Il y a des moments privilégiés où, le plus souvent sans préavis, nous voyons clair. Alors la lumière nous inonde mais l’instant d’après nous retombons dans les ténèbres de l’incompréhension. C’est alors que, les yeux clos, nous avons à choisir de croire aux paroles que nous avons entendues et qui nous ont désigné ce Jésus comme le Fils de Dieu.
Luc 9,28-36
Commentaire de Marcel Domergue
Mystérieuse, la prière de Jésus ! Il ne fait qu’un avec le Père, il est lui-même personne divine. Mais en lui Dieu est passé dans la nature et la condition d’un être humain semblable à chacun d’entre nous. En lui, c’est notre liberté d’êtres créés qui doit choisir de faire un avec la liberté divine. C’est pour cela qu’il a un chemin à parcourir pour rejoindre la gloire d’où il vient. Les disciples, intrigués par ces temps de prière, lui demandent de leur apprendre à prier (Luc 11).
Il répondra en leur donnant le Notre Père. Ces quelques phrases résument-elles les longues prières de Jésus ? Je serais tenté de le croire, mais encore faut-il saisir toute la signification de ces brèves formules. Elles visent à l’aboutissement bienheureux de nos existences ; elles nous projettent à l’issue glorieuse de nos cheminements laborieux et déconcertants. Et voici que cette gloire terminale s’inscrit fugitivement sur le visage de Jésus et sur ses vêtements, sur ce corps humain en lequel il vit pour toujours. Union achevée de l’homme et de Dieu. Les trois disciples l’entrevoient dans une sorte d’extase, dont ils ne saisissent pas pour l’instant la signification, mais qui les réveille et les éblouit. Pierre, oubliant le chemin qui reste à parcourir, veut s’installer, planter la tente, dans le resplendissement de la lumière divine. C’est le sombre nuage qui accompagnait les Hébreux pendant leur longue et dure marche de l’Exode qui va lui répondre. Au bonheur du verset 33 succède la terreur du verset 34. De cette nuée dont les ténèbres contrastent avec la gloire de la transfiguration, la voix de Dieu se fait entendre pour glorifier Jésus, qui tout de suite redevient le Jésus de tous les jours.
À l’horizon, la Pâque
Moïse était redescendu de la montagne le visage rayonnant de lumière. Pas Jésus : la lumière de la transfiguration s’est perdue dans la nuée et n’est désormais visible que pour la foi en cette Parole qui vient de le désigner comme Fils. C’est fugitivement qu’il vient d’être révélé lumière du monde, lumière qui luit dans les ténèbres de nos vies mais que ces ténèbres ne peuvent arrêter (voir Jean 1,1-14). Nous venons de faire allusion à Moïse. Justement le voici sur la montagne avec Élie. Ces deux hommes représentent la Loi (Moïse) et les Prophètes (Élie), tout ce qui, dans la Bible, commande l’histoire. Ils parlent avec Jésus de « l’Exode qu’il doit accomplir à Jérusalem ». L’Écriture entière est, de diverses façons, préparation et figure de la Pâque du Christ. C’est que toute l’histoire humaine chemine vers ce dénouement, dont nous attendons encore l’ultime révélation exprimée dans le Bible par le thème du retour du Christ. N’oublions pas que le récit de la transfiguration est encadré par les deux premières annonces de la Passion et que le départ pour Jérusalem et la Pâque est mentionné aux premières lignes du chapitre suivant. La lumière qui inonde Jésus sur la montagne est prophétique de sa résurrection.
C’est sans doute pour cela que dans la version de Matthieu (17,9), Jésus dit aux trois disciples :
« Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. » Dans sa seconde lettre (1,16-21), Pierre parlera de la transfiguration comme du fondement de sa foi. C’est que le Christ ressuscité n’émettait aucune lumière et restait difficilement identifiable : on ne le reconnaissait pas du premier coup.
Les trois disciples
Pierre, Jacques et Jean ont été appelés ensemble, alors qu’ils étaient encore pêcheurs de poissons. Ce furent les trois premiers disciples. Sans hésitation, ils ont quitté leur barques, leurs filets et leur père. On les retrouve ensemble à la transfiguration, on les retrouvera ensemble à Gethsémani. Leur appel, on l’a vu, les a trouvés occupés à autre chose, alors que toute la foule écoutait Jésus. À la transfiguration comme à Gethsémani, ils dorment, ce qui est une manière de s’absenter. Il est vrai que dans les deux cas, c’est la nuit, mais la nuit n’est pas seulement la conséquence de la rotation de la terre : dans la Bible, elle est allusion aux ténèbres qui couvraient l’abîme du néant avant que Dieu ne crée la lumière et ne la sépare des ténèbres pour donner lieu au premier jour. Le sommeil nocturne est une image de la mort : nuit des sens, nuit de l’intelligence, nuit de l’esprit. Les trois disciples se retirent de la marche de l’histoire et de l’itinéraire du salut de l’humanité. Au fond ils reviennent au néant originel. Mais c’est là que la lumière vient les visiter. En Luc 24,9-12, c’est le message des femmes qui ont eu le courage d’aller au tombeau, qu’elles ont trouvé ouvert et vide, qui les réveillera des ténèbres qui les emprisonnaient depuis Gethsémani. Ce qui est arrivé aux trois apôtres est typique de ce qui nous arrive à tous. Il y a des moments privilégiés où, le plus souvent sans préavis, nous voyons clair. Alors la lumière nous inonde mais l’instant d’après nous retombons dans les ténèbres de l’incompréhension. C’est alors que, les yeux clos, nous avons à choisir de croire aux paroles que nous avons entendues et qui nous ont désigné ce Jésus comme le Fils de Dieu.
Père Marcel Domergue, jésuite
Croire
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