C’est une scène surprenante. L’évangéliste Marc (5,21-43) présente une femme inconnue comme modèle de foi pour les communautés chrétiennes. Elles pourront apprendre d’elle comment chercher Jésus avec foi, comment parvenir à un contact avec lui, capable de guérir et comment trouver en lui la force pour commencer une vie nouvelle, pleine de paix et de santé. (...)

Dieu est le Seigneur amoureux de la vie!

Il prit la main de la fillette et lui dit : « Talitha koum »
Marc 5,21-43

L’ensemble des lectures de ce dimanche tourne autour d’un thème crucial de l’existence : le binôme vie et mort ! La première lecture (Sagesse 1-2) nous rassure que le plan de Dieu est que l’homme vive : “Dieu n’a pas créé la mort… Il a créé toutes les choses pour qu’elles existent… et il a créé l’homme pour l’incorruptibilité”. Le Psaume 29 est un hymne de remerciement pour la vie sauvée de la mort. La deuxième lecture (2 Corinthiens 8) est une invitation à partager la vie à travers le partage des biens. L’Évangile nous amène à fixer notre regard sur Jésus qui apporte la vie partout où il passe, témoignant ainsi de ce qu’il dit en Jean 10,10 : “Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance”. La seule condition pour l’accueillir est la foi : “Ma fille, ta foi t’a sauvée”, dit Jésus à l’hémorroïsse qui avait touché son manteau ; “N’aie pas peur, crois seulement !”, dit Jésus à Jaïre lorsqu’il reçoit la nouvelle de la mort de sa fille.

La parole de Dieu suggère quelques points qui nous invitent à réfléchir sur notre relation avec la vie. Nous en prenons un par lecture, psaume inclus.

1. La vie est GRÂCE

C’est une grâce au sens de don, mais aussi au sens de beauté. La première lecture, tirée du livre de la Sagesse, exalte la bonté de la vie : “Les créatures du monde sont porteuses de salut”. L’auteur du livre transmet un sens de l’optimisme concernant l’existence, qui lui vient sans doute de la foi en le “Seigneur, amoureux de la vie” (Sagesse 11,26), mais aussi d’une relation saine avec le monde.

Aujourd’hui, cet “optimisme sain” semble diminuer. Même parmi les très jeunes, qui devraient être une manifestation perpétuelle de l’exubérance de la vie elle-même. Il est préoccupant et consternant de voir le nombre croissant de couples qui se ferment à la fécondité, convaincus que cette société n’a pas d’avenir. Une vision positive de la vie manque souvent aussi dans nos communautés, qui ne sont pas jeunes mais qui devraient être animées par la jeunesse perpétuelle de l’Esprit du Ressuscité. Et que dit de nous, chrétiens, la mentalité commune qui pense que Dieu mortifie la vie avec des lois et des interdits ? Quelle image de Dieu avons-nous transmise ?

Un optimisme sain à propos de la vie aujourd’hui n’est pas spontané, il doit être cultivé et protégé contre des discours chargés de catastrophisme. Cette attitude positive est un choix, une option de vie qui vient de la conviction de foi que l’Esprit est l’âme de l’Église et est en permanence à l’œuvre dans le monde et dans l’histoire. Aujourd’hui, le chrétien est appelé à témoigner de la bonté et de la beauté de la vie.

2. La vie est FRAGILE

Le Psaume souligne la fragilité de la vie, menacée par la mort : “Seigneur, tu as fait remonter ma vie des enfers, tu m’as fait revivre pour que je ne descende pas dans la fosse”. Tout ce qui est beau est aussi fragile. Peut-être pour mieux en apprécier la gratuité et ne pas la prendre simplement pour acquise. Estimer, cultiver et soigner la santé et la qualité de vie est une bonne chose. Le problème survient lorsque ce soin devient acharnement et obsession. Alors il peut nous arriver comme à l’hémorroïsse de l’Évangile qui “avait beaucoup souffert entre les mains de nombreux médecins, dépensant tout son argent sans aucun avantage, mais plutôt empirant”. En général, nous essayons de supprimer de notre esprit la pensée de la mort. Le problème survient lorsque la mort devient un tabou. Cela devient une inconscience délibérée et, à long terme, une inconscience.

La sagesse humaine et chrétienne nous invite à nous réconcilier avec les limites de la vie et la perspective de la mort. La fragilité fait partie de notre condition de créatures. Quel est le signe de notre réconciliation avec la mort ? Quand nous sommes capables de donner la vie ! Cela demande, cependant, un exercice continu de “mourir” chaque jour à nous-mêmes, mettant notre vie au service des autres, à l’exemple du Maître.

3. La vie doit être PARTAGÉE

Dans la deuxième lecture, nous trouvons l’exhortation de Saint Paul à la communauté de Corinthe pour l’encourager à participer généreusement à la collecte en faveur de la communauté mère de Jérusalem, qui se trouvait dans de sérieuses difficultés : “En ce moment votre abondance pourvoit à leurs besoins, pour qu’à leur tour leur abondance pourvoie à vos besoins, et qu’il y ait égalité”.

Le partage des biens est partage de vie. Nous sommes tous conscients de l’urgence de cela dans notre monde, où les inégalités augmentent de manière démesurée. Il n’y aura pas de paix sans justice. L’égoïsme, l’accumulation et l’appropriation des biens sèment la mort. Le chrétien est appelé à témoigner de la béatitude proclamée par Jésus, selon Saint Paul : “Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir !” (Actes des apôtres 20,35). Cependant, la générosité n’est pas une attitude spontanée, surtout si elle implique la renonciation à certaines commodités. Elle implique la foi dans le “centuple” promis par le Seigneur et l’exercice continu de la largesse de cœur.

4. La vie nous est CONFIÉE

L’Évangile nous offre plusieurs points de réflexion. Arrêtons-nous sur un seul, l’intercession de Jaïre en faveur de la vie de sa fille : “Ma petite fille est en train de mourir : viens lui imposer les mains, pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive”. La supplication de ce père, agenouillé devant Jésus, nous émeut. Le Seigneur, partageant sa douleur, “partit avec lui”. Nous sommes tous appelés à être sensibles à la douleur des autres, à aller vers celui qui souffre et à alléger sa peine, autant que possible. La vie des autres nous est confiée. Il existe une myriade de façons pratiques de vivre la “compassion”, la solidarité et la fraternité humaine. Grâce à Dieu, cette sensibilité va croissant, unissant croyants et non-croyants.

Mais il y a une modalité typique du croyant qui s’affaiblit : la prière d’intercession. La sécularisation nous a aidés à prendre conscience de l’autonomie du monde et du devoir intransférable de prendre soin de toute la création, à travers l’exercice responsable de la technique et de la science. Dieu n’est pas un “bouche-trou”, comme on dit. Sans doute cette nouvelle conscience et sensibilité est une grâce parce qu’elle purifie la foi, la rendant plus authentique. Mais si c’est ainsi, à quoi “sert” la prière ? C’est la question de beaucoup et peut-être la nôtre aussi. Certains théologiens vont jusqu’à affirmer que la seule vraie prière est celle de la louange ou même seulement l’attitude d’abandon filial à la “volonté” de Dieu.

Toute la tradition biblique, la révélation de Dieu dans son incarnation en Jésus de Nazareth, la tradition ecclésiale et liturgique vont à l’encontre de ce réductionnisme qui risquerait de concevoir la pratique chrétienne comme une simple action et, au final, de l’activisme. La prière authentique, qui n’est pas subterfuge ou aliénation, est un mode privilégié d’action de la foi. Nous et le monde avons besoin de prière, qu’elle soit de supplication, d’intercession, de remerciement, de louange ou d’abandon. La prière est un “patrimoine mondial”, un dépôt auquel tous puisent, croyants et non-croyants, même à notre insu, d’une manière qui nous reste mystérieuse. L’action et la lutte pour une société plus juste et fraternelle est efficace parce qu’elle est fécondée par la grâce. Dieu nous confie la vie et le soin de nos frères. La prière d’intercession est un soin des frères, c’est “porter les fardeaux les uns des autres” (Galates 6,2).

P. Manuel João Pereira Correia mccj
Vérone, juin 2024

LA GRANDE FOI D’UNE FEMME
Marc 5,21-43
José Antonio Pagola

C’est une scène surprenante. L’évangéliste Marc présente une femme inconnue comme modèle de foi pour les communautés chrétiennes. Elles pourront apprendre d’elle comment chercher Jésus avec foi, comment parvenir à un contact avec lui, capable de guérir et comment trouver en lui la force pour commencer une vie nouvelle, pleine de paix et de santé.

Contrairement à Jaïre, identifié comme “chef de la synagogue” et homme important à Capharnaüm, cette femme est insignifiante. Nous savons seulement qu’elle souffre d’une maladie secrète, proprement féminine, qui ne lui permet pas de vivre d’une manière saine sa condition de femme, d’épouse et de mère.

Elle souffre beaucoup physiquement et moralement. Elle s’est ruinée en cherchant l’aide des médecins, mais personne n’a pu la guérir. Cependant, elle refuse de vivre pour toujours en femme malade. Elle est seule. Personne ne l’aide à s’approcher de Jésus, mais elle saura comment faire pour le rencontrer.

Elle n’attend pas passivement que Jésus s’approche d’elle et lui impose ses mains. C’est elle même qui va le chercher. Elle surmonte tous les obstacles. Elle fait tout ce qu’elle sait et peut. Jésus comprend son désir d’une vie plus saine. Elle a pleine confiance en sa force de guérison.

La femme ne se contente pas seulement de voir Jésus de loin. Elle cherche un contact plus direct et personnel. Elle agit avec détermination, mais pas de manière affolée. Elle ne veut déranger personne. Elle s’approche par derrière, au milieu des gens, et touche le manteau de Jésus. C’est dans ce geste délicat que s’exprime et se concrétise sa confiance totale en lui.

Tout arrive en secret, mais Jésus veut que tout le monde connaisse la grande foi de cette femme. Lorsqu’elle, effrayée et craintive, avoue ce qu’elle a fait, Jésus lui dit : « Ma fille, ta foi t’a guérie. Va en paix et recouvre ta santé ». C’est par sa capacité de chercher et d’accueillir le salut qui nous est offert en Jésus, que cette femme est pour nous tous, un modèle de foi.

Qui est-ce qui aide les femmes de notre temps à rencontrer Jésus ? Qui est-ce qui fait des efforts pour comprendre les obstacles qu’elles trouvent dans certains secteurs de l’Eglise actuelle pour pouvoir vivre leur foi en Christ « en paix et en bonne santé » ? Qui est-ce qui met en valeur la foi et les efforts des théologiennes qui, presque sans appui, et en devant surmonter toute sorte de résistances et de refus, travaillent sans répit pour ouvrir des chemins permettant à la femme de vivre avec plus de dignité dans l’Eglise de Jésus ?

Les femmes ne trouvent pas parmi nous l’accueil, l’estime et la compréhension qu’elles trouvaient chez Jésus. Nous ne savons pas les regarder comme lui-même les regardait. Cependant, ce sont souvent elles qui avec leur foi en Jésus et leur élan évangélique, soutiennent aujourd’hui la vie de nombreuses communautés chrétiennes.
José Antonio Pagola
Traducteur: Carlos Orduna