L’actualité nous donne des raisons de relire la célèbre parabole du « bon Samaritain » pour découvrir de nouvelles résonances. D’Irénée (l’évêque) à Dolto (la psychanalyste) en passant par Luther et Calvin, les commentateurs ont été très nombreux. Sans oublier les peintres comme Rembrandt qui ont ajouté leur propre regard. [...]
Luc 10,25-37
Qui est mon prochain ?
L’actualité nous donne des raisons de relire la célèbre parabole du « bon Samaritain » pour découvrir de nouvelles résonances. D’Irénée (l’évêque) à Dolto (la psychanalyste) en passant par Luther et Calvin, les commentateurs ont été très nombreux. Sans oublier les peintres comme Rembrandt qui ont ajouté leur propre regard.
Mais l’évolution de la société a considérablement modifié les conditions de relations entre les hommes. En particulier, les nouveaux moyens de communication (des téléphones mobiles aux cartes de crédit en passant par les nombreuses chaînes de télévision) peuvent paradoxalement contribuer à rapprocher ou à éloigner nos contemporains. Les rapprocher en leur permettant de se parler plus facilement et plus rapidement, de mieux connaître et comprendre les différentes histoires, cultures, religions et mœurs des uns et des autres. Les éloigner en étant un moyen de se protéger, de s’isoler dans sa petite sphère, de mettre les autres à distance ou même de les contrôler. Ces outils de communication peuvent être de nouveaux ponts entre les hommes ou, au contraire, contribuer à dresser des frontières entre les individus. Dans le métro, par exemple, ou même dans la rue, les individus sont de plus en plus pendus à leur mobile qui devient une extension d’eux-mêmes, et ne se regardent plus. On se croise, mais on s’ignore.
Alors, aujourd’hui, qui est mon prochain ?
Au fond, alors que les moyens de communication se sont démultipliés à une vitesse vertigineuse ces trente dernières années, rien ne semble vraiment avoir modifié la problématique des relations entre les hommes. La peur du risque que représente parfois le fait d’entrer en relation avec une personne est toujours présente. Le Samaritain, lui, accepte de se mettre en danger, il s’arrête pour porter secours dans un endroit coupe-gorge. Il fait certes partie d’une communauté méprisée, il est peut-être un marginal, mais il se laisse toucher, il est même « pris aux entrailles ». Ici, le risque n’est pas seulement de s’exposer aux brigands, mais aussi de ressentir de la compassion et, ainsi, d’accepter qu’un lien se crée entre lui et l’homme blessé, tout en y mettant une limite (le Samaritain poursuit son chemin en confiant le blessé à l’aubergiste). Une relation engage toujours. En revanche, les deux autres personnages, le prêtre et le lévite s’abritent derrière leur fonction et leur bonne conscience pour ne rien voir, afin de ne pas être confronté au risque d’un lien de dépendance et de responsabilité. Ils croient garder leur liberté alors que leur attitude prouve qu’ils agissent sous le coup de la peur.
Rien n’a vraiment changé entre les hommes, aujourd’hui, même si les dangers au sein de la société et les modalités pour y faire face peuvent être différents. L’exemple des réactions face aux migrants est spectaculaire : certains se mobilisent et donnent d’eux-mêmes, alors que d’autres font tout pour éviter la confrontation en entretenant une distance entre eux et ceux qui fuient la guerre ou la famine, dans un état de grande détresse.
L’actualité des migrants ne représente d’ailleurs que la partie émergée de l’iceberg : la peur du vivre-ensemble se retrouve dans la montée du populisme, mais aussi dans les poussées communautaristes. L’aspiration à la démocratie est menacée non seulement par le terrorisme, mais aussi par le développement sournois du politiquement correct, au nom de soi-disant bons principes, et cela, au prix d’une dictature insidieuse de la pensée unique.
Qui est alors blessé aujourd’hui ? C’est l’humanité elle-même. Qui est le « bon Samaritain » ? C’est le Christ, qui invite chacun à se voir dans celui qui appelle à l’aide. Qui est l’aubergiste ? Ce serait l’Église dans son rôle d’accueil sans réserve des « pauvres » que nous sommes tous, quelle que soit notre histoire. L’engagement s’ouvre sur la vie, mais le désengagement sur la mort. Il en va de « la vie éternelle » ou, pour le dire autrement, de la vraie vie, celle qui s’ouvre sur l’avenir.
Paul Valéry déclara que, désormais, l’humanité se savait mortelle. Ne peut-on pas dire que, désormais, pour revenir à la parabole, le « prochain » de l’homme, c’est aussi lui-même ?