[1787]
Giovanni Battista Zanoni
Zanoni est né dans une famille respectable et aisée de Vérone en 1820. Dans sa jeunesse, il fit ses études au Lycée et acquit une bonne connaissance de la littérature italienne et latine ; plus tard, il s'est penché sur la mécanique et l'hydraulique, des disciplines auxquelles il s'est consacré avec passion. Il a exercé la mécanique dans sa ville natale pendant plusieurs années et il y a acquis une grande habileté au point de rendre son nom très connu dans la ville et d'être considéré, après l'illustre Professeur Avesani son maître, comme le premier dans cet art. C'est lui qui, en 1838, a montré, en premier, à l'Empereur Ferdinand I d'Autriche, le modèle d'une machine à vapeur pour les chemins de fer, dotée d'un nouveau condenseur qu'il avait inventé, en mesure d'accumuler une quantité considérable de vapeur qui autrement se perdait et qui donnait davantage d'énergie à la motrice. L'invention lui a valu une mention honorable de la part de l'Empereur et la médaille du mérite à l'Exposition de Venise. Plus tard, il a eu aussi la satisfaction de voir son condenseur adopté par plusieurs pays d'Europe, surtout par l'Angleterre.
En 1844, Zanoni est entré dans l'Ordre religieux de Saint Camille de Lellis, appelé "Ordre des Clercs Réguliers, Ministres des Infirmes".
Il avait l'intention de se consacrer au soin des malades comme simple frère laïc, mais les Supérieurs ont tout de suite reconnu en lui un homme de talent et de véritable piété. Il l'ont persuadé non seulement de poursuivre des études littéraires, mais d'entreprendre aussi des études philosophiques et théologiques pour devenir Prêtre.
Dans les années 1850-51 nous avons étudié ensemble la théologie dogmatique au Séminaire de Vérone. Zanoni était assis sur le même banc que moi à côté du pieux Abbé Angelo Melotto, qui a visité plus tard, avec moi, en tant que Missionnaire en Afrique Centrale, les tribus Kich et Eliab sur le Fleuve Blanc. Il est mort à Khartoum dans mes bras. C'était à cette époque que Zanoni a eu l'idée d'aller en Afrique pour se consacrer à la conversion des Noirs, et il a ouvert son âme à ce vénérable et sage Missionnaire, aujourd'hui décédé, et que Zanoni aimait beaucoup.
[1788]
Même pendant la période durant laquelle il a exercé le ministère sacerdotal dans le couvent, Zanoni n'a pas négligé sa vieille spécialité, la mécanique, et tout ce qui était analogue, ainsi que l'architecture et la peinture, auxquelles il s'était consacré avec beaucoup de diligence quant il était laïque.
Mais comme il a passé la plupart de son temps dans les Hôpitaux tenus par les Confrères de son Ordre, il s'est consacré aussi à l'étude et à la pratique de la médecine, de la chirurgie et de la pharmacie. Grâce à un long apprentissage il a fait beaucoup de progrès dans ce domaine. Il connaît aussi un peu l'agriculture, et se débrouille dans de nombreux travaux d'artisanat. C'est un habile fondeur, forgeron, horloger, menuisier etc. et il est extraordinairement actif.
En tant qu'ecclésiastique, c'est un bon prédicateur, un bon religieux et un infirmier très habile. Il connaît bien les langues italienne, latine et française, et actuellement il étudie l'arabe.
A plusieurs occasions, ses Supérieurs se sont servis de lui pour des missions importantes. Il a été Directeur spirituel dans plusieurs couvents.
Depuis 1858, il a été Préfet du couvent camillien de Mantoue. En 1862, il a été envoyé à Rome pour prendre part à l'élection du Supérieur Général de son Ordre.
[1789]
Il était Préfet du couvent de Mantoue lorsque, par la contrainte d'une loi diabolique du 7 juin 1866, son Ordre a été supprimé. Pour cette raison, après avoir pris connaissance de notre Plan pour la conversion de l'Afrique, il a présenté une demande résolue au Saint-Siège pour obtenir la permission de se consacrer à cette Œuvre qu'il avait désirée depuis son entrée dans la vie religieuse. A sa plus grande joie, il a obtenu cette permission dans un Rescrit du 7 juillet de l'année dernière.
Dans chaque domaine de son savoir, il a laissé un bon souvenir partout où il a séjourné, à Vérone, à Padoue, à Venise, à Mantoue et enfin à Marseille. Parmi ces bons souvenirs, il faut rappeler : l'église de Notre-Dame (Auxilium Christianorum), Saint Julien à Vérone, la chorale et d'autres endroits aux alentours de l'église Sainte Anne, proche de la maison d'accueil des vieux et des pauvres à Padoue ; ainsi que deux modèles de machine à vapeur avec condenseur à l'Académie des Sciences de Venise, le couvent et la chapelle de Saint Joseph à Mantoue avec de nombreux tableaux et sculptures et un magnifique projet pour la construction d'un hôpital récompensé par la mairie, enfin, l'orphelinat de l'Ordre à Mantoue, deux grands tableaux à Marseille réalisés en novembre dernier pour la Maison Mère des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition.
Ses précédents Supérieurs ont éprouvé une grande douleur en le voyant partir pour s'unir à notre expédition en Egypte.
L'Œuvre pour la Régénération de l'Afrique, j'en suis persuadé, tirera grand avantage de son zèle apostolique, de ses connaissances en mathématique, de son habileté en mécanique et dans les beaux-arts, et aussi de ses qualités de Supérieur et d'administrateur.
[1790]
Stanislao Carcereri
Né en 1840, fils d'une famille de paysans, pauvres mais craignant Dieu, dans le petit village de Cerro du diocèse de Vérone, le même village que l'Abbé Angelo Vinco, qui a trouvé la mort sur le Fleuve Blanc au 4ème degré de L. N.
A l'âge de 11 ans, en vertu d'un privilège apostolique, demandé en raison de son jeune âge, il est entré dans l'Ordre des Clercs Réguliers de Saint Camille de Lellis. Doué d'un grand talent, il a fait tellement de progrès dans la littérature italienne et latine, ainsi que dans les sciences philosophiques et théologiques, que ses Supérieurs l'ont tout de suite chargé de l'enseignement de plusieurs disciplines.
Eduqué depuis sa jeunesse à l'école de la sagesse chrétienne, il a cultivé de façon intense l'esprit de piété au point de se distinguer parmi les élèves de Saint Camille par l'exercice de toutes les vertus comme un véritable modèle de vie qui plaît à Dieu.
[1791]
En 1859, il a soutenu avec honneur le difficile examen d'Etat pour obtenir le titre de Docteur en Philosophie et pouvoir enseigner au Lycée de Vérone, mais hélas ! il n'a pas pu le compléter à cause d'une maladie très sérieuse. Plus tard, il a enseigné l'histoire universelle, la géographie, les statistiques, la littérature latine, la philosophie, la religion, le droit canonique et la théologie dogmatique et morale à Sainte Marie du Paradis.
En 1862, il a été nommé archiviste et secrétaire de la Province de la Lombardie et de la Vénétie. Enfin, il a été Supérieur du couvent de Marzana près de Vérone.
Carcereri est doué d'une intelligence aiguë, d'une haute spiritualité et d'un grand zèle pour les âmes, ces qualités font de lui un conseiller spirituel valable.
En tant que Prêtre, il est un bon prédicateur, très habile dans l'explication du catéchisme et dans l'assistance spirituelle des religieux, des Prêtres et des fidèles.
Il possède parfaitement la langue latine et italienne. Le grec, l'allemand et le français lui sont des langues assez familières et il s'est maintenant consacré à l'étude de l'arabe.
[1792]
L'idée de s'associer aux Missions catholiques lui était déjà venue en 1857. Après les premiers signes avant-coureurs de la suppression des Ordres religieux en Italie, au début de 1867, et désirant devenir Missionnaire parmi les infidèles, il s'est adressé aux Séminaires de Milan et de Lyon et a reçu une réponse affirmative si effectivement la suppression de son Ordre devait avoir lieu
Au début du Carême de l'année dernière et, par des circonstances providentielles, m'a été offerte l'occasion de connaître les aspirations généreuses dont il était animé ainsi que celles de ses confrères Zanoni, Tezza et Franceschini. Je me suis donc dépêché de convaincre ces quatre hommes, et l'Evêque de Vérone, Monseigneur di Canossa, a fait le possible pour atteindre ce but.
Et c'est ainsi qu'ils tournèrent leurs regards vers cette partie du monde la plus malheureuse et qui a le plus besoin d'aide. Dieu a béni l'Œuvre par sa providence en appelant le Père Stanislao Carcereri à l'Apostolat des Noirs.
[1793]
Malgré le Bref de Sa Sainteté Pie IX, ses Supérieurs n'ont pas voulu lui donner l'autorisation de partir et, à plusieurs reprises ils lui ont proposé d'être accueilli dans la Maison Générale de Rome. Il a su patienter, et la rapidité avec laquelle le Vicaire de Jésus-Christ lui a donné la permission a été pour lui un nouveau signe de la volonté de Dieu qui l'appelait en Afrique, le seul lieu où, à son avis, son âme trouverait le bonheur. Pour cela, il a tout abandonné : les espoirs prometteurs, et même son vieux Père qu'il a confié à son frère aîné, lui aussi un excellent religieux de Saint Camille de Lellis. Maintenant, il a aussi reçu la bénédiction de ceux qui avaient essayé de le détourner de sa décision.
Il est très heureux de sa vocation, et il en remercie Dieu chaque jour.
[1794]
Giuseppe Franceschini
Franceschini est le fils d'une famille craignant le Seigneur. Il est né à Trévise en 1846 et il s'est installé plus tard à Venise avec son Père, concierge du bureau gouvernemental autrichien de Venise où Giuseppe a fréquenté avec grande diligence l'école des vénérables Pères de la Congrégation de Saint Philippe.
Là il a été rempli de l'esprit de la vraie piété. C'est là que sa vocation à l'état religieux est née. Avec six autres compagnons, qui, plus tard, sont entrés dans différents ordres religieux, il se consacra à la vie monastique. Ce jeune possède un talent extraordinaire, il est de bonne humeur, vif et entreprenant.
En 1860, il est entré dans l'Ordre de Saint Camille de Lellis où il était aimé par tout le monde. Dès le début de sa vie religieuse, il avait un penchant pour la vie missionnaire, et il a essayé de s'y préparer avec un grand soin. Il s'est consacré avec ferveur à ses études, mais il s'est aussi exercé dans les arts et métiers nécessaires à un tel but. Entre autres, il fait très bien la cuisine, et il est habile dans la couture, comme cordonnier, menuisier et aussi comme infirmier. Il est assez actif, et il réussit en tout. Il sait faire beaucoup de choses ; ainsi il se sort de nombreux problèmes pratiques et embarrassants. Il connaît parfaitement les langues italienne et latine, discrètement le grec et le français, et un peu d'allemand. Actuellement, il est lui aussi occupé dans l'étude de l'arabe.
Même s'il n'est que sous-diacre, il a terminé avec succès les cours de théologie.
[1795]
En vertu du Bref de Pie IX du 5 juillet, il a reçu l'autorisation de nous suivre en Afrique et ainsi, il est parvenu à accomplir ses plus fervents désirs.
Nous attendons beaucoup de fruits de ses vertus, de son esprit de dévouement et de la piété, qui l'anime d'une manière extraordinaire, ainsi que de son talent et de ses activités au profit des Noirs.
[1796]
La Congrégation des Sœurs de "Saint Joseph de l'Apparition"
Il s'agit de la première Congrégation religieuse choisie par la Providence pour la conversion des Noirs, et chargée de la direction des Instituts féminins et de la formation des personnes destinées aux Missions en Afrique Centrale selon le Plan que nous avons élaboré. Il est donc opportun de faire connaître à nos pieux collaborateurs et généreux bienfaiteurs de l'Allemagne catholique, cette Congrégation des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition, appelée aussi Sœurs de la Charité chrétienne.
Cette Congrégation a été fondée en 1829 par Emilie de Vialar, qui a ouvert, avec ses propres moyens, la première maison à Gaillac dans le Département du Tarn, dans le Languedoc. Ses statuts furent approuvés la première fois par l'Archevêque d'Albi.
Cette pieuse fondatrice, ardente de charité et de zèle pour le salut des âmes, avait aussi à cœur la formation d'un personnel pour les Missions étrangères, et, par le biais de celui-ci, consacrer sa propre vie et son Institut aux Missions.
Les finalités de cette Congrégation sont : l'éducation des jeunes filles, l'instruction gratuite pour les pauvres, la direction des écoles maternelles, le soin des malades, les services domestiques aux prisonniers, la visite à domicile des vieillards et des pauvres et la conversion des infidèles.
De nombreux Evêques et Vicaires Apostoliques ont ouvert les portes de leurs Diocèses et de leurs Missions à cette Congrégation. Elle a été très louée par le Pape Grégoire XVI dans ses Lettres Apostoliques de l'année 1840 publiées par la Sacrée Congrégation des Evêques et des Réguliers.
[1797]
Le nouvel Institut s'est diffusé, en très peu d'années, dans plusieurs diocèses de France et Emilie de Vialar, se trouvant entourée d'un grand nombre de vierges formées par elle-même à la vie apostolique, décida de se rendre en Algérie en 1836 accompagnée de Sœur Emilie Julien pour y fonder deux Maisons.
Elles sont, je crois, les premières Sœurs qui sont allées en Algérie après la conquête du pays par l'armée française.
Il est difficile de décrire les miracles de charité chrétienne et le dévouement de ces Sœurs dans des circonstances très dangereuses, menacées par des maladies contagieuses comme la peste et le choléra, qui tourmentent ces malheureuses régions. Il est difficile aussi de décrire les souffrances et les persécutions endurées par ces Sœurs par amour de Dieu dans les premières années.
[1798]
D'après l'exemple du Divin Sauveur et de son Epouse bien-aimée, l'Eglise, dont l'histoire est une suite de souffrances et d'épreuves, Dieu avait destiné aussi cette Œuvre à naître et à grandir au pied de la Croix, parmi de très dures épreuves. Tout comme à la Passion et la Mort de Jésus, a suivi sa Résurrection, et comme l'Eglise qui, après le martyre et la persécution, a toujours vaincu, ainsi les persécutions et les épreuves endurées par la Congrégation de Saint Joseph de l'Apparition ont favorisé sa diffusion à Tunis et à Tripoli, chez le peuple Berbère et dans d'autres pays de l'Afrique Septentrionale où cette Congrégation a fait un grand bien.
[1799]
Emilie de Vialar est ensuite rentrée en France pour visiter les différentes maisons de la Congrégation et pour fonder à Marseille une Maison Mère, centre de l'Institut, et organiser le départ des Sœurs dans les différentes Missions étrangères. Avec l'aide des anciennes, plus capables, elle a eu la possibilité, en très peu d'années, de fonder de nombreux établissements à Malte, en Grèce, au Levant, en Asie Mineure, en Arménie, en Orient, en Inde et en Australie.
Moi-même j'ai connu l'Institut à Jérusalem en 1857 et j'ai visité leur maison, près du Saint-Sépulcre, dirigée par Sœur Jenech, une Maltaise. J'ai aussi eu l'occasion de voir les nombreux fruits de l'abnégation des Filles de Saint Joseph. Plus tard, j'ai trouvé des traces inestimables de leur activité dans les différents pays étrangers que j'ai eu l'occasion de visiter lors de mes voyages en Europe et ailleurs, où la Providence se sert de ces Sœurs comme des instruments de salut pour des millions d'âmes qui, aujourd'hui, jouissent de la vision de Dieu dans le Ciel.
[1800]
La première héroïne sur le terrain de l'apostolat de cette Congrégation est l'actuelle Supérieure Générale, Sœur Emilie Julien. Je la connais depuis 1860, elle m'a beaucoup aidé à faire du bien à de nombreuses âmes.
Après une glorieuse activité pleine de croix et de sacrifices depuis l'âge de 21 ans en Afrique du Nord, où elle a été Supérieure de plusieurs établissements pendant six difficiles années, elle s'est installée en Syrie en 1846 avec ses Sœurs et le Révérend Abbé Massimiliano Ryllo S. J., qui a été Missionnaire Apostolique en Syrie pendant 16 ans, et qui est mort à Khartoum en tant que Pro-Vicaire de l'Afrique Centrale. Elle a été la première, depuis les Croisades, à avoir fondé une communauté de Sœurs dans la Ville Sainte, où se sont déroulés les grands mystères de notre Rédemption.
[1801]
Avec la fondation du premier couvent de Sœurs elle a hissé, entre les murs de Sion, l'étendard de la charité chrétienne dont les femmes de l'Evangile étaient animées, et a semé les lys de la sainte virginité pour le bien des infidèles.
C'est elle aussi qui a fondé les maisons de Bethléem, Jaffa, Saïda, Alep, Chypre et dans d'autres lieux de l'Orient ; elle a dirigé toutes ses maisons en tant que Supérieure Provinciale de l'Orient avec résidence à Jérusalem.
[1802]
Après la mort d'Emilie de Vialar à Marseille, Sœur Emilie Julien a été élue Supérieure Générale de toute la Congrégation. De retour en Europe, elle a transféré sa résidence à Rome où elle a ouvert un Noviciat.
En même temps, elle a fondé "l'Œuvre Apostolique" qu'elle préside depuis 1863 et qui, ayant pour modèle celle de Paris, est un lieu de rassemblement de Dames pieuses, et même de la haute société, qui travaillent pour faire des ornements d'église et pour fournir les objets nécessaires au culte dans les Missions étrangères.
Pendant les dernières années de son séjour à Rome, Mère Emilie a conquis l'estime et l'admiration de notre Pape, le glorieux Pie IX, du Cardinal Barnabò, Préfet Général de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi, d'un grand nombre de Princes de l'Eglise et de Princes et de Princesses des différentes maisons royales d'Europe et de la noblesse romaine.
[1803]
Une charité sublime, une prudence admirable, un talent distingué, qui connaît les hommes et les affaires et qui sait bien comment les traiter, un noble courage, une confiance héroïque dans la Providence et un total abandon à la volonté de Dieu, voilà les traits fondamentaux du caractère de cette femme de l'Evangile qui a rendu de nombreux services à l'Eglise et aux Missions.
Elle a dû endurer toute sorte d'épreuves, mais sa patience, sa résignation et sa vertu lui ont permis de garder une maîtrise de soi étonnante. On peut dire qu'avec le "Fiat" qu'elle a toujours sur ses lèvres, elle est capable d'affronter n'importe quelle difficulté.
Outre la Province de Toscane, composée de 8 maisons, Sœur Emilie Julien a fondé, depuis Rome, plusieurs établissements dans différents pays du monde, parmi lesquels un hôpital au Caire en 1864. C'est pendant son mandat de Générale, que le Pape Pie IX, le 13 janvier 1863, suite à la recommandation des Ordinaires des pays où la Congrégation avait fondé des maisons, et en considérant les abondants résultats obtenus, a confirmé l'Institut en tant que Congrégation de vœux simples ainsi que les Statuts actuels, en soumettant l'Ordre à la juridiction des Ordinaires du lieu selon les normes canoniques des Constitutions Apostoliques ; et, par l'intermédiaire de la Secrétairerie d'Etat, il a nommé le Cardinal Barnabò son protecteur.
[1804]
Dans tout cela, nous devons admirer l'adorable Providence qui a choisi les Filles de Saint Joseph comme les premières directrices de notre premier Institut pour la conversion de l'Afrique. Toute une série de circonstances a fait naître cette Œuvre sur la terre des Pharaons, à deux pas de la Sainte Grotte où le grand Patriarche Saint Joseph a vécu avec la Sainte Famille. La présence de ce dernier, pendant sept ans, a ébranlé les idoles de l'Egypte, et a mis à leur place la Foi en Jésus Christ ; et aujourd'hui, un centre de vie religieuse produit de nombreux héros pour le Ciel et partout embellit l'Eglise catholique de modèles de vertu. Par ses œuvres et ses conquêtes dans tout l'univers, Saint Joseph a couronné l'Eglise de triomphes à toutes les époques, et la couronnera jusqu'à la fin des temps.
[1805]
Sœur Marie Bertholon
Supérieure de l'Institut des Sœurs en Egypte
Sœur Marie, fille d'honnêtes parents, est née le 9 février 1837 à Lyon. Elle a fréquenté avec diligence et avec succès depuis l'âge de sept ans l'école des Sœurs du Très Saint-Sacrement, dont la Maison Mère se trouve à Autun.
Toutefois elle n'a pas montré de propension particulière pour la vie religieuse pendant son adolescence. C'est seulement à 17 ans, après la lecture des Annales de la Propagation de la Foi, et après avoir entendu la prédication d'un Jésuite, qu'elle a eu l'idée d'entrer dans une Congrégation qui s'occupe des Missions. Elle a choisi le couvent de Jésus et de Marie, en refusant l'invitation des pieuses Sœurs du Très Saint-Sacrement chez qui elle avait reçu son éducation, à entrer chez elles.
Tout était prêt pour son entrée dans le couvent de Jésus et Marie, lorsque les conseils d'un Missionnaire, de retour de Syrie où il avait été témoin de la fécondité du travail des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition, la poussèrent à s'engager dans cet Institut. Elle avait 20 ans lorsqu'elle a commencé son noviciat dans la Maison Mère de Marseille, sous la direction de Sœur Clotilde Delas, à l'époque maîtresse des novices. Il a fallu cette ardente et expérimentée Missionnaire, qui avait vécu pendant 14 ans à Alger et à Tunis (actuellement, elle est Supérieure de la Toscane où je lui ai rendu plusieurs fois visite), pour former Marie dans sa détermination, et pour cultiver dans son cœur l'esprit de reniement de soi-même et le dévouement des femmes de l'Evangile. La Providence, qui l'avait appelée à devenir une bonne mère des Noires, l'avait aussi préparée à l'exercice des tâches qui ne sont pas moins importantes dans le service des Missions.
Pendant quatre ans, elle a été à Requista dans le Département de Beyron, où la deuxième classe d'une école lui a été confiée. Ensuite, elle a été envoyée en Afrique dans le diocèse de Rodez, où elle a exercé toutes les tâches de la maison, elle visitait aussi les malades et aidait les pauvres dans leurs habitations.
[1806]
Les traits fondamentaux du caractère de Sœur Marie Bertholon sont une charité éminemment chrétienne et un vrai dévouement, une humilité sincère et une grande activité. Elle ne parle que sa langue maternelle et un peu d'italien, en revanche, elle brille dans tous les travaux domestiques. Eduquée à l'école de la vraie piété, elle a acquis au plus haut degré la vertu de l'abnégation et du renoncement à sa propre volonté. Ainsi au moment où elle fut rappelée de la Mission, le but de sa vocation, le sacrifice a été plus facile à supporter.
Quand nous sommes arrivés à Marseille, elle était destinée à Malte. Et nous avons réussi à la faire affecter au groupe des Sœurs qui devaient accompagner les filles africaines au Caire. Son âme a été remplie de joie lorsque la Supérieure lui a tout simplement dit : "Vous irez en Egypte". Elle ne savait pas non plus qu'elle allait être nommée Supérieure. A sa grande surprise et à regret elle a appris la nouvelle de la charge que Dieu avait choisie pour elle, après notre arrivée au Caire. Elle ne voulait pas croire qu'elle avait été choisie pour une tâche si importante pour laquelle elle se croyait, dans son humilité, indigne et incapable.
[1807]
Malgré nos objections elle voulait être soumise à une autre ou renoncer à la Mission qu'elle avait pourtant tant aimée. Pour qu'elle accepte il a fallu l'intervention de la Supérieure Générale, qui lui a rappelé le vœu d'obéissance. Seulement pour accomplir la volonté de Dieu, maintenant elle exerce avec une perfection admirable les devoirs d'une Supérieure et a commencé avec enthousiasme l'étude de la langue arabe. Elle est avec nous depuis trois mois, et nous a donné suffisamment de preuves qu'elle est vraiment à la hauteur de sa mission. Elle sera sans doute d'une très grande utilité pour l'apostolat à l'intérieur de l'Afrique.
[1808]
Sœur Elisabeth Cambefort
Sœur Elisabeth a 35 ans. Née dans une famille aisée de Montauban. A six ans, elle a été en pension chez les Sœurs du Saint Nom de Jésus, mais elle n'y est restée que 18 mois, car la mort imprévue de sa mère l'avait obligée à rentrer dans sa famille. Elle a pu, néanmoins, continuer à fréquenter l'école du couvent.
Dès cet âge, Elisabeth pensait se consacrer à la vie religieuse. Puisque les membres de sa famille s'opposaient à sa vocation, elle a dû surmonter de nombreux obstacles pour pouvoir entrer dans la Congrégation de Saint Joseph de l'Apparition comme cela lui avait été conseillé par le Révérend Père Blancart, Missionnaire de la Congrégation du Mont Calvaire, étant donné son désir de se consacrer aux Missions étrangères. Elle est entrée au Noviciat de Marseille sous la direction de Sœur Clotilde Delas que plus tard Elisabeth a suivie à Montelupo en Toscane. Elle y est restée pendant 8 ans au service des prisonniers et des jeunes femmes perdues. Au mois de novembre dernier, elle a été appelée à Marseille, et puis, elle a suivi les filles africaines au Caire.
Sœur Elisabeth, outre sa langue maternelle, parle très bien l'italien et maintenant elle étudie l'arabe. Elle est très expérimentée dans les travaux domestiques, et c'est un modèle de piété.
[1809]
Sœur Madeleine Caracassian
Un bon matin de juillet, il y a quelques années, j'étais assis au quatrième étage de mon logement à Rome, lorsque un vénérable Prêtre est entré chez moi ; il n'avait plus de souffle, et il était accompagné d'une vieille dame habillée de noir.
En regardant son visage rayonnant de joie, on pouvait facilement percevoir qu'un événement extraordinaire et heureux l'avait fortement ému, et aussi les yeux de la vieille dame, resplendissants de lumière, manifestaient la même intime joie.
Ce Prêtre était le Père Nicolò Olivieri, vénéré par tous et qui se trouve maintenant au Paradis. La dame qui l'accompagnait était sa domestique, la vieille Madeleine.
Le but de sa venue était de venir me chercher pour rendre visite aux jeunes filles africaines qui venaient d'arriver de Syrie, et qui étaient logées chez les Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition ; le Père Olivieri les avait rachetées en Egypte.
On connaît bien l'aide que prêtent les Sœurs de Saint Joseph à l'Œuvre pour le rachat des esclaves. Les Noires viennent d'Egypte par deux ou trois, conduites d'abord en Palestine dans les maisons de ces Sœurs, et ensuite en Europe.
[1810]
Nous sommes descendus dans la rue suivis par la vieille Madeleine. Le pieux vieillard avait une terrible toux, et on comprenait bien qu'il ne vivrait pas très longtemps. Arrivés sur la Place Farnèse, nous avons tourné à droite vers la Place de la Sainte Trinité des Pèlerins. Là, avant d'aborder la Place du Mont de la Piété, il y a, sous une arche, une image miraculeuse de la Vierge, très vénérée. Le Père Olivieri avait l'habitude de s'agenouiller devant cette image et de prier chaque matin, avant d'aller au Monastère des Trinitaires à Saint Crisogono, près du quartier du Trastevere. Il m'est arrivé plusieurs fois de l'accompagner sur ce chemin pendant un quart d'heure, et j'ai été témoin des nombreux soupirs qui sortaient de son âme pour les pauvres Noires qu'il confiait à la Sainte Vierge avec, ô combien de ferveur et de larmes !
Cette fois-ci agenouillé sur la terre nue, après avoir prié avec l'habituelle ferveur il laissa échapper de sa bouche, sans s'en apercevoir, cette exclamation : "Merci Maman, merci beaucoup, merci !"
[1811]
Nous avons continué notre chemin et, en passant par l'église de San Carlo, la Place des Catinari et l'église de Sainte Catherine des Funari, nous sommes arrivés Place Margana chez les Sœurs de Saint Joseph. Dès que nous nous sommes assis dans le parloir, des petites filles africaines sont entrées, accompagnées par deux Sœurs. Trois jeunes filles arméniennes, habillées en noir et avec un chapeau de leur pays, les suivaient. Elle donnaient l'impression d'appartenir à des familles aisées et bien éduquées. Elles étaient arrivées de Constantinople avec les Africaines. Dans un premier temps, j'ai prêté peu d'attention à ces trois Blanches, attiré plutôt par les petites Noires et encore plus par le Père Olivieri qui les regardait tout content et par la vieille Madeleine, qui avait été en Egypte 16 fois, et qui, comme si elle était encore une jeune fille, avait le désir d'y revenir. Un quart d'heure après, l'Archevêque d'Arménie, Monseigneur Hurmy est entré, et nous avons dirigé enfin notre attention vers les filles arméniennes. L'une d'entre elles était notre Sœur Madeleine, on lisait sur son visage l'innocence et la sincérité.
[1812]
Qui pouvait imaginer que cette jeune fille serait une des premières mères pour les filles Noires, et qu'elle me suivrait en Egypte pour se consacrer pour toujours à notre Œuvre pour la régénération de l'Afrique ?
Sœur Madeleine a 19 ans et descend d'une famille aisée de marchands de la région d'Erzerum. Son père, Monsieur Giovanni Caracassian, mourut quelque mois après sa naissance. Sa mère nommée Serpuis (qui, dans la langue arménienne, signifie sainte), était très pieuse. Restée veuve à 21 ans, elle avait refusé d'avantageuses propositions de mariage, car elle devait éduquer trois âmes pour le Ciel, et avait donc déjà suffisamment de travail. Elle s'est consacrée complètement à l'éducation de ses enfants, sa fille Catherine, actuellement mariée et mère de trois enfants, son fils Grégoire, 21 ans, aujourd'hui commerçant, et notre petite Madeleine.
Sous la prudente direction de sa mère, Madeleine était imprégnée de l'esprit de piété depuis son enfance, et comme elle montrait beaucoup de talent et d'intelligence, son oncle maternel le Père Serafino Pagia, un pieux Prêtre arménien-catholique, décida de se charger de l'éduquer dans la religion catholique et dans les sciences élémentaires dont elle en tira grand profit.
A l'âge de 8 ans, elle a été confiée aux Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition à Erzerum. Elle a très bien appris, en plus des travaux féminins, les langues arménienne, turque et française sous la direction de Sœur Accabia Akccia, une Arménienne, et de Sœur Marie, une Française. Cette dernière a été son institutrice dans tous les travaux domestiques.
Déjà, à l'âge de 7 ans, Madeleine pensait se consacrer à la vie religieuse, mais elle s'est décidée, à treize ans seulement, malgré toutes les difficultés, à entrer dans l'Institut des Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition.
[1813]
La grâce sait toujours vaincre la nature. Madeleine aimait tendrement sa maman, et cette dernière n'avait jamais pensé se séparer de sa fille qu'elle aimait d'une manière spéciale. Je ne sais pas qui des deux s'est montrée la plus forte et la plus généreuse pendant un an de luttes et de souffrances. Certainement madame Serpuis Caracassian, suivant l'exemple des mères animées par un vrai esprit chrétien, en faisant l'offrande de sa propre fille, a fait un sacrifice complet à Saint Joseph. Madeleine s'est séparée pour toujours de sa mère qu'elle aimait si tendrement pour se consacrer totalement à Dieu.
Partie d'Erzerum, après un voyage à cheval de huit jours, Madeleine est arrivée à Trebisonde en Anatolie où elle a embarqué sur un navire de la Poste qui allait à Constantinople. Dans cette capitale du royaume turc elle demeura chez les Sœurs de Saint Vincent de Paul. Ensuite, elle est passée par les Dardanelles et via la Grèce, Messine et Naples, elle est arrivée à Rome. Là, accueillie par la Supérieure Générale, elle est entrée aussitôt au Noviciat.
La Supérieure a reconnu tout de suite le talent et l'esprit qui animaient Madeleine ; elle a donc décidé de la faire instruire dans toutes les branches du savoir nécessaires pour faire d'elle une femme apostolique.
[1814]
On peut dire que Sœur Madeleine était née pour la vie religieuse. Alors qu'elle était dans la Ville Eternelle, elle a été admirée comme un modèle de toutes les vertus religieuses. Elle n'a pas de volonté propre, sa volonté est la volonté de Dieu manifestée par ses Supérieurs ; sa volonté est de faire toujours son devoir quel que soit ce qui lui est commandé. Les vertus dont la grâce divine l'a abondamment remplie sont la pureté de son âme, son innocence, son obéissance unie à une intelligence prompte et pénétrante.
Son confesseur ordinaire était Monseigneur Arsenio Avek-Wartan Angiarakian appartenant à l'Ordre des Conventuels Arméniens et Archevêque de Tarse.
Plus tard, lorsque Monseigneur a dû rejoindre l'Orient pour s'occuper de l'élection du Patriarche, sa place de confesseur a été prise par les Pères Villefort et Franco de la Compagnie de Jésus. Elle connaît bien les langues arménienne, turque, française et italienne ; et actuellement elle travaille avec succès l'arabe.
[1815]
A l'occasion de sa profession religieuse, le Cardinal Barnabò a reçu ses vœux, et il me l'a confiée le 24 novembre. Je l'ai conduite avec les Noires de Rome à Marseille. Là, la Supérieure Générale l'a destinée à accompagner les Noires pour notre établissement au Caire. Ses vertus et ses belles qualités et les espoirs que nous mettions en elle, nous ont poussés à demander à la Supérieure Générale de nous faire la promesse formelle de ne jamais l'enlever à notre œuvre. Mère Emilie Julien nous a fait une déclaration conforme à nos souhaits, et nous avons décidé de faire instruire Sœur Madeleine dans les langues abyssine, denka, bari, gallas, etc. ainsi que dans la médecine, dans la chirurgie, bref dans toutes les disciplines aptes à faire d'elle une femme de l'Evangile et selon les besoins de notre Œuvre pour la régénération de l'Afrique.
J'espère que Dieu fera de cette jeune femme une véritable fille de la charité chrétienne, un apôtre des Noirs.
[1816]
Notices biographiques des institutrices africaines du premier Institut au Caire en Egypte.
Pourquoi ces biographies ?
Parmi les maux qui tourmentent les peuples les plus malheureux de l'Afrique Centrale, le plus déplorable est sans doute celui dont j'ai souvent été témoin oculaire auprès des populations du Fleuve Blanc, c'est-à-dire l'enlèvement violent et clandestin de pauvres êtres humains qui ont une âme et un cœur aussi précieux et nobles que les nôtres, en particulier des enfants des deux sexes.
Cette terrible aberration morale et ce manque de toute humanité sont, en partie, le fruit des guerres tribales entre différents villages et régions, et en partie la conséquence de l'avidité du plus fort et du plus puissant pour améliorer sa propre situation par le commerce des esclaves.
A l'instant même où je vous écris , il y a des centaines de milliers de victimes qui, à cause de la guerre et de la cupidité des marchands, sont arrachées à leur patrie, exposées à toutes sortes de maux et condamnées à ne jamais plus revoir le visage de leurs parents et le pays où elles sont nées et à souffrir pendant toute leur vie sous le poids cruel du plus dur esclavage.
[1817]
Dans ces pays les guerres sont très fréquentes, presque continues.
Elles naissent en général de la haine traditionnelle entre familles, entre villages, entre tribus à cause du vol du bétail ou d'un enfant, ou bien suite à l'occupation illégitime d'une région amie. L'Africain considère cela comme une loi naturelle et nécessaire, et pour se venger de son ennemi, il devient violent comme un tigre.
A la vengeance il sacrifie tout, sa vie et celle des membres de sa famille.
Le vol des enfants se pratique chez les Noirs entre amis et ennemis ; ainsi, l'esclavage et le commerce d'êtres humains s'est développé. Un père et une mère ne vendent jamais leurs enfants, car l'amour paternel et maternel est très grand chez les Africains, ils sont prêts plutôt à risquer leur vie. Le mariage constitue une exception. C'est un véritable commerce que le père organise avec l'époux en établissant un prix en fonction de la situation du père et des belles qualités de la jeune fille.
[1818]
Quand nous étions auprès des Noirs du Bahr-el-Abiad, à l'intérieur de l'Afrique, nous étions très estimés et aimés, ils nous distinguaient complètement des autres Blancs, qu'ils soient Turcs ou commerçants européens, que les Noirs craignaient et méprisaient et qu'ils considéraient comme des ennemis. C'est pour cela qu'ils avaient permis à leurs enfants de nous rendre visite et d'écouter nos enseignements. Mais ils ne nous les ont jamais confiés pour les éduquer à Khartoum ou en Europe. Jamais les parents ne permettraient que leurs enfants soient éloignés de leur terre ou de leur région.
Mais comment est-il possible que chaque année des milliers de Noirs soient mis en vente publiquement ou clandestinement sur les marchés de Khartoum, du Cordofan, de Dongola, de Souakim, de Geda, de Berber, au Caire et dans d'autres villes des côtes africaines ? Cela est dû aux enlèvements secrets ou de force ou faits par les musulmans qui alimentent et pratiquent encore le terrible commerce des esclaves. Malgré les traités entre les gouvernements, malgré les lois sévères mais inefficaces du gouvernement Turc, malgré la bonne volonté d'Ismaïl Pacha et du Vice-roi d'Egypte, l'Islam favorise l'esclavage, la honte de l'humanité.
Le 17 mars dernier une caravane de pauvres esclaves noirs, arrachés de force de leur patrie est arrivée ici au Caire secrètement. Et comme d'habitude, lorsque ces caravanes de malheureux êtres humains descendent à bord de bateaux provenant du Nil, ils sont serrés comme des sardines au fond du bateau, et ils sont couverts de bois. Ainsi il arrive souvent que, dans de telles conditions de transport, beaucoup d'entre eux trouvent la mort.
[1819]
Les Baggara et de nombreuses autres races musulmanes, émigrées de l'Arabie entre le 7ème et le 14ème siècle de l'ère chrétienne, après avoir parcouru l'Afrique de l'Est et du Nord, se sont déplacés vers l'intérieur en amenant toutes sortes de superstitions et le fanatisme de l'Islam. Ce sont ces musulmans qui habitent les régions limitrophes de celles des Noirs, et en dominent quelques-unes, ce sont eux qui enlèvent secrètement, ou de force, les pauvres enfants des familles noires. Ils les vendent ensuite, comme on vend du bétail, à d'autres musulmans qui, à leur tour, les vendent aux Giallaba, qui pratiquent véritablement le métier d'esclavagistes. Les pauvres Noirs migrent ainsi de marché en marché, de patron en patron, et après avoir surmonté mille dangers au cours de leurs voyages, marchant souvent pieds nus sur le sable cuisant du désert, où une grande partie d'entre eux trouve une mort affreuse, ils arrivent sur les côtes de l'Afrique pour être vendus à des patrons inhumains qui les traitent comme des chiens. Tout cela se fait sous la protection de la loi de Mahomet, qui leur prépare une vie misérable, une vie qui les achemine prématurément à une mort éternelle.
[1820]
C'est seulement Celui dont le sacrifice sur le glorieux Golgotha a voulu extirper à jamais de la terre l'esclavage, Celui qui a annoncé aux hommes la vraie liberté en appelant toutes les nations et chaque être humain à devenir fils de Dieu qui désormais peut être appelé Abbà, Père, c'est seulement Lui qui pourra libérer l'Afrique de la tache de l'esclavage.
Seul le Catholicisme pourra redonner sa pleine liberté à cette grande partie de la famille humaine qui gémit encore sous le joug honteux du plus cruel esclavage. C'est bien en cela, même si on la considère du point de vue uniquement philanthropique, que consiste la grande importance de notre sainte Œuvre pour la régénération de l'Afrique, bénie par notre vénérable Pape Pie IX.
Nous avons le grand but de porter la lumière de la Foi dans toutes les régions de l'Afrique Centrale encore habitées par des peuples primitifs. Nous devons implanter la Foi de manière solide et pour toujours, élever au plus haut niveau l'étendard de la liberté du Fils de Dieu, et redonner ainsi la vie à des milliers d'âmes qui dorment encore dans l'ombre de la mort.
[1821]
C'est bien cela le but qui caractérise la noble Œuvre de la Société de Cologne pour le secours des pauvres enfants noirs. Cette Société est l'âme de la grande entreprise. C'est bien elle qui a suggéré, voté et fondé cette Œuvre de Rédemption. Une Œuvre qui, avec la bénédiction de Dieu, pourra devenir l'œuvre d'apostolat la plus grandiose du 19ème siècle pour le salut du continent et des peuples les plus malheureux et les plus méprisés de la société humaine.
[1822]
Après ce sommaire exposé, on comprendra facilement les sérieuses raisons qui m'ont poussé à écrire ces brèves biographies de nos chères Noires destinées à devenir les premiers apôtres des Africains qui vivent à l'intérieur de l'Afrique.
Neuf d'entre elles ont reçu de nombreuses aides de notre pieuse Société de Cologne et quatre autres ont assimilé l'esprit de notre Sainte Religion au sein de l'Allemagne catholique. Nos vénérables collaborateurs et nos chers bienfaiteurs, par ces biographies, et par ces simples mais vrais récits du cruel enlèvement de ces premières institutrices africaines, acquerront :
1°. une idée exacte des conditions malheureuses des tribus de la Nigrizia, dont ils favorisent la régénération spirituelle, par leurs aumônes ;
2°. ils comprendront mieux le but de la grande Œuvre dont ils sont membres et ils se sentiront davantage encouragés à faire tous les sacrifices nécessaires pour aider, de toutes leurs forces, cette œuvre, ainsi que dans l'avenir ;
3°. ils trouveront dans ces petites biographies une bonne et pieuse lecture, apte à nourrir leur propre piété et à donner une nouvelle impulsion à leur compassion ;
4°. ils trouveront ici un argument convaincant pour démontrer que notre Œuvre pour la régénération de l'Afrique, selon notre Plan, est le moyen radical le mieux adapté pour la raison humaine à convertir les Noirs au catholicisme ;
5°. ils apprendront à apprécier encore plus le zèle dont était animé le Révérend Père Nicolo Olivieri et sa sublime œuvre de charité chrétienne, soutenue si efficacement par notre vénérable Société de Cologne.
Je commence avec les biographies des filles noires qui ont été éduquées dans les monastères de l'Allemagne catholique.
[1823]
I – Petronilla Zenab
Petronilla a 21 ans environ. Il est très intéressant de voir par quels chemins la Providence l'a conduite au sein du Catholicisme. Selon le récit qu'elle m'a fait elle-même dans sa langue maternelle pendant le voyage vers l'Egypte, j'ai pu savoir qu'elle était née dans le royaume de Kafa, et plus précisément chez les Gallas. Un esclavagiste abyssinien l'avait enlevée de force alors qu'elle était restée seule dans la campagne paternelle. Avec lui, elle a parcouru à pied, pendant trois mois, les royaumes d'Enarea et de Scioa jusqu'à la côte de la Mer Rouge. Ensuite, elle fut transportée du Yémen sur un bateau arabe, à travers la Mer Rouge avec 15 autres filles, à la Mecque et de là jusqu'à Médine.
Elle est restée pendant six mois dans ces villes chères aux musulmans, jusqu'au moment où un Turc, venu en pèlerinage à la Mecque, l'a achetée et l'a conduite au delà de Yeddo jusqu'à la Mer Rouge et à travers le désert, de Suez au Caire. Là, elle a été vendue, avec quatre autres Noires, à un Turc nommé Omar et fut ensuite rachetée par le Consul général de la Sardaigne M. Cerruti, qui la confia au Père Olivieri. Celui-ci a son tour l'a confiée à la pieuse dame Rossetti au Caire chez laquelle Petronilla est restée pendant 14 jours. Ensuite elle fut conduite à Alexandrie d'où, sous la protection de la vieille Madeleine, avec 13 autres Noires, en passant par Trieste et Vérone, elle est arrivée à Milan. De là, via le Tyrol et Munich, elle atteignit Salzbourg. C'était la fin février de l'année 1856. Après un jour et une nuit au monastère des Ursulines, elle a été admise parmi les jeunes filles du pensionnat du monastère des Bénédictines où la Supérieure Ildegunde a pris grand soin d'elle.
[1824]
Après la mort d'Ildegunde, la Supérieure qui lui succéda a été elle aussi comme une vraie mère pour notre petite Noire. Elle a ainsi été confiée à la Supérieure du pensionnat, Sœur Maria Wenefrida qui l'aimait intensément et envers laquelle Petronilla garda toujours des sentiments de profonde reconnaissance pour tant de bienfaits dont elle avait été comblée.
Il a fallu presque six mois pour la préparer au Baptême. L'Archevêque de Salzbourg, Monseigneur Massimiliano Giuseppe von Tarnoczy lui-même l'instruisit dans la Foi catholique, et sa marraine fut madame Francesca Schider, épouse du médecin personnel de l'Impératrice Caroline. Petronilla a eu plusieurs fois l'honneur d'être présentée à l'Impératrice qui lui montra beaucoup de bienveillance.
[1825]
Je dois exprimer mes remerciements les plus sincères aux dignes Sœurs Bénédictines de Salzbourg pour l'éducation à une vraie piété et au véritable esprit de notre sainte Foi inculqué à cette fille, et pour avoir fait d'elle une véritable fille de la charité chrétienne. L'éducation que les Noires ont reçue en Allemagne est en général très solide. Les Sœurs forment les élèves noires non seulement à la religion mais aussi à tous les travaux de la vie ordinaire. Parfois elles reçoivent plus que le nécessaire, et, une fois rentrées en Afrique, trouvent des difficultés pour s'adapter aux conditions pauvres de leur patrie. Mais l'essentiel demeure : une foi solide et un grand esprit de piété. Pour cela les monastères de l'Allemagne ont une part considérable dans le développement de notre Œuvre.
[1826]
Le climat de Salzbourg étant trop froid, les Sœurs décidèrent que la France convenait peut-être davantage à Petronillla. En septembre 1863, les Sœurs chargèrent le Révérend Leandro Capella de l'amener à Paris à ses propres frais. Petronilla est restée à Paris pendant un mois et demi chez les Filles de la Sainte Croix. Mais l'air de Paris était aussi trop froid pour elle. On décida alors d'amener Petronilla vers le sud, et Mère Saveria, Supérieure de Sœurs de Saint Joseph de l'Apparition en Syrie, l'a prise avec elle à Marseille, où elle est restée dans la Maison Mère jusqu'à novembre de la même année.
[1827]
Petronilla avait rencontré le Père Olivieri quatre fois à Salzbourg, et elle l'a assisté pendant sa dernière maladie à Marseille. Elle était présente à sa dernière heure quand le Père Olivieri supplia d'être enlevé du lit et déposé sur la terre nue, où il est mort comme un véritable saint. Je ne peux pas penser à ces signes admirables de la sainteté de cet homme sans pleurer. Le Père Olivieri est mort sur la terre nue, soutenu entre autres par notre bonne et chère Petronilla que lui-même avait gagnée au Christ. Au demeurant il faut dire qu'entre le parquet nu et son lit il n'y avait pas beaucoup de différence. Je l'ai vu moi-même à Marseille. C'est le même lit où dort maintenant l'Abbé Biagio Verri, animé du même esprit d'abnégation, de pénitence et de charité chrétienne.
[1828]
Petronilla appartient à une des meilleures tribus de l'Afrique. Elle a un caractère décidé et sérieux, elle est discrète et intelligente. Il semble qu'elle veuille se consacrer à la conversion des Noires infidèles. Nous comptons beaucoup sur elle. Pétronilla comprend très bien le français, l'allemand et elle apprend l'arabe. Elle est très expérimentée dans les travaux féminins. Tout cela, uni à une solide capacité de jugement et à une inébranlable constance, nous fait espérer qu'elle fera beaucoup de bien en Afrique. Elle correspondra très bien, j'en suis persuadé, à notre programme qui veut conduire l'Afrique à la régénération par l'Afrique elle-même.
[1829]
II - Amalia Amadu
Amalia a environ 19 ans. Elle est née dans le grand royaume du Bornu en Afrique Centrale.
Elle était en train de jouer sur une prairie avec d'autres gamines, lorsque des musulmans à cheval se sont approchés d'elles et les ont toutes enlevées. Ils leur ont bouché la bouche avec des bouts de tissus en coton et une fois chargées sur deux chevaux, ils les fouettaient dès qu'elles se mettaient à crier. Ensuite, ils se sont dirigés vers l'intérieur du pays et, aidés par la nuit, sans être poursuivis, ils ont rejoint une cabane éloignée du village des filles, à environ une demi-journée de voyage.
Plus tard, Amalia a été vendu à un giallaba, lequel, avec 100 autres jeunes filles noires et 4 petits garçons, a voyagé sans arrêt pendant 4 mois et a conduit le groupe à travers le Sahara jusqu'au Caire en marchant toujours sur des sables brûlants.
[1830]
Exposée au marché des esclaves, Amalia a été vendue à un certain Abraham Hut, chez lequel elle est restée avec quatre autres filles pendant six mois environ sans rien faire. Ensuite elle a été vendue à un Turc et puis rachetée par un Chrétien qui en était chargé par le Père Olivieri. Elle a été confiée à la vieille Madeleine et ensuite, avec le Père Olivieri, elle a fait le voyage, à travers la Méditerranée, jusqu'à Trieste. En passant ensuite par Milan, le Tyrol et Munich, où elle fut accueillie pendant trois jours par les Filles des Ecoles Pieuses, elle arriva au village de Beuerberg en Bavière. C'était la fin de l'année 1856, et Amalia fut confiée au monastère de l'Ordre de la Visitation de Marie.
[1831]
En suivant le modèle de Saint François de Sales, les Sœurs ont fait tout leur possible pour faire d'Amalia une vraie fille de Marie. Elles ont eu du succès. La jeune fille noire est devenue obéissante et expérimentée dans tous les travaux féminins, pleine de bonne volonté et de vraie piété.
Elle a été baptisée le 19 juin 1857 par l'Archevêque de Munich, Monseigneur Grégoire Scherr. Sa marraine a été la princesse Amalia Adalbert de Bavière.
Elle a reçu le sacrement de la Confirmation le 1er juillet 1858 du même Archevêque. Sa marraine a été la comtesse Arco-Valley.
[1832]
Amalia a toujours gardé une grande reconnaissance envers les Sœurs de Beuerberg et leur Supérieure, Sœur Maria Carolina von Pelkhoven, ainsi qu'à Sœur Luisa Regis à laquelle elle doit son habileté dans les travaux féminins.
En septembre, Monseigneur Kirchner auquel la Mission de l'Afrique Centrale doit beaucoup, pour tant de services et de sacrifices et dans lequel elle a eu un digne promoteur apostolique, m'a écrit pour me demander si je pouvais associer Amalia à l'expédition qui était en train de se préparer pour l'Egypte. Suite à ma réponse affirmative, la Supérieure du monastère de Beuerberg a envoyé Amalia à Munich en octobre. Là elle rencontre deux autres filles africaines au monastère des Bénédictines. Ensuite, toutes trois partent pour Vérone, accompagnées du Père Stéphan Reger, inspecteur et confesseur de Seligenthal près de Landshut.
Elles sont restées 14 jours à Vérone chez les Filles de la Charité chrétienne, appelées aussi Canossiennes, une Congrégation fondée par la Marquise Madeleine di Canossa, tante de l'Evêque de Vérone. Ensuite, elles sont reparties sous la protection des Missionnaires et d'une pieuse dame, ma compatriote Marguerite Bettonini-Tommasi, vers Marseille où elles sont arrivées le 27 octobre. Deux jours après, nous avons commencé ensemble la traversée pour l'Egypte.
La piété d'Amalia, son obéissance et son extraordinaire compréhension me permettent d'espérer et de pouvoir faire d'elle un valide instrument pour la conversion de l'Afrique. D'autant plus que maintenant elle jouit d'une bonne santé, bien que pendant sa permanence dans la monastère de Beuerberg, comme me l'avait écrit la Supérieure, elle ait été quelquefois malade. C'est la seule qui a survécu parmi les autres filles africaines. Au mois d'octobre, la Supérieure de Beuerberg m'a expédié une discrète somme d'argent pour l'utiliser en faveur d'Amalia.
[1833]
III - Amalia Katmala
Pour la distinguer de l'autre Amalia, dans notre Institut nous l'appelons Emilie. Elle a 20 ans environ. Emilie est née dans un village qui s'appelle Bego, à une journée de voyage de la frontière sud-orientale du royaume du Darfur dont le passage est interdit, sous peine de mort, aux Européens.
Un marchand musulman de gomme arabique, s'était arrêté à Bego pour prendre de la gomme et il avait trouvé hospitalité chez la famille de notre petite Noire. Il profita de cet accueil pendant quelques mois. La famille avait confiance en lui et le traitait amicalement. Mais hélas ! il appartenait à la catégorie des amis qui prennent plutôt qu'à celle de ceux qui donnent.
[1834]
Ce musulman, qui se comportait comme un Nubien, était en effet animé de l'invincible désir d'améliorer sa situation économique par tous les moyens possibles. Il avait, donc, décidé d'enlever la fille de son hôte avec son petit frère. Par des dons, il avait réussi à convaincre une amie d'Emilie, plus âgée qu'elle, de conduire les deux enfants dans la forêt pour ramasser du bois. L'occasion fut vite trouvée.
Alors que les trois enfants transportaient le bois sur leur tête, le cruel marchand de gomme, venant à leur rencontre, leur ordonna de jeter le bois et de le suivre. Il saisit les enfants par les mains et il les emmena avec lui. Les enfants commençaient à pousser des cris, il fit sortir alors de sa manche gauche un gros couteau et, en les jetant violemment par terre, il les menaça de mort s'ils ne se taisaient pas. Tremblants et angoissés pour ce qui était en train de se passer, les filles et le garçon se turent et suivirent patiemment leur ravisseur pendant trois heures jusqu'à une cabane où ils furent enfermés. Ils restèrent huit jours dans cette cabane. Pendant ces jours, Emilie avait refusé de manger, mais à la fin, elle avait dû se résigner.
[1835]
Au bout d'une semaine, les prisonniers ont été conduits par trois hommes au Darfur où ils restèrent 14 jours. Pendant ce temps-là, Emilie avait été séparée de son frère. Ce dernier avait déjà été vendu et, depuis lors, elle n'a jamais plus revu ni son frère, ni son amie qui les avait amenés dans le bois. Plus tard, Emilie reprit le voyage avec un Giallaba, trois garçons et un grand nombre de filles en direction du Cordofan. Les esclaves ont marché pieds nus sous un soleil brûlant pendant trois mois. Pendant ce voyage, ils n'ont eu que du blé de durrah à moitié cuit ou du maïs noir. Au Cordofan, Emile a été vendue à un Nubien qui l'amena sur un chameau chargé de peaux de vache, jusqu'à Dongola. De là, en passant par le désert sur le côté gauche du Nil et par Wadi-Halfa et Hint, ils arrivèrent au Caire après trois mois de voyage.
Au Caire, Emilie a été vendue à un eunuque noir, chef d'un harem turc et ensuite, elle a été remise à une femme qui s'occupait de l'éducation de jeunes filles noires pour le harem du Pacha. Ici, se sont manifestés les mystérieux desseins de la Providence. Emilie aurait dû être éduquée pour devenir l'instrument malheureux du péché, des honteuses débauches du musulman ; mais, dans sa bonté Dieu l'avait destinée pour lui-même. Elle tomba malade et elle fut revendue à l'eunuque car elle était invalide.
[1836]
Par le biais d'une femme arabe, l'eunuque a réussi à la vendre, avec d'autres invalides, à un monsieur européen qui, chargé par le Père Olivieri, la racheta et la confia à une femme catholique qui habitait dans la maison louée exprès par l'apôtre des Noirs et fondateur de l'Œuvre du Rachat des esclaves. Emile resta huit jours dans cette maison avec sept autres Noires, puis elle fut transférée à Alexandrie au couvent des Sœurs de Saint Vincent de Paul. C'est là qu'Emilie a connu Alessandra Antima. Durant l'hiver 1856, elle s'embarqua en compagnie de cette fille, du Père Olivieri, d'un Trinitaire, de la vieille Madeleine et de nombreuses autres Noires vers Trieste.
[1837]
De Trieste, Emilie et Alessandra sont venues à Vérone chez les Sœurs Canossiennes, puis à Milan, chez les Sœurs de la Miséricorde de Lovere, ensuite chez les Sœurs Visitandines de Salò ; puis transférées à Arco chez les Sœurs des Sept Douleurs et finalement à Trente auprès des miséricordieuses Canossiennes. Après avoir passé ainsi une année en Italie, elles furent conduites, en passant par Munich, (où, pendant un arrêt de huit jours, elles connurent Muller l'aumônier de la cour royale), à Seligenthal dans le Diocèse de Regensburg chez les Bernardines.
Emilie fut placée parmi les filles du pensionnat du monastère. Sœur Maria Angela Zetl devint son institutrice en lecture et écriture, et Sœur Engelberta Häkl dans les travaux domestiques. Ces Sœurs ont mis en elle un fondement de piété et de moralité que j'avais déjà pu admirer lors de notre première rencontre. Elle doit beaucoup aussi à Sœur Ignazia Steckmüller qu'Emilie aima, et aime encore aujourd'hui, d'une affection particulière.
Emilie séjourna dans le monastère pendant plus d'un an, avant de recevoir le Saint Baptême par l'Evêque de Regensburg, Monseigneur Senestrey, précisément le 3 avril 1859 dans l'église du monastère. Madame Amalia, épouse du Conseiller gouvernemental de Bavière, Kalchgruber, a été sa marraine. Elle a reçu le sacrement de la Confirmation quelques jours plus tard, le 7 avril, du même Evêque, en ayant cette fois-ci comme marraine Madame Francesca Simson de Munich.
[1838]
Il semble qu'Emilie préfère les travaux domestiques aux travaux intellectuels, bien que, même de ce point de vue, elle soit très instruite. Elle sait bien faire la cuisine, une tâche qu'elle a exercée dans le monastère pendant trois ans et demi. Pour la civilisation de la Nigrizia tout est utile, aussi notre Emilie, par son éducation morale et son attachement au travail rendra donc des services utiles à l'apostolat en Afrique.
En septembre dernier, le Prieur du monastère des Bernardines, Monseigneur Alfonso Brandt, m'a prié d'accueillir Emilie et Alessandra Antima pour notre Œuvre. En même temps, il m'a expédié une discrète somme d'argent pour soutenir les frais du voyage, fruit de la bienfaisance du vénérable monastère de Seligenthal et de la Société de Saint Ludovic de Munich.
[1839]
IV - Alessandra Antima
Cette jeune fille noire a environ 19 ans. Née dans la région du Darfur, elle a été enlevée pendant qu'elle jouait avec d'autres gamines. Transportée dans le Cordofan et à Khartoum, après avoir traversé le désert de Bayouda, situé à l'occident du Nil, Alessandra arriva au Caire. Ce voyage a duré plus de trois mois. Au Caire, elle se retrouva entre les mains d'un Turc qui la garda pendant un an et demi, puis l'amena à Alexandrie pour la revendre à une femme arabe. C'est à cette femme que le Père Olivieri a racheté Alessandra.
Depuis lors, l'histoire d'Emilie est aussi la sienne. Alessandra est arrivé au monastère des Cisterciennes à Seligenthal. Sa maîtresse a d'abord été la défunte Sœur Gotfrida et ensuite Sœur Maria Luisa. Les deux Sœurs se sont beaucoup engagées pour lui apprendre l'allemand. Sœur Ida l'a instruite avec la même ferveur dans les travaux domestiques.
[1840]
Le 3 avril 1859, elle aussi a été baptisée par l'Evêque de Regensburg dans le monastère de Seligenthal et ensuite elle a reçu la confirmation. Sa marraine de Baptême a été la Princesse Alessandra de Bavière, laquelle s'est fait représenter par Mlle Anna Neuhuber de Landshut ; tandis que la marraine pour la confirmation a été madame Teresa Hunger de Munich.
Alessandra a passé huit ans à Seligenthal, et trois ans à Wadsassen près d'Eger. La sœur de la Supérieure du Couvent, Sœur Ildegarda Smith a eu pour elle une attention toute particulière. C'est pourquoi Alessandra est particulièrement liée à cette sainte âme. Les Sœurs Bernardines ont surtout mis dans le cœur d'Alessandra un profond sens moral qui constitue la force principale pour résister à tous les dangers qui menacent la femme qui décide de se dédier à l'épineux travail de l'apostolat à l'intérieur de l'Afrique Centrale.
(Abbé Daniel Comboni).
Texte original en allemand.