Ce dimanche fait progresser la réflexion sur l’embauche à la vigne. Sur qui peut-on compter ? La parabole des deux fils racontée « aux chefs des prêtres et aux anciens », dit le texte de Matthieu, rappelle la diatribe de Jésus à l’égard de ceux qui font la leçon aux autres sans montrer l’exemple : « Faites ce qu’ils disent mais ne faites pas ce qu’ils font » (Mt 23,1-3).
Matthieu 21,28-32
Mettre en pratique ses convictions
P. Gilbert Caffin
Ce dimanche fait progresser la réflexion sur l’embauche à la vigne. Sur qui peut-on compter ? La parabole des deux fils racontée « aux chefs des prêtres et aux anciens », dit le texte de Matthieu, rappelle la diatribe de Jésus à l’égard de ceux qui font la leçon aux autres sans montrer l’exemple : « Faites ce qu’ils disent mais ne faites pas ce qu’ils font » (Mt 23,1-3).
De l’importance de la parole suivie d’effet, sinon elle est trompeuse. Le Christ voudrait tellement qu’on lui ressemble, lui qui fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait, pour que l’on comprenne le sens de ses actes. Il ira jusqu’à dire la meilleure preuve de l’amour que l’on a : « C’est de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). Ce qu’il fera pour tous les hommes.
Il invite ses disciples à veiller à cette authenticité du discours et de la vie, car c’est l’origine de la confiance et de la crédibilité. Il est facile de dire et de ne pas faire, surtout pour tous ceux qui ont charge d’éducation et de prêcher la bonne conduite aux autres.
Être son premier auditeur
Quelle modestie doit-on avoir quand la mission est bien de rappeler l’idéal, quand on sait combien on en est soi-même loin ? Alors il est important de montrer qu’on est soi-même le premier concerné par l’appel que l’on transmet. Rien n’est plus odieux que d’entendre les prédicateurs asséner des obligations aux fidèles comme si c’était si simple de les vivre. Être son premier auditeur et le rappeler suffisamment pour se mettre au milieu de ceux qui cherchent la sainteté en sachant combien on en est éloigné. Le « vous devez » doit s’effacer devant le « nous devrions avec l’aide de Dieu ». Les parents en connaissent la difficulté, car on ne trompe pas longtemps ses enfants. Ainsi de tout éducateur ; ce qui ne doit pas empêcher de montrer le chemin à suivre si l’on sait montrer que soi-même on est en route et loin d’être parfait.
Cette éducation de Jésus au sérieux de la parole prononcée et mesurée à l’aune du comportement préfère à tout prendre celui qui n’ose parler, ni dire qu’il va le faire et qui, prenant son courage à deux mains, s’y engage quand même : ainsi du second frère de la parabole. Alors se fait un bon travail à la vigne, qui fait progresser le Royaume d’une humanité fraternelle.
Combien ces hommes-là sont respectés et respectables pour toute vie sociale ! Puissent les chrétiens être de ceux-là, et non comme les chefs des prêtres et les pharisiens qui rappellent la morale mais ne s’y obligent point. Le scandale des prêtres pédophiles a provoqué ce terrible jugement des opinions publiques et un grand discrédit pour les institutions religieuses. Une Église qui rappelle sans cesse l’intégrité de la vie sexuelle et qui, à ce point, pour un si grand nombre, s’en cache et s’en dispense, usant même de son autorité pour contraindre, devient odieuse. C’est sans doute le plus grand malheur que vit l’Église de ce temps, mais qui invite à la modestie dans les débats de société.
Ainsi, quand des hommes acceptent des responsabilités dans la vie politique – et combien les chrétiens savent que cet engagement n’est pas indifférent à la venue du Règne de Dieu -, ils se doivent de se souvenir de cette parabole. Le discours politique a été tellement bafoué par le non-respect des promesses pour gagner l’électorat, qu’il est devenu synonyme de palinodie. Restaurer la dignité du politique commence par l’authenticité du discours, par la confiance suscitée par des actions menées avec courage. Si le chrétien s’avance avec son idéal pour l’imposer aux autres sans en comprendre l’écart avec le possible pour le plus grand nombre, il devient non seulement inhumain mais un insupportable donneur de leçons. La distinction du temporel et du spirituel s’applique aussi à la différence du légal pour tous – possible et souhaitable pour le vivre-ensemble – et de la morale personnelle selon les exigences de la conscience de chacun. De nouveau, le comportement vaut mieux que le discours, comme le dit la parabole.
L’appel à agir
Cependant il est loin d’être indifférent à ce que l’exemplarité de quelques-uns entraîne l’ensemble à se surpasser, à montrer que l’homme passe l’homme s’il suit les appels de sa conscience.
Comment l’appel est-il reçu ? On peut en dégager une leçon difficile à admettre : les premiers appelés ne sont pas seuls ; il en est qui ne semblent pas concernés et qui pourtant le sont. Dans les engagements citoyens, la collaboration avec les gens utiles au progrès d’une humanité fraternelle n’est pas toujours avec ceux que l’on espère. Les intérêts personnels ou de groupes peuvent brouiller les appartenances. La parabole en Matthieu 25 des brebis et des boucs alerte sur les apparences et catégories affichées auxquelles il ne faut pas se fier. C’est sur les actes que l’on juge, l’arbre à ses fruits et le trésor à son cœur. Un président comme Vaclav Havel a pu donner cette reconnaissance de la générosité de l’esprit sans pour autant rejoindre explicitement la foi. Et un colonel Pinochet a eu beau soutenir l’Église établie du Chili, il l’entraîna dans des compromissions intolérables qui pèsent encore sur la crédibilité de la foi chrétienne lorsqu’elle est proche du pouvoir.
Avoir des saints dans la vie politique n’est pas négligeable. La béatification de Robert Schuman serait d’un bon effet en ce sens pour encourager les chrétiens sur ce terrain. L’ancien maire de Florence, Giorgio La Pira fut, en son temps de l’après-guerre, un autre modèle d’intégrité dans la gestion du bien public et de fidélité à l’Évangile. L’exemplarité de la charité ne doit pas rester seulement au niveau de la compassion et de l’héroïsme d’une Mère Térésa, pour important que cela soit, mais la lutte pour la justice est aussi une béatitude du discours sur la montagne.
« Ce n’est pas la conduite du Seigneur Dieu qui est étrange, mais celle des hommes », rappelle le prophète Ézéchiel (1re lecture de ce jour à méditer). Et si le chrétien qui a le courage de répondre à l’appel du travail dans la vigne se particularise dans un engagement politique, il a intérêt à méditer aussi la seconde lecture de ce dimanche :
Ne soyez jamais intrigants et vantards mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de lui-même mais des autres…
Alors, dans la cité terrestre, se développera insensiblement mais fortement la cité de Dieu.
Esprit & Vie n°239 – septembre 2011, p. 43-45