Pour la solennité du corps et du sang du Seigneur la liturgie nous présente un passage de l’évangile de Luc au chapitre 9 versets 11-17. Jésus avec ses disciples s’est retiré à Bethsaida, hors du territoire de la Judée. Mais les foules en l’apprenant le suivirent. La foule se sent attirée par le message de Jésus car elle comprend qu’il s’agit d’une réponse de Dieu au besoin de plénitude que chacun porte en lui. [...]

Luc 9,11-17

Il leur parlait du règne de Dieu
P.  Bernard Podvin

Un paysan d’Ars se plaisait devant le tabernacle à la fin de sa journée de travail. Il émerveillait son saint curé. Il regardait longuement son Dieu qui le regardait de manière ineffable…

Le même paysan serait-il aujourd’hui retenu sur son tracteur connecté aux exigences de la productivité, n’ayant plus de regard pour le frère, pour le ciel et pour lui ? Des auteurs disent que nous sommes entrés dans « la civilisation des poissons rouges ». En raison d’un point commun avec ces derniers : leur faculté de concentration n’excède pas… neuf secondes.

Neuf secondes ! Dieu, certes, a toute liberté de saisir un cœur humain au rythme qui est sien. Mais quand même ! Il aspire à ce que l’homme soit comblé en sa présence. Bien au-delà de neuf secondes ! Que nous dit saint Luc en ce dimanche ? Jésus veille à ce que l’on fasse s’installer la foule. Ne surtout pas la renvoyer dans les villages. Le jour commence à décliner. Il importe au Christ que les disciples nourrissent ces gens. Il n’a pas fini de leur parler du Règne de Dieu ! Là est en effet sa raison d’être parmi nous. Là est sa mission. Il est prédicateur du salut dont, par la volonté de son Père, il sera la pleine incarnation afin que l’homme vive.

L’endroit est désert ? Raison de plus pour retenir la foule. La faim des hommes a rendez-vous avec Jésus, et Jésus seul. Le défi spirituel est de ne pas confondre sa nourriture divine avec celles qui passent. L’endroit est désert ? C’est précisément au désert qu’on éprouve quelle faim authentique nous tenaille. Fringale convulsive ou aspiration absolue ? Il faut discerner et choisir. Seul l’Amour du Christ peut transfigurer la pauvreté des cinq pains et des deux poissons en nourriture qui rassasie chacun, et bien au-delà. Seul son Amour aide l’homme affamé du pain de la terre à avoir faim du pain du ciel. François Cheng le dit admirablement : le rythme quotidien nous fait souvent «escamoter, voire ignorer notre âme. Or, elle est là toute en sourdine, au tréfonds de nous, conservant en elle tout emmêlées joies et blessures. » Bénie soit la fête du Corps et du Sang du Seigneur qui ravive en notre âme le désir d’être habitée par Jésus. Bienvenu soit l’Évangile de ce jour solennel nous recentrant au cœur de gravité de nos vies.

En nourrissant la foule pour le Règne, le Christ nous confie les douze paniers comme précieux viatique pour l’aujourd’hui des hommes. « Faites cela en mémoire de moi », dira-t-il en rompant sa vie pour que les hommes y puisent l’ineffable source. Jésus insistera pour que nous devenions adorateurs de cet amour en Esprit et vérité. École permanente ! Nul ne peut dire qu’il adore bien, sinon en demandant la grâce de toujours en être apprenants. C’est pour cela que l’eucharistie qui vient de se célébrer à Notre-Dame de Paris est émouvante et essentielle. Elle fonde en l’homme la Présence sur qui tout fonder. C’est pour cela que l’infime, mais céleste, parcelle d’hostie est visite divine dans le cœur de l’homme en attente : malade en sa chambre d’hôpital, souffrant de l’exil, indigent en solitude affective, pèlerin en sanctuaire, jeune en aumônerie… Dieu, par l’infime signe, vient donner goût d’éternité là où l’humain peine à le percevoir.

Les « cinq mille hommes » de l’évangile sont aujourd’hui en quête mêlée de profondeur et de fragilité. Leur dire qu’en l’admirable sacrement du Corps du Christ est la Vie en abondance doit être notre tâche et notre joie. Nourrissons-nous de la Parole vivifiante et du Pain véritable. L’appétit d’autrui naîtra de notre faim contagieuse. Jacques de Bourbon-Busset décrit la vie spirituelle comme « la basse continue qui voudrait résonner en chacun de nous ». Que la Fête-Dieu avive en nous ce désir…
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Donnez-leur vous-mêmes à manger
par Alberto Maggi OSM

Pour la solennité du corps et du sang du Seigneur la liturgie nous présente un passage de l’évangile de Luc au chapitre 9 versets 11-17. Jésus avec ses disciples s’est retiré à Bethsaida, hors du territoire de la Judée. Mais les foules en l’apprenant le suivirent. La foule se sent attirée par le message de Jésus car elle comprend qu’il s’agit d’une réponse de Dieu au besoin de plénitude que chacun porte en lui.

” Jésus parlait aux foules du règne de Dieu..” Jésus ne parle pas du règne d’Israël, il n’est pas venu restaurer le règne d’Israël mais inaugurer le règne de Dieu, un règne sans frontières car l’amour de Dieu ne tolère aucunes barrières.

” Il guérissait ceux qui en avaient besoin.” Devant le mal et la maladie Jésus n’a pas de paroles de consolation mais gestes de guérison qui éliminent le mal. C’est un effet du règne de Dieu. Dans le règne de Dieu le bonheur et le bien-être de l’homme sont au premier plan.

” Alors les Douze s’approchèrent de lui ” L’évangéliste souligne une différence : alors que la foule suit Jésus, les disciples, eux, sont loin, ils gardent leurs distances de sécurité et c’est pour cela qu’ils doivent s’approcher, alors que Jésus leur avait demandé de le suivre. Ils s’approchent donc mais pour un motif négatif ” Ils s’approchèrent de lui et lui dirent..” et l’évangéliste emploie l’impératif, c’est donc un ordre “..Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert.”

Les douze traitent Jésus presque d’incompétent, comme s’il ne savait pas être dans une zone déserte et sans rien à manger. Leur préoccupation est donc de renvoyer les gens. On ne dit pas que les gens étaient peut-être fatigués d’écouter l’enseignement de Jésus, mais ce sont les disciples qui ne pensent qu’à eux même.

” Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger.” Le sens est double, outre la signification évidente ” pensez vous-même à leur donner à manger “, l’évangéliste ici anticipe ce que sera le sens de l’eucharistie où, Jésus, fils de Dieu se fait pain, nourriture pour la vie, afin que ceux qui l’accueillent, le mangent et l’assimilent, puissent être capable à leur tour de se faire pain, aliment de vie, pour les autres.

Mais voilà l’objection des douze ” Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peutêtre d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple.” Il y a un contraste entre l’invitation de Jésus ‘donnez ‘, c’est à dire ‘partagez ‘ et la mentalité des disciples, ‘acheter ‘. Ils n’ont pas encore compris le message de partage de Jésus : ” À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple.” Les disciples considèrent presque le peuple qui suit Jésus comme un dérangement.

” Il y avait environ cinq mille hommes.” Pourquoi ce nombre ? Parce que la communauté primitive, selon les Actes des Apôtres, était composée de cinq milles personnes. Alors l’évangéliste veut dire que cette action qui va suivre constitue la communauté.

” Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir..” Alors que les apôtres avaient utilisé l’impératif ” Renvoie cette foule “, Jésus répond par un impératif contraire ” Faites-les asseoir ” littéralement ” Faites-les s’allonger “. Dans les repas festifs et solennels, on mangeait allongé sur des petits divans. Mais qui donc pouvait se permettre de manger ainsi ? Les seigneurs qui avaient des gens à leur service. Jésus demande donc à la communauté des disciples de tout faire pour que ces gens se sente seigneur pour que, eux, puissent se mettre à leur service.

” Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ.” Dans ce passage de l’évangile se trouvent des nombres et dans la bible les nombres ont toujours un sens figuré, symbolique. Cinquante est l’action de l’Esprit. Pentecôte est le cinquantième jour, donc cinquante et ses multiples indiquent l’action de l’Esprit.

” Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde.” Tous les participants sont donc traités comme des seigneurs. Et ici l’évangéliste anticipe les gestes qui seront ceux de Jésus lors du dernier repas.

” Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, (en communion avec Dieu) et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, ” Le fait de rendre grâce fait comprendre que l’on ne possède plus ces pains et ces poissons mais qu’ils sont un don de Dieu et, comme tel, ils sont à partager pour multiplier les effets de l’action créatrice.

” Il les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. ” Les disciples ne sont pas patrons et propriétaires de ce pain mais ils sont des serviteurs dont la tâche est de le distribuer à la foule. Ils n’ont pas à décider qui est digne ou pas de prendre le pain et d’être à cette table, il leur est simplement demandé de distribuer.
Il ressort clairement l’omission du rite très important des repas juifs : la purification. Pourquoi Jésus ne demande-t-il pas à la foule de se purifier pour être digne de manger ?

L’évangéliste anticipe la grande nouveauté portée par Jésus : alors que la religion enseigne que l’homme doit se purifier pour être digne d’accueillir le Seigneur, avec Jésus c’est accueillir le Seigneur qui rend l’homme pur et digne de lui. L’évangéliste conclue ” Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés..” Quand on partage c’est l’abondance pour tout le monde.

” Puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.”C’est le dernier nombre de cette épisode. Pourquoi douze ? Douze est le nombre des tributs d’Israël. L’évangéliste veut dire que c’est à travers le partage du pain que l’on résout le problème de la faim. Quand on accapare et on accumule pour soi-même, c’est l’injustice et la faim. Quand on ne considère pas ce que l’on a comme exclusivement sien mais qu’on le partage, on multiplie l’action créatrice du Père qui crée abondamment et à satiété.