Nous fêtons durant 4 semaines l’avènement de Jésus-Christ dans notre histoire et dans notre monde, et cette fête culmine en la fête de Noël, en la fête du moment où apparaîtra de façon visible ce Jésus-Christ, advenant dans notre histoire il y a maintenant 2000 ans et lui donnant son sens en même temps qu’il donne son sens à chacune de nos histoires, à chacune de nos vies.
Matthieu 24,37-44
RÉORIENTER NOS VIES
Il n’est pas toujours facile de nommer ce malaise profond et persistant que nous pouvons ressentir à un moment donné de notre vie. Cela m’a été avoué plus d’une fois par des gens qui, par ailleurs, cherchaient «quelque chose de différent», une nouvelle lumière, peut-être une expérience capable de donner une nouvelle couleur à leur vie quotidienne.
Nous pouvons l’appeler «vide intérieur», insatisfaction, incapacité à trouver quelque chose de solide qui comble le désir de vivre intensément. Peut-être vaudrait-il mieux l’appeler «ennui», fatigue de vivre toujours la même chose, sensation de ne pas réussir à percer le secret de la vie : nous faisons une erreur sur quelque chose d’essentiel et nous ne savons pas exactement sur quoi.
Parfois la crise prend un ton religieux. Peut-on parler de «perte de foi»? Nous ne savons plus en quoi croire, rien ne réussit à nous éclairer de l’intérieur, nous avons abandonné la religion naïve d’autrefois, mais nous ne l’avons remplacée par rien de meilleur. Alors une sensation étrange peut grandir en nous : nous sommes restés sans aucune clé pour orienter notre vie. Que pouvons-nous faire ?
La première chose à faire est de ne pas céder à la tristesse ou à la tension: tout nous appelle à vivre. Dans ce malaise persistant, il y a quelque chose de très sain: notre désir de vivre quelque chose de plus positif et de moins faux, de plus digne et de moins artificiel. Ce dont nous avons besoin, c’est de réorienter nos vies. Il ne s’agit pas de corriger un aspect spécifique de notre personne. Cela pourrait arriver plus tard. Maintenant l’important est d’aller à l’essentiel, de trouver une source de vie et de salut.
Pourquoi ne pas nous arrêter pour entendre l’appel urgent de Jésus à nous réveiller? N’avons-nous pas besoin d’écouter ses paroles?: «Restez éveillés», «prenez conscience du moment que vous vivez»; «il est temps de vous réveiller». Nous devons tous nous demander ce que nous négligeons dans notre vie, ce que nous devons changer et ce à quoi nous devons consacrer plus d’attention et de temps.
Les paroles de Jésus s’adressent à chacun d’entre nous : «Veillez». Nous devons réagir. Si nous le faisons, nous vivrons un de ces rares moments où nous nous sentirons «éveillés» du fond de notre être.
Par José Antonio Pagola
Traducteur: Carlos Orduna
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Orientés vers l’horizon de la Rencontre
Aujourd’hui commence dans l’Église une nouvelle année liturgique, c’est-à-dire un nouveau chemin de foi du Peuple de Dieu. Et comme toujours, nous commençons par l’Avent. La page de l’Évangile (cf. Mt 24, 37-44) nous introduit dans l’un des thèmes les plus suggestifs du temps de l’Avent : la visite du Seigneur à l’humanité. La première visite — nous le savons tous — a eu lieu au moyen de l’Incarnation, la naissance de Jésus dans la grotte de Bethléem ; la deuxième venue a lieu dans le présent : le Seigneur nous rend visite continuellement, chaque jour, il marche à nos côtés, et c’est une présence de consolation ; et enfin, il y aura la troisième et dernière visite, que nous professons chaque fois que nous récitons le Credo : « Il viendra à nouveau dans la gloire pour juger les vivants et les morts ». Le Seigneur nous parle aujourd’hui de sa dernière visite, celle qui aura lieu à la fin des temps, et il nous dit où notre chemin aboutira.
La Parole de Dieu met en relief le contraste entre le déroulement normal des choses, la routine quotidienne, et la venue à l’improviste du Seigneur. Jésus dit : « En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous » (vv. 38-39) : voilà ce que dit Jésus. Il est toujours frappant de penser aux heures qui précèdent une grande catastrophe : tous sont tranquilles, font les choses habituelles sans se rendre compte que leur vie va être bouleversée. L’Évangile ne veut certainement pas nous faire peur, mais ouvrir notre horizon à la dimension ultérieure, plus grande, qui, d’une part, relativise les choses de chaque jour, mais, dans le même temps, les rend précieuses, décisives. La relation avec le Dieu-qui-vient-nous-visiter confère à chaque geste, à chaque chose une lumière différente, une importance, une valeur symbolique.
De cette perspective découle également une invitation à la sobriété, à ne pas être dominés par les choses de ce monde, par les réalités matérielles, mais plutôt à les gouverner. Si, au contraire, nous nous laissons conditionner et dominer par elles, nous ne pouvons pas percevoir qu’il y a quelque chose de beaucoup plus important : notre rencontre finale avec le Seigneur : voilà ce qui est important. Cela, cette rencontre. Et les choses de chaque jour doivent avoir cet horizon, elles doivent être orientées vers cet horizon. Cette rencontre avec le Seigneur qui vient pour nous. A ce moment-là, comme dit l’Évangile, « deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé » (v. 40). C’est une invitation à la vigilance, parce que, ne sachant pas quand Il viendra, il faut toujours être prêt à partir.
En ce temps de l’Avent, nous sommes invités à élargir l’horizon de notre cœur, à nous laisser surprendre par la vie qui se présente chaque jour avec ses nouveautés. Pour faire cela, il faut apprendre à ne pas dépendre de nos sécurités, de nos schémas consolidés, parce que le Seigneur vient à l’heure où nous ne l’attendons pas. Il vient pour nous introduire dans une dimension plus belle et plus grande.
Que Marie, la Vierge de l’Avent, nous aide à ne pas nous considérer comme propriétaires de notre vie, à ne pas opposer de résistance quand le Seigneur vient la changer, mais à être prêts à nous laisser visiter par Lui, hôte attendu et bienvenu même s’il bouleverse nos plans.
Pape FRANÇOIS
Angelus 27.11.2016
Pour ne pas dormir debout!
La Parole de Dieu fait bien le nécessaire aujourd’hui pour nous mettre en marche, en mouvement, aussi bien à l’intérieur de nous-mêmes qu’à l’extérieur, pour l’heure de la venue du Seigneur dans notre vie, dans notre monde.
Cette Parole sonne un réveil, une mise en garde, un appel. Veillez! Tenez-vous prêts! (Jésus) L’heure est venue de sortir de votre sommeil! (S. Paul) Venez, montons à la montagne du Seigneur! Venez, marchons à la lumière du Seigneur.(Isaïe)
Pourtant nous sommes tous bien occupés, sollicités à cœur de jour pour de petites tâches tout au moins, pour les nécessités de la vie; nous sommes même certains d’être éveillés, tout à fait mobilisés, avec plein d’idées dans la tête, des pensées, des chansons, des images intérieures; nous sommes tous debout, semble-t-il, éveillés, pensons-nous, chacun, chacune au vif de notre attention.
Nous avons peut-être même le sentiment d’en avoir trop sur les bras, trop à faire, trop sur les épaules et dans la tête et dans le cœur. Peut-il y avoir de la place pour autre chose? Notre vie est pleine et déjà toute donnée, toute occupée, toute comptée, pensons-nous. Que pourrions faire de plus?
Le Seigneur veut-il en rajouter quand il nous demande de veiller? Il devrait pourtant savoir que notre fardeau, nos tâches et responsabilités sont assez immenses.
Mais justement si l’alarme que sonnent le Christ, l’apôtre Paul et le prophète Isaïe, était le réveil-matin dont nous avons besoin, qui nous tirerait du sommeil où toutes nos activités nous tiennent véritablement endormis, engourdis, trop habitués, aliénés de nous-mêmes jour et nuit?
« Deux hommes seront aux champs, dit le Seigneur : l’un est pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée. » Qu’est-ce que peut vouloir dire cette image, sinon le fait qu’il y a en nous une double possibilité, celle d’être en éveil ou celle d’être endormis, soit dans les champs de nos activités et occupations extérieures, soit au moulin de l’intime de nos pensées et de nos motivations profondes. Voulons-nous être pris ou être laissés?
Qu’est-ce qui fera la différence? Sinon la décision en nous d’être authentiques, en état de conversion et d’accueil de l’Esprit de Dieu, étant revêtus du Christ, et non pas repliés en boule ou enfermés dans nos bulles, sans amour, sans prière, sans lumière, sans tout son sens à nos vies.
La Parole de Dieu, en ce premier dimanche de l’Avent, ne vient pas en rajouter, nous surcharger, nous énerver ou nous faire peur. Elle nous éveille. Elle nous fait réaliser dans quelle torpeur nous sommes souvent plongés et par quelles illusions nous nous laissons parfois bercer. Cette Parole nous ouvre à la lumière, au grand jour, aux grands enjeux de la charité, de la justice, de la paix, du partage, de la juste société. La Parole nous presse pour une conversion, pour un changement profond en nous, qui nous ouvrira aux réalités du Royaume et nous permettra d’y orienter l’ensemble et les détails de notre vie.
Nous n’allons pas demain matin abandonner nos tâches et nos obligations. Nous allons refaire sans doute les mêmes choses, mais différemment, avec ce plus de notre attention profonde, d’un amour vrai, d’une foi et d’une espérance renouvelées, d’un don plus authentique de nous-mêmes pour la cause du Royaume. Et si nous essayions de vivre de cet Esprit dans l’Eucharistie qu’à l’instant nous célébrons?
Par Jacques Marcotte, o.p.
http://www.spiritualite2000.com
La fête de “l’advènement” de Jésus-Christ
célébrée durant l’Avent
Maurice Zundel
Le temps de l’Avent, 1er dimanche
Nous fêtons durant 4 semaines l’avènement de Jésus-Christ dans notre histoire et dans notre monde, et cette fête culmine en la fête de Noël, en la fête du moment où apparaîtra de façon visible ce Jésus-Christ, advenant dans notre histoire il y a maintenant 2000 ans et lui donnant son sens en même temps qu’il donne son sens à chacune de nos histoires, à chacune de nos vies.
Pourquoi sommes-nous advenus nous-mêmes sur cette terre, et pourquoi en tel lieu et à telle époque, infime espace de lieu et de temps. Nous sommes insérés dans une très longue histoire qui nous déborde de toutes parts.
On pouvait se demander ce que nous sommes venus faire sur cette terre, et pour si peu de temps.. Ca vous arrive sans doute quelquefois de vous demander : mais enfin pourquoi suis-je ici maintenant, pourquoi ici et pourquoi maintenant ? il n’y a aucune réponse à ce questionnement en dehors ou à côté de cet advènement de Jésus-Christ un jour, il y a deux mille ans sur notre terre, et qui se continue jusqu’à la fin des temps. C’est Lui qui, avec le Père et l’Esprit, et inséparablement du Père et de l’Esprit, est à l’origine de notre terre et de tout l’Univers, et jusqu’à leur fin s’ils en ont une, et dont nous savons aujourd’hui que l’Univers ne peut pas avoir de limites.
Quand le Fils de Dieu se fait homme, il vient sauver tout ce qu’il a fait avec le Père et l’Esprit. Il vient sauver le projet de Dieu lorsqu’il crée l’Univers et la terre, point infime en son immensité. Et en fêtant ce advènement, il nous est bon de parler de ce projet divin qui commande toutes choses.
Nous pourrions nous dire : après tout qu’est-ce que je viens faire là-dedans, ça me dépasse tellement ! Nous aurions tort, car, que nous le voulions ou non, nous sommes impliqués dans ce projet, et à tel point que Dieu a besoin de chacun de nous pour son accomplissement.
Dieu ne peut créer que selon ce qu’Il est, que selon l’amour parfait qu’Il est et qui se construit, si l’on peut dire, en la génération du Fils et la procession de l’Esprit, ces deux éternelles opérations qui constituent le Dieu Trinité dans son essence et son bonheur. Il veut que ce qui fait qu’Il est Dieu, cette génération et cette procession, s’accomplisse en le cœur de chaque homme, Il veut faire de notre cœur à chacun le sanctuaire où il va accomplir ce qui fait qu’il est Dieu éternellement : le Père veut engendrer en nous le Fils, Il veut le porter en nous et le faire naître de nous, et il veut que l’Esprit jaillisse de cette opération dans le cœur de l’homme et du cœur de l’homme et cette volonté est inséparablement la volonté du Fils et de l’Esprit car ces opérations divines essentielles sont tout autant opérations du Fils et de l’Esprit, inséparables en aucune chose l’Un de l’Autre puisque leur relation en la Trinité divine à l’Autre divin est constitutive de leur personnalité.
Ce sont des choses capitales qu’il ne faut pas avoir peur de dire aujourd’hui. L’advènement de Jésus-Christ n’a pas d’autre but ni d’autre sens. Ce sont des choses toutes nouvelles mais qui sont contenues dans la révélation chrétienne même si elles ne sont développées de cette façon qu’aujourd’hui.
Il est temps aujourd’hui de développer ainsi, et de mille manières, ces réalités fondamentales de l’être-Dieu de Dieu et, conséquemment, de l’être-homme de l’homme, il n’y a pas d’autre façon de répondre à notre questionnement fondamental que de situer l’advènement de Jésus-Christ dans notre histoire et notre monde. A fêter tout au long de ces 4 semaines qui précèdent la fête de Noël.
En venant en ce monde, nous existons déjà en Dieu d’une certaine manière, bien mystérieuse puisque, comme le dit saint Paul, nous avons été choisis par Dieu dès avant la création du monde. Nous sommes insérés dans une immense histoire où nous avons chacun non seulement notre place mais notre fonction à remplir pour le plus heureux déroulement de cette histoire qui ne peut s’accomplir sans nous. Et cette fonction s’accomplira toujours selon le modèle donné par Jésus-christ, celui du don de soi.
Il faudra développer aussi comment nous ne pourrons accomplir cette fonction que comme membre de l’Eglise, le corps mystique du Christ, assurant sa réelle permanence parmi nous et en nous jusqu’à la fin des siècles … Mais il faudra un long nouveau catéchisme …
On se demande parfois pourquoi donc le Bon Dieu n’a-t-il pas créé le monde autrement, pourquoi le mal y sévit-il si innombrablement et si cruellement. La réponse est tout simplement qu’Il ne le peut pas. Dieu ne peut créer que selon l’Amour qu’Il est, et selon la forme éternelle et parfaite de cet Amour.
Pourquoi donc l’homme ne peut-il devenir authentiquement homme que si difficilement ? Simplement, peut-être, parce qu’il vit ainsi sa ressemblance à Dieu Trinité dont on peut penser qu’il est héroïque pour Lui éternellement de devenir Ce Dieu Amour, ce Dieu Trinité qu’Il est. Cette génération du Fils par le Père et ce jaillissement de l’Esprit de l’Un et de l’Autre, ça ne se fait pas tout seul mais éternellement Dieu l’accomplit de la façon la plus héroïque.
Maurice Zundel
Dieu croit en nous
Maurice Zundel
L’Evangile d’aujourd’hui (Mt. 11,2-10) pour le second dimanche de l’Avent, met en scène Jean le Baptiste. Jean le Baptiste est en prison et il envoie des messagers à Jésus qui lui posent cette question étrange : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt. 11,3)
Jésus invoque tous les prodiges qu’il accomplit : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute ! » (Mt. 11,5)
Et puis, les messagers de Jean le Baptiste étant partis, Jésus fait l’éloge de Jean le Baptiste. Il le met plus haut que tous les prophètes, et il déclare que parmi les fils nés de la femme jusqu’ici, personne n’est plus grand que Jean le Baptiste. Et cependant, une petite phrase attire notre attention qui a une portée considérable : « En vérité, je vous le dis, parmi les enfants de femme, il n’en a pas surgi de plus grand que Jean-Baptiste, et cependant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui. » (Mt. 11,11)
Il faut retenir cette phrase qui achève l’équilibre de cette présentation. Si Jean le Baptiste est le plus grand des prophètes, dans ce sens que, il touche au but, cependant les fidèles de Jésus-Christ, ceux qui appartiennent à l’Eglise, ceux qui ont le bonheur de vivre dans le rayonnement de sa lumière et de sa présence, ont un tel privilège que, par rapport à eux, Jean-Baptiste est encore un lointain précurseur, et le plus petit des fidèles est plus grand que lui.
Cela veut dire que, nous sommes entrés par Jésus-Christ dans un univers entièrement nouveau. Et c’est cela, justement, qui nous émeut d’une façon particulière aujourd’hui, c’est de penser que, si Jean-Baptiste est si grand, si saint, s’il a donné sa vie, s’il est mort martyr, cependant il n’a pas compris l’Esprit de Jésus-Christ.
Il avait annoncé, comme tous les prophètes, le jour de Dieu comme un jour de colère : Dieu viendra, il purifiera son aire, c’est-à-dire que, il purifiera son peuple. Il fera des coupes sombres. Il exercera une justice impitoyable. Il détruira tous les pécheurs qui sont ses véritables ennemis, et ce n’est que les fidèles, tout à fait triés sur le volet, qui auront part à ses promesses.
Et c’est pourquoi, Jean-Baptiste s’étonne que Jésus n’emploie pas ces méthodes de violence. Il s’étonne que Jésus s’adapte, qu’il ne fasse, apparemment, rien de sensationnel et que, ce jugement qu’il avait annoncé, n’est pas encore au commencement de sa réalisation.
C’est justement pour cela que Jean le Baptiste, dans l’ordre de la pensée, dans l’ordre des conceptions religieuses, est encore très loin du plus petit des fidèles de Jésus-Christ qui sait que, finalement, la grandeur de Dieu, ce n’est pas de punir et de frapper, mais d’aimer et de sauver.
Et c’est là justement que, nous avons à prendre conscience de toute la nouveauté de Jésus-Christ. Au fond, jusqu’à Jésus-Christ, et en dehors de Jésus-Christ, on s’est toujours représenté Dieu comme un pharaon : c’est un roi, c’est une puissance, c’est une domination, c’est une force capable de nous terrasser. Et, lorsque les prophètes d’Israël se trouvent en face de Dieu, ou devant une manifestation de Dieu, ils sont saisis de terreur parce que Dieu, c’est celui qui fait mourir.
Beaucoup de chrétiens, hélas, en sont demeurés là et imaginent que, pour ramener les gens à Dieu, il faut évoquer les terreurs de la mort. Ce n’est pas là l’Esprit de Jésus-Christ. Justement, et nous le sentons bien dans cette opposition que Jésus établit entre l’ordre auquel appartient encore Jean le Baptiste et l’ordre nouveau qu’il inaugure, il y a une distance infinie.
Et cette distance infinie, c’est justement, qu’en Jésus, Dieu se révèle non pas comme la puissance qui foudroie, qui écrase, qui domine et qui fait de nous des esclaves et des sujets, mais Dieu se révèle comme l’amour : il ne peut qu’aimer, comme l’amour, fragile, comme l’amour, désarmé. Tandis que Jean annonce le temps de la colère, Jésus annonce l’avènement de la générosité et de l’amour.
Le vrai jugement, il est au Lavement des pieds, lorsque Jésus est à genoux devant ses disciples et qu’il veut susciter, de leur cœur, le Royaume de Dieu qu’ils ont à devenir : c’est cela le visage du vrai Dieu. Le vrai Dieu, c’est comme une mère, c’est plus qu’une mère, car Dieu est plus mère que toutes les mères. Et Dieu attend, comme une mère, il attend en s’offrant, en se donnant, en s’identifiant avec nous ! Il attend que mûrisse en nous cette lumière, il attend que se lève en nous cet amour. Il attend que nous devenions, par un mouvement spontané de tout notre être, ce Royaume de Dieu, c’est-à-dire cette vie transparente à sa vie, cette vie toute illuminée par son amour et capable de le faire rayonner.
Et cela, c’est une conception de Dieu tellement différente qu’il faut absolument choisir entre l’une et l’autre : elles sont incompatibles. Et notre Seigneur en est si conscient qu’il n’hésite pas, après avoir fait l’éloge le plus magnifique de Jean le Baptiste, à déclarer que « le plus petit dans le nouveau royaume est plus grand que lui. »
Et précisément ce temps de l’Avent, est si riche et si émouvant parce qu’il nous oriente vers la grande découverte de l’enfance de Dieu.
Vous vous rappelez qu’un des plus grands poètes de tous les temps, Paul Claudel, a été converti le jour de Noël 1886. Etant entré à l’Eglise Notre Dame de Paris, incroyant, dévoré d’ennui, cherchant à tuer cet ennui par quelques émotions esthétiques, il entendit tout d’un coup les Vêpres de Noël, et à travers les Vêpres de Noël, il découvrit « l’éternelle enfance et l’innocence déchirante de Dieu. » (1) Et c’est justement, parce que Dieu lui a parlé soudain, comme une enfance fragile et désarmée, qu’il ressortit de Notre Dame ? et pour toujours ? il ressortit croyant, croyant, envahi par cette présence de Dieu qui éclaira toute sa vie, qui fut un long témoignage éperdu, rendu à cette présence de Dieu qui l’avait terrassé par sa fragilité même.
Vous vous rappelez que le Père Pio, à un jeune italien qui lui déclarait qu’il était venu jusqu’à lui entraîné par des amis, mais qu’il ne croyait pas en Dieu, vous vous rappelez que le Père Pio répondit : « Vous ne croyez pas en Dieu, qu’importe : Dieu croit en vous. »
Dieu croit en vous, oui c’est cela, justement, le retournement magnifique de l’Evangile. L’Evangile remet Dieu entre nos mains. C’est la vie de Dieu qui nous est confiée parce que Dieu, désormais, à travers le visage de Jésus-Christ, ce n’est plus un Dieu-pharaon, ce n’est plus un roi, ce n’est plus un dominateur, ce n’est plus un maître, ce n’est plus une puissance qui peut nous foudroyer. Ce n’est pas quelqu’un qui nous attend dans les terreurs de la mort. C’est une mère, c’est un cœur, c’est une tendresse désarmée, qui nous attend au plus profond de nous-même, qui se livre entre nos mains, qui se confie à notre amour et qui ne fait appel qu’à notre générosité.
Dieu croit en nous et si nous ne l’aimons pas, si nous ne l’aimons pas eh bien, la conséquence, ce sera la Croix, la Croix où il sera éternellement crucifié dans les âmes, s’il en est qui refuseront éternellement de l’aimer. Une mère ne peut jamais faire autre chose, si elle est une vraie mère, que de vivre la vie de son enfant.
Et pourquoi pas ? Vous n’imaginez pas, vous ne pouvez pas concevoir que, si une mère humaine est capable d’un amour qui va jusque là, si elle peut vraiment porter la honte de son fils emprisonné, criminel, assassin, pendu ou guillotiné, si elle peut l’accompagner jusqu’au bout de la honte et l’aimer encore, car si sa mère ne l’aimait plus, qui donc l’aimerait ? Vous n’imaginez pas que Dieu puisse être moins mère que cette mère-là, puisque c’est lui qui a fait le coeur des mères avec un rayon du sien.
Il est donc clair que, par l’Evangile, nous accédons au Dieu vrai, vivant et véritable, que nous dépassons tous les prophètes, parce que justement, nous apprenons par Jésus-Christ à reconnaître le Dieu-mère, le Dieu qui n’est qu’un coeur, le Dieu qui n’est qu’amour, le Dieu qui est remis entre nos mains, le Dieu qui croit en nous.
Il faut absolument que nous entrions dans cette perspective. Si tant de gens se détournent de Dieu, ce n’est pas de Dieu qu’ils se détournent, c’est d’un faux Dieu, d’un faux Dieu dont on a fait une épouvantable caricature, c’est de ce Dieu pharaon qui désormais est impensable et impossible pour l’humanité qui a reçu le message de Jésus-Christ.
Nous voulons donc, à partir de cette opposition que Jésus établit entre Jean-Baptiste et lui-même, nous voulons nous avancer vers ce mystère de Noël, aller à la rencontre de l’enfance divine pour apprendre, justement, que Dieu est un amour fragile et désarmé, qui se confie à nous, qui croit en nous, qui compte sur notre générosité et qui nous ennoblit de cette confiance infinie qu’il nous fait, puisque, aux yeux même d’un apôtre aussi exigeant que le Père Pio, même pour celui qui ne croit pas en Dieu, il y a une issue magnifique, éternelle, puisque de toute manière, Dieu croit en l’homme.
Homélie prononcée par Maurice Zundel à Lausanne (Suisse), le 9 décembre 1962, pour le 2ème dimanche de l’Avent. Publié dans Ton visage ma lumière, p.239 (*)
Note (1) « J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable. » Paul Claudel, Contacts et circonstances, Œuvres en Prose, Gallimard, La Pléiade, pp.1009-1010. Ou bien L’expérience de Dieu avec Paul Claudel, Fides, p.36.
(*) Livre « Ton visage, ma lumière, 90 sermons inédits »
Publié par les éditions Mame, Paris, 2011. 510 http://www.fleuruseditions.com/livres/zundel/