Jésus vient d’annoncer qu’il sera livré aux mains des hommes et qu’il sera tué, crucifié comme un malfaiteur, comme un homme dont il faut se débarrasser pour le bien de tous. L’évangéliste ajoute que ses disciples ne comprennent pas ces paroles. S’ils ont peur de l’interroger, ce qu’ils ne manquent pas de faire d’habitude, c’est sans doute parce qu’ils craignent la réponse. (...)

L’annonce entre la route et la maison

« Que le premier soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Marc 9,30-37

La parole de Dieu de ce dimanche revient sur le thème de la mort et de la résurrection de Jésus. C’est la deuxième fois que Jésus annonce à ses disciples l’événement tragique de sa mort, qui marquera son messianisme. La première fois, il l’avait fait près de Césarée de Philippe, en territoire païen (8,31). Aujourd’hui, il répète cette annonce alors qu’ils traversaient la Galilée (9,31). La troisième fois, il le fera sur la route montant à Jérusalem (10,32-34). Trois fois pour en souligner l’importance.

La réaction des apôtres à cette annonce est, chaque fois, l’incompréhension : « Mais ils ne comprenaient pas ces paroles et craignaient de l’interroger. » Cette incompréhension est soulignée par l’évangéliste, rapportant chaque fois un épisode où les apôtres se comportent de manière exactement contraire à ce que Jésus leur dit. La première fois, Pierre le réprimande pour cette prédiction inattendue, provoquant une réaction forte de Jésus, qui l’appelle « Satan ». La deuxième fois (aujourd’hui), les apôtres discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand. La troisième fois, ce seront Jacques et Jean qui demanderont à Jésus de s’asseoir l’un à sa droite et l’autre à sa gauche, provoquant l’indignation des dix autres. À cette incompréhension et obstination, Jésus répond chaque fois par une catéchèse : la première fois sur la croix ; la deuxième (aujourd’hui) sur la petitesse ; la troisième fois sur le service.

Comment expliquer une telle obstination ? Saint Marc ne nous présente pas une image idéalisée des apôtres. Au contraire, il en souligne les limites et les faiblesses. Jésus n’a pas choisi des personnes parfaites, mais des personnes normales, comme nous. Saint Paul dira même que Dieu a choisi les derniers dans l’échelle sociale pour mener à bien son projet : « Considérez, en effet, votre appel, frères : il n’y a pas parmi vous beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles… afin que nul ne puisse se glorifier devant Dieu. » (1 Corinthiens 1,26-29).

La difficulté des apôtres à suivre le Seigneur nous renforce dans l’espérance que la grâce de Dieu peut réaliser en nous ce qu’elle a accompli dans la vie des apôtres.

Pistes de réflexion

1. Jésus fait ses trois annonces en marchant. Saint Marc aime présenter Jésus en mouvement, sur la route. Il enseigne en chemin. Il est un rabbin itinérant et vient à notre rencontre sur les routes de la vie. Il s’approche et marche avec nous comme un compagnon de voyage, souvent sans se faire reconnaître immédiatement, comme dans le cas des deux disciples d’Emmaüs. Le signe de son passage est la relecture éclairée des événements douloureux de la vie et l’ardeur qu’il réveille dans notre cœur.

2. Jésus « enseignait à ses disciples », leur révélant le projet de Dieu. « Mais ils ne comprenaient pas ces paroles et craignaient de l’interroger. » Pourquoi craignaient-ils de l’interroger ? Parce qu’ils ne voulaient pas comprendre ! Il nous arrive aussi de ne pas vouloir lui poser des questions sur certaines situations de notre vie, parce que nous craignons justement la réponse. Nous préférons faire semblant de ne pas comprendre, car nous ne sommes pas prêts à agir en conséquence.

3. « Lorsqu’il fut dans la maison, il leur demanda… » Jésus sort de la maison pour parcourir les routes et rencontrer les gens, mais il aime aussi revenir à la maison pour goûter l’intimité avec les siens. Là, ils commentent les événements de la journée et les disciples demandent des explications sur ce qu’ils n’ont pas compris (mais pas cette fois-ci !). La maison de Jésus (qui est celle de Pierre !) est ouverte à tous ceux qui viennent pour l’écouter ou pour être guéris. Jésus se laisse déranger et ne fixe pas d’heures de rendez-vous. Il aime aussi visiter la maison des amis et de ceux qui l’invitent, qu’ils soient pharisiens ou publicains. Parfois, il s’invite lui-même, comme avec Zachée. Cette habitude lui est restée. En effet, dans l’Apocalypse, il dit : « Voici : je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je dînerai avec lui et lui avec moi. » (3,20).

La maison de Jésus est le lieu de rencontre de la communauté chrétienne. Malheureusement, aujourd’hui elle est peu fréquentée. Peut-être parce qu’il manque de chaleur humaine et que les gens ne s’y sentent pas chez eux. Il est peut-être temps de « sortir sur les places et dans les rues de la ville » (Luc 14,21), oui, mais aussi d’ouvrir nos maisons pour inviter et se faire inviter. Hélas, ce n’est pas simple dans une société où chacun a tendance à se refermer sur lui-même !

4. « De quoi discutiez-vous en chemin ? Et ils se taisaient. Car en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. » Par hasard, cela ne nous arrive-t-il pas aussi ? Nous cherchons tous un petit coin au soleil de l’estime et de l’appréciation des autres. Chacun veut exceller en quelque chose. Et notre psyché est vraiment ingénieuse pour le trouver, même dans une situation d’infortune, en attirant la compassion des autres ! C’est pourquoi nous nous taisons aussi. Nous aurions honte de le dire. Mais pourquoi ne pas nous poser personnellement la question : où est-ce que je cherche à être le premier ? Ce serait une bonne occasion de débusquer le serpent de notre vanité.

5. « S’étant assis, il appela les Douze et leur dit… » Le Maître s’assoit, les appelle et leur parle. Cette fois, il le fait calmement et patiemment. Pas comme dimanche dernier avec le pauvre Pierre, lorsque Jésus semblait avoir perdu son calme ! Eh bien, voulez-vous savoir qui est le plus grand ? « Le dernier de tous et le serviteur de tous ! ». Donc, il faut aller en queue ! Et pour être bien clair, il accompagne la parole d’un geste : « Prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux et, l’embrassant, il leur dit : Celui qui accueille un seul de ces enfants en mon nom, c’est moi qu’il accueille… ». L’enfant était le symbole de la petitesse, de celui qui ne compte pas parmi les « grands » de la maison. Aujourd’hui, cependant, peut-être que Jésus placerait parmi nous quelqu’un d’autre. Qui ? Peut-être l’un de ceux dont il parle dans Matthieu 25 : « En vérité, je vous le dis : tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! »

P. Manuel João Pereira Correia, mccj

Marc 9, 30-37

Les disciples se disputent pour savoir lequel d’entre eux est “le plus grand”.
La réponse de Jésus est cinglante !
par Marcel Domergue, jésuite

Jésus vient d’annoncer qu’il sera livré aux mains des hommes et qu’il sera tué, crucifié comme un malfaiteur, comme un homme dont il faut se débarrasser pour le bien de tous. L’évangéliste ajoute que ses disciples ne comprennent pas ces paroles. S’ils ont peur de l’interroger, ce qu’ils ne manquent pas de faire d’habitude, c’est sans doute parce qu’ils craignent la réponse. En tout cas, ils sont tellement aux antipodes de ce que vient de leur dire Jésus qu’ils discutent pour décider lequel d’entre eux est le plus grand. Il ne s’agit même pas de savoir quel est le meilleur, ce qui est déjà bien prétentieux, mais lequel est le premier ; et ce n’est pas la même chose ! Manifestation typique de l’ambition. Même ceux qui ont tout quitté pour suivre le Christ, aujourd’hui comme hier, peuvent être la proie de ce “démon”. Surclasser, dépasser les autres, occuper la première place, dans un domaine particulier ou en toute chose. Au fond, cela provient d’un besoin de se rassurer à propos de sa propre valeur, de la peur de son propre vide, de la crainte de ne pas être à la hauteur. C’est donc la foi qui est en cause. Foi en la vie, qui est une forme obscure de la foi en Dieu. L’ambition, car c’est bien de cela qu’il s’agit, introduit facilement la violence en toute compétition. N’oublions pas que Genèse 3 présente le péché de l’homme comme ambition de se faire “comme Dieu”, que le premier meurtre, celui d’Abel par Caïn, est attribué à la jalousie et que Marc 15,10 dit que Pilate comprend que c’est par envie que les grands prêtres veulent la mort de Jésus.

Le désir fondamental

Notre seconde lecture dit en termes vigoureux la perversion de l’ambition. Jacques a bien vu que nos conflits en plein jour viennent d’un conflit intérieur à chacun de nous, entre notre désir d’accueillir et notre volonté de prendre. Remarquons que notre ambition de la première place nous laisse seuls avec nous-mêmes : les
autres en effet deviennent de simples instruments à utiliser pour notre élévation. Enfermés dans le cercle du culte de notre propre moi, nous ne savons plus que nous ne pouvons être vraiment nous-mêmes que par alliance avec d’autres. Une alliance au sens fort, qui nous fait sortir de nos prisons intimes pour nous faire accéder à la ressemblance de Dieu, qui n’est Un que parce qu’il est Père, Fils, Esprit, et qui se révèle à nous comme celui qui se donne pour faire vivre. Nous voici revenus à l’annonce de la Passion, en laquelle Jésus va se livrer à nos convoitises (la “jalousie” de Matthieu et de Marc). Là, il sera “le dernier de tous” et
se fera “le serviteur de tous”, comme il le dit dans notre lecture. C’est vers cela que doit nous porter notre désir profond, notre “ambition”, le projet de notre existence. Car nous n’avons pas d’autre chemin pour nous construire à l’image de Dieu, c’est-à-dire pour exister. “Le chemin, la vérité et la vie” sont là, à ce prix. Imaginons-nous que nous pouvons rester dans la vie en nous faisant différents du Fils, en nous séparant de “l’image du Dieu invisible” ?

Comme un enfant

Nous voici invités à revenir sans cesse à notre commencement, à cet état où nous ne pouvons rien, sinon accueillir ce qui vient, notre avenir imprévisible. Le temps, donc, de l’ouverture absolue. Déjà, il est vrai, l’ambition peut venir contaminer le désir et l’ivraie peut croître mêlée au bon grain. Nous ne pouvons pas confondre enfance et innocence. Il reste que l’enfant est l’être humain en son ouverture ; inachevé, il est accueil de ce qui vient. La vie devant soi. Il y faut un fond d’espérance, de confiance en cet avenir, même si cette confiance reste enfouie en deçà de la conscience. Elle est la source de la joie de vivre enfantine. La confiance en la vie qui vient passe par la foi, l’ouverture aux personnes qui entourent l’enfant, et en premier lieu, bien entendu, aux parents. L’enfant est d’abord fils ou fille d’un homme et d’une femme qui ont été le chemin de l’action créatrice de Dieu. Mais ici Jésus, selon Marc, ne nous parle pas de la nécessité de revenir à l’ouverture et à la confiance de l’enfance : il nous invite à recevoir en son nom le plus pauvre, le plus démuni, celui qui n’a rien et ne peut compter que sur les autres. Accueillir de telles personnes, c’est l’accueillir lui-même et, en fin de compte, accueillir Dieu lui-même. Dieu, et cela s’est révélé, manifesté dans ce qu’a vécu le Christ, s’est remis entre nos mains. Vis-à-vis de nous, Dieu se fait notre enfant. Il se met à notre merci, et nous avons le pouvoir de l’accepter ou de le refuser.
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