Dimanche 4 octobre 2020
En préparation à la fête de saint Daniel Comboni, le 10 octobre prochain, je vous envoie une petite réflexion dans laquelle je remercie Saint Daniel Comboni d’avoir aimé l'Afrique et les Africains. Je vous souhaite une bonne préparation et, déjà, une BONNE FÊTE ! (Sur la photo : P. Léonard Ndjadi Ndjate).
Bien chers Confrères,
Salutations fraternelles depuis le noviciat, à Magambe (Isiro) où je me trouve. Les 13 novices se préparent à faire leur rentrée officielle au noviciat ! Tout est mis en place pour aller au désert initiatique avec Jésus et Comboni.
L’équipe formatrice, composée des Pères Enzo Bellucco et Alfredo Ribeiro Neres et du Frère Augustin Eyer Yankie, affiche complète. Elle introduit déjà les novices au rythme et au style du noviciat combonien. Nous confions la formation de ces jeunes sous l'intercession de saint Daniel Comboni et saint Pierre Claver, et de la Bse Anuarite.
En préparation à la fête de saint Daniel Comboni, le 10 octobre prochain, je vous envoie une petite réflexion dans laquelle je remercie Daniel Comboni d’avoir aimé l'Afrique et les Africains. Je vous souhaite une bonne préparation et, déjà, une BONNE FÊTE ! Fraternellement, P. Léonard Ndjadi Ndjate
Merci, Daniel Comboni,
de ton amour pour l’Afrique !
A travers ses lettres Comboni nous fait savoir que le désir de donner sa vie pour les missions était venu l’habiter lorsqu’il était encore jeune lycéen. L’occasion ce fut une soirée avec l’abbé Angelo Vinco de retour d’une expédition en Afrique centrale. Mais toute l’ambiance dans l’institut de l’abbé Mazza portait à respirer mission, si bien que le jeune Daniel, dès l'école secondaire, ne faisait qu’aspirer à la mission. La lecture d’un livre sur les martyrs au Japon avait également travaillé sa fantaisie et son cœur. Donc Daniel est un jeune enthousiaste, qui voit loin et qui se laisse entraîner par cet horizon qui le porte au-delà des ruelles de son village, de sa famille et même de son pays. Il respire déjà l’ardeur que l’amour de Dieu met dans le cœur des personnes d’élection. Cet amour est aussi – pourquoi pas – en chacun de nous, mais lui serions-nous peu sensibles pris et occupés que nous sommes – souvent- par d’autres attentions, d’autres désirs, d’autres projets, d’autres besoins, d’autres soucis ?
A 17 ans donc, sans que cela lui soit demandé par qui que ce soit, il fait promesse devant l’abbé Mazza de se donner totalement aux missions. La promesse d’un jeune lycéen, peut-elle être digne de confiance et devenir comme le rail à tout un projet de vie ? Ne serait-il pas un rêveur que ce Daniel ? Emporté peut-être par le désir de l’aventure au moment où justement commençait la ruée vers l’Afrique, ce continent vaste et inconnu. Car explorateurs et puissances européennes ont tourné vers ce continent leur regard et leur cupidité. Daniel, un explorateur en puissance, un aventurier, comme tant d’autres donc ? Certainement pas. Il va ramer dans une autre direction : plus humaine, plus évangélique et plus missionnaire.
Et pourtant ce désir ne le quittera plus. Comboni lui-même a conscience que sa vocation aux missions date de ce moment-là. Disons même qu’elle date depuis très longtemps ! Lui en prend conscience de manière nette à ce moment-là. Ce fut un moment solennel. Non un rêve. Et face aux difficultés qu’il rencontre, jamais il ne laissera le doute planer sur sa vocation comme si elle n’eût été que rêve inconsistant ou ardeur éphémère de jeunesse. Ce désir ancien, Comboni le lit comme « main, empreinte » de Dieu dans sa vie et donc comme un signe d’en haut de la véracité et de l’authenticité de sa vocation. C’est comme s’il allait en se répétant : « Oui, ma vocation vient de loin. Depuis ma toute première jeunesse Dieu s’est manifesté à moi et m’a parlé. Pourquoi donc douter ? Cette certitude de sa vocation missionnaire pour l’Afrique était le roc sur lequel Comboni puisait constamment sa force intérieure, spirituelle et psychologique, pour persévérer dans sa vocation missionnaire. Notre vie spirituelle a-t-elle cette vigueur qui s’enracine dans l’expérience de Dieu ? Dans l’histoire de notre vocation missionnaire, qui était notre Marani dont Dieu s’est servi pour confirmer la certitude de notre vocation missionnaire ? Pouvons-nous en faire mémoire ?
Le souvenir de cette promesse faite au temps du lycée, au demeurant, il l’évoquera à plusieurs reprises, notamment aux moments de difficulté particulière, et une dernière fois, trois mois avant de mourir, dans une lettre au P. Sembianti, recteur du séminaire de Vérone, du 16 juillet 1881, comme pour se convaincre une fois encore, de la vérité de sa vocation et ainsi s’en remettre une fois de plus à son Dieu. « Le p. Marani m’a dit, après que j’avais fait ma confession générale auprès de lui : ta vocation me semble la plus claire de celles que j’ai vues » (E. 6879).
Tout cela nous porte à affirmer que sa vocation, Daniel l’a vécue comme un appel de Dieu qui l’aime et auquel il adhère de tout son être. Dieu l’avait pensé depuis : « dès le sein de ta mère je t’ai consacré » (Jr1, 5-10) en vue d’en faire l’apôtre de la mission, car ce même Dieu-Père avait vu et entendu les cris qui montaient depuis les peuples africains ainsi qu’il l’avait dit à Moise : « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs, je connais ses angoisses et je suis descendu pour le délivrer. Maintenant va, je t’envoie auprès de Pharaon, fais sortir de l’Egypte mon peuple » (Ex3,1-8b). Après tout l’Egypte n’est-ce pas en Afrique ?
La première expédition à laquelle Comboni participa en 1857, lui permit de se rendre sur les lieux et de voir de plus près la situation des Africains, (qui ne devait pas être très différente de celle qu’avait connue Israël en son temps). Ce spectacle inédit le marquera à tout jamais. Son cœur qui, étant jeune, avait décidé de se donner aux autres, sans trop savoir de quoi ces autres pouvaient avoir besoin, maintenant voyait clair : voilà les peuples qui ont besoin de quelqu’un qui se livre pour eux, pour leur délivrance, pour les conduire à la maison du Père. Serait-il un nouveau Moïse ? La malédiction qui pèse sur eux doit être enlevée, brisée comme les chaînes de l’esclavage qui défigurent la dignité des fils de Dieu que sont aussi les Africains. La dignité de l’Afrique.
Son désir de donner sa vie pour les autres prend à ce moment précis sa vraie physionomie et sa forme plus concrète et plus décisive : sa vie sera pour les Africains et ceux-là en particulier qui sont les plus abandonnés, les plus ignorés, les plus laissés pour compte, les plus méprisés, dans la mesure où personne ne pense à eux. Son lieu de travail ce sera Afrique Centrale, vaste et ignorée. Mais au fait elle n’était pas ignorée par exemple par l’esclavage et par la traite des esclaves, notamment celle qui allait dans le sens de l’Orient, vers l’Inde et l’Arabie. Sur les marchés du Caire, de Khartoum et de Omdurman Comboni avait fait sa première rencontre avec cette triste réalité, honte pour l’humanité entière. Là il avait assisté à la vente aux enchères d’êtres humains comme si c’était des animaux. Payés en fonction de leur physique et de leur taille. Cette pratique a-t-elle disparu de nos jours ?
Dans son rapport à la société de Cologne qui soutient les missions, en date du 6.61871, il écrit ces paroles époustouflantes et presque irréelles : « En général, un cheval, un âne, un chien, une gazelle sont beaucoup plus appréciés qu’un Noir ou une Noire. Leur valeur est seulement proportionnelle au prix qu’ils ont coûté ou à l’argent qu’ils peuvent rapporter par leur travail ou en se prostituant. ». Peut-on accepter ce spectacle en silence, sans rien y faire ? Et tous les autres, subjugués par un climat ingrat, la pauvreté, les maladies, comment ne pas les entendre ? La voix de Dieu allait répétant dans son cœur : J’ai vu la misère de mon peuple et je veux le libérer : tu iras, Daniel !
Daniel ira, décidément, après avoir, une fois de plus regardé vers le Christ du Golgotha, un jour qu’il se trouvait dans la basilique de saint Pierre à Rome. De ce lieu, cœur de la chrétienté, Comboni se sent comme propulsé vers ces fils de Dieu ignorés et abandonnés. Un plan lui est inspiré auquel il cherchera à donner une réponse à travers un travail de concertation et de sensibilisation de toutes les forces vives de l’église catholique. L’Afrique appelle, n’entendez-vous pas sa voix ? L’Afrique gémit : n’entendez-vous pas son cri de désespoir ? Que vous faut-il encore attendre ? Ne voyez-vous pas que les ennemis, à l’instar de Pharaon avec Israël, ne font qu’aggraver leur situation ? Les chaînes des caravanes de la traite des esclaves résistent toujours et les armes ont déjà pris le chemin des grands lacs, triste prélude des armes qui aujourd’hui encore font rage et victimes ?
Voilà alors Comboni en train de sillonner les pays de l’Europe pour sensibiliser, pour convaincre à la cause de l’évangélisation en Afrique : celle-ci aussi a droit de cité dans l’église du Christ ; elle-aussi a droit à la table où le roi de la parabole a voulu faire asseoir pauvres, estropiés, aveugles et boiteux ? Et même, en ce sens alors, n’y a-t-elle pas plus de droit que les autres ? Il parcourt les routes du vieux continent et puis il traverse la mer pour se rendre sur les lieux : sept fois de pareils voyages, en débarquant d’abord au Caire, la porte de l’Afrique, pour remonter ensuite le cours du Nil jusqu’à Khartoum et puis encore plus loin vers les sources du fleuve, s’approchant ainsi de l’équateur. Chaleur, maladies, fatigues de toute sorte. Pertes de vies car les missionnaires meurent à cause des fièvres et des privations. Avant que lui ne vienne dans ces contrées, déjà 46 missionnaires sur 120 étaient morts, terrassés par les fièvres paludéennes : lui-même en perdra 27, le 28 ce sera lui, Daniel. Ce sera le 10 octobre à Khartoum.
Il se sent prophète : il doit crier l’état de ses frères africains à ses frères de l’Europe, en particulier à l’Eglise. Car il a toujours eu confiance dans l’église et lui a manifesté une grande obéissance. Son dialogue avec la congrégation de Propagande Fide à Rome est bien attesté par les nombreux rapports qu’il lui a adressés, faisant à chaque fois état de la situation du vicariat. Aucun pas, aucune décision sans que Rome n’en soit interpellée. Il avait une
Alors en 1870 il va se rendre à Rome où s’ouvrent les portes du premier Concile Vatican, pour y présenter son postulatum pro nigris, une véritable plaidoirie pour les Africains là au cœur de la chrétienté, parmi les pères conciliaires, où les décisions pouvaient être prises pour une telle collaboration. Et il passe d’un père conciliaire à l’autre, s’entretient personnellement avec chacun, lui expose le sens de son postulatum et la réalité de l’Afrique et cela afin que ce texte puisse être adopté pour discussion, dans la salle du concile. Malheureusement cela n’aura jamais lieu du fait que le concile dut se conclure rapidement sous la contrainte des troupes italiennes qui avaient occupé la ville de Rome le 20 septembre 1870.
Il porte le cri des uns, il porte l’aide des autres en réponse. Il se sent frère de tous ces gens : « vous êtes tous frères » (Mt23,8). Comment ne pas relire avec émotion ses paroles prononcées lors de son homélie, en arabe, la première comme provicaire dans l’église de Khartoum le 11 mai 1873 ? : « Je reviens vers vous pour ne plus jamais cesser de vous appartenir et pour me consacrer à jamais à votre plus grand bien. Le jour et la nuit, le soleil et la pluie me trouveront également toujours prêt pour vos besoins spirituels ; le riche et le pauvre le bien portant et l’infirme, le jeune et le vieillard, le maître et le serviteur auront toujours un égal accès à mon cœur. Votre bonheur sera le mien et vos malheurs seront aussi les miens. Je viens faire cause commune avec chacun de vous et le plus heureux de mes jours sera celui où je pourrai donner ma vie pour vous ». Comment ne pas rapprocher ces paroles de celles de Jésus lors de la dernière cène : nul n’a plus grand amour que celui-ci : « donner sa vie pour ses amis » (Jn15,13). Comboni entré dans le mystère de l’Amour du Christ, comme lui, veut se déposséder de sa propre vie pour que d’autres aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. C’est le sens profond de sa vie : se consumer pour la régénération de l’Afrique et des Africains : « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jn10, 18)
Comboni croit à la dignité de la personne humaine, car l’homme est le chemin de la Rédemption. Le Verbe éternel a pris chair, comme dit saint Jean, pour croiser le chemin des hommes. Comboni a voyagé, s’est lancé sur les routes de l’Afrique pour y rencontrer son frère l’africain et pour lui dire sa dignité d’être humain, de fils de Dieu, d’enfant du Père et de frère de tous les autres hommes dans le Christ. Il a eu confiance en lui, c’est pourquoi il affirmera comme dans un slogan : Sauver l’Afrique par l’Afrique. Cela est bel et bien possible parce que déjà le Christ l’a sauvée. Dans le Cœur transpercé du Christ, trouvent place désormais tous les peuples et tous les peuples ont le droit de regarder vers celui qu’ils ont transpercé. (Jn19,37). Le voilà ouvrir une école au Caire, l’institut de la Sainte Famille dont le personnel enseignant ne sera composé que d’africaines noires, et qui sera fréquenté par musulmans, orthodoxes et catholiques. Comboni voit clairement que le personnel africain noir est aussi capable ! La mission est une question de confiance ! Sommes-nous capables de faire confiance aux gens !
Comboni avait voulu une œuvre catholique, à laquelle devaient participer toutes les forces vives de l’église et du peuple de Dieu. Aussi fait-il appel à tout le monde : prêtres, frères, laïcs, sœurs. Il demandera des prêtres à Saint Jean Bosco, il en demandera à Arnold Janssen. Il demandera la collaboration aux prêtres de Saint Camille, aux prêtres de la congrégation des Stigmates. Aux sœurs de saint Joseph de l’Apparition. Qu’ils viennent de tout bord, cela ne lui fait pas peur. Il leur demande seulement s’ils sont bien décidés à donner, non pas un temps, ni quelques années, mais toute leur vie pour la mission et leur fait prêter serment en ce sens. La congrégation que lui-même avait fondée pour le moment n’était pas à même de fournir le personnel nécessaire. Sommes-nous disposés et ouverts à collaborer avec d’autres forces de notre église pour le bien de la mission ?
Et la femme ? Pour la femme africaine il a fondé l’institut des Pieuses Mères de la Nigritie, aujourd’hui les Sœurs Missionnaires Comboniennes. Le 15.12.1877 avait lieu une expédition à laquelle pour la première fois participaient des sœurs comboniennes. Il n’a pas peur d’écrire, peut-être exagérant un peu : la sœur de charité en Afrique fait le travail de trois prêtres en Europe. Ce siècle de persécution est le siècle de la femme catholique… les femmes sont le bras droit du ministère évangélique, les piliers des missions étrangères et les civilisatrices des populations ». (A Mère Emilie Julien 30.3.1877) (E.4465). Quelle est la qualité de notre collaboration avec les sœurs missionnaires Comboniennes ? Pour Comboni, la femme est mère, sœur et missionnaire, capable d’apporter le spécifique féminin pour humaniser la mission par sa tendresse, son potentiel et son intelligence. En regardant en avant, il disait voir un avenir heureux pour l’Afrique. Cela me rappelle cet autre texte récent des Evêques africains : « Nous n’avons pas le droit de désespérer ». Comboni l’avait déjà clamé haut et fort.
Sur son lit de mort survenue après que lui-même venait d’enterrer deux ou trois missionnaires terrassés par les fièvres, lui-aussi logé à la même enseigne de la fragilité dans la maladie, dans un sursaut d’espérance et de claire-vision s’exclamera : Je meurs, mais mon œuvre ne mourra pas ! Quoique tourmenté par une calomnie circulant encore sur son compte, jusqu’à arriver aux oreilles de son vieux papa, ses dernières pensées ne sont que pour la mission et pour son œuvre, pour laquelle il avait vécu et pour laquelle il était en train de donner son dernier souffle. La toute dernière phrase de sa dernière lettre, écrite 5 jours avant de mourir, dit ceci : « Je suis heureux de la croix parce que, si elle est portée volontiers pour l’amour de Dieu, elle engendre le triomphe et la vie éternelle ». Quel programme plus réconfortant, quel héritage plus précieux ? Par ailleurs, il en avait fait la compagne inséparable de sa vie.
Merci, Daniel, de ton amour pour l’Afrique ! Que nous-aussi puissions en avoir dans notre cœur. Pour que, par nous aussi, l’amour de Dieu triomphe et apporte la paix et l’espérance à ceux-là surtout que tu as aimés passionnément – ce fut ton unique passion – : les plus pauvres et abandonnés. Comboni ! Nous t’aimons parce que tu nous a aimés de l’amour du Cœur transpercé de Jésus ! A vous tous, Bonne fête de saint Daniel Comboni !
P. Léonard Ndjadi Ndjate, mccj
Magambe – Isiro, 10 octobre 2020