Voici maintenant la conclusion de ce chapitre 6,60-69 et, plus précisément, des discours sur le pain de vie et le don de la chair et du sang. Ce pain s’avère ici pain de l’épreuve comme la manne, si présente dans ce chapitre (Exode 16,2-4). Les auditeurs vont se diviser en croyants et non-croyants. C’est que l’idée de manger la chair d’un homme et de boire son sang est intolérable (verset 60), et ce n’est pas en édulcorant le texte que l’on se tirera d’affaire. (...)

Jean 6, 60-69
L’intolérable nécessaire

Manger la chair et boire le sang du Christ est une exigence bien difficile à accepter !
Un commentaire du Père Marcel Domergue, jésuite.

Voici maintenant la conclusion de ce chapitre 6 et, plus précisément, des discours sur le pain de vie et le don de la chair et du sang. Ce pain s’avère ici pain de l’épreuve comme la manne, si présente dans ce chapitre (Exode 16,2-4). Les auditeurs vont se diviser en croyants et non-croyants. C’est que l’idée de manger la chair d’un homme et de boire son sang est intolérable (verset 60), et ce n’est pas en édulcorant le texte que l’on se tirera d’affaire. À vrai dire, la phrase du Psaume 14,4, « quand ils mangent leur pain c’est mon peuple qu’ils mangent », se vérifie tous les jours. Peuples nantis, nous vivons de la misère, de la faim et de la mort d’une multitude d’hommes, de femmes, d’enfants que nos systèmes économiques réduisent à la détresse dans le tiers-monde et dans tous nos « tiers-états » occidentaux. L’anthropophagie sournoise, occultée, est généralisée. Cette chair et ce sang que nous arrachons aux hommes malgré eux, le Christ vient nous les donner volontairement. Inutile de dire que cela ne résout pas le problème de nos victimes, mais cela nous appelle à entrer dans cette logique du don total. Dieu ne vient pas nous imposer l’amour par force, ce qui serait totalement contradictoire, il vient dresser devant nos yeux l’image de cette voie étroite qui, seule, conduit à la vie. Ainsi nous devons d’abord prendre la chair et le sang qu’il nous donne, puis faire nôtre l’amour qui commande ce don.

Manger la chair, boire le sang

De même que les interlocuteurs de Jésus se sont révoltés quand il a révélé son origine, quand il leur a dit d’où il venait (Jean 6, 41-42), de même ils se révoltent quand il leur révèle où il va, c’est-à-dire au Père par la Passion. Jésus leur dit en substance : cela vous heurte que je vous annonce le don de la chair et du sang ? Que direz-vous quand cela se produira effectivement, quand vous verrez le Fils de l’Homme monter là où il était auparavant ? Nuançons : le don de la chair et du sang sont de toujours, de tous les instants, depuis le commencement. De cela, la croix est la révélation, à l’heure où les temps sont accomplis. N’empêche que Jésus adresse à ses auditeurs indignés des paroles surprenantes. Il vient en effet de répéter qu’il faut, pour vivre, manger sa chair ; maintenant il leur dit : « la chair ne sert de rien. » De toute évidence le mot « chair », n’a plus le même sens. Tout à l’heure, il s’appliquait au Christ en tant qu’homme solidaire de la nature, porteur de l’argile originelle (Genèse 2,7) ; maintenant, le mot se charge du sens négatif qu’il a dans beaucoup de textes : l’inaptitude à accéder à l’esprit. Quand Jésus dit que ses paroles ne sont pas chair mais esprit et vie, il veut sans doute faire comprendre qu’il ne s’agit pas de manger matériellement sa chair, son corps. Nous savons maintenant que cela se fait à travers des signes. La chair livrée ne doit pas être comprise de façon charnelle.

Encore les deux discours

Jésus, selon Jean, enseigne des choses similaires à partir de thèmes tout différents. Un seul exemple : en 15,1-8, Jésus explique longuement que, pour vivre, nous devons demeurer en lui et lui en nous. Il est la vigne, nous sommes les sarments ; la sève qui vient de lui (penser au sang) doit nous alimenter. Cette intériorité réciproque (moi en vous, vous en moi) a quelque chose à voir avec l’acte de manger la chair et de boire le sang. Elle ne peut être comprise que si l’on a accepté le premier discours qui nous dit que le Christ vient de Dieu, est présence de Dieu. Cependant, cela ne suffit pas : il faut encore admettre le don de la chair et du sang. Regardons de près la réponse de Pierre quand Jésus demande aux Douze s’ils veulent eux aussi l’abandonner. « Vers qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » Pierre comprend qu’il n’y a pas de salut possible si l’on reste enfermé en soi, il faut aller vers un autre, vers l’Autre. Il reste donc avec Jésus. Fort bien, mais il n’a entendu que le premier discours, pas le second. Comme à Césarée de Philippe (Matthieu 16,13-23), il reconnaît l’origine du Christ, mais reste fermé à l’avenir pascal. Il n’y fait aucune allusion. En réalité, le refus ou l’oubli du second discours révèle que l’on n’a pas totalement compris et admis le premier. Il faudra attendre Jean 21 pour que Pierre aille sans réserve vers le Christ. En attendant, si Jésus a choisi Pierre, Pierre n’a pas encore vraiment choisi Jésus. Nous en sommes tous là.
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