La solennité du Corps et du Sang du Christ semble presque être un double du Jeudi Saint. Et de fait, d’une certaine manière, c’en est un. Le Jeudi Saint, l’Église n’avait pas pu exprimer toute sa joie et sa gratitude pour le don suprême de l’Eucharistie, compte tenu du contexte de tristesse de la passion. C’est une journée consacrée à la louange, à la gratitude, à la contemplation et à la réflexion sur ce grand don que Jésus a laissé à son Église.
Chaque chrétien est une eucharistie vivante envoyée dans le monde
« Ceci est mon corps, ceci est mon sang »
(Mc 14, 12-16.22-26)
Soixante jours après Pâques, le jeudi après la Sainte Trinité, l’Église célèbre la Solennité du Corps et du Sang du Christ, également appelée la fête du Saint Sacrement. C’est l’un des trois jeudis les plus solennels de l’année liturgique : le Jeudi Saint, le jeudi de l’Ascension et le jeudi du Saint Sacrement. Pour des raisons pastorales, dans de nombreux pays, cette solennité est transférée au dimanche suivant la Sainte Trinité. Bien que nous ayons déjà conclu le temps pascal, cette référence chronologique établit un lien entre cette fête et Pâques, ainsi qu’avec la solennité de la Sainte Trinité.
La solennité du Corps et du Sang du Christ semble presque être un double du Jeudi Saint. Et de fait, d’une certaine manière, c’en est un. Le Jeudi Saint, l’Église n’avait pas pu exprimer toute sa joie et sa gratitude pour le don suprême de l’Eucharistie, compte tenu du contexte de tristesse de la passion. C’est une journée consacrée à la louange, à la gratitude, à la contemplation et à la réflexion sur ce grand don que Jésus a laissé à son Église.
Sacrifices et sang !
La première chose qui attire notre attention en écoutant les textes bibliques que l’Église nous propose aujourd’hui sont les innombrables références aux SACRIFICES et au SANG, présents dans les quatre lectures (y compris le psaume). L’association de ces réalités avec l’Eucharistie ne nous est pas familière et peut même heurter notre sensibilité. Il s’agit désormais d’une conception de la relation avec Dieu très éloignée de notre culture. Les appels des prophètes ont progressé sur un chemin de purification de cette religiosité des sacrifices. “Car je désire la fidélité, et non le sacrifice, la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes.” (Osée 6,6). Jésus reprendra également cette dénonciation prophétique.
Nous trouvons souvent dans le Nouveau Testament la présentation de la mort de Jésus comme le sacrifice parfait qui a racheté l’humanité (voir Hébreux 9,11-15, deuxième lecture). Ce sont les catégories bibliques les plus appropriées pour proclamer la singularité absolue de la mort de Jésus. Le problème se pose lorsque ce “sacrifice” de Jésus est vu comme une exigence de la justice divine. Une telle affirmation, prise à la lettre, serait choquante et déformerait l’image de Dieu, le présentant comme un juge exigeant l’équité entre l’offense et la réparation. Bien loin d’un Dieu Père ! Malheureusement, cette mentalité a du mal à disparaître.
Le “sacrifice” de l’Eucharistie n’implique pas seulement le Christ, mais chacun de nous. Ce pain dans la main de Jésus n’est pas seulement son corps, sa vie, mais aussi la nôtre. L’Eucharistie n’est pas un rite, mais un chemin de vie. Quand Jésus dit : “Faites ceci en mémoire de moi”, il ne se réfère pas seulement à la répétition d’un rite, mais à l’émulation de son geste. Tu es ce pain dans ses mains, c’est ta vie qu’il bénit, c’est ta vie qu’il rompt et offre à tous ceux que tu es appelé(e) à nourrir et à aimer. Chaque chrétien est une eucharistie vivante envoyée dans le monde. Chacun de nos gestes et moments de vie devrait répéter : “Ma vie vous a été donnée.” Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, nous devrions rentrer chez nous “par un autre chemin”, comme les mages.
La nouvelle et éternelle Alliance
Le deuxième mot qui émerge des lectures est ALLIANCE : “Voici le sang de l’alliance que le Seigneur a conclue avec vous sur la base de toutes ces paroles !” (Exode 24,3-8, première lecture) ; “Il [Christ] est le médiateur d’une nouvelle alliance” (Hébreux 9,11-15, deuxième lecture) ; “Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude.” (évangile). L’alliance est un thème central dans l’Écriture, en particulier dans l’Ancien Testament, où nous trouvons 287 fois le terme hébreu “berît”, alliance.
L’idée d’alliance nous est plus familière. La plus courante est l’alliance matrimoniale. L’Eucharistie est la célébration de l’alliance de Dieu avec l’humanité. C’est l’union de Christ avec son Église. Le sang des sacrifices avait scellé la première alliance au mont Sinaï, avec la médiation de Moïse. La nouvelle et éternelle alliance est scellée par le sang du Christ sur la croix.
Aujourd’hui, nous constatons malheureusement que l’Eucharistie, le sceau de l’Alliance, est “en crise”, en occident. La majorité des soi-disant fidèles la négligent, nos communautés eucharistiques semblent souvent froides, démotivées et indifférentes… On parle de “messe fade”… Nous sommes bien loin de l’expérience des martyrs d’Abitène (Tunisie, 304 ap. J.-C.) qui, interrogés sur le fait d’avoir enfreint l’ordonnance de l’empereur interdisant le rassemblement des chrétiens, répondaient : “Sans l’Eucharistie, nous ne pouvons pas vivre” ! Si nous célébrons l’Eucharistie en toute conscience, nous ne pouvons pas rester indifférents à un tel amour. Nous serons spontanément amenés à exclamer comme Saint Paul : “Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi.” (Galates 2,20).
L’Eucharistie, un don en croissance
L’Eucharistie est un don toujours en croissance, un héritage qui continue de générer de nouvelles richesses, l’arbre de vie du paradis qui, dans sa fécondité exubérante, produit des fruits en tout temps et en toute saison, en réponse aux besoins spécifiques de chaque époque. Quels sont les besoins de notre temps? Je pense surtout à quatre.
Le Pain de la simplicité. Notre monde abonde en offres de pain de substitution qui semblent “bons à manger, agréables à la vue et désirables pour acquérir la sagesse” (Genèse 3,6), mais qui ne rassasient pas. Le Seigneur nous demande: “Pourquoi dépensez-vous de l’argent pour ce qui ne nourrit pas, votre gain pour ce qui ne rassasie pas?”. Le Pain eucharistique, le Pain vivant et vrai, le seul Pain nécessaire, est un appel à l’essentiel, à la simplicité et à la sobriété dans notre mode de vie.
Le Pain de l’intimité. Dans un monde globalisé, où les différences se sentent menacées, dans une société massificatrice, où l’anonymat prédomine, dans une culture standardisée, où l’incommunicabilité croît, l’Eucharistie est le Pain de l’intimité, de la familiarité, des liens d’amitié, de l’accueil et de la communication fraternelle. En participant à la table eucharistique, nous sommes introduits dans l’intimité de la Trinité, nous nous sentons vraiment des personnes aimées, comprises, consolées, encouragées, et nous sommes réconciliés avec notre vie, notre histoire, le monde et l’humanité.
Le Pain de la solidarité. “Notre pain” aujourd’hui, c’est-à-dire les ressources de la terre, crée des divisions et des marginalisations, des inégalités et des injustices. “Notre pain” aujourd’hui génère des guerres et des destructions, des égoïsmes et de l’indifférence. “Notre pain” aujourd’hui apporte la mort, suinte du sang des pauvres, pue la pourriture d’une nature piétinée et exploitée. Le “pain quotidien” que nous demandons ensemble au Père est, au contraire, le pain de la solidarité qui apporte vie et dignité pour tous. C’est le pain de la paix et de la justice qui suscite l’espoir partout. Le Pain eucharistique rappelle le pain de la solidarité, car, comme le dit la Didachè (du I-II siècle, une sorte de catéchisme des premiers chrétiens): “Si nous partageons entre nous le pain céleste, comment ne partagerons-nous pas le pain terrestre?”.
Le Pain de l’avenir. Dans le monde d’aujourd’hui, bouleversé par les guerres et les injustices, divisé en blocs opposés, menacé par la crise climatique et le cauchemar d’une guerre nucléaire, le pessimisme à l’égard de l’avenir croît et l’espoir en un monde meilleur diminue. Chaque jour, nous demandons au Père: “Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour”. Saint Jérôme soutenait, au contraire, qu’il faudrait traduire: “Donne-nous aujourd’hui notre pain de demain”, c’est-à-dire celui de l’avenir. L’Eucharistie est le Pain de l’avenir, celui du Royaume de Dieu. Jésus dit dans l’Évangile d’aujourd’hui: “En vérité, je vous le dis, je ne boirai plus jamais du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau, dans le royaume de Dieu”. L’Eucharistie est le vin nouveau de la joie du Royaume, des “nouveaux cieux et nouvelle terre”, objet de notre espérance!
Exercice spirituel pour la semaine
Avant de communier, regarde avec étonnement et émerveillement le Pain déposé sur ta main et demande-toi, comme les Israélites avec le don de la manne: Man hu? Qu’est-ce que c’est? Et le Seigneur te répondra: C’est mon corps!
P. Manuel João Pereira Correia, mccj
Vérone, mai 2024