendante. Il se révèle identique au long de toute l’histoire. Il s’intéresse à notre histoire, puisqu’il est le Dieu de nos pères. Il n’est pas autre selon une période ou une autre. C’est le même, l’Unique.

Le chrétien fait sienne cette proclamation : « Je crois en un seul Dieu. » Malgré l’appel qui nous vient de notre temps, où tant de « dieux » nous attirent au travers des choses et des personnes.

L’AMOUR, LA CRAINTE ET LA FOI

Le lecteur moderne aurait tendance à ne garder du Deutéronome que l’invitation : « Tu aimeras », oubliant que le texte dit d’abord : « Tu craindras ». Certes ce dernier mot est ambigu et évoque ce que le religieux, s’il n’est pas inspiré, peut produire de plus pervers. Notre temps ne manque pas de monstrueuses aliénations religieuses, nazisme, communisme, matérialisme, sectarismes…

Mais le verbe « aimer » n’en est pas moins ambigu. Aujourd’hui comme hier. Dieu s’exprime donc, dans l’Ecriture, par le couple : « crainte – amour ». Ce n’est pas une terreur teintée de sentiment, mais l’offrande au Seul qui mérite absolument l’adoration. Est-ce si différent de la foi, qui affirme simultanément, la distance infinie, qui empêche toute banalisation, et la confiance personnelle qui trouve en l’autre le meilleur de ses raisons de vivre ?

LA PROMESSE

L’histoire biblique commence par une vocation, celle d’Abraham. On oublie trop souvent que l’appel de Dieu est d’abord fondé sur une promesse. « Quitte ton pays et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple. » (Genèse 12. 1-2)

Jésus ne dit d’ailleurs pas autre chose à ses disciples (Marc 10. 28-30) dans l’Evangile que nous avons lu il y a quelques  dimanches « Personne n’aura quitté maison, frère, sœurs, mère, père, enfants ou champs, à cause de moi et à cause de l’Evangile, sans recevoir au centuple… » Le commandement biblique « Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement. »

Le livre du Deutéronome tout entier insiste sur ce lien entre le choix pour Dieu et la promesse de la plénitude. (Dt. 30. 15-20) Cette promesse s’exprime ici par la longue vie, par le bonheur, la fécondité, le pays où ruissellent le lait et le miel.

Le chrétien croit parfois, à tort que moins il attendrait les bienfaits de Dieu, plus sa foi serait pure. Pour s’en dissuader, il lui suffirait de relire le Credo « J’attends la résurrection de morts. » ou bien les textes de la prière eucharistique : « Délivre-moi de tout mal… Rassure-moi devant les épreuves dans cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ Notre Seigneur. »

Il peut aussi se demander pourquoi, chaque année, l’Eglise lui fait préparer la fête de Noël par les semaines de l’Avent, trop souvent escamotées par l’anticipation de ce que cette fête a de plus superficiel. L’Avent est bien le temps où doit se creuser en nous l’espérance. C’est ce qui en fait toute la spécificité par rapport au temps du Carême.

« VOICI LE SECOND »

En citant immédiatement après le « premier » commandement, le second « qui lui est semblable », selon le texte transmis par saint Matthieu, Jésus effectue une interprétation de l’Ecriture. Son interlocuteur ne lui demandait que le premier des commandements, celui qui vise Dieu lui-même. D’ailleurs, dans les deux scènes de l’Evangile de Marc, qui précèdent immédiatement le dialogue d’aujourd’hui, l’impôt et la résurrection des morts, Jésus renvoyait ses interlocuteurs à Dieu, l’Absolu, le Vivant.

Aujourd’hui, avec le scribe et sans qu’on le lui demande, Jésus rapproche un second commandement, qu’il cite, non d’après le Deutéronome mais d’après le Lévitique (19. 18) Déjà, dans la Loi, les dix paroles ne concernaient pas seulement Dieu, mais aussi le prochain. Leur formulation était cependant négative : « Tu ne tueras pas… tu ne convoiteras pas… » Le Lévitique, et Jésus à la suite de toute une tradition interne au judaïsme, retourne le commandement pour le mettre au positif : « Tu aimeras ».

Son interlocuteur commente alors cette parole de Jésus, en se mettant dans la ligne des prophètes : cela vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices. Ce qui, dans son esprit, n’aboutit pas à supprimer les sacrifice, mais à y joindre une exigence supplémentaire pour empêcher que le religieux ne soit réduit au cultuel. Jésus lui dit qu’il n’est pas loin du Royaume.

UN PAS A FAIRE

Ce qui implique qu’il lui reste un pas à faire pour y entrer. Quel est ce pas ? Peut-être de reconnaître en Jésus celui qui accomplit et permet d’accomplir le double commandement qui vient d’être rappelé.

Ou peut-être, puisque nous sommes dans l’Evangile de Marc à la veille de la Passion, de reconnaître dans ce qui va se passer l’offrande et le sacrifice par excellence, totalement inspirés par l’amour de Dieu et des frères. De ce fait le seul salutaire puisqu’il accomplit la loi dans sa totalité.

Jésus laisse la décision au scribe. Il est sur le chemin de la vie, puisqu’il se situe dans la vérité de la révélation. C’est la même décision qu’il nous faut accomplir, chaque jour, dans les situations où nous sommes et qui sont des signes d’un appel de Dieu.

Père J. Fournier
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