Méditation du XXV Dimanche du Temps Ordinaire (B): Le vertige de la première place

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Jésus vient d’annoncer qu’il sera livré aux mains des hommes et qu’il sera tué, crucifié comme un malfaiteur, comme un homme dont il faut se débarrasser pour le bien de tous. L’évangéliste ajoute que ses disciples ne comprennent pas ces paroles. S’ils ont peur de l’interroger, ce qu’ils ne manquent pas de faire d’habitude, c’est sans doute parce qu’ils craignent la réponse. (...)

Marc 9, 30-37

Les disciples se disputent pour savoir lequel d’entre eux est “le plus grand”.
La réponse de Jésus est cinglante !
par Marcel Domergue, jésuite

Jésus vient d’annoncer qu’il sera livré aux mains des hommes et qu’il sera tué, crucifié comme un malfaiteur, comme un homme dont il faut se débarrasser pour le bien de tous. L’évangéliste ajoute que ses disciples ne comprennent pas ces paroles. S’ils ont peur de l’interroger, ce qu’ils ne manquent pas de faire d’habitude, c’est sans doute parce qu’ils craignent la réponse. En tout cas, ils sont tellement aux antipodes de ce que vient de leur dire Jésus qu’ils discutent pour décider lequel d’entre eux est le plus grand. Il ne s’agit même pas de savoir quel est le meilleur, ce qui est déjà bien prétentieux, mais lequel est le premier ; et ce n’est pas la même chose ! Manifestation typique de l’ambition. Même ceux qui ont tout quitté pour suivre le Christ, aujourd’hui comme hier, peuvent être la proie de ce “démon”. Surclasser, dépasser les autres, occuper la première place, dans un domaine particulier ou en toute chose. Au fond, cela provient d’un besoin de se rassurer à propos de sa propre valeur, de la peur de son propre vide, de la crainte de ne pas être à la hauteur. C’est donc la foi qui est en cause. Foi en la vie, qui est une forme obscure de la foi en Dieu. L’ambition, car c’est bien de cela qu’il s’agit, introduit facilement la violence en toute compétition. N’oublions pas que Genèse 3 présente le péché de l’homme comme ambition de se faire “comme Dieu”, que le premier meurtre, celui d’Abel par Caïn, est attribué à la jalousie et que Marc 15,10 dit que Pilate comprend que c’est par envie que les grands prêtres veulent la mort de Jésus.

Le désir fondamental

Notre seconde lecture dit en termes vigoureux la perversion de l’ambition. Jacques a bien vu que nos conflits en plein jour viennent d’un conflit intérieur à chacun de nous, entre notre désir d’accueillir et notre volonté de prendre. Remarquons que notre ambition de la première place nous laisse seuls avec nous-mêmes : les
autres en effet deviennent de simples instruments à utiliser pour notre élévation. Enfermés dans le cercle du culte de notre propre moi, nous ne savons plus que nous ne pouvons être vraiment nous-mêmes que par alliance avec d’autres. Une alliance au sens fort, qui nous fait sortir de nos prisons intimes pour nous faire accéder à la ressemblance de Dieu, qui n’est Un que parce qu’il est Père, Fils, Esprit, et qui se révèle à nous comme celui qui se donne pour faire vivre. Nous voici revenus à l’annonce de la Passion, en laquelle Jésus va se livrer à nos convoitises (la “jalousie” de Matthieu et de Marc). Là, il sera “le dernier de tous” et
se fera “le serviteur de tous”, comme il le dit dans notre lecture. C’est vers cela que doit nous porter notre désir profond, notre “ambition”, le projet de notre existence. Car nous n’avons pas d’autre chemin pour nous construire à l’image de Dieu, c’est-à-dire pour exister. “Le chemin, la vérité et la vie” sont là, à ce prix. Imaginons-nous que nous pouvons rester dans la vie en nous faisant différents du Fils, en nous séparant de “l’image du Dieu invisible” ?

Comme un enfant

Nous voici invités à revenir sans cesse à notre commencement, à cet état où nous ne pouvons rien, sinon accueillir ce qui vient, notre avenir imprévisible. Le temps, donc, de l’ouverture absolue. Déjà, il est vrai, l’ambition peut venir contaminer le désir et l’ivraie peut croître mêlée au bon grain. Nous ne pouvons pas confondre enfance et innocence. Il reste que l’enfant est l’être humain en son ouverture ; inachevé, il est accueil de ce qui vient. La vie devant soi. Il y faut un fond d’espérance, de confiance en cet avenir, même si cette confiance reste enfouie en deçà de la conscience. Elle est la source de la joie de vivre enfantine. La confiance en la vie qui vient passe par la foi, l’ouverture aux personnes qui entourent l’enfant, et en premier lieu, bien entendu, aux parents. L’enfant est d’abord fils ou fille d’un homme et d’une femme qui ont été le chemin de l’action créatrice de Dieu. Mais ici Jésus, selon Marc, ne nous parle pas de la nécessité de revenir à l’ouverture et à la confiance de l’enfance : il nous invite à recevoir en son nom le plus pauvre, le plus démuni, celui qui n’a rien et ne peut compter que sur les autres. Accueillir de telles personnes, c’est l’accueillir lui-même et, en fin de compte, accueillir Dieu lui-même. Dieu, et cela s’est révélé, manifesté dans ce qu’a vécu le Christ, s’est remis entre nos mains. Vis-à-vis de nous, Dieu se fait notre enfant. Il se met à notre merci, et nous avons le pouvoir de l’accepter ou de le refuser.
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