Le pain, les poissons, l’enfant, les douze paniers : Marcel Domergue, jésuite, explique l’évangile de Jean lu ce dimanche à la messe. Cette mention de la Pâque donne le ton. Elle colore tout ce qui va suivre, d’abord la multiplication des pains, ensuite le discours de Jésus sur le pain de vie, « le pain qui descend du ciel ». Certes, la Pâque dont il s’agit en ce chapitre 6 n’est sans doute pas la Pâque de la crucifixion, mais celle-ci est dans la perspective.

Jean 6,1-15

Un évangile plein de symboles

Le pain, les poissons, l’enfant, les douze paniers : Marcel Domergue, jésuite, explique l’évangile de Jean lu ce dimanche à la messe. Cette mention de la Pâque donne le ton. Elle colore tout ce qui va suivre, d’abord la multiplication des pains, ensuite le discours de Jésus sur le pain de vie, « le pain qui descend du ciel ». Certes, la Pâque dont il s’agit en ce chapitre 6 n’est sans doute pas la Pâque de la crucifixion, mais celle-ci est dans la perspective.

Le texte insiste sur le grand nombre des gens qui suivent Jésus. Ces cinq mille personnes représentent la totalité des humains, que le Christ invitera à se nourrir de sa chair et de son sang. C’est pour cela que les premiers chrétiens ont pris comme symboles du Christ le pain et le poisson. Le pain, représentatif en nos pays de toute nourriture. Mais le pain est inerte, tandis que le poisson est au contraire signe de mobilité, de liberté. Notre récit est une récapitulation en images de l’ensemble de l’oeuvre du Christ en notre faveur.

La Croix peut nous sembler au premier abord échec et catastrophe. Nous apprenons ici que, don de la chair et du sang, elle est nourriture pour notre vie, la seule nourriture pour une vie que la mort ne peut effacer. Nourris par Dieu, nourris de Dieu lui-même, rien ne peut vraiment nous détruire. C’est un enfant (tel est le sens du mot grec utilisé) qui fournit la matière première du « signe » que Jésus va accomplir. Un enfant, figure du commencement, de l’inachevé, de la vie devant soi ; une vie dont personne ne soupçonne encore la plénitude et le caractère indestructible.

Le Christ Roi

Certains pourront s’étonner de voir ce commentaire insister à ce point sur le symbolisme. C’est que les auteurs bibliques, et saint Jean plus que les autres, n’écrivent aucun mot au hasard et chargent ces mots de significations qui vont au-delà de leur emploi ordinaire. Des exemples ? On se souvient que le Christ est appelé « pasteur », mais Jean change le sens du mot au point qu’il ne signifie plus celui qui se nourrit du troupeau, mais au contraire celui qui le nourrit de sa vie (cf. Jean 10), à tel point que, « pasteur », il est aussi « agneau », l’agneau de Dieu. Le mot « Christ » n’échappe pas à cette transformation du sens, à cet « accomplissement ».

Christ signifie « qui a reçu l’onction royale », comme David dont Jésus est le descendant. « Fils de David », Jésus est, au-delà, « Fils de Dieu ». Le mot « roi » prend alors une signification dont nous ne pouvons rendre compte. Le mot « Fils » également, d’ailleurs. Jésus est plus fils que nos fils, et autrement. Justement, dans notre évangile, les gens veulent s’emparer de Jésus pour le faire roi. Voici que resurgit la tentation de Matthieu 4,8-9 et de Luc 4,5-7.

Jésus se dérobe. Sa « Royauté » n’est pas de ce monde, elle ne ressemble pas à ce que ces gens imaginent. Jésus ne rétablira pas la royauté perdue. Rien, dans ses paroles et ses actes, n’a de portée politique. Le culte du « Christ Roi » n’a pas toujours été exempt d’ambiguïté, et l’Église, d’une manière ou d’une autre, a parfois voulu peser sur le pouvoir en place. Il fut un temps où les gouvernants étaient considérés comme le « bras séculier » de l’Église.

Douze paniers

La surabondance ! Le don que Dieu nous fait de lui-même dans le Christ dépasse nos besoins, nos aspirations, nos ambitions. Pourquoi douze paniers ? Veut-on nous faire penser aux douze tribus, aux douze apôtres ? La douzaine a toujours été un nombre symbolique. Mais l’essentiel est le fait de ramasser les restes. En effet, à l’arrière-fond de la multiplication des pains, il y a la manne dont le peuple en exode se nourrissait au désert. Or, il était interdit de stocker la manne. Des provisions auraient sans doute signifié que l’on se méfiait de la permanence de l’assistance de Dieu. Avec le Christ, tout cela est dépassé, car le pain qui sera donné est en fin de compte Dieu lui-même.

Les douze paniers signifient que Dieu va au-delà de tout ce que nous pouvons attendre. La manne ne passait pas la nuit, le pain du Christ « subsiste jusque dans la vie éternelle » (6,27). Du solide, à côté de la fragilité non seulement de la manne, mais aussi des nourritures que nous produisons. Encore un mot qui change de sens pour s’appliquer à une réalité insaisissable, mais d’une nécessité absolue pour notre accès à l’existence accomplie, plénière. Le Christ se fait pain. Ne pensons pas tout de suite au rite eucharistique, mais à la Parole qui nourrit en nous une autre manière d’être, si nous la recevons dans la foi. Une Parole vivante et qui fait vivre. Par là, c’est nous aussi qui devenons rois : héritiers (et non pas sujets) du Royaume.
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